1918.01.12.De Worms et Cie Port-Saïd

Worms & Co.

Branches in Egypt: Cairo, Alexandria, Port Tewfik (Suez)

Port Said (Eypt), le 12 janvier 1918
Messieurs Worms & Cie - Paris

Messieurs,
S/S "Tibor". Ce vapeur, géré par la Marine, que nous venions de charger avec 75.000 caisses de benzine, a pris feu le 10 ct un peu avant 4 heures pm, alors que tous feux éteints il était remorqué du bassin pétrolier à l'avant-port. Il y a eu deux formidables explosions au moment où le navire passait les bureaux de la Compagnie du Canal, et le "Tibor", tout l'avant en flammes et chassant sur ses ancres que l'explosion avait dégagées, s'est arrêté dans le port en face et à une centaine de mètres de nos bureaux. A 7 h 30 du soir, les cales arrière ont fait explosion, et tout le navire n'a plus été qu'une masse de flammes. L'explosion, très violente, a fracassé nombre de vitres de nos bureaux. A 11 h du soir, alors que nous venions de faire évacuer à la rive Asie tous nos remorqueurs et canots automobiles, une dernière explosion, d'une violence inouïe, s'est produite et tout le quai a littéralement été bombardé, les chaudières ont dû sauter à ce moment-là, en même temps que les munitions du bord. Fort heureusement il n'y a pas eu chez nous d'accidents de personnes, et tout s'est borné à des dégâts matériels de peu d'importance, toutes nos vitres fracassées, crémones des portes enlevées et quelques boiseries des fenêtres ayant cédé. A côté du bureau, un morceau de tôle d'une vingtaine de kilos s'est abattu sur le toit du rez-de-chaussée occupé par notre magasinier Vital et a pénétré dans l'appartement. Vital et sa femme étaient heureusement absents. En ville dans un rayon de quelques centaines de mètres nombre de carreaux et de vitrines de magasins ont été fracassés. Il y a eu, nous dit-on, quelques accidents de personnes.
Depuis, le "Tibor" a brûlé comme une gigantesque lampe, et ce matin il se trouve presque immergé, toute une nappe de benzine brûlant autour, contenue par une ceinture de flotteurs isolants qu'on n'a d'ailleurs mis en place qu'hier dans l'après-midi, alors qu'on aurait dû le faire dès la première heure, comme nous l'avions fait remarquer hier à midi aux officiers qui sont venus nous voir pour procéder à une enquête sur les causes du sinistre.
Nous ajouterons que nos journaliers avaient quitté le bord à 1 h 30, le 10, et qu'il ne restait plus alors sur le "Tibor" que l'équipage et un poste de sentinelles militaires, la Commission d'enquête nous a demandé de lui fournir une liste des journaliers, pointeurs et surveillants ayant travaillé à bord au cours du chargement, liste que nous établissons aujourd'hui. Il faut dire que ce bateau n'est pas du tout aménagé pour charger de la benzine en caisses, et qu'un bateau de ce genre est à la merci de la moindre imprudence. Il manquerait huit hommes de l'équipage ; le commandant, pilote et les officiers ont tous été sauvés.
Veuillez agréer, Messieurs, nos bien sincères salutations.

[Signature illisible]


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