1977.10.21.De Pierre Darredeau.Toulon.A Jacques Masson - Worms Compagnie maritime et charbonnière.Paris

NB : Note classée avec d'autres témoignages, dans une reliure de couleur rouge intitulée "Banque Worms (1928-1978)", laquelle est conservée chez Worms 1848.

La copie-image de ce document, établi sur traitement de texte, n'a pas été conservée.


Pierre Darredeau - 83200 Toulon

Le 21 octobre 1977
M. Jacques Masson
Directeur général de Worms et Cie maritime charbonnière
50, boulevard Haussmann
75441 Paris cedex 09

Cher Monsieur Masson,
Je fais suite à votre appel téléphonique de la semaine dernière et, à la question que vous m'avez posée relative aux renseignements que je pourrais vous fournir sur, d'une part, les navires en service à la DGSM, et, d'autre part, les agences ouvertes par elle, dans la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale.
Ainsi que je vous l'ai fait savoir, je ne peux faire état pour cela, que de mes souvenirs et de ce que je retrouve dans mes papiers personnels et qui est limité.
Je pense que le meilleur moyen, de toute façon, pour obtenir des indications complètes et précises, est de se reporter aux archives que possède, sans aucun doute, Worms Services maritimes, en particulier, celles du service trafic.
Je me souviens, de plus, qu'à l'occasion de la célébration du centenaire de la Maison, en 1948, un travail de caractère historique avait été mené à bien et je suis sûr que l'on doit y retrouver des éléments utiles.
En tout cas et, sous réserve de possibles erreurs dans les précisions données, je peux vous dire ceci sur les services exploités par la DGSM.
Entre les deux guerres mondiales, la flotte de la maison, en dehors de la NCHP et des pétroliers, se composait à 24 navires (selon le moment), qui étaient affectés au cabotage national et international, d'une part, sur des lignes régulières qui reliaient presque tous les ports entre Dunkerque et Bayonne au cabotage national et, pour le cabotage international, Bordeaux, le Havre à Hambourg, et Rouen à Hambourg, Rouen et Anvers à Dantzig, Gdynia, Königsberg et Memel, éventuellement Riga, le Havre à Anvers et Rotterdam, Rouen et Dunkerque à la côte est de l'Angleterre, Rouen au port du canal de Bristol, Dieppe à Grimsby (côte est anglaise) pour deux trafics bien spéciaux : laines de Mazamet et, au retour, charbons vers Dieppe pour les chemins de fer français ; il y avait des escales à Pasages (Nord Espagne), pour les navires reliant ce port à Bordeaux et Bayonne. Enfin, la ligne la plus récente de cette époque, était celle du Havre et Anvers sur l'Algérie (Alger et Oran), avec escales à Nantes.
Il a été rappelé, lors du centenaire de la Maison, que la première ligne régulière Worms, fut celle de Bordeaux et Le Havre sur Hambourg ; et c'est de là que vient le nom des crus du bordelais donné à chacun des navires de nos lignes régulières.
Mais il a été dit à cette même occasion que la première liaison maritime de la maison fut celle qui permit le transport de pondéreux dont la maison était propriétaire, de Rouen sur le canal de Bristol, par navires affrétés d'abord, avec, au retour, du charbon, puis par des vapeurs appartenant à Worms. Et c'est de là que vint l'habitue de donner à nos navires transporteurs de vrac des noms de localités normandes : Caudebec, Normanville, Jumièges, Yainville...
Les navires de tramping transportaient des pondéreux, soit au cabotage national, soit entre la Baltique (bois et charbons de Dantzig et Gdynia) et les ports français, soit encore entre le canal de Bristol et la France (charbons).
Les navires de lignes régulières furent les premiers touchés, pour ce qui est du cabotage national, par les "prix fermes" consentis par le chemin de fer aux expéditeurs de quantités importantes et régulières, ce qui nous conduisit à développer encore plus la pratique des forfaits de "bout en bout" (Lille-Toulouse par exemple), en utilisant la voie fluviale, la route ou même la voie ferrée, pour les transports préalables et complémentaires ; mais, peu à peu, le transport routier de bout en bout, dès avant la guerre, commença à nous gêner et à créer des difficultés à la SNCF.
Même le tramping, dans les années 30 à 40 souffrit de la concurrence du fer, pour les trafics tels que le ciment que nous chargions à Boulogne vers les différents ports français.
La guerre survenant, les armateurs virent leurs navires placés sous le contrôle de la direction des transports maritimes, qui dépendait du ministère des Travaux publics et des Transports (secrétariat général de la Marine marchande). Cette réquisition ne prit fin qu'en 1947.
Ceux des navires qui étaient en zone libre ou en Afrique du nord furent utilisés après l'armistice et jusqu'en novembre 1942, par la DGSM (dont les services de l'exploitation avaient été transférés pour une partie à Marseille sous le contrôle des transports maritimes, bien entendu).
Deux unités, si ma mémoire est exacte, étaient restées en Angleterre, où elles se trouvaient en juin 1940, ces navires de l'époque ayant été récupérés, bien entendu, en 1945.
À partir de 1945, le cabotage national dut être complètement abandonné pour les raisons indiquées plus haut et nous avons créées de nouvelles lignes en Méditerranée :
de Marseille, Nice et Sète sur Tunis, Sousse et Sfax,
de Marseille, Nice sur Bône et Philippeville,
de Marseille sur Alger, Djidjelli et Bougie,
de Marseille et Port-Saint-Louis-du-Rhône sur Oran et Mostaganem.
Mais, les navires utilisés tels que "Barsac" ou "Haut-Brion", qui étaient des navires trop lents, de l'ordre de 10 noeuds, avec un tonnage insuffisant (de 850 à 1.000 tonnes de port lourd) n'étaient pas appréciés de la clientèle qui expédiait d'Alger ou d'Oranie des primeurs qui étaient le trafic essentiel vers Marseille surtout. Elle préférait les unités plus rapides de certains de nos concurrents. De plus, la conférence qui groupait les armateurs intéressés, édictait des tarifs qui n'étaient pas respectés. Aussi, avons-nous dû, pour remplir nos navires, combiner un démarchage intensif avec l'octroi de ristournes, cela, à partir de 1954.
Il nous fallait, cependant, de nouveaux navires et en 1957 et 58, "Pomerol" (7.03.1957 à Brême), "Sauternes", "Médoc" (10.05.1958 à Brême), "Léoville" (10.09.1958 à Brême). Il s'agissait d'unités d'un port lourd de 1.600 tonnes (sauf "Sauternes" : 1.255 tonnes) et d'une vitesse de l'ordre de 15 noeuds.
D'autres navires furent construits entre 1950 et 1955 : "Haut-Brion" (dont nous parlons ci-dessus), en 1951, mais aussi, "Château-Lafite", "Château-Petrus", "Château-Palmer", "Cérons", "Cantenac", tous lancés au Havre, les "Château" ayant un port lourd de 2.660 tonnes pour le "Palmer" et de 2.680 tonnes environ pour les deux autres ; un navire fut allongé : "Mérignac" mais, trop petit encore, sa carrière ne fut pas longue.
Les nouveaux "Château", munis de cuves, furent exploités sur la ligne le Havre, Cherbourg, Anvers, Algérie, transportèrent des produits manufacturés du nord et surtout de Cherbourg ; le vin d'Algérie étant un des principaux de trafic dans l'autre sens. Nous ne pouvions toucher Rouen et Dunkerque, ces deux ports étant les têtes de ligne de l'armement Schiaffino qui nous y avait confié son agence.
Nous avions repris après la guerre, l'exploitation de nos lignes sur le cabotage international nord, vers l'Allemagne, l'Angleterre, Anvers, Rotterdam et les avions mêmes étendues à l'Irlande, mais en abandonnant peu à peu les navires nous appartenant, pour les remplacer par des affrétés hollandais (dont les équipages et donc le prix de revient, étaient bien moins coûteux que les nôtres). En 1949, "Listrac", sister-ship de "Fronsac", entre Rouen et Cardiff, abordé au large de Cherbourg par un gros navire argentin, en plein jour, coula et deux hommes y perdirent la vie. Après 1960, nous avons petit à petit cessé ces exploitations qui n'étaient plus rentables, malgré les manutentions qu'elles apportaient à nos succursales. La ligne d'Allemagne fut prolongée dans le temps, grâce à la location que nous faisait l'Argo Reederei, notre partenaire sur cette ligne depuis les années 30, d'un de ses navires.
Nous avions, d'autre part, fait une tentative de ligne sur la Suède et la Norvège dans les années qui ont suivi la guerre, mais sans beaucoup de succès, toujours pour les mêmes raisons.
Pour les navires de pondéreux, nous avions perdu notre "Jumièges", coulé en 1942 au large des Baléares, au cours d'un abordage (dont notre navire n'était nullement responsable), avec "La-Mauricière" de la Transat.
Il nous restait "Caudebec", "Normanville", tous deux de 3.600 tonnes, et, par la suite, nous avons eu un "Jumièges" de 2.600 tonnes, ces navires étant exploités dans le cadre de la conférence des pondéreux. Peu avant 1960, nous avons exploité "Caudebec", en commun avec l'Union navale (émanation de fait de l'Atic, Association technique de l'importation charbonnière, le président des deux étant le même).
En 1961, nous avons eu "Yainville" (3.600 tonnes), lancé au Trait, qui sera exploité aussi en commun avec l'Union navale. Et aussi le "Château-Margaux".
Puis, nous avons fait construire un autre "Jumièges" (de 5.000 tonnes environ) en Hollande, construction très controversée à l'époque.
Pour en revenir aux lignes régulières, les événements, en Tunisie d'abord, avec l'indépendance, la création de la Compagnie tunisienne de navigation, dont le commandant Hallé a tiré le maximum, en obtenant sa représentation et une sorte d'exploitation très liée, en Algérie ensuite, avec la chute du trafic à la suite de l'indépendance et, malgré les accords passés avec la Compagnie nationale algérienne, tous ces événements nous ont contraints à nous retirer peu à peu de ces lignes sur lesquelles nous étions dans ce secteur et à vendre à la Cotunav, par exemple, notre "Château-Petrus". À signaler, une tentative sur la mer Rouge, la ligne étant reprise par la NCHP, à qui nous avons cédé notre "Château-Lafite".
Il nous a donc fallu nous orienter de plus en plus vers la consignation pour fournir une activité de remplacement à nos succursales, qui avaient déjà de belles représentations d'armateurs dans différents ports, ce qui ne suffisait cependant pas, d'autant que les manutentions, qui avaient été le secteur le plus rentable, le devenaient de moins en moins. En outre, nous nous étions sentis moralement obligés, après les événements d'Égypte, de Tunisie, d'Algérie, de reclasser en France essentiellement, tous ceux de notre personnel qui étaient revenus de ces différents pays.
Je signale, en terminant ce chapitre, que dans une brochure bleue "Worms Compagnie maritime et charbonnière - succursales et agences", édité en janvier 1960, figure, sur la couverture, en fin de brochure, les lignes régulières assurées par nous, puis la liste des navires.
Les consignations ont donc progressé entre les années 60 et 70, les principales me paraissant être la NYK, et les Car-ferries. Elles ont encore progressé davantage par la suite. Dans la première période, il y a eu, en même temps, une concentration inévitable des manutentions dans chaque port.
Nous nous sommes efforcés, en outre, de développer nos activités de voyages, de magasinage (Eurotransit, Satema devenue Satma) et de transports routiers, cette dernière comme la précédente, étant, en réalité nouvelle pour nous, d'où les difficultés de début. Le routier, en particulier, mais le reste aussi, se sont beaucoup développées par la suite.
Cette recherche de compensations et aussi de développements nouveaux, de même que la perte de certaines activités antérieures, ont eu pour conséquences la création de succursales ou de filiales, ou simplement d'agences, mais aussi en contrepartie, la disparition de certaines autres.
C'est ainsi qu'ayant fermé nos succursales de Dantzig, ou de Hambourg, par exemple, à la veille de la dernière guerre, nous avons, lors de la baisse du trafic entre la France d'une part, l'Algérie et la Tunisie d'autre part, nous avons, le commandant Hallé en prenant l'initiative, créé avec nos amis de Castro, la Comesmar, en Italie, et inclus des escales à Gênes dans nos itinéraires.
Nous avons, après l'affaire de 1956 en Égypte, créé une filiale, la Semco, pour essayer de survivre là-bas.
À Marseille, nous avons agi en créant une filiale de manutention avec la Cotunav.
À Lyon, nous avons ouvert une agence pour le commercial et avons créé en même temps, une agence de voyages et nous avons fait de même à Tours.
Des accords avec l'agence maritime Pommé, à Port-de-Bouc, nous ont permis d'y avoir notre filiale de la Compagnie auxiliaire maritime.
Ce sont là des exemples au sujet desquels Worms Services maritimes pourra fournir des précisions et auxquels des exemples supplémentaires s'ajouteront sans aucun doute, en dehors de ceux que l'on trouve dans la brochure sur les succursales et agences dont j'ai parlé plus haut.
Une édition plus récente que celle de la brochure de 1960 "Succursales et agences", la nouvelle étant en anglais et destinée plutôt aux armateurs étrangers que nous représentions, montre les changements intervenus dans les succursales, filiales et correspondants, changements qui ont suivi d'autres, bien entendu, depuis.
On y relève, mais là, pas de changement : le nom de la SNCG (Société nouvelle de consignation et de gérance), créé en association avec la Compagnie nantaise des chargeurs de l'Ouest, après la guerre et la disparition de notre succursale de Nantes, la SNCG s'étant installée ensuite à Brest où notre succursale a été fermée.
À Caen, il y a eu création de la Société de gérance et de navigation, Sogena, qui a remplacé notre succursale d'avant-guerre.
À Cherbourg, on voit que nous avons créé, lors de la mise en service des car-ferries Thoresen, sur Southampton, le Havre est Cherbourg, l'Agence maritime cherbourgeoise, en association, dans ce port, avec la Scac, qui nous y représentait. Les car-ferries ont commencé en 1964.
Il est à noter que la première brochure cite les agents de l'intérieur et la seconde uniquement les ports, dans le premier chapitre, puis à part, l'intérieur.
Depuis la seconde brochure, tout a changé, cela va de soi en Algérie.
Pour la Belgique, on note la création survenue d'Euro Shipping, ce qui conduit à rappeler les intérêts pris par nous dans la Belgian Bunkering & Stevedoring.
En Allemagne, à signaler la création de Worms & Cie maritime et charbonnière GMBH (commissariat d'avaries).
Pour l'Espagne, il convient de faire état des escales faites à Valence, quelque temps, par nos navires de la ligne nord-Algérie, pour essayer d'y enlever des primeurs. De même, il y a eu des tournés de nos navires en Méditerranée, à Barcelone.
En ce qui concerne la Hollande, la seconde brochure est trop ancienne pour faire mention de la création d'Interzee Scheepvaartmaatschappij BV à Rotterdam. C'est, du reste, l'occasion de rappeler la prise de participation, après la guerre, de Worms dans Manufrance, création commune à l'Atic dont nous avons déjà parlé et d'autres, dont nous-mêmes, la Sanara (Société fluviale française sur le Rhin), etc. Une autre filiale fut créée, l'Ovet, groupant à peu près les mêmes et émanation de Manufrance. (MM. Groenenbomm et Serenne à consulter.)
En terminant, je signale que je laisse le soin à mon ami, Jean Bucquet, de fournir les précisions nécessaires sur une question que je n'ai pas abordée, parce qu'elle est vraiment récente : celle de l'exportation commune que nous avons entreprise avec d'autres armateurs français et des armateurs allemands de tramping, en particulier Thyssen.
Voilà ce que je peux indiquer, en renvoyant les questions le plus rapidement possible et avec peu d'éléments. J'espère que cela aura pu être utile, mais je suis certain, qu'en dehors de Worms Services maritimes, le commandant Hallé pourrait donner des renseignements précieux, s'il ne l'a fait déjà.
Je vous prie de croire, Cher Monsieur Masson, à l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Pierre Darredeau

P.-S. J'allais omettre Permal International Inc et Permal Shipping à New York.

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