1936.01.28.Des ACSM.Note.Prix de revient de la construction navale en France

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28 janvier 1936

Note

Nos Chantiers qui, en dehors de nombreux bâtiments de guerre et d’un important matériel de travaux publics, ont construit depuis 1921 31 cargos et 5 grands pétroliers sont évidemment susceptibles, avec les Chantiers de France, de fournir le maximum d'informations sur le prix de revient exact de la construction navale en France pour cette catégorie de navires.
En vue de répondre à l’enquête du Conseil national économique j’ai fait récapituler dans un tableau pour l’ensemble de tous ces navires la main-d’œuvre dépensée et le prix des matières employées de sorte qu’en imputant un coefficient de frais généraux convenable et un bénéfice équitable on arrive à savoir quel aurait été le prix normal de ces différentes constructions par rapport à leur prix contractuel effectif.
Il semble toutefois qu’il soit impossible de tirer de ce tableau un enseignement réel en ce qui concerne la détermination même du taux de protection nécessaire pour la construction navale française et ceci pour plusieurs raisons :
a) un nombre important des navires figurant dans notre liste résultent de commandes de l’État (cargos charbonniers de 4.700 tonnes) ou de notre propre armement et les prix de ces unités n’ont pas été à strictement parler soumis à la concurrence étrangère,
b) une autre partie de ces marchés de construction ont été signés à la faveur de l’extrême baisse du change français et par conséquent dans une période totalement anormale,
c) enfin en ce qui concerne les constructions les plus récentes nous avons subi toute l’évolution et toutes les transformations du crédit maritime avec des méthodes très différentes de fixation du taux des allocations d’intérêt et des procédés encore plus divers pour le financement desdites allocations ; de sorte qu’une règle générale ne peut absolument pas être dégagée.

En raisonnant toutefois sur le cas de "Shéhérazade" qui constitue notre construction la plus récente et la plus importante on peut constater que même avec la protection qui nous a été donnée par le crédit maritime le prix contractuel n’a pas encore été un prix suffisant et que le prix normal de construction aurait dû dépasser le prix contractuel d’environ deux millions de francs.
Par contre il est possible de tirer de notre tableau des indications extrêmement intéressantes en ce qui concerne la répartition du prix de revient moyen de nos navires en ses trois éléments : matières, main d’œuvre et frais généraux.

En prenant pour les frais généraux le taux de 90 % qui correspond à celui pris en considération dans la dernière étude de prix de revient faite par la Chambre syndicale des constructeurs de navires, on aboutit en effet pour la totalité de nos constructions à la répartition suivante :

- Matières et frais divers 

 F 173.250.000

- Main-d’œuvre 

  F 49.238.000

- Frais généraux 

  44.315.000

- Prix de revient total de nos constructions 

  F 266.803.000

Du tableau ci-dessus il résulte donc que les matières entrent dans le devis moyen pour 64,935 %, la main d’œuvre pour 18,455 % et les frais généraux pour 16,610 %.
Or si l’on rapproche ces chiffres de ceux qui figurent dans la récente déposition de M. Fould devant le Conseil national économique, c’est-à-dire :

- Matières 

 50,25 %

- Main-d’œuvre 

 27,65 %

- Frais généraux 

 22,10 %,

on aboutit à montrer que non seulement les vues exposées par notre Chambre syndicale sont justes, mais qu’elles sont même plutôt modérées.
Aux interrogations qui pourront nous être faites nous n’avons donc qu’a répondre en renforçant les dites conclusions que je résume comme suit :
1° - Il est incontestable que le prix des matières seules dans le prix de revient français est actuellement supérieur au prix total du bateau étranger et cela dans une notable proportion. C’est donc essentiellement le fardeau de notre système protectionniste qui aboutit aux prix élevés de notre construction navale et comme nous n’y pouvons rien changer directement nous avons le droit incontestable d’obtenir les compensations douanières que nous réclamons.
2° - En ce qui concerne la main-d’œuvre il serait évidemment possible par une construction en série d’arriver à des résultats un peu meilleurs que ceux actuellement enregistrés, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur l’ordre de grandeur de cette réduction par rapport au prix de revient total. D’ailleurs la possibilité de construire en série est plus le fait des armateurs que des chantiers.
3° - Enfin en ce qui concerne les frais généraux il est également évident que leur coefficient imputable dans le prix de revient du navire doit diminuer très sensiblement lorsqu'augmente dans un chantier la main-d’œuvre consacrée à la production ; il faut toutefois constater qu’une part importante de frais généraux, que M. Fould estime à 50 % et que pour notre part nous évaluons plus modestement à 35 %, varie d’une manière rigoureusement proportionnelle à cette main-d’œuvre de production.
En supposant donc que 65 % environ de frais généraux demeurent à peu près stables, quelle que soit l’activité d’un chantier, il en résulte que si l’on double cette activité - ce qui semble être le maximum de nos espoirs – le coefficient correspondant de frais généraux diminue de moitié, soit finalement une diminution d’environ 5 % du prix de revient.
Et je crois finalement que c’est à ce chiffre de 5 % qu’il faudrait se contenter d’arbitrer la diminution de prix de revient à escompter d’un large accroissement d’activité des chantiers, basée ou non sur une concentration, le reste étant uniquement affaire du prix des matières et du taux de la main-d’œuvre.
Je crois que l’évocation devant le Conseil national économique des difficultés rencontrées à diverses reprises pour arriver à constituer un accord commercial général entre les chantiers français peut présenter certains inconvénients.
1° - D’abord nous devons constater que les efforts faits actuellement par la Chambre syndicale s’ils aboutissent amélioreront surtout la condition des chantiers qui construisent habituellement le plus de cargos et de pétroliers, c’est-à-dire en l’espèce les Chantiers de France et nos Chantiers. Et si nous reconnaissons que d’une certaine manière la collectivité travaille à notre avantage je crois qu’il serait dangereux de heurter ceux de nos collègues qui au fond n’ont pas le même intérêt à l’aboutissement des démarches actuellement entreprises.
2° - À trop évoquer la question des ententes commerciales pour la marine marchande ou pour les marines militaires étrangères ne risquons-nous pas un jour de nous voir objecter que la seule entente que nous réussissions parfaitement concerne la Marine militaire française ?
3° - Enfin le Conseil national économique ou du moins la sous-commission qui doit nous entendre représente par certains de ses membres une tendance nettement bolchevisante ; or je pense que nous n’avons pas à étaler devant elle nos difficultés inter-patronales.
Somme toute le but à atteindre à l’heure actuelle est d’obtenir la plus large marge possible de protection pour la construction française. Or comme je l’ai déjà dit lors d’une séance du Consortium national des constructions navales la protection qui résulte en ce moment du crédit maritime est d’environ 40 à 42 %, celle réclamée par la Chambre syndicale est de 53 %, nous nous battons donc pour une marge d’environ 10 % qui est toutefois la plus importante puisqu’elle représente le bénéfice du chantier.
Il faut donc veiller à ne point apporter devant le Conseil national économique telles observations qui, permettant de critiquer les constructeurs, conduisent finalement l’Administration à résorber cette marge de 10 % pour laquelle nous nous battons ou même à reconnaître officiellement un taux de protection qui soit finalement inférieur à celui tel qu’il résulte du crédit maritime.

Le Trait, le 28/01/1936

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