1944.11.17.D'Edmond Friedel.Au juge Georges Thirion.Déposition

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NB : Ce fichier comporte deux documents classés au 17 novembre 1944 : l'audition de M. Friedel, datée du 17 novembre 1944, et les notes de M. Friedel relatives à la séance du conseil d'administration du Molybdène du 4 juillet 1941. Ces deux pièces proviennent d'un dossier consacré au Molybdène et intitulé "Tome 1", qui n'a pas été numérisé. En effet, à l'exception de rares éléments, comme l'audition ci-après, y sont rassemblés les doubles des interrogatoires, dépositions, notes, annexes... qui se trouvent conservés sous la forme de tirés à part et sont intégrées individuellement à la base de données.

Audition de M. Friedel

L'an mil neuf cent quarante-quatre, le 17 novembre, devant nous, Georges Thirion, juge d'instruction au tribunal de première instance du département de la Seine, assisté de Lombard, greffier, a comparu,
Friedel Edmond, inspecteur général des Mines, directeur de l'École nationale supérieure des mines, conseiller technique du protectorat marocain pour les Mines, demeurant à Paris, 60, bd Saint-Michel - témoin qui, serment prêté conformément à la loi, dépose :
Je représente, au sein du conseil d'administration de la société Le Molybdène, le Bureau de recherches et de participations minières au Maroc, qui possède une participation de 15.000 actions dans ladite société.
J'ai appris, en octobre 1940, lorsque j'ai repris mes fonctions d'administrateur que j'avais dû interrompre par suite de ma détention depuis le 11 juin à Lille par les autorités allemandes, que celles-ci avaient fait à la société une demande de livraisons de molybdène. D'après les renseignements donnés au conseil, il apparaissait nettement que la direction de la société faisait tout son possible pour dissimuler aux Allemands le montant réel des stocks disponibles, en retarder et réduire au minimum la livraison demandée.
Dans le courant du mois de mai, j'ai assisté à une conversation que Monsieur Blondel, président du Comité d'organisation a eue avec Monsieur Guernier, au cours de laquelle il a été donné comme instructions à celui-ci de faire offre de vingt-cinq tonnes en réservant entièrement l'accord des gouvernements français et chérifien. D'après cette conversation, cette solution était adoptée parce qu'il n'était plus possible d'éluder entièrement les exigences allemandes, une telle attitude rie pouvant avoir comme conséquence que de provoquer la main-mise immédiate des allemands sur la totalité des stocks existants.
A la suite de cette offre, le conseil n'a plus été au courant de la suite des pourparlers qui se sont passés entre les deux gouvernements, jusqu'au moment où l'ordre de livraison a été donné au siège de l'exploitation.
Au cours des séances du conseil d'administration, j'ai toujours vu Monsieur Meynial, représentant la Maison Worms, préconiser les solutions qui étaient susceptibles de retarder ou d'empêcher la livraison de minerai aux Allemands.
En juillet 1941, les Allemands désirant voir augmenter la production du molybdène, avaient entamé des pourparlers pour apporter leur concours financier au développement des travaux de recherches et de préparation du gisement. Je crois utile, pour vous éclairer sur l'attitude de Monsieur Meynial, de vous déposer la minute des notes de séance que j'ai rédigées immédiatement après la séance du conseil d'administration du 4 juillet 1941, et adressées par voie confidentielle au Bureau de recherches et de participations minières.
Je tiens à préciser que si Monsieur Meynial, désigné par la Maison Worms comme administrateur, a joué un rôle actif dans la politique de la Société, Le Molybdène, la Maison Worms elle-même n'avait aucun pouvoir de gestion technique ou commerciale.
Et signe après lecture.

[Pièce jointe :]

Société Le Molybdène
Séance du conseil d'administration du 4 juillet 1941
- Notes de séance de M. Friedel -

Présents
MM. Guernier, président, Vinson, Meynial, Pitavino, Simon, Friedel.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé. A ce propos, M. Guernier précise que les placements en report, précédemment bloqués sont en voie de liquidation, ils doivent être remboursés le 5 juillet.
M. Guernier indique qu'à la demande de la Maison Worms, il propose au conseil de nommer deux nouveaux membres, Messieurs Meynial et Pitavino. Le conseil approuve ces désignations et les deux nouveaux membres sont admis.
- Documents à soumettre à l'assemblée générale
M. Guernier présente des projets de rapport à l'assemblée générale, de bilan et de comptes profits et pertes.
- Rapport
M. Friedel fait observer que la rédaction adoptée en ce qui concerne le gisement de cuivre et le gisement de Tisgui lui semble laisser le champ libre à un optimisme exagéré. Il faut la simplifier, dire simplement que l'on a repris les recherches de Tisgui et que l'on poursuit la préparation du gîte de cuivre.
A propos des prix, M. Guernier donne lecture d'une lettre qu'il a écrite le 1er juillet au ministre des Finances.
M. Friedel indique qu'à sa connaissance un nouveau régime vient d'être adopté pour les prix des minerais. Pour les minerais d'importance secondaire, la décision ne dépendrait plus que du Comité d'organisation des minerais et métaux bruts à condition qu'il obtienne l'accord de son contrôleur financier. M, Friedel se renseignera sur l'état de la question pour Le Molybdène.
A propos du compte de profits et pertes, sur la proposition de M. Guernier, il est décidé qu'il n'y a pas lieu de faire délibérer l'assemblée générale sur les amortissements ; ceux-ci doivent être incorporés dans le compte de profits et pertes avant bilan.
Le conseil décide qu'en raison de l'intervention probable à bref délai d'une nouvelle loi sur les sociétés, il n'y a pas lieu de convoquer tout de suite l'assemblée générale ; de toute façon on dispose d'un délai qui n'expire qu'à la fin de l'année.
Le traitement du minerai de Molybdène va être arrêté au mois de septembre, pour passer à la flotation du minerai de cuivre destiné à produire 500 tonnes de concentré que la société a été autorisée à livrer pour la fabrication du sulfate de cuivre.
M. Meynial signale qu'au Comité du molybdène des craintes très vives ont été exprimées de voir Azegour abandonner la production du molybdène pour se consacrer au cuivre. II ne s'agit évidemment pas de cela.
- Direction de la mine
Le conseil approuve la désignation de M. Vieillard comme directeur de la mine en remplacement de M. Anon. II ne s'agirait que d'une solution provisoire, la maison Worms comptant sur M. Vieillard pour remplir ensuite d'autres fonctions.
- Situation financière
Indiquée par l'état ci-joint. Si l'augmentation de prix demandée est accordée, la trésorerie serait augmentée d'environ 1.500.000 F.
- Traitement du personnel du siège social
M. Guernier fait adopter les augmentations suivantes :
M. Hoffmann, de 5.500 à 6.250 F par mois, est marié avec plusieurs enfants à sa charge. Le traitement annuel de 75.000 F ne paraît pas exagéré pour les services qu'il rend.
M. Darmann, secrétaire, de 2.300 à 2.800 F, marié, un enfant.
Madame Barudoni, secrétaire comptable, de 1.500 à 1.800 F.
- Questions diverses
M. Guernier indique qu'il a fait de nouvelles demandes pour que soit reprise la question d'une subvention pour travaux de recherches et de préparation. M. Meynial signale qu'à son passage au Maroc, il avait appris qu'un projet de nouvelles conventions avait été établi par M. Fanon d'accord avec M. Vigier. II faudrait rechercher où en est le dossier.
M. Guernier signale qu'il a reçu une nouvelle visite de M. Acker, représentant de la maison Wolf et d'un représentant de Krupp.
Ils lui ont fait connaître qu'ils étaient désireux de voir les travaux de recherche et de préparation d'Azegour développés sur une échelle beaucoup plus vaste. Krupp serait disposé à participer à une grosse augmentation de capital. D'autre part, ils estimaient que l'ensemble des recherches de molybdène du Maroc devraient être conduites par Molybdène. Krupp offrait à ce point de vue aussi son concours financier.
M. Guernier a rendu compte de ces démarches à M. Blondel.
M. Meynial a reçu la visite des mêmes personnes. Il leur a répondu que la société demandant l'aide des gouvernements français et marocain, il ne pouvait être question d'y admettre des participations allemandes pour le moment ; que si, dans trois, quatre ou cinq ans, les travaux montrent qu'un énorme développement, dépassant les possibilités marocaines et françaises, est justifié, il n'était pas exclu a priori de faire appel à des capitaux internationaux, anglais, américains et allemands. Ces messieurs n'ont pas insisté.
- Note complémentaire
M. Friedel a vu M. Blondel le 4 juillet. II est exact qu'en principe le molybdène est dans les substances secondaires dont les prix dépendent du Comité d'organisation, mais en fait le contrôleur financier a exigé que l'affaire fût quand même soumise au Comité de surveillance des prix. Le dossier a été transmis à ce Comité. La décision devra ensuite être soumise à l'approbation des autorités d'occupation. II est peu probable qu'elle soit approuvée. M. Blondel pense qu'il faudra sans doute recourir à une subvention de l'État, comme cela va se faire pour le plomb et le zinc.


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