1917.07.17.De Worms et Cie Port-Saïd

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Worms & Cie

Port-Saïd (Égypte)
Le 17 juillet 1917
Messieurs Worms & Cie - Paris

Messieurs,
Nous répondons ici au paragraphe de votre lettre spéciale du 30 écoulé ayant trait à la lettre que vous a adressée un M. Garangiotis et dont vous avez bien voulu nous remettre une copie.
Il y a eu en effet un incident assez vif entre votre directeur et ce Monsieur, de nationalité grecque, qui, malgré l'avertissement qui lui avait été donné, s'était rendu à bord du "Ville-de-Bordeaux" pour obtenir du capitaine un bon d'embarquement pour des oignons qu'il voulait expédier à Marseille. Il pensait ainsi s'assurer la priorité sur d'autres expéditeurs, inscrits avant lui. Il nous faut ici ouvrir une parenthèse pour vous expliquer qu'il y avait à ce moment-là des quantités énormes d'oignons à expédier à Marseille et fort peu d'occasions, et que les expéditeurs allaient jusqu'à offrir une gratification de 1/- à 1/6 par sac aux capitaines aussi bien qu'à certains employés d'agences pour obtenir un tour de faveur. Mis au courant de ces agissements des le début de la campagne des oignons nous avions pris nos mesures pour mettre notre personnel à l'abri de ces tentatives de corruption, et ces mesures furent apparemment peu goûtées par les expéditeurs, la plupart grecs et ne s'embarrassant pas de scrupules.
M. Garagiotis ayant cru avoir réussi à passer outre, se montra fort courroucé quand nous lui répondîmes que le bon du capitaine, tout contresigné qu'il était par le délégué de la Marine française n'avait pour nous aucune valeur, ajoutant qu'au surplus le "Ville-de-Bordeaux" avait très peu de vide disponible et que ce vide allait être rempli par la Marine qui venait précisément de nous téléphoner. Ce courroux se manifesta chez M. Garangiotis par des observations plus que déplacées à l'égard de la Maison et son personnel et comme nous le priions de modérer son langage, ce Monsieur nous remit sous le nez le bon que nous lui avions rendu bien qu'il nous fût adressé, en nous sommant d'obéir aux ordres du capitaine et du délègue de la Marine. Nous le lui primes alors des mains et le déchirâmes tranquillement en quatre en lui disant : "Voilà le cas que nous en faisons", et comme son langage devenait de plus en plus insultant, nous le priâmes de prendre la porte, refusant même l'invitation qui nous fut faite de le "suivre dehors" pour continuer la conversation.
Nous avons immédiatement rendu compte de l'incident au délégué de la Marine, et à notre consul, qui nous donnèrent entièrement raison et exprimeront des regrets d'avoir apostillé une pièce se rapportant à une affaire dans laquelle ils n'avaient rien à voir et M. Garangiotis, qui fut ensuite déverser sa bile chez le délégué de la Marine, fut mis à la porte avec injonction de ne plus se montrer. Ne se tenant pas pour battu, il fit par l'entremise de son consul, une plainte en règle au consulat de France contre le signataire de ces lignes, mais là encore il fut éconduit, et comme par hasard la plainte, conçue en termes assez désobligeants pour notre consul, avait été rédigée par l'avocat conseil de notre consul nous ne perdîmes pas l'occasion de faire laver la tête à cet avocat et de belle façon.
Depuis M. Garangiotis nous a traduits devant les tribunaux mixtes mais Messieurs les juges ayant pris leurs vacances d'été, l'affaire a été renvoyée à octobre. Nous vous tiendrons au courant du résultat.
En causant très amicalement de cet incident avec notre consul, nous lui avions dit que comme nous n'avions pas de temps à perdre avec des énergumènes du genre de M. Garangiotis nous avions donné l'ordre de ne plus le recevoir dans nos bureaux, ce qu'il ne put qu'approuver, et sans doute cette remarque aura été rapportée à ce Grec par des accointances qu'il a dans le personnel du consulat.
Quant à être ancien client de la Maison, M. Garangiotis a chargé occasionnellement quelques lots de marchandises sur des vapeurs qui nous étaient consignés, rien de plus. Si fait, il s'est mis à un moment donné à acheter du charbon à MM. P. Henderson & C°, et il est même en procès avec ces derniers à propos du dernier lot qu'il reçut d'eux. C'est un petit négociant grec, qui s'est enrichi pendant la guerre en faisant des fournitures de vivres à l'armée anglaise, et il est d'ailleurs, depuis déjà quelque temps le fournisseur attitré des Messageries maritimes, bien qu'il ne manque pas de fournisseurs français sur place.
En regrettant de nous être étendus aussi longuement sur cet incident alors que votre temps est si précieux, nous vous présentons, Messieurs,...

PS. Nous avons oublié de mentionner que nous avons mis le commandant du "Ville-de-Bordeaux" au courant de l'incident en question et qu'il s'est excusé auprès de nous de ce que sa bonne foi eut été surprise. tout en reconnaissant que c'est à nous seuls, en qualité d'agents, qu'il appartenait de décider, d'après l'espace disponible, des marchandises qui pouvaient être embarquées.


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