1989.00.De Worms & Cie.Historique.L'importation charbonnière en France et l'Atic

 L’importation charbonnière en France et l’Atic

 

Avant la Seconde Guerre mondiale

La France est un pays organiquement déficitaire en charbon et le plus gros importateur du monde.

En 1938, l'importation de Grande-Bretagne, d'Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas, pour ne citer que les fournisseurs principaux, procure 34% de la consommation avec l'équivalent de 1.900.000 T de houille par mois.

(Réf. Sans l'Alsace Lorraine, la France métropolitaine disposait en combustibles minéraux solides de toutes origines de 5.100.000 T par mois en 1938 - année de consommation assez faible).

(Extrait de "La France manque de charbon", article de Robert Fabre paru dans la "Revue de Paris" du 1er août 1945, Paris, 13 p.)

La Maison Worms est une puissante affaire d'importation en France et en Afrique du Nord de charbons étrangers d'origines multiples.

(NB : En 1937, 60% de ses importations viennent d'Angleterre et les 40% restants proviennent d'Allemagne en premier lieu, de Pologne ensuite et du Tonkin enfin.)

En 1937-1938, le tonnage importé est de l'ordre de 1 million de tonnes.

Il s'agit essentiellement de charbons industriels.

Les principaux clients sont les sociétés gazières (usines à gaz : Société genevoise du gaz, France et Étrangère, Gaz Lebon, etc.), les sociétés d'électricité, les cimenteries et la grosse industrie.

La houille de Cardiff est acheminée en Égypte pour constituer des stocks de soute destinés au trafic maritime sur le canal de Suez.

(Témoignage de Michel Leroy recueilli par Francis Ley.)

Durant la guerre de 1939-1945

Au début de l'année 1940, la France métropolitaine dispose de 5.250.000 T/mois de charbons de toutes origines ; ce tonnage chute à 3.640.000 T/mois en moyenne pendant les années 1941 à 1943 et le 1er trimestre 1944.

Les ressources prévues pour le mois de juillet 1944 sont d'environ 2 500 000 T.

Les 60,1 millions de tonnes de charbon disponibles en 1938 sur le territoire métropolitain se sont réduites à 43,6 millions/an en moyenne sous l'occupation allemande ; taux abaissé à 32 millions en 1944.

Les importations ramenées à 1.080.000 T/ mois de septembre à décembre 1939 et à 1.240.000 T mensuelles de janvier à avril 1940, avaient pratiquement cessé fin 1940.

(Extrait de "La France manque de charbon", article de Robert Fabre paru dans la "Revue de Paris" du 1er août 1945, Paris, 13 p.)

La guerre de 1939-40 et l'occupation allemande jusqu'en 1944 obligèrent la société Worms & Cie à effectuer une conversion puisque le ravitaillement en charbons étrangers était devenu impossible.

Aussi, les Services charbons traitèrent-ils essentiellement sur le marché intérieur : achats auprès des bassins français; ventes aux grossistes et surtout aux foyers domestiques directement.

Parallèlement : Exploitation de tourbières + forestières.

(Témoignage de Michel Leroy recueilli par Francis Ley.)

 

L'après-guerre

« Tout a été dit sur la gravité de la situation charbonnière en France : la SNCF avec un volant de cinq jours de marche, les usines à gaz de Paris disposant de six jours de stock, les secteurs électriques prélevant sur leur réserve du prochain hiver, la campagne sucrière compromise, car il n'a pas été mis en place une seule des 45.000 T mensuellement stockées d'ordinaire de mai à septembre, pour permettre le traitement des betteraves ; le dernier fourneau de la Sambre éteint et la sidérurgie limitée à 20% de son activité normale ; cimenteries et verreries alimentées, précairement, à moins du sixième de leur taux de marche en temps de paix ; textiles, cuirs et fabriques de chaussures entretenus à 15% de leur taux de marche de 1938 au moyen d'attributions enlevées aux usines d'armement. (...) Les ministres de la Production industrielle et du Travail annoncent le "blocage" de l'industrie pour octobre, si nos ressources n'augmentent pas d'au moins un quart jusqu'à cette date ; la plupart des établissements industriels sont stoppés pour trois semaines et l'on envisage le chômage de centaines de milliers d'ouvriers, à l'automne. (...) Depuis la libération, l'apport des Alliés n'a pas excédé 250.000 T par mois ; il tombe maintenant au-dessous de 200.000 T, ce qui ne suffit pas à compenser la consommation des armées alliées et de leurs services. (Extrait de "La France manque de charbon", article de Robert Fabre paru dans la "Revue de Paris" du 1er août 1945, Paris, 13 p.)

La Maison Worms, comme nombre d'autres sociétés, entend ces cris d'alarme et y répond sitôt rétabli le contact avec ses fournisseurs. Juste après la fin des hostilités, elle livre encore quelques 60.000 T de charbon anglais par mois aux dépôts en Égypte, et jusqu'à la nationalisation des compagnies d'électricité elle leur fournit des cargaisons de 100.000 T à la fois provenant des mines américaines.

Toutefois, si les entreprises apportent quotidiennement la preuve de leur dynamisme et de leur efficacité, l'urgence, l'ampleur et surtout le coût financier des problèmes sont tels que des mesures d'exception s'imposent. L'État pour organiser la reconstruction du pays se substitue à l'initiative privée en prenant le contrôle des grands moyens de production :

  • nationalisation des houillères (ordonnance du 13 décembre 1944 et loi 46-1072 du 17 mai 1946) ;
  • nationalisations de l'électricité et du gaz – production, transport, distribution, importation et exportation – (loi 46-628 du 8 avril 1946).

Ce programme de réformes, dont a priori des sociétés comme Worms & Cie ne doivent pas pâtir puisqu'elles trouvent leur aliment à l'extérieur de l'Hexagone, se révèle être à l'origine de la mise sous condition de leur rôle d'importateur et d'une réduction importante de leurs débouchés commerciaux, bouleversements qui obligeront les Services charbons de la Maison à se reconvertir sur le charbon domestique, le fuel, puis, le gaz.

Pour le comprendre, il faut remonter au 23 octobre 1944.

À cette date, en effet, une association, baptisée Atic - Association technique de l'importation charbonnière est formée.

Association technique de l'importation charbonnière

Mise en forme des notes prises au cours d'un entretien avec M. Picard, le 28 mai 1988.

Période 1.

La réglementation et donc l'organisation de la profession d'importateur charbonnier reposent sur la détention d'une licence[1]. Celle-ci est délivrée par la Commission des licences sous l'égide de la Direction des mines.

Période 2.

Les fournisseurs étrangers estiment que le système de la licence, seul, délègue aux sociétés importatrices le pouvoir d'exercer la politique qui leur convient en matière d'approvisionnement et leur permet de tirer les bénéfices les plus grands des tractations avec les pays producteurs.

Ils obtiennent que soit imposé le régime du certificat d'origine[2].

Période 3.

Avant la Seconde Guerre mondiale et en prévision d'un conflit, des groupements de nature diverse sont constitués. L'un d'eux est consacré aux combustibles ; les intérêts des importateurs y sont représentés. Il semble que ces organismes aient continué à fonctionner durant l'occupation.

Au début de la guerre, le gouvernement dépêche des "missions" en Angleterre dont une, présidée par M. Thibaud, ayant pour objet de traiter les questions concernant le charbon[3].

Période 4.

A la libération, les importateurs ressentent la nécessité de se fédérer pour contrecarrer, semble-t-il, les menées de la SNCF qui, en raison de son poids économique, tend à dominer le marché.

En fait, deux catégories se définissent à l'intérieur de la profession : les importateurs consommateurs comprenant la SNCF qui en est le leader, l'Office de répartition des combustibles pour l'industrie sidérurgique, la Société gazière d'achats en commun des charbons ainsi que l'Office de charbons des secteurs électriques d'une part et d'autre part, celui des importateurs-revendeurs, telle la Maison Worms, représentés par 5 personnalités agréées par le Comité d'organisation de l'importation charbonnière.

Conséquence 1.

Novembre 1944. L'Association technique de l'importation charbonnière est constituée sous le statut de la loi de 1901 et en accord avec les pouvoirs publics. Le but que se propose de servir cette association consiste à assurer la représentation, la coordination et l'équilibrage des intérêts de chacun de ses membres dans leurs relations réciproques autant que dans leurs rapports avec les administrations et les organismes professionnels. Le gouvernement à l'accord duquel la constitution de l'Atic a été soumise, nomme son premier président en la personne de M. Picard.

Conséquence 2.

2 ans plus tard, le 17 mai 1946, l'État promulgue la nationalisation des houillères.

Or, l'article 6 du texte de loi stipulant que « les Charbonnages de France sont habilités à faire toutes propositions et à donner un avis sur les programmes d'importation et d'exportation des combustibles minéraux », semble laisser entendre que cet établissement public aurait une - sinon la - responsabilité des importations.

Afin de juguler cette éventualité "ultra monopoliste" et de devancer toute tentative de dirigisme, les importateurs proposent au gouvernement que l'Atic devienne l'organe de contrôle nécessaire.

Ainsi, ce qui primitivement n'était qu'une simple fédération reçut la charge de veiller à l'exécution des programmes d'importations définis par l'État (Cf. Plan "Monnet").

De cette mission de contrôleur à la fonction d'exécutant, il y avait un pas qui fut franchi deux ans plus tard.

En 1948, en effet, l'Atic est chargée par le gouvernement d'effectuer la totalité des achats de charbon importé en France. De ce fait, elle gère les licences qu'elle délivre en son nom.

Les sociétés qui continuent à porter le titre d'importateur, doivent donc obligatoirement recourir à l'association pour s'approvisionner en matière première.

Acheteur exclusif, l'Atic est investie conjointement de la responsabilité du transport du charbon jusque dans les ports de l'Hexagone.

Par conséquent, à compter de 1948, l'Atic devient l'unique agent d'exécution des programmes d'importation charbonnière.

Et, la Maison Worms, 100 ans après sa fondation, perd non seulement les contacts commerciaux avec ses fournisseurs; c'est-à-dire tout un pan du marché dont la maîtrise avait garanti la qualité et la compétitivité des produits qu'elle fournissait mais aussi l'aliment substantiel pour sa flotte que représentait le trafic du charbon.

 

De l'Atic en toutes choses

L'importation charbonnière

Les achats de charbon à l'étranger sont donc confiés à cette association qui, selon les termes de M. Picard, se conforme au système d'économie mixte. Son financement est assuré par l'État sous l'espèce d'une redevance. Son président est nommé par décret. Un commissaire du gouvernement siège au conseil d'administration.

Les importateurs-consommateurs y sont représentés aux côtés des importateurs-revendeurs.

Ces derniers sont répartis dans des groupements spécifiques selon que leur activité s'effectue par des voies maritimes, terrestres ou rhénanes. Ces groupements sont coiffés par le Comité des importations charbonnières.

Il incombe à l'association de gérer les licences « en tenant compte de la volonté du gouvernement et de ses orientations »[4].

Ainsi notamment, l'accord conclu entre l'Allemagne et la France selon lequel cette dernière a obtenu que lui soient réservés 33% de la production des mines de la Sarre, justifie l'existence de cette association puisqu'en aucun cas, ces négociations n'auraient pu être menées par des particuliers. Il en va de même des traités commerciaux avec des nations totalitaires.

Conjointement à l'achat de la matière première, l'Atic effectue le transport du charbon jusque dans les ports français. Ce rôle d'armateur s'est avéré bénéfique pour l'économie française puisque l'importation charbonnière a donné le maximum d'activité au transport maritime.

Le transport charbonnier

Au lendemain de la guerre, des sociétés propriétaires de bateaux, comme l'était Worms & Cie, réalisèrent des importations massives.

Toutefois, la flotte marchande française avait été décimée dans de telles proportions qu'elle ne pouvait satisfaire les demandes considérables de l'économie. Aussi, la plus grande partie des approvisionnements était-elle sous-traitée à des armateurs grecs qui disposaient des liberty-ships.

L'attention du gouvernement fut attirée sur ce point critique et l'Atic fut engagée à la reconstruction de la flotte.

Elle créa dans ce but le Gemic.

Les unités étaient financées à compte à demi, moitié Atic, moitié importateurs.

Par la suite, l'Union navale fut constituée par l'Association et une banque auxquelles se joignirent les Chargeurs réunis.

Au fil du temps, se posa le problème du faible tonnage des navires et se fit jour la nécessité d'une rénovation. L'Union navale associée aux Chargeurs réunis, à Dreyfus et à Rothschild fondèrent Setramar ; société destinée à la construction de bateaux de grande capacité.

La Maison Worms, de son côté, mue par des raisons identiques s'associa à la CGM ainsi qu'à un armateur allemand, Fritzen, et de leur union naquit AGPA.

Mais cette entente ne devait pas se prolonger. Les deux sociétés françaises se sont désolidarisées de Fritzen et ont rejoint Setramar qui de ce fait se transforma en Setragpa (aujourd'hui contrôlée par Dreyfus).

La manutention charbonnière

En devenant l'agent de l'importation charbonnière, l'Atic fut simultanément promue au rang de fournisseur exclusif des maisons importatrices françaises installées dans les ports de l'Hexagone et à l'étranger. En conséquence, l'association prit sa part de bénéfice dans les activités de manutention.

Ainsi fut créée entre elle et Worms & Cie une structure dénommée Rag, implantée à Rotterdam, Anvers et Gand dont naquit Manufrance en association avec un groupe hollandais ; société qui donna naissance à Emo-Ekom implantée dans le port de Rotterdam.

L'actualité

L'Atic regroupe les principaux utilisateurs et négociants en charbon. Elle gère l'ensemble du cycle achat, transport et règlement financier du charbon depuis 1945 et perçoit 2 F/tonne de charbon importé. Elle souhaite désormais conclure avec ses partenaires importateurs revendeurs et importateurs consommateurs des contrats personnalisés de 3 ans renouvelables prévoyant des prestations différentes selon les besoins de chacun.

(Extrait de la Correspondance économique du 28 février 1989, p. 18.)

Conclusion

Premier acheteur mondial de charbon, l'Atic bénéficie bien entendu de l'importance de ses achats pour obtenir des prix avantageux sur le marché et assure l'approvisionnement de ses clients même en cas de crise. Mais sa position de monopole a toujours fait l'objet de certaines critiques surtout des organisations européennes pour les achats au sein de la communauté : déjà en 1956, la Haute Autorité du charbon et de l'acier avait demandé au gouvernement français de revoir son statut et l'ouverture du marché en 1993 impose sa suppression ou tout au moins l'abandon de son monopole.

(Extrait de la Correspondance économique du 11 mai 1989, p. 4.)

 

[1] Licence : Autorisation administrative permettant pour une durée déterminée, d'exercer un commerce ou une activité réglementée.

[2] Certificat d'origine ; Titre justificatif de l'origine d'une marchandise.

[3] Parmi ces missions, celle chargée de la flotte marchande fut présidée par H. Worms dont MM. Labbé et Meynial furent les secrétaires.

[4] Cf. M. Picard.

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