1944.12.07.De Jean Dassie, commandant du Château-Larose.Rapport.Original

Original

Le PDF est consultable à la fin du texte.

NB : Ce document provient d'un dossier intitulé "Département maritime" ; il est annexé à la déposition de Lucien Émo en date du 7 décembre 1944 et a lui-même pour annexe une note non datée sur le "Château-Larose".

Première pièce jointe
[à la déposition de Lucien Émo, devant le juge G. Thirion, en date du 7 décembre 1944]

Rapport du commandant Dassie commandant le s/s "Château-Larose"
au sujet des circonstances dans lesquelles son navire effectua un voyage sur la Corse.

Je soussigné, Dassie, Jean, Joseph, Hubert, capitaine du s/s, "Château-Larose", du 26 décembre 1942 au 26 juin 1944.
Déclare ce qui suit :
Le 29 juillet 1943, ce navire fut désigné par les Transports maritimes pour assurer le ravitaillement de la Corse, en remplacement du s/s "Château-Yquem", torpillé à sa sortie d'Ajaccio le 27 juillet 1943.
Au cours du chargement à Marseille, le 3 août, je reçus la visite à bord de Monsieur L. Émo, directeur général des Services maritimes, et de Monsieur Bouteloup, directeur des Services maritimes. En la présence de ce dernier, Monsieur Émo me fit la déclaration suivante : « Monsieur Worms, que je viens de voir, m'a chargé de vous dire ceci : "Quoique vous fassiez au cours des voyages que vous allez entreprendre, nous ne vous reprocherons rien". Monsieur Émo ajouta, pour préciser : Lorsque vous jugerez le moment favorable, s'il vous faut provoquer une avarie même grave telle qu'un échouage, par exemple, il ne vous sera rien reproché ». C'était dire, du moins je l'ai interprété ainsi étant donné que mes désirs secrets étaient connus de notre Direction, si vous avez une occasion de libérer le navire, soit en le conduisant dans un port allié, soit en l'immobilisant en Corse, n'hésitez pas, même s'il y a de gros risques matériels à courir.
J'appareillai de Marseille pour Ajaccio le 7 août, bien décidé à mettre en exécution ces directives qui comblaient mes désirs, d'autant plus que ma femme et mes enfants se trouvaient à Casablanca. A cette époque, un débarquement allié était à prévoir en Corse étant donné les événements d'Italie. Le 16 août, l'incident suivant survenait d'ailleurs me confirmer que la possibilité d'une telle éventualité était imminente. En effet, ce jour-là, vers 22 heures, le commandant italien du port d'Ajaccio monta à bord, donnant par son attitude, ses cris et ses gestes, des signes d'affolement ; en présence de l'officier italien d'escorte et du chef mécanicien du bord qu'il m'avait fait appeler chez moi, il me dit ceci : « Un débarquement allié est annoncé. Je vous donne l'ordre de faire évacuer le bord à tout votre personnel, immédiatement. Vous resterez seul à bord avec le chef-mécanicien, sous la surveillance de l'officier et de son escorte. Si le débarquement à lieu, l'officier d'escorte vous donnera l'ordre de saborder votre navire ; si vous ne l'exécutez pas, il a l'ordre de vous abattre ».
Rien ne se produisit ce jour-là, mais dans l'espoir que le débarquement se produirait incessamment, je commençai par prolonger mon séjour en retardant le départ du navire de cinq jours de la façon suivants. Celui-ci devait se faire avec les navires "Ville-d'Ajaccio" et "Ville-de-Bastia" qui, après divers retards, partirent le 19 août. J'avais reçu l'ordre par le commandant de la Marine française à Ajaccio, le "Château-Larose" étant déchargé et prêt à reprendre la mer. L'officier italien commandant le piquet d'escorte que j'avais à bord n'étant pas très brave, je lui fis ressortir les risques de torpillage que nous courrions en partant avec ce convoi (vitesse maximum du "Ville-de-Bastia" six nœuds), et il s'empressa d'intervenir auprès de ses chefs pour que notre départ soit différé. Grâce à cela, je ne partis que le 5 septembre manquant hélas de trois jours l'armistice intervenu entre les Alliés et l'Italie le 8 septembre. Mes regrets furent d'autant plus vifs que sans mon intervention mon départ s'effectuant avec le convoi prévu, j'aurais effectué le voyage Corse-Marseille et retour en compagnie du s/s "Ville-d'Ajaccio", lequel, de retour à Ajaccio le 2 septembre, fut assez heureux de s'y trouver le 8 pour être libéré. Si je n'ai pas essayé de prolonger davantage mon séjour à Ajaccio par une avarie quelconque, c'est pour les raisons suivantes :
1/ les Italiens ne donnaient aucun signe de lassitude laissant prévoir un armistice, activant fiévreusement au contraire les travaux de minage du port, arrêtant le colonel Prioux, commandant la Commission d'armistice, avec un de mes lieutenants (Monsieur Caille, ce dernier relâché au bout de quelques heures),
2/ c'était mon premier voyage en Corse et sans relations il m'était impossible d'avoir des informations,
3/ le ravitaillement sur place était inexistant et la nourriture de l'équipage était uniquement assurée avec les vivres de réserve du bord, vivres qui nous étaient délivrés à Marseille au compte-gouttes. En particulier, le vin venant à être épuisé vers le 27 août, il me fut impossible de m'en procurer sur place et l'équipage commença à manifester son mécontentement,
4/ la relève de l'équipage et de l'état-major était prévue pour le 1er septembre à Marseille, aussi le retard provoqua dans le personnel des signes de lassitude.
Pour ces différentes raisons, je pensais qu'il serait préférable d'effectuer un nouveau voyage me permettant d'embarquer à Marseille et un équipage plus allant et plus sûr et des vivres en quantité plus importante qui me permettraient de séjourner plus longtemps et plus facilement en Corse. Aussi, n'ai-je rien tenté d'autre pour retarder davantage le départ. J'avais pourtant tout calculé et l'immobilisation du navire aurait été provoquée facilement au cours de l'évolution vers la sortie en manœuvrant de telle sorte que l'hélice serait venue se briser au contact de l'un des coffres mouillés par les Italiens entre les jetées. Il me restait l'espoir d'être arraisonné par une force navale française ou alliée qui me débarrassant de nos escorteurs nous aurait libérés et protégés par la suite. Rien de semblable ne se produisit au cours du voyage de retour et l'armistice italien survenant le 8 mit fin à tous mes espoirs, en m'empêchant d'effectuer le voyage au cours duquel j'étais résolu à mettre à exécution mon projet d'immobilisation du navire à Ajaccio.

Dassie

[Sur un billet attaché à ce rapport est indiqué : Document non versé au dossier (à décharge)]

 


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