1922.11.27.De Worms Le Havre.Note.Lancement et essais du cargo "Sauternes"

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SS "Sauternes"

Le navire était complètement terminé 8 jours avant son lancement ; cette dernière période a été employée, sous le contrôle du capitaine et du chef mécanicien, à la vérification du bon fonctionnement des appareils auxiliaires (pont et machine) aux rectifications jugées nécessaires et aussi à assurer une bonne présentation du navire ; révision de quelques rivets mal accostés à la tôle, mastiquage des abouts de tôles etc.
Les résultats obtenus par cette disposition nouvelle ont été, en définitive, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, très heureux ; le navire était fini et bien fini au moment de son lancement aussi jusqu’à ce jour n’avons-nous eu aucune retouche appréciable à lui apporter.
Lancement. Cette opération, vue du bord, a été parfaite, en tous points ; les remorqueurs ont bien manœuvré et la machine, qui avait précédemment tourné sur cale, a pu être actionnée 2 ou 3 minutes seulement après la mise à l'eau.
Nous croyons cependant à l'avantage de laisser le navire se rapprocher de la rive gauche, les fonds, pensons-nous, le permettent. Le navire gardant la faculté de mouiller au milieu de la rivière ou tout au moins avant qu’il y ait, pour son arrière, danger de toucher, on écarterait mieux ainsi les dangers résultant d’une fausse manœuvre toujours possible des remorqueurs dans la prise de remorques, d'une fraîche brise de l’arrière etc.
Contrairement à ce qui s'est passé sur le "Léoville", la gîte du "Sauternes" a été, à son lancement, tout à fait insensible ; cela tient tout d'abord au fait que sa gite initiale, ballasts et peaks vides — à laquelle nous persistons à croire – est plus faible que celle du "Léoville" à cause des modifications apportées dans la répartition des poids par le déplacement de bâbord à tribord de l'ancre de miséricorde.
Pour être exact, nous devons ajouter que l’effet de ce déplacement est en partie compensé par l’absence, sur le "Sauternes" de l’arbre porte-hélice de rechange, arbre qui se trouve sur le "Léoville" en abord et à tribord ; mais cet heureux résultat (absence de gîte) est principalement dû à ce que les ballasts du "Sauternes" étaient exactement pleines au moment de la mise à l’eau, condition qui n'était pas remplie sur le "Léoville".
Avec les éléments que nous possédons sur la position des centres de gravité et des métacentres transversaux dans les 3 positions du navire ; navire lège et navire sous ballasts pleins, nous avons calculé que le simple remplissage des ballants a pour effet de réduire dans la proportion de 1 à 4 environ l’angle initial de gîte ; par exemple, si, le navire absolument lège, la gîte initiale est de 3 ou 4, elle se voit réduite à environ 1° par le remplissage des ballasts.
Le navire mis en direction du Havre a continué seul sa route, il a mouillé devant Tancarville où à la marée suivante il fut immobilisé par la brume de telle sorte qu’il ne put entrer dans le Bassin de la Citadelle - opération effectuée sans remorqueur - qu’à la marée de 12 heures, le vendredi 10 novembre, soit quelques instants seulement avant l’arrivée de la commission de visite.
A 3 h 30, cette commission passait l’inspection du navire et témoignait de son admiration pour la belle construction de cette unité qui fait honneur aux Chantiers du Trait, elle ne formulait aucune observation méritant d’être retenue.
Quant au personnel du Trait, le fonctionnement de la machine n’ayant donné lieu à aucun incident, il pouvait regagner le même jour ses Chantiers.
Essais et mise en service. L’incorporation rapide de ce vapeur dans notre flotte a présenté quelques difficultés par suite de notre désir de faire procéder aux essais prévus sans occasionner de frais supplémentaires.
La solution normale pour ces essais était de charger un lest d’environ 300 tonnes, d’effectuer une sortie à la mer de 12 heures et de débarquer ce lest, solution onéreuse qui n’eût pas hâté d’un jour la disponibilité du navire ; nous y avons donc renoncé, en faisant marquer le pas au "Sauternes" au Havre jusqu’au vendredi 17 novembre, date à laquelle il a remplacé l’"Hypolite-Worms", sur la ligne du cabotage national, ses essais étant remis à plus tard, au jeudi 23 novembre, date à laquelle nous pouvions lui procurer, comme précédemment au "Léoville", un chargement le mettant dans des conditions de chargement voisines de celles imposées.
Soucieux de ne pas prendre la charge du navire avant l’accomplissement d’essais satisfaisants, nous avions demandé aux Chantiers du Trait de laisser la conduite de la machine du vapeur à son personnel jusqu’à ce que les essais officiels soient entièrement terminés.
De leur côté, les Chantiers du Trait, désireux d’éviter les frais de déplacement de son personnel et de ne pas se séparer de lui pour une durée aussi longue, n’ont pu agréer cette proposition ; aussi nous ont-ils demandé d’assurer avec notre personnel, et les voyages précédant les essais, et les essais eux-mêmes.

1er voyage – Le Havre-Dunkerque 18-19 novembre. Nous sommes entrés dans ces vues, sous réserve de travailler aux risques des Chantiers ; en conséquence, le samedi 18 novembre, le "Sauternes", ayant à bord notre chef de l’armement, prenait la mer à 6 h 30 à destination de Dunkerque, entièrement armé par la direction des services maritimes.
Ce voyage s'est accompli dans des conditions très satisfaisantes, petite brise du nord au nord-est, houle du vent ; la machine a réalisé, sans incident notable, un nombre de tours voisin de 80, correspondant à une vitesse approximative de 9 n 5 : quelques paliers et quelques excentriques ont légèrement tiédi mais leur échauffement a été facilement prévenu par un simple arrosage.
Nous devons ici une mention toute spéciale au zèle et au dévouement des officiers mécaniciens qui, pour assurer une parfaite surveillance des divers organes de la machine, ont de leur propre mouvement fait au complet le quart dans la machine pendant presque toute la durée du voyage.
Le "Sauternes" arrivait sur rade de Dunkerque à 23 h 30 du soir ; il ne put toutefois, à cause de l'état du temps, entrer dans ce port que le lendemain, dimanche 19 novembre, vers 10 heures du matin.
20-21 novembre. Les journées des 20 et 21 ont été occupées par la visite et la mise au point des quelques pièces ayant donné lieu à observations.
22 novembre. Le navire, après avoir effectué ses opérations de chargement et de déchargement, a quitté Dunkerque dans la nuit du 21 au 22 novembre pour se rendre à Boulogne où il est arrivé sans incident vers 10 heures.
Notre chef de l’armement revenu au Havre dès l’arrivée du "Sauternes" à Dunkerque, retournait à Boulogne, ce mercredi 22 novembre pour assister, avec notre Ingénieur revenu à cet effet d’Anvers, où l’appelaient les avaries du "Listrac", et le personnel désigné par les Chantiers aux essais devant avoir lieu le lendemain.
23 novembre. Essais officiels. Ces essais ont été effectués par un temps splendide, calme blanc et mer plate. Étant donné les résultats acquis par les essais précédents, ces essais pouvaient consister en une simple mesure de la consommation horaire à 10 n et la vitesse maximum susceptible d’être réalisée ; tenus par des considérations de marée au Havre, nous avons admis ce principe et limité en conséquence à 9 h la durée prévue - 12 heures - des essais, soit 6 h pour les essais de consommation et 3 h (au lieu de 6) pour les essais de vitesse. Au cours de ceux-ci des mesures ont pu être faites sur les bases d’Octeville.
Résultats. Le navire, sous une différence de tirant d’eau de 0 m 80, avait un tirant d’eau moyen de 3 m 79 correspondant à une charge totale de 1 745 tonnes dépassant de 315 tonnes la mi-charge prévue – 1 430 tonnes - par le marché.
Dans les conditions de déplacement ci-dessus, les résultats obtenus sont :
Consommation horaire à 10 n : env. 46 K° par mille parcouru
Vitesse moyenne : 11 n 51 (93 tours)
Avance à grande vitesse par tour : 3 m 82
Corrections faites pour les ramener aux conditions du marché, ces résultats deviennent, sous réserve de calculs plus précis qu’établiront les Chantiers du Trait :

 

"Sauternes"

"Léoville"

Consommation horaire

46 K°

50 K° 500

Vitesse maximum

12,03 n

12 n

L’avance par tour moyenne sur "Sauternes" (3 m 82) est supérieure de 0 m 03 à celle mesurée pour le "Léoville" étant donné que la première a été prise dans des conditions meilleures et que ces navires sont identiques, on peut étendre au "Léoville" les résultats acquis par le "Sauternes", ce qui a pour effet de faire passer la vitesse maximum du premier de 12 n à 12 n 1.
Quoi qu'il en soit, les essais de ces 2 nouveaux bateaux sont extrêmement satisfaisants et nous ne pouvons que nous réjouir de voir le "Sauternes" entrer en service avec d'aussi bonnes perspectives de rendement.
Certaines améliorations de détail, fruits de l'expérience du "Léoville", ont été apportées au "Sauternes" ; de nouveaux perfectionnements s'ajouteront encore à celles-ci sur le "Barsac", de telle sorte que pour ce navire et les autres de ce type sera obtenue la perfection à laquelle les Chantiers du Trait peuvent justement prétendre.

Le Havre, le 27 novembre 1922

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