1947.00.Note (sans date ni émetteur) pour M. Denivelle concernant Gabriel Le Roy Ladurie

Note conservée aux Archives nationales - Caran, sous la cote : F12 9566 et classée avec une note du 4 février 1947.

Note pour M. Denivelle

J'ai fait connaissance de M. Gabriel Le Roy Ladurie fin 1942, par l'intermédiaire de M. Grégory. M. Grégory, directeur de la Société des Terres Rares, était, depuis plusieurs années, en relation avec Madame Joliot-Curie et moi-même pour des questions concernant les travaux de laboratoire que nous dirigeons. M. Grégory, par l'industrie qu'il dirige et ses techniciens, a apporté une aide précieuse à certaines recherches entreprises sur la radioactivité ; il a mis plusieurs fois, à titre bénévole, à la disposition de nos laboratoires des sources importantes et rares de mosothorium et de radiothorium.

Ces relations, commencées par Marie Curie, se poursuivirent avec nous toujours dans l'indépendance totale, d'une façon cordiale et efficace.
Constatant le développement considérable, aux USA et dans d'autres grands pays, des recherches concernant la radioactivité artificielle (dont nous sommes les auteurs) et de ses techniques d'étude, il était important de se préoccuper, en France, activement de ces questions. Les moyens de nos laboratoires étaient insuffisants et nous ne voulions, à aucun prix, faire intervenir le gouvernement, l'État vichyssois. Seule, à ce moment, l'industrie privée pouvait apporter une aide. L'évolution rapide à l'étranger des questions envisagées imposait cette préoccupation. M. Grégory m'a mis en relation avec M. Gabriel Le Roy Ladurie. Au cours d'un premier entretien et d'autres qui suivirent, j'ai eu l'occasion, afin d'éviter tout malentendu, d'exposer nettement mon point de vue défavorable sur les banques et trusts privés. Je ne pense pas m'être trompé ou avoir été trompé en constatant chez G. Le Roy Ladurie des opinions avancées, celui-ci affirmant à plusieurs reprises, la mauvaise action des trusts, banques et grandes sociétés privées. Il est possible que cet état d'esprit (en 1942), peut-être nouveau chez lui, a dû provoquer des mécontentements dans les milieux bancaires voisins. Je sais que G. Le Roy Ladurie fournissait de nombreux renseignements importants concernant les autorités d'occupation. Ces renseignements ont été utilisés et Denivelle pourrait témoigner à cet effet.

MM. Grégory, Denivelle et Gabriel Le Roy Ladurie formèrent un groupe d'études en y associant un nombre suffisant d'industriels mettant, sans contrepartie, pour des raisons d'indépendance, à la disposition du laboratoire que je dirige, les moyens nécessaires pour tenter de rattraper le retard que nous avions sur les autres grandes nations, et ceci sans que les occupants le sachent. Plusieurs travailleurs scientifiques et des techniciens ayant reçu un ordre de travailler en Allemagne furent soustraits à la déportation et placés dans des conditions où ils pouvaient apporter à son laboratoire une aide efficace à la Résistance et à la technique française. Gabriel Le Roy Ladurie était au courant de cette situation et a facilité cette action.
En définitive, j'ignore tout de M. G. Le Roy Ladurie avant 1942. Après ce moment, j'ai constaté chez lui des sentiments français et une compréhension de la nécessité des transformations extrêmement profondes que doit subir le système économique du pays et un désir d'y participer avec toute sa compétence dans un sens qui peut être estimé favorable. Je sais qu'il a été arrêté par les Allemands en 1944 pour des raisons qui me sont inconnues et qu'il a séjourné environ quinze jours à Fresnes.

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