1876.01.10.De F. Mallet et Cie.Le Havre.A la Chambre de commerce du Havre

Retranscription

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Le Havre, le 10 janvier 1876
Messieurs les membres de la Chambre de commerce du Havre

Messieurs,
Monsieur Person, président de la Chambre syndicale du commerce d'exportation avait demandé à la Chambre de commerce de lui faire connaître son opinion relativement au maintien ou à la réalisation du traité postal passé entre l'État et la Compagnie des Messageries nationales pour le service de l'Indochine.
Au mois d'avril dernier vous avez répondu à M. Person, nous relevons dans votre lettre le paragraphe suivant :
« En principe la Chambre de commerce est opposée aux subventions. Si, à son avis, elles se justifient lorsqu'elles ont pour objet de créer des relations nouvelles avec d'autres pays, il ne lui semble pas qu'elles puissent être maintenues, une fois ces relations établies ».
Ce paragraphe résume vos idées sur cette grave question.
Nous venons aujourd'hui vous entretenir des agissements de la Compagnie générale transatlantique qui reçoit de l'État des subventions considérables pour ses lignes sur New York et les Antilles.
Cette Compagnie vient d'inaugurer un service côtier de bateaux à vapeur entre Santander, Bordeaux, Saint-Nazaire, Le Havre, Rotterdam et Hambourg. Si la Compagnie générale transatlantique n'avait aucune attache avec l'État, si elle ne recevait de lui aucune subvention, si ces différents services se faisaient à ses risques et périls, c'est-à-dire, sans recevoir de l'État ni aide, ni assistance, si en un mot elle était dans les conditions ordinaires à tous les armateurs français, nous n'aurions absolument rien à dire ; mais tel n'est pas le cas, vous le savez, Messieurs, aussi bien que nous. Sans les subventions qu'elle reçoit, cette Compagnie ne serait pas en mesure d'établir un service côtier ; les ressources lui manqueraient.
Il suffit pour cela de mettre en regard d'un côté l'importance de son capital et de l'autre le montant des subventions qu'elle a reçues jusqu'à ce jour. Si en plus de ces deux éléments ont tient compte du peu d'importance de ses dividendes, on arrive à cette conclusion forcée, c'est que la Compagnie générale transatlantique n'aurait pu vivre et ne pourrait vivre sans le secours de l'État et que par conséquent elle ne serait pas une concurrence bien dangereuse pour les armateurs particuliers.
La situation qui lui est faite par ses conventions avec l'État, change complètement les conditions ordinaires auxquelles sont soumis les autres armateurs.
Il ne saurait donc lui être permis de dénaturer l'esprit qui a précité à la conclusion du Traité.
En lui faisant une situation exceptionnelle l'État a évidemment pensé n'avoir devant lui qu'une Compagnie ayant un objet parfaitement déterminé, c'est-à-dire, un service sur New York et un autre sur les Antilles, si avant de signer ce contrat, la Compagnie générale transatlantique avait dit au ministre et à l'assemblée nationale :
« Notre intention en demandant cette subvention est d'une manière indirecte, d'en appliquer une portion à payer les dépenses d'un service côtier que nous voulons établir en concurrence avec des lignes au petit et au grand cabotage, lignes qui existent déjà »,
il ne saurait y avoir le moindre doute, les ministres des Finances et de la Marine et l'assemblée nationale auraient refusé et interdit formellement à la Compagnie de faire aux armateurs particuliers une concurrence aussi inégale.
Cette Compagnie s'attaque aujourd'hui aux lignes de Hambourg, du Havre, de Bordeaux et de Santander que nous desservons, demain elle s'attaquera à la ligne de Morlaix, à celle d'Anvers, etc.
Bientôt tous les armateurs au petit et au grand cabotage se verront menacés par la Compagnie générale transatlantique.
Lorsqu'on songe que ces lignes ont été créées par ces armateurs à leurs risques et périls, qu'ils y ont engagé leurs fortunes, qu'ils occupent un personnel considérable qui est comme eux menacé par les agissements de cette Compagnie, on est en droit de juger sévèrement cette dernière.
Nous desservons les lignes de Bordeaux, du Havre et de Hambourg depuis 18 ans. Nous les avons progressivement développées. Nous pouvons dire que par leur parfaite régularité elles font honneur au pavillon français. Nous avons pour adversaires des steamers allemands, nous ne nous en plaignons pas; à armes égales la lutte ne nous effraie pas, nous ne saurons admettre la concurrence de la Compagnie générale transatlantique, compagnie subventionnée par l'État qui ne saurait lui permettre d'en profiter pour créer au cabotage sous pavillon français une situation inacceptable.
Nous vous remettons, ci-inclus, Messieurs, deux lettres, l'une pour Monsieur le ministre de la Marine, défenseur national de la Marine tout entière, l'autre pour Monsieur le ministre des Finances auquel incombe le soin tout particulier de déterminer les termes et l'esprit du Traité postal conclu avec la Compagnie.
Nous espérons, Messieurs, que vous voudrez bien vous charger de les faire parvenir vous-mêmes à leurs adresses respectives en les appuyant de l'autorité qui vous appartient.
Recevez, Messieurs, l'assurance de notre parfaite considération.

Mallet


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