1942.07.07.De Worms et Cie Bayonne.A Louis Vignet.Paris.Note

Copie de lettre

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7 juillet 1942
Louis Vignet
Direction des Services charbons - Paris

Cher Monsieur,
Lors de notre dernière conversation, je vous ai fait part de quelques-unes de nos difficultés. Je n'ai pas eu le temps de tout vous dire. La complexité de nos activités et surtout celle que nous imposent les Comités d'organisation et les organismes publics sont telles que nous sommes dans un état d'embouteillage permanent malgré les heures prolongées de travail des chefs de service. Nous avons connu cette situation dans la comptabilité ; elle a duré tant qu'on n'y a pas porté de remède indispensable, celui qui consistait à renforcer notre personnel. Vous avez vu que nous nous sommes remis complètement à jour en peu de temps.
En ce qui concerne nos services administratifs et commerciaux que je qualifierai "d'actifs" nous souffrons d'une insuffisance de personnel qualifié dont je vous avais déjà fait part à diverses reprises. Je me permets de vous rappeler en tant que de besoin que M. Dijonneau a quitté Bayonne ; que M. Lamaison a été détaché à Pau, nous privant ainsi dans le service commercial d'une des unités les plus efficientes aux côtés de M. Lafond. Or, le travail du bureau commercial, en contrôles, comptes-rendus et statistiques ; est plusieurs fois supérieur à ce qu'il était avant la guerre, malgré la considérable réduction du volume des affaires elles-mêmes. La multiplication des clients et la diminution des livraisons à chacun augmentent la création de papiers dans des proportions gigantesques.
En ce qui concerne le contrôle du personnel et tout ce qui en découle, assurances, allocations familiales, cartes d'alimentation, etc., deux employés sont occupés à plein à notre bureau central, sans compter ceux qui, à l'extérieur, contrôlent la main d'œuvre et font parvenir les feuilles journalières de pointage et de compte-rendu des travaux.
Le travail du service dit "du détail", c'est-à-dire d'enregistrement des petites commandes de foyer domestique, a augmenté dans le même volume.
Enfin, les rapports avec les administrations publiques, les comités d'organisation, les contrôleurs des prix, contrôleurs des stocks, leurs visites prolongées journalières et leurs coups de téléphone répétés, stérilement la moitié ou les 2/3 de l'activité des chefs de service ou des employés qualifiés dans le service commercial. On a tous les jours des velléités de les éconduire, mais la chose ne serait pas sans inconvénient ni danger, et, finalement, on est obligé de subir tout cela.
Je conclus donc à la nécessité de disposer dans nos bureaux d'une unité de plus, parfaitement qualifiée, comme membre du personnel, chef ou sous-chef de service ; et je songe, soit à M. Mazière, soit à M. Lamaison.
Or, j'ai trouvé lors de mon dernier passage à Pau, ce dernier extrêmement déprimé physiquement et moralement. Il m'en a d'ailleurs fait part. II se trouve séparé de ses trois enfants dont il a la garde, étant lui-même légalement séparé de sa femme. Voilà bientôt un an et demi qu'il est à Pau ; quand il y était parti, il espérait que la pénitence serait moins longue : elle serait d'ailleurs moins dure s'il avait le libre passage pour venir de temps en temps à Bayonne. Cette situation risquant de se prolonger longtemps, je me demande aujourd'hui si nous ne pourrions pas envisager de faire revenir M. Lamaison à Bayonne ; sa présence nous serait extrêmement utile, par sa connaissance des questions de clientèle. Il nous apporterait de plein-pied un soulagement immédiat. On pourrait alors envisager la solution consistant à faire l'impasse en envoyant M. Mazière à Pau pour remplacer M. Lamaison et c'est ici que mon projet vient se souder à l'idée qui m'avait traversé l'esprit de charger M. Mazière de nos activités nouvelles à Tarbes et autres lieux. Rien n'empêcherait en effet le titulaire de notre agence de Pau de contrôler et d'inspecter nos futures affaires de détail de Pau, Tarbes et Lannemezan. II y aurait là de quoi occuper pleinement un homme ayant la formation commerciale de M. Mazière qui me paraît devoir répondre tout-à-fait à nos désirs. II pourrait, dans ce cas, s'il était d'accord, émigrer à Pau avec toute sa famille puisqu'il n'a pas, que je sache, d'attaches particulières à Bayonne, autres qu'éventuellement certaines petites convenances personnelles.
Je ne lui en ai bien entendu pas parlé encore, puisque tout cela fait partie d'un ensemble qui comporterait tout d'abord son remplacement dans la direction des travaux de la tourbière où un conducteur de travaux et d'hommes nous est nécessaire. Cette solution aurait l'avantage, à mes yeux, de concilier nos besoins immédiats et le soulagement qui nous est nécessaire à Bayonne, avec les convenances de M. Lamaison qui désire certainement y revenir.
Haut-Mauco - Je vous ai fait part de mon avis concernant l'essai d'organisation de Haut-Mauco avec M. Dufils. Ce dernier m'a paru surtout préoccupé de ses propres contingences matérielles, et la chose s'explique dans une large mesure à l'heure actuelle. Mais, il me semble que M. Dufils n'est pas l'homme qu'il nous faut à Haut-Mauco pour divers motifs que je vous ai indiqués. Son âge est trop semblable à celui de M. Gard et son titre de chef de service le met dans une situation un peu fausse vis-à-vis de M. Gard étant donné surtout qu'il s'agit, malgré tout, d'un poste et de travaux de caractère secondaire. Il faut cependant à M. Gard un bon second, sérieux et assidu, pouvant prendre de l'ascendant sur le personnel et remplacer M. Gard pendant ses absences. Je ne vois, malheureusement, dans le personnel de la maison de Bayonne, personne susceptible de faire l'affaire et de s'adapter aux conditions d'existence locale. On aurait pu songer à un célibataire, mais, à la réflexion, la chose n'est pas possible dans les circonstances actuelles. Il faut absolument que l'homme qui soit là-bas ait un ménage car il ne trouverait pas une pension pour le nourrir ainsi que la chose m'est à nouveau confirmée. MM. Gard et Dufils ont les plus grandes difficultés à obtenir qu'on les conserve à titre provisoire à l'auberge Duroux où on veut les congédier tous les huit jours. Ainsi que je vous l'ai dit, nous poussons aussi activement que les circonstances le permettent l'aménagement définitif des deux locaux.
Quant à recruter quelqu'un à Mont-de-Marsan, je n'ose guère y songer, étant donné tout ce que je sais, car les entreprises qui travaillent pour le compte des autorités d'occupation sur les importants chantiers de la région montoise ont raclé à prix d'or tout le personnel civil qu'ils ont pu trouver. On ne peut même plus trouver un "saute-ruisseau".
Tout cela est bien embarrassant pour moi, étant donné surtout les difficultés de communication avec Mont-de-Marsan et le manque d'essence. La vérité est qu'étant donné la multiplicité et l'étendue géographique de nos activités, compliquées des difficultés actuelles de communication, il est nécessaire que je sois entouré de bons chefs de service qui accomplissent les besognes journalières et m'allègent du souci d'entrer dans certains détails dont je suis actuellement obligé de m'occuper, faute de disposer d'assez de gens qualifiés.
Sous réserve de trouver pour Haut-Mauco un remplaçant convenable à M. Dufils, et compte tenu des modifications que je vous propose concernant M. Lamaison, je crois que nous serions réorganisés à Bayonne sur de bonnes bases, à l'exception cependant d'un dernier service qui me préoccupe.
Services extérieurs
Là aussi nous ne sommes plus à la page. Je me permets de vous rappeler que nous avons perdu, au début de la guerre, M. Vinglar, un chef des services extérieurs très efficient. Il n'a pas été remplacé en fait. M. Louis Latapy, notre très ancien et dévoué contremaître des opérations de manutentions pondéreuses, nous apporte tout son dévouement et sa bonne volonté, mais il n'a pas toute la largeur de vues nécessaire pour la direction générale du personnel ouvrier sur divers chantiers. C'est un homme très actif et très efficient dans sa spécialité qui, je le répète, consiste surtout dans les opérations de manutention de matières pondéreuses. Si une activité appréciable revenait dans le port, nous ne pourrions plus nous contenter de lui seul et des contremaîtres qui ne sont, en réalité, que des chefs d'équipe plus ou moins insuffisants, qui l'entourent. Nous avons également eu le malheur de perdre en 1940 un jeune contremaître de 40 ans, M. Oteiza, qui rendait bien et promettait encore mieux.
Nous n'avons plus, rétribués au mois, que 2 braves contremaîtres qui n'ont jamais été de qualité supérieure et qui sont loin d'en gagner en vieillissant. Là aussi, il nous faudrait pouvoir remplacer, sinon immédiatement, du moins dans un certain avenir, M. Vinglar, car l'ensemble de nos cadres extérieurs a beaucoup vieilli et aurait besoin d'être rajeuni.
Mais, sur ce point, je n'insiste pas car le volume des manutentions ne justifie pas encore que je vous demande d'augmenter d'une unité notre personnel, ni même de remplacer ceux qui ont disparu. J'ai simplement tenu à situer la question.
Il y a une considération d'ordre général que je tiens à mentionner pour terminer et qui éclaire d'un certain jour le problème des effectifs ; elle ne vous a certainement pas échappé par ailleurs. C'est le fait que, depuis 1937, l'ensemble des temps de travail obligatoires du personnel a été très sensiblement abaissé. On a tout d'abord ramené la semaine de 48 à 40 heures et les conventions ont ensuite donné à certains membres du personnel dont la présence est la plus nécessaire, 3 semaines de congé à certains qui n'avaient jusque-là que 15 jours, un mois à d'autres qui n'avaient que 3 semaines. Je sais bien qu'au nombre des motifs qui avaient milité en faveur de la loi de 40 heures, on avait affirmé que le rendement n'en souffrirait pas... parce que "l'ouvrier" pourrait produire autant en 40 heures qu'en 48 heures. Je veux bien admettre que la chose est en partie vraie dans certaines industries spéciales, mais elle est globalement fausse pour nous.
Pour assurer donc un travail d'ensemble équivalent, il faut, toutes choses restant égales, plus de personnel qu'en 1936.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l'expression de mes sentiments tout dévoués.


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