1944.00.A Robert Labbé.Note (sans date ni émetteur)

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NB : Ce document, sans date ni émetteur, est classé après le 8 septembre 1944, date de l'arrestation d'H. Worms, événement le plus récent mentionné dans le texte.

Note confidentielle pour Monsieur Robert Labbé

Au mois de juin 1943, M. Guérin a reçu la visite d'un inspecteur des Finances, M. de Largentaye, porteur d'une commission rogatoire du commissaire au Blocus pour rapporter à la demande des services de la "Maison Blanche" au sujet de l'activité de la Maison Worms & Cie dans la société Le Molybdène.
Un rapport a été fourni par M. Carette exposant les conditions dans lesquelles, à la demande de l'État français, la Maison Worms & Cie a été amenée à prendre une participation d'environ 40% dans ladite société et à envoyer pour siéger au conseil deux administrateurs, M. Meynial et M. Pitavino.
Le rapport explique que la Maison Worms à Alger est absolument étrangère à la gestion du Molybdène et ignorante des conditions dans lesquelles Worms Paris y participe, mais que, selon toute vraisemblance, s'agissant d'un intérêt minoritaire, le rôle des deux administrateurs qui le représentent au conseil ne dépasse pas celui attaché aux prérogatives de cette fonction d'ordre exclusivement administrative. La gestion commerciale du Molybdène est assurée par une direction générale qui a une activité propre et dans laquelle il ne semble pas que la Maison Worms ait à intervenir.
Le rapport présenté par M. de Largentaye s'inspira de ces considérations, mais quelques mois plus tard, cet inspecteur des Finances vint prévenir M. Guérin que ses conclusions n'étaient pas retenues par le commissariat au Blocus qui, s'appuyant sur un nouveau texte ci-inclus (ordonnance du 6 octobre 1943 concernant la répression des rapports avec les ennemis et la guerre économique), entendait poursuivre l'affaire toujours prétendait-on à la demande de Washington.
Effectivement, le 20 novembre 1943, M. Dhorne et M. Guérin recevaient une convocation du Blocus pour le 23 novembre 1943.
Ils furent reçus par M. Bozel (Richemont) qui, tout en leur précisant que leurs personnalités n'étaient pas en cause, les informa de la décision du Blocus de placer la Maison Worms sous le contrôle d'un commissaire surveillant par application de l'ordonnance ci-dessus citée et en raison de son activité personnelle dans la société Le Molybdène. Lecture et notification furent faites d'un arrêté du 23 novembre 1943 donnant à M. Bienvenu, professeur de droit à la faculté d'Alger, les pouvoirs "de commissaire surveillant" de la Maison Worms & Cie, le mandat s'étendant à "tous établissements, succursales, filiales et participations de ladite société situés sur le territoire administré par le Comité provisoire de la libération nationale".
M. Bienvenu a exercé sa fonction avec âpreté jusqu'à la fin avril 1944, époque à laquelle, ayant été nommé procureur général à la cour à Rabat, il a été remplacé par M. Franceschi agent d'affaire (ancien principal clerc de notaire à Alger).
M. Bienvenu s'est attaché à fournir au Blocus un dossier sur Le Molybdène qui constituerait selon lui un acte d'accusation grave contre la Maison Worms & Cie. Il prétend y démontrer que la livraison de 25 T. de Molybdène pour l'Allemagne et 5 T. pour l'Italie n'a été faite que sur suggestion, offre et organisation d'une prétendue réquisition, que des personnalités de la Maison Worms ont participé et même conduit ces tractations avec un certain M. Acker et M. Hoffmann, secrétaire général du Molybdène à Paris. Il semble que les informations fournies à M. Bienvenu soient d'origine anglaise et surtout américaine.
M. Bienvenu estime en outre que la réquisition, même subie, aurait dû demeurer sans effet et que rien n'était plus facile que de ne pas s'y soumettre. Les difficultés de la livraison du minerai le permettaient. On a, au contraire, prétend-il, tout fait pour les surmonter.
Enfin, le commissaire retient la domiciliation des documents d'expédition et leur paiement chez Worms Alger.
Tout le dossier de cette affaire, qui est volumineux, aurait été apporté d'Alger à Paris par un fonctionnaire du Blocus, M. Viel qui, avec M. Bozel, a dépensé beaucoup d'ardeur contre la Maison Worms.
A noter que la société Le Molybdène a été aussi placée sous le contrôle d'un commissaire surveillant. En raison de la notoriété dont il jouit, M. Dolisie a été lui-même désigné pour assurer sous sa responsabilité la fonction.
Un autre dossier a été constitué par M. Bienvenu pour l'affaire du Consortium maritime tunisien. Il ne semble pas qu'il s'agisse d'une affaire bien sérieuse, elle ne sera suivie par le Blocus que si l'action qu'il a ouverte en déposant une plainte en escroquerie contre M. Rougé à Tunis est suivie.
La libération de la Tunisie a fait mettre sous séquestre le CMT. M. Lebrun Desoie a cru pouvoir, dans cette circonstance, créer des succursales Worms à Tunis et à Sfax. Il en a confié la direction à M. Rougé qui a accepté et en même temps, sans que le séquestre ait été prévenu, a passé avec M. Lebrun Desoie, agissant au nom de la Maison Worms, un accord donnant à bail à cette dernière le matériel et le fond de commerce du CMT moyennant une redevance annuelle de F 130.000.
M. Bienvenu a retenu contre M. Rougé et la Maison Worms une tentative d'escroquerie à l'égard du séquestre du CMT et par suite à l'égard de l'État français, seul gardien des intérêts italiens du CMT, avec l'accord desquels il soutient d'ailleurs que l'opération a été menée.
Il semble que la mort de M. Lebrun Desoie et l'impossibilité où on est à Alger de reconstituer les pouvoirs qui lui auraient permis d'engager la Maison Worms gênent l'action du Blocus.
La plainte contre M. Rougé est à l'instruction à Tunis, un avocat à Tunis et un autre à Alger suivent l'affaire. On espère qu'elle n'aura pas de suite sérieuse.
A noter que M. Lebrun Desoie a négocié l'accord Worms/ CMT, en juillet 1943, qu'il est mort le 21 août suivant, et que le commissariat au Blocus le convoquait pour cette affaire le 13 septembre 1943.
Enfin, M. Bienvenu a enquêté sur les affaires suédoises. Mais il a été arrêté par la production que M. Guérin a pu faire d'une attestation de la Légation de Suède établissant, après enquête à Stockholm, que les affaires en cause étaient d'intérêt exclusivement suédois.
M. Francheschi, successeur de M. Bienvenu, est beaucoup moins agressif, mais il a le souci de remplir exactement le mandat qu'il détient du Blocus, aussi est-il très assidu.
Il connaît les arrestations des associés gérants de la Maison Worms et en tire deux conclusions :
1° - en vertu des pouvoirs très étendus donnés au commissaire surveillant à Alger par l'arrêté du 23 novembre 1943, celui-ci doit soit se rendre à Paris pour y exercer son contrôle, soit demander la nomination d'un commissaire surveillant adjoint qui remplira sur place la mission. Il paraît à peu près certain que M. Francheschi a posé la question aux services du Blocus à Alger et à Paris.
2° - Les pouvoirs des directeurs de la Maison Worms & Cie à Alger sont sans valeur puisqu'ils émanent de procuration de deux associés gérants qui, estime M. Francheschi, sont actuellement dans une situation juridique assimilable à celle d'un incapable.
De ce fait, des délégations provisoires devraient être données pour la direction de la Maison Worms & Cie à Alger dans les conditions prévues par l'ordonnance du 22 août 1944 ci-incluse.
M. Dhorne et M. Guérin pourraient être délégués provisoires, comme M. Carette l'est pour la Setem, mais leur désignation n'est pas certaine et même si elle est faite, elle peut être rapportée avec un préavis de quinze jours, ce qui laisse la place ouverte à tous les risques.
Jusqu'à présent, M. Francheschi a été "contenu" par M. Guérin sur ce point particulier, mais si un concours pouvait être apporté aux deux directeurs d'Alger pour consolider leurs pouvoirs, il serait bon de le leur fournir.
En tout cas, le régime de la délégation provisoire ne recommande pas que M. Dhorne et M. Guérin quittent, même momentanément, leurs postes.


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