1909.11.18.De MM. Majoux et Collard - Commission des douanes.Le Havre.Rapport

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Havre, 18 novembre 1909

Union des transitaires et commissionnaires du Havre
Rapport
de la Commission des douanes
présenté par MM. Majoux et Collard

Sur l'initiative de M. G. Majoux, Directeur au Havre de la Maison Worms & Cie, la Commission des Douanes de notre Union, a été chargée de présenter au Parlement, au moment où celui-ci entreprend la discussion d'un nouveau Tarif de Douane, différents vœux, intéressant d'une façon générale toute l'industrie des Transports et en particulier celle résidant dans les ports de commerce.

Bien que les modifications qui vont être apportées au Tarif des Douanes, soient des plus importantes pour le commerce et l'industrie, nous nous inquiétons surtout des conséquences qui vont résulter de son application, au point de vue des opérations de reconnaissance des marchandises par le service de la Douane, et de la législation appliquée aux contraventions relevées par cette Administration.

Il doit être tout d'abord bien convenu que nous n'entendons pas défendre les fraudeurs, ni même les intentions de fraude, lorsque la preuve en est faite. Le commerce honnête sait qu'il est redevable de tous les ennuis et de toutes les difficultés que la Douane lui occasionne, à ceux qui commettant ou tentant de commettre des fraudes fournissent aux Agents des prétextes pour voir la fraude partout et pour agir en conséquence.

Si la Douane est nécessaire pour protéger certaines de nos industries et fournir l'appoint de ses recettes aux finances de l'État, elle n'en constitue pas moins une gène considérable pour les transactions et les relations commerciales entre nations ; et son action entravante s'exerce surtout sur l'industrie des transports, sans souci de l'importance que cette branche de notre activité apporte à la prospérité nationale.

Les échanges commerciaux doivent aujourd'hui s'effectuer avec une ponctualité et une célérité à laquelle nos pères n'auraient pas voulu croire ; des services rapides de vapeurs réguliers et de chemins de fer disputent à l'étranger les opérations de transport et de livraison de marchandises. Les clients vendeurs et acheteurs, comptent les jours employés en route pour leurs expéditions, les premiers pour lancer leurs traites de paiements, les seconds pour employer sans retard leurs marchandises. Le commerce français, l'industrie des transports par fer et par eau se sont mis rapidement à la hauteur de ce besoin nouveau. La Douane a-t-elle été entrainée, elle aussi, dans cette marche du progrès et vers la simplification de ses règlements embrouillés et vers une compréhension plus libérale des besoins du commerce, hélas non ! la Douane est restée cantonnée dans son esprit de fiscalité soupçonneuse, et en tout déclarant, qu'il appartienne à une Compagnie de navigation, de Chemins de fer, à une Agence de transports ou à une Industrie, elle flaire un fraudeur ou quelqu'un susceptible de le devenir. Il en résulte que le moindre de ses Agents de vérification, s'il n'est pas d'accord avec le déclarant peut abusivement retarder les opérations du passage des marchandises en douane sous le prétexte de s'éclairer. Si le déclarant en réfère à ses chefs, ceux-ci répondent invariablement qu'ils ne peuvent rien et que les vérificateurs ne relèvent que de leur conscience pour la reconnaissance des marchandises. Par suite ces derniers ont le champ libre. Beaucoup d'entre eux n'en abusent pas, mais il en est d'autres qui se soucient fort peu des égards dus au commerce, sans lequel ils n'auraient pas de raison d'être, qui lui sont de parti-pris hostiles et tracassiers, qui lui causent à chaque instant des préjudices extrêmement sérieux, et il faut bien ajouter que ceux là ne sont pas seulement conduits à agir ainsi par leur dévouement aux intérêts du Trésor Public, mais obéissent souvent à un mobile moins élevé. Ces Agents reçoivent en effet leur part dans les amendes qui sont infligées au déclarant ayant fait des déclarations fausses ou erronées de sorte que leurs excès de zèle sont loin d'être désintéressés.

Ce qui prouve bien que la Douane est restée comme nous le disons plus haut, une sorte d'État intangible dans l'État national, c'est que si les taux des tarifs ont été modifiés, à de nombreuses reprises suivant les progrès des industries diverses ou suivant les doctrines économiques ayant eu cours successivement, les rapports du service des Douanes avec le public et avec le Commerce sont encore régis par des lois surannées édictées pour un autre temps et devenues dans le nôtre, des instruments d'oppression et souvent d'arbitraire.

Ces lois avaient leur raison d'être à l'époque où la contrebande était une industrie organisée et exercée par des individus ou par des bandes possédant leurs moyens propres pour véhiculer les marchandises de fraude, mais depuis que nos routes se sont améliorées, que les chemins de fer ont remplacé les lourdes diligences, depuis que la navigation à vapeur a substitué ses lignes régulières à l'antique navigation à voiles, on ne peut pas dire que la fraude ait complètement disparu, mais on est bien forcé de reconnaître qu'elle a diminué dans de notables proportions, et on est en droit de se demander si ces lois d'exception peuvent encore s'appliquer au commerce honnête qui se pratique de nos jours.

Les contraventions de douane sont en effet encore dressées aujourd'hui en 1909 en vertu des lois du 22 août 1791 et du 4 Germinal An 2. Les Législateurs ont consacré il y a 118 ans, le travail qui a été proposé par les Administrateurs de la Régie des Douanes, imprégnés de l'esprit des gabelles royales et les Français de nos jours en subissent encore les effets et aussi par tradition l'esprit qui les a inspirés.

Aux termes des lois précitées, les affaires litigieuses entre le commerce et la Douane se règlent de deux manières comme suit :

A)  La Douane ayant constaté une fausse déclaration est en droit :

1° De saisir le véhicule ayant servi de moyen de transport pour la marchandise mal déclarée, que ce soit navire, wagon ou voiture ;

2° De confisquer la marchandise.

De poursuivre la saisie devant les tribunaux, sous préjudice d'amendes et même d'emprisonnement dans certains cas.

Cette première façon est, toutefois, la moins employée, à moins de contrebande dûment constatée ou de fautes graves permettant à la Douane d'exercer ses droits les plus rigoureux ; bien qu'il soit bon de rappeler le cas de saisie d'un paquebot, pour quelques paquets de cigarettes cachés dans une embarcation par un passager et la saisie d'une locomotive pour du tabac caché par un mécanicien dans le charbon du tender, mais généralement les parties ont plus souvent recours au mode de la soumission.

B)  Deux de ces cas principaux peuvent se présenter :

1° Le déclarant reconnaît son erreur ou la faute commise, il demande à la Douane de lui délivrer sa marchandise, s'engageant par avance et sous caution à s'en rapporter à la décision de l'Administration pour fixer l'amende qu'il devra payer ;

2° Le vérificateur conteste le bien-fondé de la déclaration faite, laquelle n'est pas suivant lui conforme à la réalité quant à l'espèce de la marchandise.

Le déclarant maintenant son dire, la Douane décide de soumettre le cas aux experts.

Pour obtenir l'enlèvement de sa marchandise, le déclarant signe une soumission par laquelle il s'engage sous caution, à accepter la décision des experts et à s'en rapporter à la décision de l'Administration au sujet de l'amende encourue si l'expertise lui est contraire. Un échantillon prélevé par la Douane, envoyé à l'Administration Centrale est soumis à l'appréciation d'un expert choisi par la Douane et d'un autre expert choisi par le déclarant sur une liste approuvée par l'Administration.

Les experts déposent leur rapport, s'ils donnent raison au déclarant, l'affaire se termine par le paiement du droit conforme à sa déclaration.

Si au contraire, les experts donnent raison à la Douane, le déclarant lié par sa soumission, doit s'en rapporter à l'Administration au sujet de l'amende qui lui sera infligée.

Le procès-verbal de contravention est dressé par le vérificateur signé par lui, par l'emballeur et autres préposés des Douanes qui l'ont assisté dans ses opérations. Ces Agents sont tous intéressés à ce que l'amende soit aussi forte que possible, car ils en auront leur part ; aussi ils ne manquent pas dans leur document, de charger le déclarant, autant qu'ils le peuvent ; l'intention de fraude est souvent invoquée afin de corser le délit. Il est rare que le sous-inspecteur et l'inspecteur qui annotent le procès-verbal ne surenchérissent pas sur le dire de leurs subalternes, ce qui leur permet de conclure en proposant des amendes invraisemblables basées en général sur un certain nombre de fois le droit compromis.

Viennent ensuite le Directeur Régional et l'Administration Centrale. Leur expérience et leurs longs services dans la Douane les rendent quelque peu blasés à propos des allégations intéressées des Vérificateurs et le plus souvent ils modèrent, au lieu de les aggraver, les propositions des Douanes locales.

Toute cette procédure, il imports de le remarquer, est instruite en secret, hors de la présence du déclarant intéressé auquel elle n'est pas communiquée. Il n'a par conséquent aucun moyen de se défendre des imputations dont il est l'objet, fussent-elles absolument calomnieuses. La signature de sa soumission l'a livré pieds et poings liés entre les mains de la Douane et sa sentence est sans appel.

Quand on rapproche ces procédés d'un autre âge, de ce qui se passe aujourd'hui devant la justice correctionnelle et criminelle, on est stupéfait qu'ils puissent exister encore.

De nos jours, tout accusé, si peu intéressant qu'il puisse être par son passé, fut-il un repris de justice, assiste à l'instruction du délit ou du crime qui lui est reproché. Son avocat est auprès de lui l'aidant dans sa défense. Le juge lui donne connaissance de tous les documents qui concernent son affaire. Il signe les procès-verbaux et s'il n'est pas capable de les contrôler par lui-même, son avocat veille à ce qu'il ne les admette qu'à bon escient.

Ce simple rapprochement avec ce qui a lieu pour les affaires contentieuses en Douane se passe de commentaires.

Il est inutile de dire que les Vérificateurs peuvent, autant qu'il leur plaît, arrêter des marchandises et les envoyer aux experts. Nous en avons vu fréquemment ayant été battus à une première expertise arrêter de nouveau une marchandise identique, à une déclaration subséquente, être battus encore ; recommencer une troisième fois, et ainsi de suite avec une obstination digne d'une meilleure cause, espérant toujours que, par le changement des experts, ils arriveront à leurs fins. Le respect dû à la conscience des Vérificateurs fait que leur Chef ne trouve rien à redire à de pareils errements.

Le commerce qui en souffre dans ses intérêts et qui voit ses opérations entravées par ces procédés les trouve intolérables, mais il est sans défense contre eux et les frais multiples occasionnés par ces abus sont laissés à sa charge, sans qu'il lui soit possible d'en réclamer le remboursement.

Il est encore un autre abus criant qui se produit à propos des simples contraventions passibles de ce que la Douane appelle des amendes de principe.

Nous en citerons un exemple, après un mot d'explication concernant le Commerce maritime.

Tout navire entrant dans un port français doit à son entrée présenter à la Douane son manifeste qui est une liste de tous les colis embarqués à son bord, c'est la lettre de voiture du voiturier.

Les services de vapeurs réguliers, ces chemins de fer de la mer, apportent des chargements divisés en une foule de colis qui se comptent par centaines et même par milliers sur les grandes lignes.

On sait combien est précieux le temps consacré à leurs opérations par ces navires coûteux dont les frais journaliers sont énormes. Ils partent aussitôt que possible dès que leur chargement est terminé, et leur déchargement commence dès leur arrivée à quai.

Naturellement la Douane, manifeste en main, procède à la reconnaissance des colis en même temps que les employés de l'armateur du navire. Tous les colis qui sont portés au manifeste doivent être exactement retrouvés au débarquement, sans un en plus, sans un en moins.

C'est très bien en théorie et il en est généralement ainsi. Cependant il arrive parfois que quelque colis, minuscule le plus souvent, a échappé au pointage à l'embarquement, qu'il est trouvé en plus ou en moins au manifeste. La Douane dresse alors contravention. Le Capitaine du navire signe la fameuse soumission et il lui est infligé l'amende de principe. Depuis longtemps, elle était taxée par habitude à 25 francs par chaque irrégularité. C'était fort cher, mais le Commerce est fait pour payer, et peu à peu, l'amende de principe s'est augmentée en conséquence. Nous avons sous les yeux une quittance d'amende s'élevant à frs 53.33 pour excédent au manifeste d'une barre d'acier pesant 5 kgs estimée par la Douane elle-même à une valeur de 15 frs.

Ces différences au manifeste sont pourtant des irrégularités bien excusables. Elles ne causent aucune perte de droits de Douane. Si on considère combien le nombre de colis est considérable, que les travaux d'embarquement sont faits nuit et jour au moyen de rapides engins mécaniques, on ne peut que s'étonner que ces différences ne se produisent pas plus fréquemment. Nous comprenons qu'elles doivent être réprimées pour le bon ordre, mais est-il raisonnable, est-il juste d'abuser aussi férocement de ces menus incidents inséparables de travaux rapides, pour pressurer le Commerce d'une façon aussi dure.

L'ensemble de cet exposé montre bien que nous n'avons rien exagéré en parlant de l'esprit douanier et des règlements antiques et surannés qui pèsent sur le Commerce. Rien de tout cela n'est ignoré sur nos frontières maritimes et terrestres. Il n'en est pas de même à l'intérieur de notre pays où l'on est assez indifférent à ces questions malgré le contrecoup qu'on en subit sans le savoir. Il est donc de notre devoir d'éclairer l'opinion publique à ce sujet.

Comme conclusions, les premières réformes dont nous souhaitons ardemment la réalisation sont :

1° Que dans toute affaire contentieuse avec la Douane, il soit donné communication à l'intéressé de l'instruction de son affaire de contravention avec faculté pour lui de se défendre ;

2° Suppression complète de l'instruction secrète, le procès-verbal de l'instruction comportant les explications du déclarant et signé par lui devant seul faire foi.

3° Le jugement des conflits, par une Commission arbitrale, composée en partie de fonctionnaires de Douanes et en partie de négociants recrutés parmi les Membres de la Chambre de Commerce ou du Tribunal de Commerce et parmi les Membres des Syndicats Professionnels en rapports avec l'Administration des Douanes.

Devant cette Commission arbitrale ne seraient portés que les litiges pouvant donner lieu à une amende de 20 francs et plus, et dont le montant serait fixé par la Commission elle-même à la majorité de ses Membres.

Jusqu'à un certain chiffre, les décisions de cette Commission seraient sans appel, comme le sont actuellement les décisions de l'Administration, mais pour une amende supérieure au chiffre qui aura été fixé, le contrevenant aura la faculté de faire appel à un Tribunal arbitral, siégeant à Paris, et dont les Membres seraient recrutés de la même façon que les Commissions siégeant dans chaque port. Les décisions de cette Commission seraient sans recours.

Pour les contraventions légères, la Douane aurait le droit d'appliquer des amendes ne devant pas dépasser une somme minime, soit 20 francs, mais encore un règlement précis devra définir les cas donnant lieu à contraventions et tarifier ces contraventions, afin que l'amende soit appliquée partout avec la même égalité et non laissée au caprice et à l'arbitraire des Agents de l'Administration.

Nous rappelons à ce propos, qu'actuellement les amendes sont prononcées par une Commission siégeant à Paris et composée exclusivement des fonctionnaires des Administrations de l'État. Il ne s'agit donc pas de créer un rouage nouveau mais simplement de le compléter par l'adjonction de personnalités commerciales et de créer des Commissions analogues dans chaque port.

En outre qu'aucune part dans les saisies ou amendes ne soit allouée aux fonctionnaires ou préposés de l'Administration des Douanes, ces derniers y gagneraient en dignité et recevraient de l'État seul, la juste rémunération de leurs services.

Enfin étant donné les difficultés que va présenter pour le commerce l'application du nouveau tarif, dont les classifications se trouvent multipliées à l'infini, et rendraient inévitables d'innombrables affaires contentieuses, nous demandons que dans chaque port l'Administration des Douanes soit tenue de renseigner les déclarants, qui le lui demanderaient, sur l'application des droits à tel ou tel article, qu'ils auraient à présenter au service de vérification.

Cette façon de procéder est d'ailleurs usitée dans bien des pays particulièrement en Allemagne où les facilités accordées par la Douane n'ont pas peu contribué à favoriser l'essor commercial de ce pays.

Il nous semble, en effet, singulièrement abusif qu'une différence d'interprétation de tarif puisse donner lieu à l'égard du déclarant à des suites contentieuses, car le fait de déclarer la marchandise qu'il se propose d'entrer en France, exclut toute présomption de fraude de la part du déclarant qui se trouve ainsi assimilé au contrebandier que voulaient atteindre les législateurs de 1791 et de l'an II.

Nous espérons donc que nos représentants au Parlement voudront bien reconnaître que nos doléances sont fondées et que les vœux ainsi exprimés peuvent être légitimement accueillis, ne nous étant inspirés en les émettant, que de l'intérêt général qui leur est aussi cher qu'à nous-mêmes.

Ce Rapport a été adopté à l'unanimité des membres du Conseil de l'union dans sa séance du 18 novembre 1909.

Pour extrait conforme,

Le président, J. Jamein

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