1947.03.05.De Jacques Baraduc.Paris.A Hypolite Worms.Original

Original

NB : Le rapport du MM. Pradelle et Zacarie en date 6 février 1947 est également conservé aux Archives nationales - Caran, sous la cote F12 9566.

Le PDF est consultable à la fin du texte.
 

11, avenue Élisée Reclus. VIIe
Paris, le 5 mars 1947
Monsieur Hypolite Worms
4, avenue Émile Deschanel Paris

Cher Monsieur,
Comme vous me l'avez demandé, j'ai pu avoir connaissance à la Commission nationale d'épuration, du rapport qui avait été déposé le 6 février par MM. Pradelle & Zacarie.
Vous trouverez ci-dessous le texte intégral de ce rapport :

Affaire Maison Worms & Cie
Monsieur Hypolite Worms

La société en commandite simple Worms & Cie, fondée en 1874, a 4 branches d'activité :
1° ) l'importation de charbons
2° ) l'armement (lignes maritimes)
3° ) les constructions navales
4° ) les services de banque.

Administration de la société.
Avant le 10 juin 1940, les associés-gérants étaient :
1° ) M. Hypolite Worms
2° ) M. Michel Goudchaux
3° ) M. Jacques Barnaud.
M. Goudchaux étant israélite a bénévolement cessé ses fonctions de gérant le 16 octobre 1940 et sa part dans le capital social a été transférée à ses trois filles qui sont devenues commanditaires.
M. Barnaud n'a pas exercé ses fonctions de gérant de juillet 1940 à fin 1942 ayant été, pendant ce laps de temps, délégué général aux relations économiques franco-allemandes.
M. Barnaud a démissionné en septembre 1944 et demeure simple commanditaire.
M. Labbé Robert le remplaça comme associé-gérant et M. Meynial, directeur-adjoint, devint co-gérant non associé.

Au début de la guerre, Hypolite Worms était en Grande-Bretagne le représentant du ministre de la Marine marchande française. C'est en cette qualité qu'il négocia avec le gouvernement anglais, lorsque fut signé l'armistice entre la France et l'Allemagne, les accords qui portent son nom.
De sa propre initiative et en violation des clauses acceptées par Pétain qui interdisaient à la France de traiter ni même négocier avec les puissances étrangères en état de guerre avec l'Allemagne, H. Worms - en plein accord avec M. Monick, alors attaché financier auprès de l'ambassade de France (voir attestation de M. Monick - pièces cotées n° 15 et 16) - négocia le transfert au profit du gouvernement anglais de tous les contrats d'affrètement signés avant l'armistice par la Mission de la Marine marchande pour compte du gouvernement français.
Par ce transfert, toute la flotte marchande au service de la France passait au service de l'Angleterre qui nous reprenait au prix coûtant les cargaisons, notamment de matériel de guerre, qui se trouvaient à bord de ces navires. L'Angleterre prenait la suite de tous les engagements de la France en matière de tonnage marchand allié ou neutre.
M. Worms donna instructions de diriger sur Liverpool les vapeurs "Dalcross" et "Tilsington-Court" dont les chargements (obus, fusils, mitrailleuses) devaient être terminés et qui étaient destinés à des ports français.
On comprend qu'un tel service rendu à la cause alliée valut à M. Worms - marié à une Anglaise et dont la fille unique avait épousé un Anglais, donc, suspect (à bon escient d'ailleurs d'anglophilie - de nombreuses attaques de la part des journaux à la solde de l'Allemagne qui parurent en zone occupée (Paris-Soir du 24.10.1940) et cela d'autant plus que M. Worms, rentré en France pour reprendre la direction de sa Maison à Paris, semblait défier ses adversaires.

La Maison Worms fut la seule banque française, avec la Banque de France, à être pourvue d'un commissaire allemand, en la personne de von Ziegesar, petit directeur de la succursale de la Commerzbank à Cottbus.
Le gouvernement français obtint qu'à coté de ce commissaire allemand fût admis un commissaire français. Cette mission fut confiée en octobre 1940 à M. de Sèze dont nous avons recueilli la déposition.
M. de Sèze atteste que les entretiens qu'il eut à cette époque avec M. H. Worms lui permirent de se rendre compte que celui-ci partageait son sentiment d'une victoire certaine de la coalition anglo-saxonne. M. H. Worms qui revenait d'Angleterre où il avait occupé de hautes fonctions pour le compte de la Marine marchande, disposait d'éléments sérieux pour porter cette appréciation.
Par ailleurs, tout le passé de la Maison Worms, dont la plus ancienne était l'importation de charbons anglais en France, portait ses dirigeants vers la collaboration franco-britannique.
C'est dans ces conditions que M. de Sèze put remplir avec succès sa mission qui était de freiner les exigences allemandes. En fait, l'incapacité de von Ziegesar et de son successeur von Falkenhausen facilita les choses.
Lorsqu'en novembre 1942, M. de Sèze, capitaine de réserve dans la Légion étrangère, décida de rejoindre l'armée d'Afrique du Nord et qu'il s'ouvrit de ce projet à M. Worms, ce dernier se rendit très aisément à ses raisons. Pour éviter les réactions de la part des Allemands, M. de Sèze réussit à obtenir du ministère des Finances de se faire relever régulièrement de ses fonctions de commissaire-adjoint.
M. de Sèze rappelle dans sa déposition du 7 août 1945 à M. Thirion, juge d'instruction chargé, après la Libération, d'enquêter sur les activités de la Maison Worms sous l'occupation que deux des plus anciens et plus importants compartiments :
- le charbon
- l'armement
avaient, par suite de l'arrêt des importations de charbon d'Angleterre et le transfert de la flotte marchande aux Anglais, perdu en fait, toute activité.

Quant aux constructions navales, les Chantiers de Trait (entre Rouen et Le Havre) spécialisés dans la construction des pétroliers et des sous-marins, mirent, sur les instructions de la direction de la Maison Worms, un tel retard à l'achèvement des unités en cours de construction que, malgré une très vive pression allemande, un seul sous-marin fut livré aux allemands fin 1942, alors qu'il aurait dû l'être fin 1940.

En ce qui concerne les services bancaires, M. Le Roy Ladurie, directeur de ces services, et parlant très bien l'Allemand, centralisa toutes les relations avec les Allemands et fut assez heureux, aidé par l'incapacité du commissaire allemand, pour éviter l'emprise allemande sur la Maison Worms et les entreprises contrôlées par cette société. Malgré des tentatives répétées, il n'y eut notamment aucune cession de participation.
M. de Sèze déclare que les relations bancaires furent banales et que, de toute façon, les opérations ordonnées par les différents commissaires ne pouvaient être refusées et qu'il conseilla même de les entreprendre de manière à conserver les facultés de résistance pour les objets qui en valaient la peine et M. de Sèze cite à ce sujet certaines affaires minières (gisements de tungstène dans le centre de la France, de molybdène au Maroc) où il fut possible de se soustraire aux exigences allemandes.

Ces déclarations de M. Olivier de Sèze se trouvent entièrement confirmées par :
1°) les rapports des experts désignés par le juge d'instruction (pièces cotées 5 & 6),
2°) les dépositions des ingénieurs des services techniques de la Marine nationale chargés de la surveillance des chantiers navals français (pièce cotée 7),
3°) les décisions du Comité de confiscation des profits illicites rendues le 28 novembre 1946, lesquelles constatent l'absence de profits de cette sorte tant pour M. H. Worms que pour la Maison Worms & Cie et ne prononcent aucune confiscation à la charge de la société (pièces cotées 3 & 4),
4°) le rapport de la liaison avec la Commission d'études sur l'activité des banques pendant l'occupation (pièce cotée 1) qui constate, après un examen détaillé de toutes les opérations traitées par la Maison Worms durant cette période, que ces opérations se sont traduites par des pertes sensibles, enfin que ces opérations, faites d'ailleurs sous la contrainte d'un commissaire allemand installé en permanence, représentent seulement 1,47 % sur l'ensemble des opérations de même nature traitées par les autres banques.
Nous ajouterons que lorsque le juge d'instruction, éclairé par les rapports d'experts visés plus haut, reconnut qu'il n'existait aucune charge contre la Maison Worms, et M. H. Worms, et proposa le classement, il fut suivi par le Parquet.

Il ne reste donc rien qui puisse être retenu par la Commission contre M. H. Worms à l'actif duquel il faut retenir non seulement les accords qui portent son nom et qui rendirent ainsi un service d'importance considérable à la cause des Alliés, mais aussi l'aide apportée par la Maison Worms, sur ses instructions, à la Résistance française sous toutes ses formes : aide financière, assistance aux réfractaires, aux évadés, sabotage des constructions navales, etc. (pièces cotées n° 17 et 18).

Les rapporteurs,
Le 6 février 1947
Signé : Pradelle, Zacarie.

Le rapport concernant M. Le Roy Ladurie est rédigé dans les termes suivants :

Affaire Le Roy Ladurie
Directeur des Services bancaires de la Maison Worms & Cie
M. Le Roy Ladurie a toujours agi en plein accord avec M. Hypolite Worms et ce qui est établi par l'enquête sur le cas H. Worms démontre suffisamment que comme pour M. Worms, rien ne peut être retenu contre M. Le Roy Ladurie. Bien au contraire, on peut rendre hommage à ses efforts, accomplis dans des conditions rendues difficiles par la présence du commissaire allemand, pour réduire au minimum l'emprise allemande sur la Maison Worms.
Sur la nature de ses sentiments pour les Allemands, on peut relever qu'il fut arrêté par eux en 1944 et interné à Fresnes et se reporter aux attestations élogieuses de MM. Lepercq, du Champ de Boishébert, Mme de Voguë, née d'Endeville, Monod (dit Vox), du colonel Michel, du colonel Navarre.

Les rapporteurs,
Le 6 février 1947
Signé : Zacarie, Pradelle.

Veuillez agréer, je vous prie, cher Monsieur, l'assurance de mes sentiments les meilleurs et les plus dévoués.

Jacques Baraduc,
Avocat à la Cour

Affaire Worms & Cie
M. Barnaud
M. Barnaud, associé gérant dans la société en commandite simple Worms & Cie a participé au gouvernement de Vichy de juillet 1940 à décembre 1942 comme délégué général aux relations économiques franco-allemandes.
La Commission n'ayant à connaître que son activité comme gérant de la maison Worms, fonctions qu'il n'a assumées qu'à partir de janvier 1943, ne peut, à la lumière des résultats de l'enquête sur la maison Worms et des documents qui figurent dans le dossier H. Worms, que décider sa mise hors de cause.


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