1918.05.30.De Worms et Cie Le Havre.Au ministre de la Marine.01

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Le Havre, le 30 mai 1918
Monsieur le commissaire aux Transports maritimes
et à la Marine marchande - Paris

Monsieur le ministre,
Nous vous proposons, ce que nous vous avons offert dès le premier jour, de nous mettre complètement à votre disposition pour l'organisation et l'exploitation des services de cabotage entre Dunkerque et Bayonne.
Il n'est pas inutile de rappeler ici que nous possédons des succursales à Dunkerque, Boulogne, Dieppe, Le Havre, Rouen nous en aurons une à Caen d'ici peu -, Brest, Nantes, Rochefort, Bordeaux, Bayonne et que depuis plus de soixante ans nos vapeurs desservent régulièrement ces ports.
Jusqu'à ce jour la collaboration que vous nous avez demandée a consisté uniquement à obtempérer aux instructions de vos services, sans que ceux-ci nous aient jamais consultés pour savoir si l'ordre qu'ils nous invitaient à exécuter sur le champ représentait bien la meilleure utilisation du navire. Nous n'en faisons pas grief à vos services, malgré toute leur bonne volonté il leur est matériellement impossible de faire mieux ; mais nous nous étonnons que des gens raisonnables aient pu concevoir un seul instant qu'il fut au pouvoir de trois ou quatre personnes de réaliser, pour un très grand nombre de vapeurs, ce qu'une maison comme la nôtre arrive tout juste à faire, pour une flotte considérablement moindre, avec une très vieille organisation et un personnel nombreux.
Le résultat de ce système c'est que nos navires sont utilisés dans des conditions déplorables à tous les points de vue et pour le prouver nous vous en donnons les exemples suivants pris entre beaucoup :
Il a fallu à "Suzanne-et-Marie" 27 jours pour effectuer le voyage Le Havre, Boulogne, Le Havre.
"Château-Latour" après avoir mis 28 jours pour le voyage Dunkerque au Havre est reparti de ce port pour Dunkerque le 27 mai avec 325 tonnes de marchandises diverses, suivi 24 heures après de "Château-Palmer" sur lest, au moment même où vos services nous demandaient d'enlever à la ligne Grimsby-Dieppe le s/s "Pessac" pour transporter d'urgence du Havre à Boulogne une cargaison de grains ; "Château-Latour" et "Château-Palmer" ont ensemble une portée effective de 4.800 tonnes, "Pessac" de 850 tonnes, c'est donc 5.650 tonnes qui se trouvent occupées, et dans quelles conditions, pour enlever au total 1.175 tonnes...
Si la rotation des navires est déplorable, leur affectation au trafic ne l'est pas moins; le "Château-Latour", navire neuf, a subi un affaissement de tout son faux-pont parce que malgré ce que nous avions pu dire on a voulu constituer sa cargaison en marchandises très lourdes (macadam et tôles) alors que nous l'avons fait construire pour transporter du "general cargo".
"Bidassoa" qui avait mis 27 jours, sur lesquels seulement 48 heures de mer, pour le voyage Le Havre-Dunkerque-Rouen-Le Havre, a été choisi pour enlever une cargaison de grains en vrac ; ses dispositions ne le permettaient pas, il a donc fallu ensacher la moitié de la marchandise...
Vous nous désignez "Hypolite-Worms" pour effectuer des transports de charbon entre le canal de Bristol et Brest, relever de ce port sur lest pour Cherbourg où il prendra du macadam à destination de Dunkerque, d'où il repartira sur lest pour le canal de Bristol. Au point de vue rotation le résultat sera lamentable, au point de vue utilisation il sera désastreux ; nous ne savons pas si les ouvriers à Cardiff consentiront à mettre du charbon dans les cales de ce vapeur, mais ce dont nous sommes absolument certains, c'est que pour en sortir ce charbon, et le macadam, il faudra des semaines.
Ne croyez pas que nous vous avons signalé là tous les faits anormaux qui se sont produits depuis le jour de la réquisition ; nous pourrions multiplier les exemples et nous vous affirmons que ce qui a été anormal jusqu'à ce jour c'est la judicieuse utilisation de notre matériel.
Nous n'avons pas manqué de vous signaler cet écueil dès le premier jour ; nous avons le sentiment que nous faillirions à notre devoir en laissant, par notre silence, se perpétuer un tel état de choses.
Nous vous demandons donc de placer entièrement entre nos mains l'organisation et l'exploitation de vos services de cabotage : vous nous ferez connaître tous les besoins que vous avez à satisfaire, leur ordre d'urgence, c'est nous qui choisirons les navires, composerons leurs chargements et fixerons leurs itinéraires. Nous vous donnerons toutes les facilités que vous exigerez pour exercer votre contrôle sur nos opérations, mais vous nous ferez confiance et nous pouvons vous affirmer que dans ces conditions-là, - mais dans ces conditions-là seulement -, le pays sera bien servi.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l'assurance de notre haute considération.


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