1944.12.18.A la direction des Mines

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18 décembre 1944
Monsieur le directeur des Mines Direction des Mines
224, boulevard Saint-Germain
Paris

Concerne : Nomination du contrôleur surveillant

Monsieur le directeur,
Nous avons l'honneur de porter à votre bienveillante attention les faits suivants concernant notre société.
Nous avons récemment appris que notre société avait été l'objet au Maroc d'une mesure gouvernementale qui a eu pour effet la nomination d'un contrôleur surveillant auprès de notre société. Ce contrôleur surveillant est M. Dolisie qui est, d'ailleurs, le directeur général de notre affaire.
La raison qui a motivé cette mesure serait la livraison sur ordre du gouvernement de fait de l'État français de 20 tonnes de molybdénite aux autorités allemandes dans le milieu de l'année 1942.
Nous avons été très surpris qu'une semblable mesure ait été prise à notre endroit étant donnée l'attitude dont notre société ne s'est jamais départie depuis 1940, jusqu'à la libération de l'Afrique du Nord.
Vos services retrouveront certainement dans leurs archives les documents prouvant que cette livraison avait été effectuée contre le gré de la société et sur l'ordre formel du gouvernement de Vichy.
En effet, depuis août 1940 jusqu'en mai 1941, notre société, malgré les demandes réitérées et les pressions dont elle était l'objet de la part des Allemands, réussissait à éviter d'avoir à faire une offre et à empêcher toute livraison de minerai.
Lorsqu'elle se rendit compte qu'il ne lui était plus possible de résister par ses propres moyens, elle repassa en mai 1941 l'affaire au Comité d'organisation des minerais et métaux bruts qui était tenu, naturellement, au courant de toutes les exigences allemandes. Le directeur responsable du Comité, M. Blondel, donnait à notre société au cours du même mois, l'ordre de faire une offre pour 25 tonnes de minerais marchands (correspondant à 20 tonnes de molybdénite).
Notre société ne put que se conformer à cette injonction.
Depuis cette date, la société Le Molybdène ne fut plus tenue au courant de la marche de cette affaire, les négociations ayant été entièrement conduites par le gouvernement de Vichy (ainsi que cela doit ressortir des documents de la Commission d'Armistice).
La décision qui intervint fut donc un acte exclusivement gouvernemental que notre société - complètement mise à l'écart - était incapable d'accepter ou simplement de discuter.
L'attitude de notre société et les faits résumés ci-dessus ont été, au surplus, amplement corroborés par un certain nombre de témoignages dont nous vous donnons copie, et notamment par celui de M. Friedel, inspecteur général des Mines, administrateur du Molybdène, en qualité de représentant du Bureau de recherches et de participations minières du Maroc, ainsi que par une déposition de M. Blondel, directeur responsable du Comité d'organisation des minerais et métaux bruts, faite à Alger.
Nous tenons, par ailleurs, à porter à votre connaissance que, dans le but de résister avec le maximum d'efficacité aux pressions des autorités d'occupation, et de déjouer toutes exigences futures, notre société prenait à l'époque toutes dispositions pour :
- dissimuler en fin de compte, 135 tonnes de molybdénite déjà produites qui ont ainsi pu être sauvées et cédées, d'ailleurs, aux Américains ;
- suspendre, dès novembre 1940 l'exploitation de minerai de molybdène, dans le but que l'on peut deviner, et reporter son activité sur l'exploitation du cuivre nécessaire à la fabrication du sulfate indispensable à l'économie nord-africaine ;
- empêcher la livraison de 35 tonnes de molybdénite exigée par les Allemands en avril 1942.
La situation de notre société quant à la livraison de 20 tonnes de molybdénite étant celle précisée ci-dessus, nous estimons que la mesure gouvernementale ayant abouti à la nomination d'un contrôleur surveillant devrait être rapportée et la gestion de la société rendue à son conseil d'administration.
La mesure en question a été exécutée par les soins de la direction du Blocus à Alger en attendant une solution définitive qui ne pouvait qu'intervenir après examen de l'ensemble des documents et des faits, c'est-à-dire après la libération de la métropole.
Or, la direction du Blocus nous a laissé entendre qu'elle n'avait pas d'avis sur la question et que, pour prendre une décision, elle s'en tiendrait à l'avis de la direction des Mines, techniquement seule qualifiée pour juger le caractère de cette affaire.
Nous nous sommes, en conséquence, permis de vous saisir de la question et avons l'honneur de vous prier de bien vouloir faire connaître votre avis à la direction du Blocus au ministère des Finances.

Nous sommes convaincus que lorsque vous aurez pris connaissance des documents et faits relatifs à l'affaire, vous en retirerez la certitude que l'attitude de la société Le molybdène a été irréprochable du point de vue français.
Veuillez agréer, Monsieur le directeur, l'expression de notre haute considération.


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