1931.09.12.Du journal Les Travaux Nord-Africains.Article sur la cité-jardin du Trait

Le PDF est consultable à la fin du texte.
[Article intéressant par sa description des œuvres sociales au Trait et notamment le sursalaire familial et son impact sur la natalité, la politique de santé…]

Journal Les Travaux nord-africains - 4, avenue Pasteur à Alger

Les solutions heureuse de l’urbanisme
"L’air, la terre, l'eau, la lumière".

Nous avons reçu la lettre suivante :
Monsieur le directeur,
Vous avez publié dans votre numéro du 15 août un article intitulé : "Les solutions heureuses" des problèmes de l’urbanisme moderne.
Vous y parliez des "cités-jardins" comme présentant les avantages les plus nombreux d’ordre hygiénique et d’ordre social, pour arriver à loger la population ouvrière dans les meilleures conditions de vie heureuse.
Un peu plus loin, vous invitiez ceux de vos lecteurs que cela pouvait intéresser, s’ils allaient en France cette année, à aller visiter les cités-jardins de Michelin, d’Anzin, de Didot, de Bréguet, etc.
J’ai suivi votre excellent conseil parce que, en cette matière, les meilleurs discours ne valent pas une expérience.
Là, on voit la théorie dans la réalité. Il y a un fait, des faits, mille faits. Il y a des résultats qui crèvent les yeux et on est vite fixé, comme vous allez en juger par mon enthousiasme.
Je n’ai pas pu visiter les cités-jardins que vous signaliez comme typiques ; mais mes affaires et mes relations de parenté m’ont conduit dans un endroit que vous aviez omis de citer et j’ai vu là un exemple magnifique qui donne pleine raison à tous vos arguments et que vous me permettrez bien de présenter très simplement aux lecteurs de votre excellent et si utile journal.
Il s’agit du village-jardin du Trait, situé à mi-chemin entre le Havre et Rouen et qui a été créé par les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime.
Lorsque ces ateliers-chantiers furent fondés, il y a une quinzaine d’années, le village du Trait ne comptait que 300 habitants. Comme le personnel ouvrier était considérable, il fallait songer à installer de toutes pièces des logements pour tout ce monde qu’il importait de fixer sur place et près de son travail.
Une vaste cité-jardin fut donc édifiée.
Elle compte aujourd’hui plus de 2.000 habitants répartis dans 600 logements de 2 à 4 pièces.
Tous les logements sont accompagnés d’un jardin ouvrier d’une contenance moyenne de 500 m2 et chaque année un concours de jardins, doté d'une dizaine de milliers de francs de prix, récompense les efforts des meilleurs jardiniers.
L’eau potable est fournie à la cité par trois puits munis chacun d’une installation puissante de pompage.
L’électricité est distribuée à domicile par la Société normande d’eau, de gaz et d’électricité, filiale de la Société immobilière du Trait qui est chargée, en ce qui la concerne, de la gérance et de l’entretien des immeubles.
La voirie est entretenue par une équipe de manœuvres et un certain nombre de jardins publics ont été créés, de façon à ménager de larges espaces d’air à l’intérieur de la cité. Celle-ci s’étend au total sur près de 150 hectares. Les maisons y sont donc très espacées et elle donne véritablement l’impression de la cité-jardin.
C’est vraiment un spectacle impressionnant et qui est d’une éloquence particulière, que de voir ces jolies petites maisons, encadrées de jardins admirablement tenus, et qui laissent loin derrière elles, pour la bonne figure et pour l'agrément, une infinité de villas prétentieuses que nous trouvons dans nos banlieues d’Alger, qui s’y disputent le soleil et qui ont plus l’aspect de cellules de maçonnerie ou de ciment que d’habitations resplendissantes de santé et de joie de vivre.
Mais ce qui m’a le plus intéressé, pour ne pas dire ému, c’est au sein de ce village riant, plein de fleurs et d’enfants, l’ensemble des œuvres sociales qui entourent la population ouvrière de soins attentifs et d’encouragements touchant à la fécondité et à la prospérité.
Voici d’abord le "sursalaire familial" accordé aux ouvriers : Pour un enfant, 30 F par mois. Pour 2 enfants, 70 F. Pour 3, 120 F. Pour 4, 180 F. Pour 5, 250 F. Pour 6, 330 F. Pour 7, 440 F.
Et quel est le résultat sur la natalité ?
En 1922, il y avait 46 naissances pour 13 décès. En 1927 62 naissances pour 26 décès et en 1929 68 naissances pour 29 décès.
Quand naît un enfant, les frais de médecin et de pharmacien en sont remboursés : la maman reçoit 7.50 par jour pendant qu'elle est alitée et une prime de 25 F par mois pour allaitement.
Il y a, en outre, pour les cas de maladie ou de décès, le remboursement des frais de maladie, une allocation de 7 F 50 par jour et une participation de 100 F aux frais de funérailles : cela, moyennant une cotisation de 10 F par mois dont la moitié est versée par l’ouvrier et l’autre moitié par les patrons.
Si ce sont les jeunes qui sont malades, la famille reçoit une indemnité journalière de 3 F 50 et une réduction de 10 % sur les frais médicaux et de 10 % sur les frais de pharmacie.
Il y a une infirmerie pour les soins immédiats aux accidentés du travail, un centre d'examen médical pour le dépistage de la tuberculose.
Après avoir ainsi soigné la santé des ouvriers, on forme l'instruction professionnelle des jeunes par des cours gratuits dont la sanction est l'admission au certificat d'aptitude professionnelle.
Les enfants de 13 à 18 ans reçoivent ainsi une préparation très soignée : ils touchent 500 F à la fin de l'apprentissage, 500 F au moment de l'obtention du certificat, 500 F au moment du départ pour le régiment, 1.500 F au moment du mariage et de la fondation du foyer.
Il y a cela pour les garçons.
Pour les filles, il y a une école ménagère où elles apprennent la coupe, la couture, le raccommodage, la mode, la cuisine, le repassage et un atelier de confection pour une grande maison de Paris.
J'ai trouvé aussi au Trait une société vraiment remarquable "Le blé qui lève" qui organise les fêtes enfantines et récompense les meilleurs par des livrets de Caisse d'épargne et des bourses quand le gosse est reconnu comme bon à poursuivre des études sérieuses dans les lycées ou les écoles techniques.
Des coopératives nombreuses assurent l'approvisionnement des familles à très bon compte, voire par les produits d’une ferme modèle et tous les sports, jusqu'au jeu de bouchon, les arts d'agrément, des bibliothèques achèvent de créer l'esprit et de former les muscles et de tenir tout le monde en bonne humeur.
Vous voyez, mon cher directeur, que j'ai fait bon profit de votre suggestion et que me voilà un partisan ardent et convaincu des cités-jardins.

Je peux maintenant affirmer avec vous que, pour nos villes algériennes, ce serait la solution la meilleure.
Moi qui ai vu, par nécessité professionnelle, comment sont logés nos ouvriers dans la plupart des quartiers populaires de notre ville d'Alger, j’ai pu comprendre et comparer. Et surtout j'ai remarqué la bonne mine réjouie des ouvriers, l'air heureux des mères de famille qui n'ont plus peur de la maternité et cette belle graine de petits Français et de petites Françaises qui pousse, au Trait, comme des champignons et il faut juger avec quelle belle santé.
Vous pouvez publier ma lettre si elle vous intéresse, comme venant à l'appui de ce que vous nous disiez le mois dernier et que ce que je viens de découvrir confirme avec tant de force.
Agréez...

Jules Rouanet

Retour aux archives de 1931