1939.06.07.A Jacques Barnaud.Note sur la SFTP

Copie de note

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

A l'attention de Monsieur Barnaud

Service de la nourriture à bord des navires de la SFTP

Rappelons que les articles 72 à 78 du code du travail maritime fixent les obligations de l'armement vis-à-vis du marin en ce qui concerne la nourriture et le couchage. De ces textes, il résulte que la nourriture ou l'allocation équivalente à celle-ci font partie intégrante du salaire du marin. Rien n'est spécifié en ce qui concerne la façon dont l'armateur doit se libérer de ces obligations ; toutefois il lui est interdit de faire nourrir à forfait par le capitaine ou un membre de l'équipage, de même et ceci d'ordre général, le système de l'économat est prohibé.

2°- Historique
Avant septembre 1936 les Services maritimes de Messieurs Worms & Cie chargeaient le capitaine de la nourriture, celui-ci agissait en tant que mandataire de l'armateur pour l'achat des vivres et rendait compte en fin de mois de sa gestion.
Indirectement l'armement en était arrivé insensiblement au régime du forfait et ce pour plusieurs raisons. La première c'est que le contrôle exercé par l'armateur obligeait les capitaines à se tenir dans des limites bien déterminées ; la seconde c'est qu'à tort ou à raison, on faisait entendre aux capitaines que si leurs émoluments n'étaient pas très élevés et ne correspondaient pas au "standing" accordé à leurs camarades des compagnies subventionnées, ils avaient l'avantage de la nourriture et dans ces conditions la limite adoptée par les capitaines était toujours la limite maximum autorisée par l'armement. Il n'y avait donc aucune illusion à avoir et il était admis que les capitaines prélevaient sur leur compte de gestion une dîme personnelle. Dans un armement aussi important, par le nombre de ses capitaines, que celui de Messieurs Worms & Cie, fatalement des excès devaient se produire. Ces excès entraînèrent une réaction des syndicats d'officiers et d'équipages et sans en avoir la preuve formelle, nous nous sommes laissé dire que Monsieur Marius Petit, administrateur de la Safan avait agi en sous-main pour appuyer ce mouvement, comptant sur son organisation pour se faire confier l'entreprise de restaurant sur les navires de la Maison Worms.
La Nochap, elle, eu égard à son trafic (lignes régulières au départ du Havre) et à son exploitation (cargo mixte) en était déjà depuis longtemps au régime du service de restaurant confié à une entreprise, la Safan. Le résultat des forfaits établis n'était pas en septembre 36 en faveur de ce système ; les prix pratiqués étant légèrement supérieurs à ceux obtenus par la Maison Worms. D'autres inconvénients plus graves se manifestaient, en particulier la Safan, entreprise de restaurant, s'était réservée un certain nombre de droits : privilège de la cave, du tabac et même en fait celui de la pacotille, c'est-à-dire la possibilité de faire du commerce des vivres à Madagascar tant à l'importation qu'à l'exportation. On doit cependant avouer que maintenant le contrat à forfait Safan, tel qu'il est pratiqué chez Nochap est plus favorable que celui mi-forfait, mi-régie des services maritimes.

3°- Quels sont les besoins de la SFTP ?
Instruits de l'expérience de Nochap et de celle des Services maritimes, la SFTP a repris la politique antérieure à septembre 1936 et a confié aux capitaines la gestion de la nourriture. Au début les résultats obtenus ont été identiques à ceux des compagnies concurrentes (le prix de revient était de l'ordre de F 18) par la suite et pour des prétextes plus ou moins justes nous en sommes arrivés à F 21 et F 22 aujourd'hui.
Pourquoi avons-nous pris le système gestion capitaine ? Tout d'abord parce qu'il était employé par nos concurrents et qu'il est le seul présentant la souplesse désirable pour des navires long-courriers faisant du grand tramping. Nous n'avons pas à proprement parler de port de tête de ligne, nos navires sont appelés à fréquenter toutes les mers du globe et il n'existe pas dans le monde une entreprise de restaurant possédant des agences ou des sous-agences réparties partout.
Par ailleurs notre société étant jeune, était obligée de s'appuyer complètement sur ces capitaines et nous étions obligés de leur redonner toute l'autorité qu'ils avaient antérieurement. Le système restaurant tel qu'il est pratiqué à la Nochap introduit à bord des navires un personnel indésirable et sur lequel l'armement n'a peu ou pas de pouvoir, nous avons nommé les agents du service général. Ce personnel n'est pas marin et relève directement, sauf pour la discipline, de l'entreprise de restaurant, les inconvénients sont connus, nous les trouvons peut-être à un degré moindre à la Nochap, mais l'exemple de la CGT suffit pour les préciser.
Etant donné qu'en France les vivres sont en général moins chères qu'à l'étranger, nous avons donné à nos bords l'ordre d'y faire le plein d'approvisionnements et comme la Safan est la société la mieux organisée en fait c'est elle qui fait la quasi-totalité des vivres de la SFTP. En résumé, notre seul désir est d'obtenir une réduction importante de Safan sur le prix d'achat payé par nous des vivres, et grâce au contrôle exercé ici, nous sommes convaincus que nous pouvons obtenir un régime très satisfaisant.
La proposition des Services maritimes de créer un économat nous satisfait aussi pleinement ; que nous achetions nos vivres à la Safan où que nous passions par les Services maritimes, le résultat sera pour nous le même pourvu que les prix pratiqués soient identiques.
Reste à savoir si la solution économat est viable ; ceci n'est pas de notre ressort mais nous pensons que pour avoir une organisation identique à celle de Safan, et ceci est une nécessité pour nous, les frais généraux seront considérables et nous craignons que Ies Services maritimes ne prennent en cette affaire leurs désirs pour une réalité.
Dans nos conversations avec Monsieur Marius Petit, celui-ci nous a fait entrevoir que contre l'exclusivité de la fourniture des vivres en France celui-ci serait disposé à nous consentir un rabais considérable sur son tarif courant, comme il le fait pour la Can et il nous a donné l'assurance qu'il avait supprimé les divers "pourboires" destiné à nos capitaines ; l'affaire est donc en bonne voie, l'autorité de notre président aidant, elle doit être facilement résolue.
A signaler que dans nos conversations, Monsieur Marius Petit nous a fait savoir que son chiffre d'affaires était de l'ordre de F 20.000.000. Comme nos calculs nous ont démontré que SFTP, Nochap et Worms représentaient une dizaine de millions, nous sommes donc les clients principaux de la Safan ; avant de nous lancer dans l'entreprise aventureuse de l'économat, ne serait-il pas plus sage d'essayer de peser sur Safan et d'obtenir d'elle l'extension aux Services maritimes du régime de Nochap et pour SFTP, les réductions importantes promises ?
Par ailleurs s'agissant d'un service aussi important que celui de la nourriture, ne serait-il pas intéressant pour la Maison, principal client de Safan, d'entrer dans le conseil d'administration de cette société et d'exercer ainsi sur cette affaire un certain contrôle ? Monsieur Marius Petit aurait mauvaise grâce de s'y refuser, en tous cas, la suppression de notre clientèle aurait pour résultat de quasi ruiner son affaire.


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