1939.00.D'Edgar Faure.Le pétrole dans la paix et dans la guerre.Ouvrage.Extraits

NB : Photocopies des pages 168 à 172 d'un ouvrage d'Edgar Faure, intitulé "Le Pétrole dans la paix et dans la guerre", Bibliothèque d'histoire politique militaire et navale, éditions de la Nouvelle Revue critique, 12, rue Chanoinesse, Paris (IVe) ; préface d'Anatole de Monzie.

Pétrole

Le transport à envisager serait normalement celui des produits finis plutôt que des produits bruts, et ce malgré le développement de l'industrie nationale du raffinage. En effet :
1° Les raffineries françaises actuellement existantes occupent pour la plupart une situation exposée.
2° Les installations qui viendraient à être nécessaires pour la réception et !e conditionnement des produits pétrolifères, soit en supplément, suit en remplacement de celles existantes, seraient établies avec beaucoup p!us de rapidité pour les produits raffinés.
3° Les risques, difficultés et aléas du transport étant les mêmes pour les produits bruts que pour les produits raffinés, il est probable qu'en cas de besoin urgent vital, on préférerait transporter du raffiné, qui permettrait de disposer immédiatement de produits utilisables sans courir de nouveaux aléas et s'exposer à de nouvelles difficultés par un traitement sur le territoire ; au surplus, à égalité de moyens, le transport du raffiné assure la disposition d'une quantité supérieure de marchandises utilisables, puisque le brut laisserait nécessairement un déchet au traitement.
4° La plupart des gros fournisseurs de l'étranger disposant d'une installation de traitement préfèreraient sans doute vendre, des produits raffinés comme plus rémunérateurs, et nous ne serions guère en mesure de leur poser nos conditions.
Il importe donc de s'assurer, pour l'alimentation des armées et de l'ensemble des services, la disposition d'une flotte capable de transporter les produits finis.
En dehors de la marine nationale, les compagnies françaises possèdent un certain nombre de pétroliers en majorité affectés au transport des produits bruts destinés à l'alimentation des raffineries nationales. Ils pourraient être sans difficulté affectés au transport des produits finis. Malheureusement cette flotte est encore peu importante et ne pourrait dispenser de faire appel aux bâtiments étrangers(1).
Diverses mesures ont été prises afin de la développer. D'abord on se contenta de distribuer des subventions aux navires-citernes construits en France ou francisés et battant pavillon français. Ces subvention étaient prélevées sur le budget de l'Office national des combustibles liquides, par affectation de la moitié du produit de la taxe de 10 francs par tonne de pétrole brut importé payée par les importateurs à cet organisme. On demeurait donc dans la logique du système de l'imposition à l'industrie privée des charges d'intérêt public. Le régime des primes et subventions a été amélioré par décrets des 14 juin et 2 septembre 1938.
Des mesures plus directes ont été consacrées par le décret du 19 mars 1938 qui prescrit aux importateurs d'employer, pour leurs importations, au moins 50% du fret sous pavillon français ou agréé par une commission spéciale.
Le problème résultant de ces nouvelles dispositions a été résolu sans trop de difficultés pour les grosses firmes, et particulièrement pour les filiales des trusts étrangers exploitant en France. Ces sociétés, lors même qu'elles ne possédaient pas une flotte battant pavillon français, avaient la ressource de faire agréer par la commission des navires étrangers transportant pour leur compte. L'administration a exigé, pour ces navires étrangers, l'adoption d'une charte-partie prévoyant en particulier que les contrats, conclus pour une longue période, devraient être exécutés, même en cas d'hostilités, pour la durée prévue. Tel était d'ailleurs le principal objectif de la réforme.
La question est beaucoup plus délicate pour les petits importateurs : en thèse générale, ceux-ci sont toujours plus lourdement atteints que les grandes maisons par l'incidence des charges d'intérêt public. Les petits importateurs ne disposant pas de flottes sont obligés de se grouper pour l'affrètement d'un bateau et de faire agréer !a charte-partie par la Commission d'agrément, qui n'agrée en principe les bateaux que pour plusieurs voyages.
La Commission s'efforce d'ailleurs, dans la majorité des cas, de se montrer libérale vis-à-vis des petites et moyennes sociétés et de ne pas entraver leur commerce : on ne peut que la louer de ces dispositions, dès l'instant que les grandes compagnies, qui représentent plus de 90 % du marché ont pu sans trop de peine se mettre en règle avec la loi et en assurer ainsi l'efficacité.
On ne peut d'ailleurs se dissimuler que, malgré toutes les mesures, le fret des bateaux-citernes se trouverait encore fort insuffisant si dans un temps rapproché un conflit venait à éclater. Il faudrait donc recourir au fret étranger dans la mesure où celui-ci serait disponible pour nos besoins : on envisage aussi la transformation rapide de certains cargos en tankers.
La nouvelle orientation de la politique des transports. - La Société française des transports pétroliers
Enfin nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la politique des transports avec la constitution en août-septembre 1938 de la Société française des transports pétroliers, qui est une société d'économie mixte organisée sur le type de la Compagnie française des pétroles et de la Compagnie française de raffinage.
Cette société dont le capital a été fixé à 30 millions, divisé en 60.000 actions de 500 francs (sur lequel l'ONCL a souscrit 9 millions de francs) comporte en outre 12.000 parts bénéficiaires remises à l'État (dont 6.000 ont été rétrocédées à l'ONCL) en contre-partie de la garantie inconditionnelle donnée par l'ONCL pour le paiement du principal et des intérêts des obligations que la société viendrait à émettre jusqu'à concurrence d'un capital nominal de 200 millions. L'ONCL doit maintenir une participation de 30 % dans les augmentations de capital à venir. (En vertu du décret du 22 août 1938, l'ONCL doit constituer à ce sujet une réserve de 6 à 35 millions). Les actions ne sont cessibles qu'à l'État français, à l'ONCL, à des établissements ou services publics désignés par l'État, ou à des personnes physiques ou morales de nationalité française. (S'il s'agit de sociétés, les administrateurs ou les gérants devront eux-mêmes être en majorité Français.)
La société a pour objet toutes opérations d'achat, d'armement et d'exploitation de navires-citernes ; de navigation, d'armement, d'affrètement, de consignation et de commission, la construction d'immeubles, chantiers et usines, etc.
L'État désigne deux administrateurs et un commissaire du gouvernement.

Conclusion. - Telles sont les principales mesures prises pour l'utilité directe de la Défense nationale, et communément imposées à l'industrie privée (on peut y ajouter la réglementation des essences synthétiques, que nous avons analysée au chapitre II). Si insuffisantes qu'elles puissent encore apparaître au regard des nécessités au jour d'une conflagration internationale, elles représentent l'aboutissement d'un effort sérieux, couronné jusqu'à présent d'autant de succès qu'il était raisonnablement possible d'en escompter dans une matière aussi délicate. Par contre, elles font peser sur la marchandise une charge considérable qui se traduit dans le prix de revient et retombe en définitive sur le consommateur, non sans poser pour l'importateur un problème de financement que nous allons étudier.
On distingue d'ailleurs certains indices nouveaux dans la politique de la Défense nationale concernant les carburants. Un organe de direction et de coordination a été créé, le Comité des carburants, qui est placé sous l'autorité du présent du Conseil, ministre de la Défense nationale (décret du 10 février 1938). Ce comité a pour objet d'assurer l'exécution du plan national de ravitaillement en carburants, comprenant notamment d'après le rapport les mesures suivantes : « Accroissement des stocks nécessaires pour parer aux besoins immédiats de la mobilisation, construction de navires pétroliers, de dépôts et d'un pipe-line destiné à doubler la voie fluviale pour les transports vers les régions du centre et de l'est, intensification des recherches et de la protection, développement des procédés d'hydrogénation. »
Il semble que sous l'impulsion de ce comité les mesures déjà annoncées seront resserrées. Sans doute aussi s'orientera-t-on vers un système ne faisant plus reposer uniquement sur l'industrie privée les charges des mesures de Défense nationale, et vers une plus grande contribution des Pouvoirs publics à la mise en oeuvre et au financement de ces mesures.
Un exemple remarquable en est fourni par la décision de créer un pipe-line de 450 kilomètres, allant de Saint-Nazaire à Montargis, pipe-line souterrain qui constituera un organe excellent de communication entre la mer et le coeur du pays. Il est possible que ce ne soit là que l'axe d'un réseau plus important de transit souterrain. Il est encore trop tôt pour pouvoir se prononcer sur l'avenir de cette formule.


(1) L'ensemble de notre flotte pétrolière représente 241.000 tonnes brutes. Nous sommes ainsi au huitième rang dans le monde et au cinquième en Europe.

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