1947.00.De Worms et Cie.Note (non datée).Our Vichy Gamble.Corrections.(2)

Copie

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

NB : Ce document non daté, reproduit en pages 7 à 17, est classé après le 3 juillet 1947, date du départ à New York de Raymond Meynial qui l'emporte pour justifier les erreurs commises par le professeur Langer.

Le livre récemment publié aux États-Unis sous le titre « Our Vichy Gamble » comporte, sous l'apparence de précisions historiques, des indications totalement inexactes dont le caractère nettement tendancieux nécessite une mise au point.
Au moment même où ce qui s'est passé en France pendant la douloureuse période d'occupation est enfin justement mis au point et où également s'impose plus que jamais, aussi bien sur le plan national que sur le plan international, l'exacte appréciation des faits et gestes ce ceux qui ont vécu en France pendant cette période, il importe de relever et de détruire les allégations tendant à comprendre parmi les collaborateurs certains groupes d'un standing indiscutable.
Il est facile de démontrer que, lorsque le professeur Langer, dans le livre précité, classe la Maison Worms parmi les groupes ayant eu avant la guerre des relations étroites avec les Allemands et ayant durant l'occupation recherché vigoureusement la collaboration, il s'agit d'inexactitudes flagrantes.

I. La Maison Worms, qui existe pratiquement sous sa forme actuelle depuis 1848, n'a, en ce qui concerne les différents associés qui en sont les membres, subi aucun changement entre 1939, soit la veille de la guerre, et la période actuelle 1947, y compris toute la période d'occupation. Les seuls changements intervenus ont été le fait de transmissions familiales qui ont simplement eu comme résultat de remplacer les associés représentants d'une génération par leurs propres enfants. Aucun intérêt quelconque dans la Maison Worms n'a pu, dans ces conditions, passer, même provisoirement, entre des mains extérieures, et, a fortiori, il ne peut, dans les mêmes conditions, être allégué qu'un associé nouveau ait participé à sa gestion.
Avant 1939, la Maison Worms n'entretenait avec l'Allemagne que des relations limitées. Celles-ci se résumaient à l'exploitation d'une ligne de navigation entre les ports français et Hambourg, d'une part, à l'importation de charbon d'Allemagne, d'autre part, la Maison, dont l'activité la plus ancienne est le commerce de charbons, s'étant trouvé amenée à substituer partiellement entre les deux guerres, comme tous ses collègues, le charbon allemand au charbon anglais. Nous précisons à cet égard que la Maison Worms n'a jamais été l'agent en France de charbonnages allemands et qu'elle entretenait à Duisburg une succursale et achetait directement son charbon à des producteurs très différents.
Pendant la période d'occupation, par la force même des choses, ses activités furent entièrement suspendues. Notamment, en ce qui concerne le domaine charbonnier, les importations d'Allemagne, qui eurent lieu régulièrement entre 1940 et 1944, furent effectuées par un groupement spécial auquel la Maison Worms ne fut point participante. D'une manière plus générale, toute l'activité maritime et charbonnière de la Maison Worms pendant la même période fut limitée à des opérations purement intérieures.
Dans le domaine bancaire, aucune relation n'avait existé avant la guerre entre la Maison Worms et les banques allemandes. Pendant l'occupation, si la Maison Worms, comme toutes les banques françaises, et dans une proportion infiniment moindre, entretint un petit courant d'affaires avec les banques allemandes, ce fut, d'une part, dans le cadre d'opérations courantes pour le compte de ses quelques clients qui avaient à exécuter des impositions exigées par l'occupant ou, dans quelques cas, sous la pression du commissaire allemand, dont elle subit le contrôle direct pendant plus de 4 ans, en raison de son caractère marqué et bien connu de maison à tendance anglo-saxonne.
Soulignons en particulier qu'aucune société ne fut créée, soit en participation avec des firmes allemandes, soit pour travailler avec les Allemands et qu'aucune participation ne fut vendue à des maisons allemandes, malgré les pressions réitérées qui ne manquèrent pas de s'exercer dans plusieurs cas.
Dans le domaine industriel enfin, les dirigeants de la Maison Worms ont pendant toute l'occupation pris toutes les mesures en leur pouvoir, soit pour éviter, comme cela eut malheureusement lieu trop souvent, des transferts de machines ou de moyens de production en Allemagne, soit pour empêcher le recrutement des membres de son personnel, largement inoccupé du fait des circonstances, à destination du Service du Travail obligatoire. C'est ainsi que furent créés des chantiers forestiers où fut camouflée une large proportion du personnel et que fut tentée avec succès une politique tendant, sous des prétextes divers, à obtenir le rapatriement de prisonniers de guerre et qu'en ce qui concerne les chantiers de construction navale, un sabotage efficient de la production fut organisé aboutissant à ce résultat qu'en quatre années d'occupation directe des Chantiers par l'ennemi, deux navires de mer seuls furent lancés, qui furent d'ailleurs récupérés par la France au lendemain de l'armistice dans des ports sous contrôle allemand, sans avoir pratiquement navigué.
En ce qui concerne l'Afrique du Nord, visée plus particulièrement par le professeur Langer, notons qu'en 1940, la Maison Worms possédait une simple succursale maritime et charbonnière à Alger qui traitait uniquement des opérations propres à ces deux spécialités, sans participer d'une manière quelconque au commerce ou à l'industrie algériennes. En dehors de cette succursale, la Maison Worms ne possédait aucun intérêt direct en Afrique du Nord. Cette succursale ne connut jusqu'au débarquement qu'une activité très limitée dans le cadre d'une étroite sujétion gouvernementale puisque, pendant toute cette période, les navires de la Maison Worms, comme tous les navires français, étant réquisitionnés, naviguaient selon les directives des pouvoirs publics et que les opérations charbonnières constituaient en fait un monopole d'État.
Si la Maison Worms fut amenée en 1941 à ouvrir à Alger une succursale bancaire, ce fut essentiellement pour agir comme correspondant de sa Maison de Marseille. Le volume des opérations traitées fut limité puisque, à l'époque du débarquement, le montant de ses engagements ne dépassait pas le chiffre de [...] chiffre parmi lequel les capitaux propres à la Maison Worms ne s'élevaient au chiffre dérisoire de [...].
Précisons que l'activité de cette succursale s'exerça uniquement dans le cadre d'opérations courantes, sans prise d'intérêts ni de participation dans les entreprises nord-africaines. Le seul intérêt que la Maison Worms possédait à ce moment en Afrique du Nord, en dehors de sa succursale directe, était une participation minoritaire prise avant l'armistice de 1940, à la demande du gouvernement français, dans la société du Molybdène exploitée au Maroc, dont les opérations se poursuivirent jusqu'en 1942 à un rythme ralenti, mais dont il convient de signaler qu'une partie du stock de métal s'élevant à [...] dût être transféré en Europe sur les injonctions du gouvernement français et des autorités d'occupation. Ce chiffre serait d'ailleurs à rapprocher du tonnage global expédié pendant la même période par les entreprises similaires nord-africaines qui peut s'évaluer en centaines de milliers de tonnes.
En définitive et d'une manière générale, on précise que les activités de la Maison Worms avant la guerre, de par leur origine maritime, étaient essentiellement axées de ce fait vers les pays d'outre-mer, que, de ce fait, ces activités furent pratiquement en veilleuse durant toute la période d'occupation (la Maison Worms durant cette période ayant finalement perdu des sommes importantes) et qu'aucun élément ne saurait à un titre quelconque ou à quelque degré que ce soit être tenu à son égard sur le plan de la collaboration, aucune relation n'ayant été nouée avec des firmes allemandes, tout ayant été mis en œuvre pour éviter, au contraire, que, soit sur le plan du matériel, soit sur le plan du personnel, les établissements de cette Maison, dans la mesure où ils conservaient une certaine activité, puissent concourir à l'effort de guerre allemand.

II. Toutes les indications qui précèdent, ne sauraient être considérées comme de simples démentis de la Maison Worms aux allégations contenues dans le livre du professeur Langer. Elles consistent, au contraire, en faits qui ont été reconnus depuis la Libération par les autorités françaises les plus qualifiées à l'occasion d'enquêtes et d'examens approfondis intervenus dans les circonstances propres à la période qui vient de s'écouler et sur lesquels il apparaît utile de s'étendre quelque peu.
Il importe en effet de se replacer exactement dans les conditions prévalant en France au moment de la Libération. Alors que l'ennemi évacuait progressivement le territoire national, on se trouvait en présence, en fait, de trois gouvernements : l'Administration centrale française, qui avait fonctionné sur le territoire métropolitain pendant toute la période de l'occupation et qui était naturellement toujours en place, les éléments de la France libre en résidence à Alger, les éléments de la France libre en résidence à Londres. Les liaisons pendant les premières semaines furent extrêmement difficiles entre ces trois groupes et l'administration du pays rendue très difficile de ce fait. Par ailleurs, au cours des deux dernières années de l'occupation, de puissants mouvements clandestins, dont certains d'origine communiste, s'étaient développés à l'intérieur du pays et constituaient par eux-mêmes des éléments avec lesquels il fallait compter. Si l'on ajoute que, du fait des destructions subies par les réseaux de communication, les relations entre les diverses villes de France et de celles-ci avec le siège central du gouvernement furent longtemps des plus précaires, l'on se rend compte aisément de la situation très spéciale qui prévalut en France pendant plusieurs mois à la fin de 1944.
Avec le départ des occupants et le retour d'éléments politiques s'étant tenu pendant longtemps à l'ombre, l'agitation fut grande à la fois sur le terrain politique et sur le terrain social. En l'absence de mesures draconiennes et peut-être injustes prises immédiatement, on risquait de voir se développer en France une véritable anarchie. C'est pourquoi furent créées et fonctionnèrent sans retard des juridictions d'exception dont la composition et la compétence prêtaient certes à de sérieuses critiques, mais n'en comportaient pas moins des avantages sérieux par rapport à une absence éventuelle de tout élément similaire.
Furent ainsi créés les cours de Justice, les commissions professionnelles d'épuration et les comités de confiscation des profits illicites, touts organismes régulièrement créés par des actes du gouvernement provisoire en fonction de l'époque, dont les gouvernements ou les assemblées qui se sont succédé depuis lors n'ont fait que reconduire les pouvoirs et approuvé l'existence et les méthodes.
Les cours de Justice, composées pour la plus grande part de représentants de mouvements de Résistance avec des ministères publics, souvent choisis en dehors de la magistrature normale parmi ceux qui avaient milité contre l'occupant, étaient chargés de juger ceux qui étaient accusés d'avoir entretenu pendant l'occupation des relations avec l'ennemi et favorisé, de ce chef, l'effort de guerre allemand. Ces cours étaient de véritables tribunaux de l'ordre judiciaire.
Les commissions professionnelles d'épuration, au contraire, étaient des organismes chargés d'apprécier les individus ou les entreprises dans le cadre de leur activité professionnelle et ce, en dehors de toute inculpation, sur le plan des relations avec l'ennemi punissables aux termes de la législation en vigueur. Il s'agissait essentiellement d'apprécier d'une manière extrêmement générale le comportement des intéressés pendant l'occupation, cette appréciation étant au surplus très extensive. Ces commissions étaient composées de représentants des dirigeants des entreprises et du personnel.
Enfin, sur le plan purement fiscal, il fut décidé que tout bénéfice, si minime qu'il pût avoir été, réalisé pendant l'occupation à la suite de transactions effectuées avec les Allemands, que ces transactions aient été d'ailleurs d'intérêt militaire ou analogue ou d'ordre purement courant, serait confisqué au profit du Trésor. Ces comités fonctionnaient sous l'égide du ministère des Finances et étaient composés d'une minorité de fonctionnaires et d'une large majorité de représentants des mouvements de Résistance.
Or, à la suite d'allégations répandues en France à l'époque de la Libération, d'une nature exactement semblable à celles que l'on trouve dans le livre du professeur Langer, plusieurs des dirigeants de la Maison Worms en fonction pendant l'occupation ont vu leur cas soumis aux cours de Justice d'une part, au Comité national interprofessionnel d'épuration d'autre part.
Après une enquête extrêmement approfondie qui, par sa durée et par son ampleur, ne laissa absolument aucun élément dans l'ombre, non seulement les dirigeants en cause sortirent de cette épreuve sans que rien n'ait été retenu à leur égard, mais, même l'inanité des accusations prononcées parut tellement flagrante que c'est par un classement du dossier qu'intervint le règlement de l'affaire, sans même qu'il eût paru nécessaire au magistrat de la cour de Justice, chargé de l'instruction, de faire examiner le dossier par la cour elle-même.
En ce qui concerne le Comité national interprofessionnel d'Épuration, il en fut exactement de même, ce comité ayant décidé, après examen du dossier, qu'il n'y avait pas lieu de suivre la question.
Enfin, comme toutes les grandes entreprises françaises, la Maison Worms a comparu devant le Comité de Confiscation des Profits illicites. A cette occasion, toute sa comptabilité pour la période de juin 1940 à décembre 1944 a fait l'objet d'une expertise minutieuse de la part des fonctionnaires du Trésor. Par décision en date du [...] le Comité a décidé non seulement que la Maison Worms n'était passible d'aucune pénalisation au titre de profits illicites, mais il a, en outre, et surtout, reconnu que, pendant la période précitée, cette Maison avait, au total, subi des pertes appréciables.
L'on ne saurait terminer cette note sans relever également sur le point plus particulièrement soulevé par le professeur Langer des activités de la Maison Worms en Afrique du Nord le fait qu'un commissaire surveillant ayant nommé auprès des succursales de cette Maison en Afrique du Nord, au lendemain du débarquement, en raison de l'existence de son siège social en zone occupée, le gouvernement français reconnut par décision du ministère des Finances en date du [...] de supprimer sans autre forme la mission de ce commissaire, aucun élément quelconque n'étant susceptible d'être retenu à l'égard de la Maison Worms en ce qui concerne ses activités en Afrique du Nord.
L'ensemble des indications qui précèdent font amplement justice, pensons-nous, des allégations foncièrement inexactes relevées dans son livre Our Vichy Gamble par le professeur Langer à l'égard de la Maison Worms.


Retour aux archives de 1947