1942.03.04.De Worms & Cie services charbons.Note sur la carbonisation du bois

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Note

Avant la guerre de 1939, et malgré les efforts consi­dérables déployés par les propriétaires forestiers qui arrivaient très mal à vendre leurs taillis, la carbonisation du bois ne s’effectuait en France qu’à un rythme ralenti : à part quelques grandes usines particulièrement importantes, il n’y avait pas, à propre­ment parler, d’industrie de carbonisation : la fabrication du char­bon de bois était le type même de l’industrie artisanale.
Entre les usines de distillation et de carbonisation, qui traitaient le bois pour en obtenir, non seulement le charbon de bois, mais encore tous les sous-produits (acide acétique, al­cools, acétone et cétones supérieures, etc...) et la meule du char­bonnier de forêt, venue en droite ligne, et sans modifications essentielles, des profondeurs de l’histoire, il n’y avait rien, pour l’excellente raison que les débouchés normaux du charbon de bois se trouvaient réduits. En dehors des utilisations domestiques dans certaines régions mal approvisionnées en combustibles minéraux, le charbon de bois ne se vendait guère que pour l’exportation ; l’in­dustrie des gazogènes sortait peu à peu du berceau et le « gaz des forêts », dont on parlait beaucoup, n’était guère utilisé, comme force motrice, que par un petit nombre de camions, dont beaucoup étaient des prototypes : d’après les chiffres communiqués ces temps derniers au cours d’une assemblée corporative agricole, M. Pierre Caziot, ministre de l’Agriculture, indiquait qu’avant la guerre, la production mensuelle de charbon de bois n’était guère que de 18.000 tonnes : 150.000 ouvriers travaillaient dans les forêts et le nombre des gazogènes montés sur voitures automobiles était seulement de quelques milliers.
Dès l’armistice, la pénurie de carburante à base de pétrole amena tout naturellement les pouvoirs publics à utili­ser, au maximum, les possibilités de la forêt. Un vaste plan d’en­semble fut dressé ; on construisit 50.000 gazogènes en un an, et d’un seul coup, la demande de charbon de bois se trouva considéra­blement augmentée, cependant que les possibilités de main-d'oeuvre diminuaient et que des difficultés de toute nature venaient compliquer encore la tâche des industriels.
Néanmoins, malgré l'absence de près de 100.000 bûcherons, soit 42 % de la main-d’oeuvre nécessaire au plan actuel, la production mensuelle de charbon de bois est passée à 52.000 tonnes. La nécessité de mettre très vite d’importantes quantités de charbon de bois à la disposition des usagers, amena la généra­lisation de l’emploi des fours en tôle du type de la meule, qui avaient comme seul avantage celui d’être facilement fabriqués, ra­pidement mis à la disposition des forestiers et d’être menés faci­lement par des ouvriers non spécialisés. Ces fours, construits en très grand nombre par l’administration des eaux et forêts, avaient le très grave inconvénient de gaspiller une partie importante des richesses du bois; tous les goudrons et tous les sous-produits étalent brûlés ; le rendement du charbon de bois lui-même n'attei­gnait pas les 2/3 du rendement moyen d’une carbonisation en vase clos: alors que dans ce cas, on obtient couramment 90 ou 100 Kgs de charbon de bois au stère de bois enfourné, il faut des condi­tions exceptionnelles pour qu’un four type « eaux et forêts » donne plus de 55 à 60 Kgs de charbon de bois.
Parallèlement, les grandes usines continuaient leur activité dans des conditions de rendement beaucoup plus favorables, mais pas toujours avec un prix de revient satisfaisant : les grandes usines, même placées dans des centres forestiers importants, arri­vent, en effet, à faire le vide autour d’elles, et pour les alimen­ter, on doit souvent faire venir le bois de grandes distances, ce qui est de plus en plus difficile dans les circonstances présentes.
Ainsi se trouve posée la question essentielle qui domine tout le problème de la carbonisation : faut-il que le bois soit amené au four ou, au contraire, que le four aille au bois ? L’administration des eaux et forêts, pressée par le temps, a mul­tiplié les installations de fours mobiles dans les forêts, mais de fours à rendement déplorable et peu susceptibles de résister long­temps. Parallèlement, un certain nombre de techniciens de la carbo­nisation ont pensé qu’il était préférable de multiplier les usines réparties sur le territoire métropolitain dans les régions les plus boisées, chacune de ces usines obtenant, au moment de sa fondation, la garantie d’un approvisionnement suffisant pour son fonctionnement.
Le plan des « cent usines », pour séduisant qu’il pa­raisse à première vue, du fait qu’il envisage un traitement ration­nel du bois et la récupération poussée des sous-produits, se heurte aux mêmes difficultés qu’éprouvent les grandes usines du bois exis­tent déjà depuis de longues années.
Au centre même d'un des massifs forestiers les plus considérables de France, en Nivernais, les Usines de Clamecy et de Prémery qui sont les plus importantes de France, ont éprouvé, de­puis de longues années, ces difficultés de ravitaillement et doi­vent faire face, dès maintenant, d'une manière plus difficile en­core, au redoutable problème de l'approvisionnement en bois. Que serait-ce alors si l'on multipliait les usines de carbonisation dans des régions forcément moins boisées, même en leur garantissant un périmètre qui leur serait exclusivement réservé ? Tandis que se poursuivaient, d'une part, l'expérience des eaux et forêts avec leur four du type de la meule, d'autre part, l'étude et un commencement d'exécution du plan des « cent usines », d'autres tech­niciens de la carbonisation pensaient qu'il serait préférable d'al­ler à la forêt chaque fois que ce serait possible, mais en employant des fours capables de distiller et de carboniser le bois, tout en récupérant les sous-produits. C'est ainsi qu'est apparu un nou­veau type de four semi-mobile susceptible de traiter la charbonnette prise sur les coupes et d'en tirer un charbon de bois comparable à celui des usines avec un rendement analogue à celui des installa­tions fixes. Dès lors, il est à se demander si la véritable solu­tion au problème de la carbonisation ne serait pas une combinaison des grandes usines fixes avec l'utilisation de fours mobiles à ré­cupération placés à leur périphérie, à. une distance telle que le transport du charbon de bois et des sous-produits qui pourraient être traités par ces usines, reviendrait à des prix beaucoup plus bas que le transport du bois à ces mêmes usines : il semble, en effet, difficile de séparer des usines fixes les fours mobiles à récupération, ces derniers produisant en quantité appréciable des goudrons et des jus pyroligneux qu'il est normalement très difficile de traiter sur coupe autrement que d'une manière sommaire. Il est donc nécessaire d'envisager un ramassage de ces matières pre­mières au profit de centres de traitement, ceux-ci ne se trouvant pas trop éloignés pour que le problème du transport ne joue pas à nouveau contre l'économie du système.
La carbonisation du bois, qu'elle soit faite en usine ou en forêt, exige presque toujours un conditionnement du charbon de bois[1]. La plupart des concasseurs qui, après criblage ramènent le charbon de bois aux dimensions légales, à savoir :
- charbon de bois n° 1 pour gazogènes : 8/30 m/m
- charbon de bois n° 2 pour gazogènes : 25/70 m/m,
donnent une quantité de poussière allant de 10 à 15 %. On voit immédiatement qu'il y a une nécessité absolue à utiliser ces poussières sous peine de perdre une partie importante du combustible. La plu­part des techniciens conseillent d'agglomérer ces poussières, mais en général, la teneur en cendres des produits obtenus est considé­rable, car les fines de charbon de bois provenant du concassage sont constituées en grande partie sur les écorces qui ont en teneur en cendres élevée. Pour obtenir des agglomérés susceptibles de répondre aux normes (humidité 4 %, teneur en cendres 7 % maximum) imposées par la loi pour l'utilisation des gazogènes, il est indispensable de mélanger à ces fines une proportion quelquefois importante de char­bon de bois pur : cette proportion peut aller jusqu'à 50 et 60 % du poids de l'aggloméré.
De là à envisager, comme certains l’ont fait, le concas­sage de tout le charbon de bois produit et l’agglomération de la poussière ainsi obtenue, il n’y avait qu’un pas ; un certain nombre de techniciens l’ont franchi et ont préconisé la généralisation de la fabrication des agglomérés, en faisant valoir, ce qui est exact, que c’est la seule façon d'obtenir, avec le charbon de bois, un produit homogène à caractéristiques à peu près constantes, quelle que soit l'origine des bois utilisés; au surplus, les agglomérés ont une densité apparente plus élevée que celle du charbon de bois, ce qui augmente considérablement le rayon d'action des véhicules.
Malheureusement, le liant le meilleur est constitué par le brai et le goudron, utilisés en mélange ou séparément. Or, ces produits, - le premier surtout, - sont très rares. De plus, après la fabrication de l'aggloméré, il est nécessaire de le recuire à plus ou moins haute température, de façon à éliminer complètement le goudron qui est très nuisible dans les gazogènes.
Nous savons que plusieurs inventeurs ont mis au point des procédés permettant d'éviter l'emploi des liants du type brai ou goudron : les agglomérés ainsi faits n'ont pas à être recuits, mais doivent simplement être séchés à une température qui ne dépasse pas 100°[2].
Telles sont les données du problème de la carbonisation tel qu’il se présente actuellement en France.
Du point de vue administratif, toutes les questions concernant le bois et la carbonisation dépendent du comité central des groupements interprofessionnels forestiers qui vient d’être, par une récente disposition législative (Journal Officiel du 6 février 1942 - page 543), confirmé dans ses fonctions.
En ce qui concerne la fabrication du charbon de bois et des agglomérés pour gazogènes, il y a lieu de noter la création de deux comités particuliers : le comité d’organisation des combustibles solides pour gazogènes et le comité d’organisation du com­merce et de la distribution des combustibles pour gazogènes. De création relativement plus récente que le comité central des groupements interprofessionnels forestiers, ces deux comités travail­lant en liaison avec celui-ci, dans le but d’organiser les diffé­rentes professions relevant de la carbonisation du bois, de la fabrication et de la vente des agglomérés de charbon de bois. En outre, les grandes usines de produits chimiques à base de bois ap­partiennent au comité d'organisation des industries chimiques.
Que sera l’avenir de la carbonisation ? Il est bien difficile de s’en faire une idée. L’après-guerre verra-t-elle la disparition d’un grand nombre d’industries nées pendant la crise ?
Assisterons-nous, au contraire, au développement d’une industrie naissante comme celle de la fabrication des agglomérés de char­bon de bois ? L’utilisation des sous-produits de la carbonisation sera-t-elle généralisée, ou verrons-nous se maintenir le quasi-monopole des grandes usines ? Autant de questions auxquelles on ne peut pas donner actuellement de réponses précises, il nous semble toutefois que dans une organisation économique vraiment digne de ce nom ou tout doit tendre à la meilleure et complète utilisation, des produits naturels, en vue d’en tirer le maximum d’applications pratiques, on ne devrait pas revoir le gaspillage des produits forestiers que nous avons connu ces derniers mois : la carbonisation avec récupération qui, en principe, est, dès maintenant, imposée, devrait être généralisée, les procédés mil­lénaires de la carbonisation en meule étant définitivement abandonnés.
L’industrie des gazogènes qui fait, chaque jour, sous nos yeux, des progrès considérables, devrait, croyons-nous trouver une stabilité dans une généralisation des gazogènes pour tout ce qui concerne les véhicules poids lourds. Enfin, les jus pyroligneux dont on envisage dès maintenant l’utilisation sous plusieurs formes, telle que injection des traverses de chemin de fer, fabrication d'insecticides, fabrication de carburants, récupération d’acide acétique, etc..., devraient continuer être la base de toute une industrie chimique, non seulement dans les grandes usines, mais dans de petits centres alimentés par des fours semi-fixes, plus souples dans leur exploitation, à condition de résoudre les problèmes de logement et de transport des sous-produits.
4/3/42.

 

 

[1] À notre connaissance, il n’existe qu’un seul four semi-mobile donnant au départ de la charbonnette de 66 cm de longueur, un charbon de bois conditionné, prêt à être utilisé dans les gazogènes. Tous les autres fours exigent un conditionnement du charbon produit.

[2] Nous poursuivons l’étude et la mise au point d'un procédé de ce type qui semble devoir donner des résultats intéressants, en utilisant un liant végétal facile à trouver et à mettre en oeuvre et brûlent en ne donnant qu'une proportion infime de cendres.

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