1989.04.14.De Eric Leser - Le Nouvel Economiste.Article

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Le Nouvel Économiste – 14/4/89

La manière de MM. Worms & Cie

Banque d’affaires et placements stratégiques : l’an 2000 se présente bien

 

[Photographie – légende :] Nicholas Clive-Worms devant les portraits de ses ancêtres, des pétroliers à la haute finance.

 

« Nous sommes un animal étrange dont la force principale, depuis maintenant plus de cent quarante ans, est la faculté d'adaptation. » Confortablement installé dans son lourd canapé de cuir noir, à côté d'un bureau que son grand-père occupait déjà, M. Nicholas Clive-Worms, 46 ans, stratège et héritier de MM. Worms et Cie, analyse avec ce recul tout britannique des Clive l'histoire d'une maison aussi illustre que mystérieuse. L'un des fleurons du capitalisme financier à la française, une vieille société familiale de portefeuille avec sa forme juridique désuète de société en commandite, qui a entamé dans les années 80 un retour en force impressionnant.

Un groupe secret, mais qui, depuis le mois de janvier, a encore défrayé par deux fois la chronique en étant, en Bourse, l'acheteur mystérieux de TF1 au plus haut et en se payant pour 6 milliards de francs le groupe d'assurance Athéna. « C'est une sorte de Lazard mâtiné de Rivaud, avec, d'un côté, une des banques d'affaires les plus efficaces et les plus craintes de la place, et, de l'autre, un ensemble de participations stratégiques et d'investissements qui vont de l'assurance à Lancel, en passant par TF1, la Financière Agache et Saint Louis, pour finir par une flotte de pétroliers », explique un homme du sérail. Une maison qui a survécu brillamment à tous les avatars de l'Histoire pour mieux rebondir à chaque fois. Calice. Dernier électrochoc en date : la nationalisation, en 1982, de la banque Worms, un des trois piliers du groupe depuis des décennies avec le transport maritime et les combustibles. La blessure est encore fraîche et, bien qu'il s'en défende, M. Clive-Worms reconnaît implicitement que le coup a été rude : « Outre la sortie d'un actif, la perte de la banque nous a aussi coûté notre nom. » Contrairement, par exemple, à la Banque Rothschild, qui est devenue l'Européenne de banque, la Banque Worms nationalisée a conservé son nom et n'a cessé de poser au groupe un problème d'image et de confusion dans l'esprit du grand public. Plus gênant encore, MM. Worms et Cie s'est vu interdire, en vertu d'une récente décision de justice, l'utilisation commerciale, en France, sur le plan bancaire et financier, du nom Worms. Voilà pourquoi M. Clive-Worms ne peut s'empêcher d'afficher avec satisfaction - ce qui est parfaitement contraire à l'esprit de la maison - la réussite de la Banque Demachy. MM. Worms et Cie s'est empressé de remonter de toutes pièces un ensemble bancaire en créant avec l'aide des Wendel, à travers la CGIP, qui en possède près de 30%, la Banque Demachy. Celle-ci a été confiée pour son démarrage à un autre "nationalisé", M. Jean Rougier, qui était directeur général de Vernes avant 1981. « Un établissement qui a gagné, en 1988, 100 millions de francs après impôts, avec des fonds propres de 450 millions de francs », souligne M. Clive-Worms. La revanche a été appréciée à sa juste valeur, car il a fallu boire le calice jusqu'à la lie et continuer pendant six ans à cohabiter avec la banque nationalisée dans les locaux du 45, boulevard Haussmann, un immeuble où se mêlent boiseries, gravures et maquettes de navires qui résument une aventure commencée en 1848.

C'est à cette date qu'un certain Hippolyte Worms, banquier et surtout fabricant et négociant de plâtre à Rouen, abandonne ses activités pour se lancer dans le transport maritime. Il fonde une société en commandite par actions, comme Lazard, Michelin ou Casino, dont le nom est MM. Worms et Cie. La firme est encore gérée aujourd'hui par un collège d'associés-gérants, tous égaux en droits, qui sont responsables sur leurs fortunes personnelles. De quoi expliquer une prudence qui a grandement contribué à une réussite financière jamais démentie, obtenue sans aucune augmentation de capital depuis 1848. Actuellement, il y a six associés-gérants qui, comme les précédents, ont été désignés au moins par 51% des actionnaires familiaux, réunis en assemblée générale, et révocables à la majorité. Voilà un siècle et demi, l'arrière-arrière-grand-père de M. Clive-Worms, Hippolyte, profitant du fantastique développement de l'industrie anglaise au milieu du XIXe siècle, livre outre-Manche du blé et du plâtre et importe en échange du charbon. Rapidement, il devient le plus gros importateur de houille britannique et l'un des principaux affréteurs de navires arborant le pavillon du Commonwealth. Le percement de l'isthme de Suez fait sa fortune. Il est d'abord le fournisseur en charbon des entreprises qui creusent le canal, puis, plus tard, celui des navires qui l'empruntent. A partir de son implantation à Port-Saïd, la maison Worms entame une nouvelle reconversion, cette fois-ci vers le pétrole. C'est au successeur d'Hippolyte Worms, Henri Goudchaux, neveu du fondateur, que reviendra la tâche de conduire la grande aventure de la colonisation et de l'implantation en Afrique du Nord. Une réussite telle que, au début du siècle, au Caire, un gallon d'essence s'appelle un Worms ! Le groupe a d'ailleurs continué ses activités pétrolières jusqu'en 1970, date de la cession d'Antar, mais compte encore aujourd'hui une flotte de sept pétroliers géants.

Avec Hippolyte Worms deuxième du nom, grand-père de Nicholas Clive-Worms, la maison élargit encore, dans les années 30, son champ d'activité, cette fois vers la banque, créée en 1928, et l'assurance. La puissance de Worms et Cie est alors à son apogée. La guerre laisse quelques traces, et un ancien du groupe, Jacques Barnaud, secrétaire général à l'Économie nationale du gouvernement de Vichy, vaut quelques ennuis à la famille à la Libération. Vient ensuite l'ère de Raymond Meynial, l'homme discret de l'international, des sociétés holdings, et notamment de Pechelbronn.

Lignée. L'arrivée progressive aux affaires de Nicholas et, dans son sillage, de nouvelles têtes coïncide avec le réveil forcé de la "vieille dame". Héritier par sa mère de la lignée des Worms (Clive par son père) et seul descendant mâle de cette branche, Nicholas entre en 1970, à 28 ans, chez MM. Worms et Cie comme associé-commandite, puis, quatre ans plus tard, comme associé-gérant Entre-temps, il est devenu en 1976 le P-DG du joyau du groupe, le holding Pechelbronn. Cette progression rapide, à l'instigation, dit-on, de sa grand-mère, la femme d'Hippolyte Worms deuxième du nom, ne s'est pas faite sans mal. Nicholas, jugé hâtivement "fragile", souffre aussi d'une jeunesse insouciante qui l'a fait sortir de Sciences po sans en obtenir le diplôme et passer par Harvard sans pousser jusqu'au MBA. Contrairement aux prévisions pessimistes, Nicholas va savoir mûrir et s'entourer. Il avoue lui-même volontiers « avoir eu la chance qu'on lui fasse confiance et qu'on le laisse prendre de l'âge », à une époque où il était "un associé de second rang". Mais il met vite en pratique, jusque dans sa tenue vestimentaire, d'un classicisme typiquement britannique, la philosophie des gérants de la maison Worms : « Pas d'ostentation, être besogneux et ne pas trop parler ». Ce qui n'exclut pas le désir de coller avec son temps et de savoir choisir les hommes.

Ainsi, après le grand choc de la nationalisation, ce sont les trois quarts de l'état-major qui changent en l'espace de quatre ans.

 

[Organigramme du Groupe Worms.]

 

Les familles, inquiètes après la perte de la banque, font appel à un homme de confiance extérieur, M. Jacques Legrand, nommé un peu plus tard à la tête d'un conseil de surveillance créé en 1987 et qui se charge d'apporter du sang neuf et de la compétence au sommet du groupe. Une stratégie dont Nicholas revendique aussi aujourd'hui la paternité, même si certains affirment qu'elle lui a été imposée. De 1982 à 1986, c'est une véritable révolution, avec l'arrivée à la tête de la maison d'hommes comme MM. Édouard Silvy, 51 ans aujourd'hui, le spécialiste des dossiers délicats à l'IDI, Jean-Luc Lépine, 44 ans, ancien secrétaire général de la Cob et inspecteur des finances, Guy Verdeil, ex-président du Gan, Robert de Metz, lui aussi inspecteur des finances et, enfin, Claude Pierre-Brossolette, 60 ans, ancien secrétaire général de l'Élysée auprès de M. Valéry Giscard d'Estaing puis président du Crédit lyonnais et de la banque Stern.

Primus inter pares. Face à cette avalanche de cerveaux, le pouvoir de Nicholas vacille avant de finalement s'affermir. « C'est surtout l'arrivée, en 1986, de M. Pierre-Brossolette, un associé-gérant de poids, qui a été décisive », souligne un homme de l'intérieur. En l'espace d'un an, il prend les rênes, colmate les brèches des activités maritimes en faisant battre pavillon de complaisance aux navires Worms et en cédant 66% des lignes régulières vers l'Afrique de l'Est à la Navale Delmas Vieljeux. Puis, les secteurs déficitaires remis sur la bonne voie, le groupe entreprend d'amasser un trésor de guerre pour réorienter ses activités. Worms et Cie vend donc la Générale Biscuit à BSN et la majorité de la Banque de gestion privée à M. Gérard Eskenazi. Dans le même temps, Pechelbronn émet en Bourse pour 1 milliard de francs de certificats d'investissements. Dans la foulée, M. Pierre-Brossolette prend aussi la présidence du holding français de M. Carlo De Benedetti, Cerus, que les services financiers de Worms ont concocté. Entre M. Clive-Worms, qui sent le pouvoir lui échapper, et l'ancien président du Crédit lyonnais, les relations se tendent. Mais les péripéties de l'alliance avec Cerus vont rapidement clarifier les choses. L'OPA lancée dans les derniers mois de 1986 par M. De Benedetti sur les Presses de la Cité, contrée par M. Jimmy Goldsmith, se conclut, en effet, par le désaveu et la démission de M. Pierre - Brossolette. L'aura de l'ancien président du Crédit lyonnais en souffre et l'héritier Worms, son cadet de quinze ans, en profite pour reprendre l'avantage.

 

[Citation :] « Nous mettons tous nos œufs dans le même panier, c’est pour ça que la Maison existe encore aujourd’hui. »

 

Depuis, la répartition des rôles entre les têtes du groupe est strictement définie. Il y a tout d'abord les six associés-gérants, dont cinq n'appartiennent pas aux familles actionnaires, à savoir MM. Claude Pierre-Brossolette, Jean-Luc Lépine, Édouard Silvy, Gilles Bouthillier et Claude Janssen. M. Clive-Worms apparaît, quant à lui, comme le "primus inter pares". Chaque gérant a la responsabilité particulière de certaines activités, les plus délicates étant dirigées par des binômes. M. Pierre-Brossolette a, par exemple, en main les destinées de la Banque Demachy, associé à M. Lépine.

 

[Photographie – légende :] Claude Pierre-Brossolette (Banque Demachy) : une arrivée décisive

 

M. Silvy s'occupe du holding à thème Truffaut (luxe et communication), filiale de Pechelbronn, et M. Bouthillier des transports. M. Clive-Worms se consacre en priorité au holding amiral du groupe, l'ancienne maison mère d'Antar, Pechelbronn, dont il est le président.

Cette répartition des pouvoirs, mise en place à la fin de 1986, n'a pas gommé les ambitions de la "vieille dame". Mieux, l'agressivité en affaires et des prises de décision rapides sont devenues la nouvelle image de marque du groupe et même le symbole de son renouveau. A preuve, en 1987, MM. Worms et Cie vient en Bourse au secours de Saint Louis, "un de ses clients", menacé par le groupe italien Ferruzzi, mais n'hésite pas, quelques mois plus tard, à céder l'une des activités majeures de Saint Louis, les huiles Lesieur, à ce même Ferruzzi. Une logique financière pragmatique qui fait grincer des dents et crier à la trahison, tout comme, un an auparavant, la cession de Générale Biscuit. Deux affaires où l'attitude de la maison du boulevard Haussmann est contestée, mais qui l'ont hissée à nouveau au rang des grands "brasseurs" d'affaires comme Lazard, Paribas et Suez. Ces opérations éclairent en tout cas d'un jour nouveau la stratégie du groupe Worms version fin du XXe siècle. Selon les propres mots de M. Clive-Worms : « II ne faut jamais tomber amoureux de ce que l'on a. Car ce que veulent avant tout nos commanditaires, nos actionnaires, c'est que nos affaires se développent, qu'elles soient prospères et le moins fragiles possible. Il faut assurer l'avenir de l'entreprise, quitte à vendre, ce qui est le plus difficile dans notre métier. » Application : ce qui s'est passé en 1986, quand le groupe s'est mis à chercher un partenaire pour épauler Générale Biscuit. Une société dans laquelle MM. Worms et Cie détenait depuis longtemps une participation de 20% aux côtés de la famille Thèves. Pour M. Clive-Worms, « Générale Biscuit, une société très dynamique, ne pouvait aller beaucoup plus loin seule ». Worms a donc échangé ses titres Générale Biscuit contre des actions BSN. Pour les adversaires de la maison, ce "lâchage" s'est tout simplement fait à l'insu du président de Générale Biscuit, M. Claude-Noël Martin. Si, du côté de Worms, on affirme « avoir fait ce qu'il fallait », on reconnaît s'y être horriblement mal pris.

La vente de Lesieur à Ferruzzi, un an après l'affaire Générale Biscuit, a elle aussi fait couler beaucoup d'encre. Une nouvelle fois, certains se sont mis à parler de trahison : le chevalier blanc de Saint Louis vendant à son adversaire une partie de la société qu'il défend ! Évidemment, chez Worms, le point de vue est différent et l'on considère que Lesieur n'était pas une affaire d'avenir : « On ne pouvait pas bâtir dessus un développement. Nous n'y sommes pour rien ». D'ailleurs, « ç'a été une bonne orientation stratégique, puisque les acheteurs se plaignent ouvertement aujourd'hui de l'acquisition qu'ils ont faite », ajoute-t-on. « Jamais, rappelle M. Clive-Worms, affaire n'a fait faillite sous la houlette de Worms et Cie. » La logique Worms se comprend mieux quand ses dirigeants expliquent « qu'ils sont venus aider un client qu'on ne pouvait pas laisser se faire manger ». Saint Louis n'est qu'un client, un investissement, en aucun cas un des quatre pôles stratégiques, "la composante long terme géré", pour employer le jargon du boulevard Haussmann, que sont l'assurance, la banque, l'immobilier ou les transports. Mais la spécificité de Worms est justement de ne pas hésiter à placer son argent chez ses clients. Car le cœur du métier de Worms, c'est bien celui d'une banque d'affaires qui, en plus, met parfois la main dans le porte-monnaie. Quand M. Clive-Worms annonce avec un large sourire que, d'ici deux ans, les activités de banque d'affaires, c'est-à-dire Demachy et RN Clive Worms, auront rejoint les locaux du boulevard Haussmann, libérés récemment par la Banque Worms, c'est tout un symbole. La résurrection d'une banque du groupe Worms en 1985 a permis de hisser la maison au troisième rang pour la valeur des transactions de banque d'affaires en 1987 et en deuxième position en 1988. L'inventaire des opérations auxquelles elle a été associée est impressionnant : Cerus, Valeo, Saunier-Duval, BSN-Générale Biscuit, Saint Louis-Lesieur, Presses de la Cité, Lesieur-Cotelle, James River-Kaysersberg, Dumez-Laurent Bouillet, Framatome-Souriau. Tout en conseillant en parallèle Renault pour la cession d'Europcar, en évaluant la Lyonnaise de banque en vue d'une privatisation aujourd'hui suspendue, ou en montant l'opération Norsolor, qui a permis d'ouvrir aux investisseurs privés le capital de cette filiale de CdF Chimie. La banque a gagné, l'an dernier, 100 millions de francs nets de commissions. Trésor de guerre. Si la banque est la tête du groupe, Pechelbronn en est la base. C'est sur ce holding que repose presque toute la stratégie industrielle de la maison, car il contrôle directement l'assurance avec Athéna, la nouvelle entité qui constitue maintenant un ensemble de taille appréciable, l'agroalimentaire et le papier avec Saint Louis, et le luxe et la communication avec le holding à thème Financière Truffaut. « Nous aurions pu avoir 10% de quinze sociétés. Il vaut mieux avoir 35% de trois. Avoir des petits bouts partout, ce n'est pas notre conception du métier », explique M. Clive-Worms. Il n'y a pas de gestion de portefeuille ici. « Nous, nous mettons tous nos œufs dans le même panier. C'est pour cela que la maison existe encore aujourd'hui. » Instrument privilégié de cette logique d'affaires à long terme, Pechelbronn est aussi l'ensemble coté le plus important du groupe, dont la capitalisation boursière est proche de 9 milliards de francs avant l'opération Athéna, et sera sans doute de l'ordre de 13 milliards après. Présenté il y a un an comme une valeur opéable, Pechelbronn est maintenant, selon ses dirigeants, et après l'échange de titres avec Athéna, contrôlé à 45% par le groupe Worms et à plus de 60%, si l'on y ajoute les participations de 9% et 8% de l'UAP et des AGF. Partie essentielle de Pechelbronn, son activité d'assurance, après la réunion sous un toit commun de PFA, La Lilloise, déjà filiales de Pechelbronn, et de GPA, contrôlé auparavant par le groupe Athéna, représente 15 milliards de francs de primes, 30 milliards de francs gérés et 600 millions de francs de bénéfice net en 1988. Un ensemble stratégique majeur qui par sa taille est aujourd'hui, aux yeux de M. Clive-Worms, « plus à même d'intéresser comme partenaire tel ou tel groupe étranger. Avant l'opération Athéna, nous étions un peu isolés ».

D'un point de vue strictement boursier, l'acquisition au prix fort d'Athéna n'est pas jugée favorablement par de nombreux analystes. « Les compagnies d'assurances se valorisent en Bourse à la moitié du prix qu'a payé Pechelbronn, souligne un spécialiste du groupe Worms. C'est ce qui explique la baisse récente des cours de Pechelbronn (voir graphique), d'autant que ce holding a toujours présenté une décote faible, de l'ordre de 15%, par rapport à sa valeur d'actif. »

 

[Graphique : Pechelbronn, cours ajusté en francs en Bourse de Paris (avril 1988-avril 1989)

 

Mais, une fois restructuré, l'ensemble Athéna pourrait valoir sur le marché de l'assurance autant que la seule capitalisation boursière de Pechelbronn, estiment les dirigeants.

Le poids croissant de l'assurance ne doit pas masquer les offensives récentes vers le luxe et la communication. Un ensemble de participations regroupées dans le holding Truffaut, et dont les plus importantes sont 10,3% de la Financière Agache, le holding de tête de M. Bernard Amault, dont le groupe Worms est aussi le deuxième actionnaire, et entre 5 et 10% de TF1. Un autre investissement stratégique, renforcé récemment : le franchissement du seuil des 5% n'a été annoncé qu'en janvier. Pour chacune de ces participations, la logique suivie a été la même : prendre position sur un "emplacement unique".

Selon les analystes financiers, l'évolution de Pechelbronn a connu deux étapes : d'abord, constitution d'un certain nombre de filiales spécialisées comme la Financière Truffaut ou la Financière Faltas ; ensuite, la valorisation dans des ensembles plus importants en faisant remonter les liquidités. Cette politique s'est traduite par la fusion, en novembre 1988, des holdings à thème Truffaut et Faltas, par le regroupement des compagnies d'assurances et par le renforcement de Saint Louis dont on a gonflé le secteur papetier et où l'on a créé de toutes pièces Euralim, une branche plats cuisinés. « Il s'agit à chaque fois d'ensembles susceptibles d'intéresser un acheteur », remarque un spécialiste d'une grande banque. Le tout peut constituer un trésor de guerre considérable qui permettra de participer un jour à une très grosse opération. L'admiration qu'éprouve M. Clive-Worms pour M. Antoine Riboud, "ce merveilleux stratège", et l'intérêt qu'il porte à BSN donnent à penser que la maison Worms pourrait avoir un rôle à jouer dans la succession à venir chez le numéro 1 français de l'agroalimentaire. Mais que vaut aujourd'hui Worms ? M. Clive-Worms est particulièrement discret sur ce point : « Nous n'évaluons pas nos actifs. C'est comme si vous évaluiez l'appartement dans lequel vous habitez depuis vingt ans et que vous comptez encore occuper pendant des dizaines d'années. » Pour les analystes, la valeur de MM. Worms et Cie oscille entre 10 et 15 milliards de francs, dont 40% pour l'assurance, 35% pour Saint Louis et Truffaut et 25% pour les activités bancaires. L'ensemble est entre les mains de moins d'une centaine de descendants des fondateurs historiques. « D'ailleurs, personne dans les familles n'est sorti du capital en cent quarante ans », confie M. Clive-Worms. Une confirmation implicite de la très forte rentabilité du groupe, qui permet de servir des revenus importants aux familles. M. Clive-Worms souligne cependant que « l'impôt de solidarité sur la fortune pose un véritable problème pour des affaires comme celle-ci ». Les familles se rémunèrent sur les bénéfices de MM. Worms et Cie et en réinvestissent une partie. Mais l'IGF et l'ISF « nous obligent à faire remonter plus d'argent vers MM. Worms et Cie », explique-t-il. La commandite est-elle, dans ces conditions, une forme de société appelée à disparaître, comme le pense, par exemple, Casino ? « Je ne le crois pas, affirme M. Clive-Worms. Dans un tel système, les actionnaires ont un rôle plus important à jouer qu'ailleurs. Ils viennent en quasi-totalité aux assemblées générales pour nommer et révoquer les gérants. Il n'y a pas de cooptation et la sanction des erreurs est garantie. C'est ce qui explique notre réussite depuis près d'un siècle et demi et la raison pour laquelle la maison Worms sera encore là, et bien là, en l'an 2000. » Éric Leser

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