1850.03.24.De Théodore Bouscasse.Bordeaux.A Edouard Rosseeuw

Origine : Collection de lettres reçues - liasse 1848-1854

Bordeaux, 24 mars 1850

Mon cher Édouard,
J'ai reçu votre lettre du 17 courant. J'avais espéré pouvoir vous transmettre des renseignements précis et détaillés sur les charbons à Bordeaux, j'avais déniché un homme honnête, savant et pratique en cette matière ; il devait me transmettre hier des notes complètes, mais une affaire imprévue l'a obligé à partir subitement pour les Landes, d'où il ne sera de retour que dans une quinzaine de jours. Je suis contrarié de ce retard car je veux tâcher ; j'espère même tirer quelque chose de bon de notre affaire, mais il faut attendre forcément, la personne en question ne pouvant être remplacée. En attendant, je vais vous transmettre le résultat incomplet de notre première entrevue.
Je commence par une rectification et ce que je vais dire est exact. La consommation du charbon à Bordeaux n'est que de 600.000 hecto - l'hecto comble - soit 90 k. ; le chaldron ne devant pas, par décision du Tribunal de commerce, rendre moins de 31 hecto.
Toutes les compagnies des bateaux à vapeur sont engagées jusqu'au 31 décembre 1850. Elles ont payé cette année par marché passé, rendu le long de bord, 280 F les frais totaux s'élevant à 42,50 et la raffinerie a payé de 250 à 260. Cette différence est égalisée par les frais. La consommation des bateaux à vapeur est :
- en Sunderland de 90,000 hecto
- en Newcastle de 30,000 hecto
La raffinerie [fait] les bateaux comme proportion : 120,000 hecto qualité et comme quantité totale elle consomme 150,000 hecto [soit] 270,000 hecto.
Ici manque le complément des renseignements sur les autres emplois et sur leur importance. Je les ajournerai le moins longtemps possible.
Le chemin de fer de la Teste consomme, par jour, 1 500 k. de coke médiven, qu'il paye 50 F. Si on en avait à Bordeaux, je ne crois pas qu'il fut difficile d'obtenir cette fourniture.
En résumé, il résulte de l'ensemble de ce que j'ai recueilli que, pour commencer, il faut renoncer à la possibilité de lier des affaires pour des charbons hors du port de Bordeaux. On a été généralement trompé, ce commerce a été et est (disons-le entre nous) encore en d'assez mauvaises mains. Maintenant, on veut voir et quelquefois essayer avant que d'acheter, mais l'avantage que cette position donne au vendeur, c'est de bien vendre les bonnes qualités et de n'avoir pas de rivalité à craindre. Un raffineur me disait que pour lui, le bon charbon était tout et que jamais il ne regarderait au prix. L'homme, qui est mon flambeau actuel, a la plus haute opinion de l'avenir de cet article à Bordeaux. Il croit que, s'il est possible de commercer malgré les bas prix du moment et les marchés passés, on se créera une position prochaine très brillante et sûre. En un mot, il faut se faire connaître.
Eh bien, mon cher Édouard, se faire connaître avec rien est impossible, les promesses et les phrases sont sans valeur aujourd'hui, mais se faire connaître avec quelque chose, lorsque ce quelque chose est bon, je m'en charge, le reste vous regardera. Je pourrais ajouter une foule de considérations encourageantes sur les proportions qu'il serait possible de donner à notre affaire. Ainsi par exemple, soit dans la Dordogne, soit dans les Landes ou aux environs de Bordeaux, j'ai des amis qui sont propriétaires de forges ou d'autres usines ; ainsi le chemin de fer de Paris est en grande voie d'exécution, ainsi cent autres emplois auxquels je n'ai pas encore songé peuvent rendre nos espérances fort belles. Mais simplifions pour commencer et commençons d'une manière nette et claire : je prends à ma charge le développement. Je sais fureter, j'ai su trouver des tableaux et les bahuts vermoulus là où il n'y avait ni tableaux, ni bahuts, ni vers, j'espère que je saurai trouver des acheteurs de charbon là où il y a des besoins.
Maintenant passons au directeur du Gaz. Ledit administrateur, qui administre pour compte d'une compagnie anglaise, m'a répondu : « Dites à votre ami qu'il écrive à Impérial Continental Gas Comp. London. Cette Compagnie achète elle-même ses charbons et me les envoie, comme elle les envoie à Marseille où elle a un établissement de l'importance de celui qui existe à Bordeaux, importance que je tiens secrète mais qui est considérable. Il ne sera pas impossible que, soit pour ici, soit pour Marseille, il put y avoir avantage à entrer en relation avec votre ami. II arrive quelque fois que par cause de retard dans les arrivages, il me manque du charbon, j'en achète alors sur place et je serais enchanté, en pareille circonstance, de vous accorder ma fourniture. Mais moi, cessant d'être ce directeur du Gaz, j'achète souvent pour compte d'amis, qui ont des établissements aux environs de Bordeaux, des charbons. Demandez à M. Rosseeuw le prix auquel il pourrait me vendre du Frelling Main, sous voiles, en Angleterre. »
Je vous transmets, mon cher Édouard cet avant-coureur d'un ordre ; je ne connais pas la position du directeur du Gaz, que j'ai vu lui-même hier pour la première fois et aujourd'hui, dimanche. Je ne peux guère m'éclairer sur son compte, mais ce sera pour demain et si vous entrez en affaire avec lui, vous serez fixé avant sur son crédit. Est-ce avec Monsieur Worms ou avec vous personnellement qu'il sera en rapport ? M. J. a appris l'arrivée à Londres de M. X... J'espère que vous, M. Delaunay et moi, nous allons prochainement connaître la fin de cette affaire.
Adieu, mon cher Édouard, j'attends une lettre de vous et je vous renouvelle mes sentiments les plus affectueux. À vous.

Bouscasse

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