1930.06.00.Du Mutualiste de la voie ferrée.Voyage d'études au Trait

Voyage d'étude au Trait et au Havre

Grâce à la bienveillante sollicitude de M. Raoul Dautry, directeur général des Chemins de fer de l’État, il fut permis au président Olivier de faire effectuer, le 23 mai 1930, aux congressistes, un voyage d’études qui restera, pour longtemps, gravé dans la mémoire de ceux qui y ont pris part.
Partis de la gare Saint-Lazare à 7 h 10, par train spécial, les voyageurs sont reçus au Trait à 10 h 45, par M. Nitot, directeur des Chantiers de la Seine-Maritime, et le personnel dirigeant.
Puis, sous la conduite de ce dernier, commence la visite des chantiers et de la cité qui font l’admiration de tous. Nous sommes persuadés faire plaisir à nos lecteurs en reproduisant in-extenso ce que disait une petite brochure que l’administration des Chemins de fer de l’État avait eu l’amabilité de faire distribuer en cours de route à chaque voyageur.

Les Chantiers — Les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime ont été fondés en 1917 par la maison Worms et Cie, au Trait (Seine-Inférieure), à peu près à mi-chemin entre Rouen et Le Havre. Ils ne couvrent pas moins de 25 hectares et leur cité ouvrière s'étend sur 250 hectares ; ils possèdent huit cales de constructions sur lesquelles peuvent être construits tous navire jusque 180 mètres de longueur. De vastes ateliers — 200 mètres de long sur 40 mètres de large — sont spécialement affectés à la construction des chaudières et des machines marines. En Seine, un vaste appontement permet aux Chantiers du Trait l’exécution des plus importants travaux de réparations. Grâce, enfin, à leurs ateliers de charpente, de menuiserie, de vernissage, les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime ont les moyens de terminer entièrement, sur cale les navires qu'ils construisent, même les paquebots et, lorsqu’une unité est lancée, elle est immédiatement prête à prendre la mer. Le premier navire construit par les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime a été lancé le 29 septembre 1921, en présence de M. Rio, secrétaire d’État de la Marine marchande.

[Image et légende :] M. Georges Pernot, ministre des Travaux publics – voir PDF.

Depuis cette époque et malgré la crise terrible qui a atteint l'industrie des constructions navales, les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime ont construit neuf navires charbonniers, onze cargos, deux navires mixtes, deux chalutiers, quatre pétroliers, un torpilleur et un grand nombre de pontons, chalands, réservoirs à essence, ainsi que de nombreuses chaudières et machines à vapeur marines. Signalons en particulier que le navire "Rennes", en service sur la ligne de Dieppe-Newhaven des Chemins de fer de l’État, sort des Chantiers du Trait.
Le programme actuel de construction comprend quatre sous-marins de 635 tonnes pour la marine nationale française, et deux navires mixtes de 7 400 tonnes pour la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur.

La cité — Au moment où les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime se sont installés, le Trait n'était qu’un petit village de trois cents habitants. Il a donc fallu créer de toutes pièces les logements destinés aux ouvriers et une vaste cité-jardin a été édifiée, qui compte, à l’heure actuelle, plus de 2 600 habitants, se répartissant dans six cents logements de deux à quatre pièces.
Chaque locataire a, attenant à sa maison, la jouissance d’un jardin d’une superficie moyenne de 250 mètres carrés. Pour encourager les efforts, des concours annuels de jardins miniers sont ouverts entre tous les habitants de la cité ouvrière.
En outre, de nombreuses œuvres sociales sont en plein épanouissement : cours professionnels, école ménagère, bibliothèque, centre d'examen médical, sociétés sportives musicales et artistiques, société de secours mutuels, organismes de construction d'habitation à bon marché, société d'encouragement scolaire.
A midi, les six cents voyageurs prirent place autour des tables admirablement garnies par le personnel des Chantiers et Ateliers de la Seine-Maritime et ce fut avec bon appétit que chacun fit honneur au copieux déjeuner qui était servi.
Autour de M. Dautry, qui présidait, avaient pris place : MM. Olivier, président général de la Protection mutuelle ; Nitot, directeur des Chantiers ; Marteville, sous-chef d’exploitation des Chemins de fer de l'État ; Galvaing, vice-président de la Protection mutuelle ; Lesueur, chef d’arrondissement traction, et [Ginette], chef d'arrondissement exploitation à Rouen ; Renaud, chef d'exploitation matériel à Sotteviile ; Bannet-Rivet, secrétaire du comité de direction des Chemins de fer de l’État ; le commandant Denis, secrétaire des établissements Worms et Cie ; Vaubourdelle, ingénieur ; Evrard, du ministère des Travaux publics ; Jullien, du ministère du Travail ; Dubois, ingénieur ; Dassencourt et Schuller, inspecteurs principaux, et Mlle Grange, surintendante au Chemin de fer du Nord ; Lubery, ancien président de la Protection mutuelle ; Vernin, inspecteur divisionnaire aux Chemins de fer de Ceinture ; les docteurs Paul-Boncour, Heller, Bornot et M. Blumenfeld, de l’Institut d’hygiène Sociale ; MM. Julhia, Tournel, Imbert et Domart, maires-adjoints du 13° arrondissement, ainsi que MM. Fleury et Juille, secrétaires de la mairie et du bureau de bienfaisance, etc.

Au dessert, M. Nitot, directeur des Chantiers de la Seine-Maritime du Trait, s’exprima en ces termes :
"Messieurs,
Vous n’êtes certainement pas venus en Normandie pour entendre de longs discours. Cependant, je dois vous dire que les Chantiers de la Seine-Maritime et que la cité-jardin du Trait sont très heureux et extrêmement fiers de recevoir aujourd'hui la Protection mutuelle des chemins de fer, cette société magnifique par le nombre de ses adhérents, par l’élévation de pensées et de sentiments qui les animent et dont nous connaissons, admirons et envions les splendides réalisations sociales.
Ce sont d’abord en vous, Messieurs, nos frères des chemins de fer que nous saluons, les chemins de fer, c’est-à-dire cette super-industrie qui conditionne et qui féconde toutes les autres.
Les navires que vous avez vus, que nous lançons et qui vont sur toutes les mers du globe pour suivre leur carrière laborieuse, ont été d’abord des tôles, des profilés, des machines de toutes sortes, des appareils de toutes espèces, construits ou fabriqués dans toutes les régions de France et qui, grâce à vous, ont pu être transportés et concentrés pour venir au bon moment s’incorporer dans l’ensemble, et il en est de même partout. Aussi, veux-je évoquer tous les services que vous rendez à l'économie nationale.
Grâce à votre travail journalier, grâce à votre souci de vos responsabilités, grâce à votre prudence toujours en éveil, nous, les gens de mer ou presque, nous nous inclinons devant ces belles qualités qui sont les vôtres, et nous sommes heureux d’avoir pu, à l’occasion de votre passage parmi nous, vous dire très simplement quelle est notre affection. (Applaudissements.)
Nous voyons ensuite en vous, Messieurs, à côté de votre caractère strictement professionnel, les gens de -cœur que vous êtes, parce que vous avez mis la mutualité, la solidarité, la prévoyance sociale au premier rang de vos préoccupations journalières. A des gens qui, comme nous, s’efforcent de voir plus loin et plus haut que leur mission strictement individuelle, qui tâchons de ne jamais oublier une seule seconde que, dans nos ateliers, ce ne sont pas seulement des ouvriers qui [la suite de la phrase manque] avec leurs souffrances et, quelquefois, avec leurs faiblesses, et bien votre venue devait nous être forcément agréable, vous qui êtes vraiment animés du tempérament social et l'avez si noblement manifesté. (Applaudissements).
Messieurs, je m’excuse d’avoir dû, étant donné les difficultés locales, vous recevoir aussi simplement. Mais, néanmoins, je puis vous assurer que nous avons mis dans cet accueil tout notre effort, de façon à vous laisser le meilleur souvenir de votre passage au Trait. (Applaudissements.)
Je m’incline devant la Protection mutuelle, devant ses membres dévoués, devant les dames charmantes qui ont bien voulu les accompagner.
(Applaudissements.) Je m'incline devant votre distingué président (applaudissements), dont la vie et l’œuvre excitent partout l’admiration. Je salue notre ami Dautry, directeur général des Chemins de fer de l’État (applaudissements). M. Dautry, à qui il déplairait certainement que nous nous étendions plus longuement sur les sentiments qui nous animent à son égard, et je souhaite que vos œuvres, qui sont pour nous des exemples, poursuivent longtemps leurs belles et fécondes réalisations." (Applaudissements prolongés.)

Allocution prononcée par M. Olivier, président général de la Protection mutuelle
"Monsieur le directeur,
Mesdames, messieurs,
Mes chers Camarades,
Bien que nos instants soient excessivement limités, nous ne saurions quitter cette enceinte sans remercier très chaleureusement M. Nitot des paroles élogieuses qu'il vient d'adresser à la Protection mutuelle des agents des chemins de fer français (applaudissements) et sans lui dire, surtout, l'intérêt que nous avons ressenti à visiter tout à l’heure les imposants chantiers de constructions navales de la Maison Worms et Cie ses vastes et clairs ateliers, ainsi que l’outillage si complet et si perfectionné qui s’y trouve.

[Image et légende :] M. Dautry, directeur général des Chemins de fer de l'État

Et, pourtant, lorsque M. Dautry m’a fait part de son intention de nous faire passer par le Trait pour aller au Havre, j’ai eu, je l'avoue, le rouge au front, la honteuse intuition qu’il voulait tout simplement allonger la facture des Chemins de fer de l’État (applaudissements et rires), alors que, maintenant, au risque de dénaturer ma pensée par un détestable jeu de mots, je n’hésite pas à déclarer que ce détour au Trait constitue un véritable trait de génie. (Applaudissements.)
Ce n’est là, du reste, — tout le monde est de mon avis, — qu’une de ces inspirations spontanées qui, généralement chez le directeur général des Chemins de fer de l'État se traduisent par des réalisations aussi ingénieuses que fécondes. Aussi emporterons-nous de cette visite une impression excellente, une impression qui s’accentuera encore tout à l’heure, lorsque nous visiterons la magnifique cité-jardin dont nous avons pu, déjà, en arrivant, admirer l’élégante ordonnance qui doit être, à juste titre considérée comme un modèle du genre. (Applaudissements.)
[Illisible] semble et même dans les détails, certains aspects des cités cheminotes de Dunkerque, de Lille-Délivrance, de Tergnier, etc., ce qui nous amenait à nous demander si le Nord n’avait pas quelque peu déteint sur le Nord-Ouest pour accomplir ainsi dans un large esprit de justice, de concorde et de prospérité, le génie industriel au génie social. (Applaudissements.)

[Image et légende :] M. Olivier, président général de la Protection mutuelle

C’est pour donner à ce sentiment une forme plus positive que je vous prie, M. le directeur de la Seine-Maritime, de vouloir bien accepter ce modeste présent que mes camarades m’ont chargé de vous offrir ; ce n'est pas un bâton de vieillesse, votre jeunesse n'en a pas besoin ; ce n’est pas un bâton de commandement, votre popularité vous en dispense : c’est une modeste canne d'agrément, si vous voulez, qui vous rappellera notre trop court passage ici et l’excellent souvenir que nous en emportons." (Applaudissements prolongés.)

Allocution de M. Raoul Dautry, directeur général des Chemins de fer de l'État
Mes Chers Amis,
Suivant l’usage, je me lève en disant que je ne ferai pas de discours. Je ne les aime pas d’ordinaire, mais j’ai aimé ceux que nous venons d’applaudir. Tout de même, je tiens à dire pourquoi j’ai proposé à la Protection mutuelle de venir au Trait.
Quand M. Olivier, comme à l’époque de votre premier voyage, est venu me demander si j’avais quelque chose à montrer sur le réseau, je lui ai répondu qu’un des lieux de France offrant le plus d’intérêt pour les cheminots de la Protection mutuelle était le Trait.
Pourquoi le Trait ? Parce que le Trait est une des plus belles réalisations industrielles et sociales qui soient en France.
Le Trait est né, dans la pensée de M. Hippolyte Worms, en juin 1916, en pleine bataille de Verdun, au moment où les bateaux français étaient coulés par les sous-marins. M. Worms a consacré sa fortune et ses efforts à édifier l’œuvre que vous avez sous les yeux ; d’une contrée peu habitée et pas industrielle, il a fait ce que vous voyez et il l'a fait vite, puisque, en 1921, le premier bateau est sorti des cales.
Eh bien ! quand on songe à ce qu’est l’étude et la construction d’un chantier naval, quand on se représente — et vous tous pouvez vous le représenter, vous, les cheminots de la voie, qui savez ce que c’est que des moellons, des charpentes ; vous, les cheminots de la traction, qui savez ce qu’est un atelier, ce qu’est une machine ; vous, les cheminots de l’exploitation, qui savez ce que c’est qu’organiser et faire marcher tous les jours une grosse affaire — quand on se représente ce que M. Worms et ses collaborateurs ont dépensé de soucis, de ténacité et d’efforts pour mettre debout le Trait, on peut dire que M. Worms est un grand industriel français et un grand industriel européen. (Applaudissements.)
J’ai eu l’occasion, à peu près dans tous les pays d’Europe et en Amérique, de voir des chantiers de construction navale ; je peux dire qu’aucun n’a été mieux réalisé et plus perfectionné que le Trait. Aucun ne fait de bateaux plus soignés que le Trait. Mais, son œuvre n’est pas seulement industrielle, elle est aussi sociale. Regardez au bout de l'atelier, vous avez aussi sous les yeux la plus belle cité-jardin qu’il y ait en France. Je dis bien : la plus belle cité.
Le Trait a été fait en même temps que les cités du Nord. Ses maisons sont à la mode de ce temps-là, et c’est pourquoi le président, qui a vu celles du Nord, a cru les reconnaître. Mais, le Trait avait un cadre admirable ; les coteaux de la Seine, et ce cadre, admirablement choisi, a été admirablement utilisé. Cette cité est une merveille de conception et de réalisations. Elle témoigne d’une intelligence et d’un goût incomparables. Cette cité dispose de tout ce qui peut embellir la vie, adoucir les infortunes. Pour la réaliser, il fallait avoir un grand cœur et, pour l’animer chaque jour, il faut avoir une âme. (Applaudissements.)
C’est à ceux qui ont accompli cette œuvre : à M. Worms, qui n’est pas ici, mais a délégué M. Nitot pour vous recevoir et, comme vous en jugez, vous bien recevoir c’est à M. Worms et à M. Nitot, jeunes animateurs de cette grande cité, que je vous propose, mes chers camarades, de porter le toast le plus chaleureux et le plus reconnaissant. (Applaudissements prolongés.)
A 14 h 05, le train repart vers Le Havre, où nous arrivons à 16 h 07 à la gare maritime ; sur le quai, nous attendaient MM. Edde, directeur, et Laffont, secrétaire général de l’agence générale du Havre de la Compagnie générale transatlantique.

[Suite de l'article – voir le PDF, pp. 3 et 4]

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