1917.05.16.De Worms et Cie Port-Saïd

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Worms & Cie

Port-Saïd (Égypte)
Le 16 mai 1917
Messieurs Worms & Cie - Paris

Messieurs,
Importations. Ce n'est que le 11 ct dans la soirée que nous avons reçu votre courrier du 20 avril dernier, nous portant votre lettre spéciale de même date sous cette rubrique, et nous venons aujourd'hui vous confirmer le télégramme que nous vous avons adressé le 12 ct, suivant copie ci-incluse, lequel s'est croisé avec le vôtre du 11 mai nous demandant si votre lettre nous était bien parvenue.
Après un examen attentif des conditions qui règnent à Suez, nous nous sommes vite rendu compte qu'il serait matériellement impossible de recevoir à Suez des cargaisons de charbon, qui auraient ensuite à être expédiées à Port-Saïd par barques. Vous avez vous-mêmes écarté toute idée de faire charbonner nos clients relâcheurs à Suez, chose à laquelle on ne peut en effet songer, et en ce qui concerne le transfert éventuel de fortes quantités de charbon de Suez à Port-Saïd, les difficultés ne sont pas moins grandes. Il faut en effet compter :
1° Avec l'exiguïté de notre dépôt de charbon à Port Tewfik, lequel n'est pas susceptible d'extension, tout le terrain en bordure du quai nord à Port Ibrahim étant pris. On ne saurait loger plus d'un millier de tonnes dans notre dépôt.
2° Avec l'encombrement général des bassins à Port Ibrahim et les restrictions actuelles d'ordre militaire qui interdisent l'entrée des bassins aux vapeurs purement commerciaux parfois pendant des semaines. Un vapeur charbonnier arrivant à Suez pour y décharger courrait neuf fois sur dix le risque d'avoir à faire cette opération en rade.
3° En admettant même que nous puissions songer à décharger du charbon dans une rade aussi exposée que l'est celle de Suez, il nous paraît absolument impossible d'effectuer soit un transbordement direct sur barques au fur et à mesure du déchargement, soit d'en expédier ce qu'on pourrait par barques, mettant le reste de la cargaison à terre pour réexpédition ultérieure à Port-Saïd. Vu l'exiguïté du dépôt et l'impossibilité d'obtenir d'autre terrain à Port Tewfix, on ne pourrait mettre à terre que quelques centaines de tonnes, et d'autre part la presque totalité des barques indigènes existant au Canal est affrétée au mois par les autorités militaires. Ainsi, dans le cas du riz ex "Timor", nous avons eu énormément de difficultés à obtenir un nombre très restreint de barques, et encore avons-nous pu les avoir parce qu'il s'agissait d'une opération pour compte de la Wheat Commission. S'il s'était agi d'une opération purement commerciale, le déchargement du riz nous aurait pris un temps infini, faute de matériel.
Nous avons en même temps envisagé la question du coût d'une opération de ce genre. Le taux actuel du fret par barques d'une extrémité du Canal à l'autre est d'environ 40 piastres, soit F 10,40, mais il arrive très fréquemment qu'il n'y a pas de barques disponibles à Suez et qu'il faut alors en envoyer de Port-Saïd sur lest, en payant dix shillings ou plus pour l'aller sur lest et le retour en charge ; il faut également faire entrer en ligne de compte les dépenses de remorquage des barques entre Ismailia et Suez et vice versa, remorquage prescrit par la Défense du canal ; bref, en vous indiquant un chiffre de onze shillings par tonne, nous avons été très modestes, et nous pensons que ce chiffre serait souvent dépassé. Il ne faut pas oublier non plus ce que représenterait la perte en charbon qu'occasionneraient les diverses manutentions, ni ce que pourrait être l'apparence du charbon après avoir subi autant d'opérations de déchargement et rechargement.
Nous avons ainsi été amenés à penser qu'il serait plus avantageux à tous les points de vue d'amener le charbon directement à Port-Saïd par vapeur. Prenons par exemple un vapeur comme le "Taiyabi" qui nous a apporté 3.800 tonnes de charbon à Port-Saïd en octobre 1916. Ce vapeur qui a passé le Canal après déchargement, a payé des droits de transit sur un tonnage de 2.400 tonnes, ce qui pour un vapeur venant du Sud en charge et retransitant le Canal sur lest, représenterait, - au tarif de F 8,25 en charge et F 5,75 sur lest qui sera en vigueur en juillet prochain, soit un total de 14 francs par tonne de jauge de Canal - une perception totale de droits de F 14 x 2.400 = 33.600 francs pour 3.800 tonnes de chargement, ou F 8,84 par tonne de chargement. On doit d'autre part compter que les bateaux charbonniers venant de l'Afrique du Sud ou du Japon tiendraient, en vue des difficultés actuelles de charbonnage, à quitter leur port de chargement avec un maximum de charbon de soutes, ce qui réduirait dans une certaine proportion le chargement du navire et augmenterait proportionnellement le coût par tonne de chargement des deux traversées du Canal. Nous croyons qu'une marge d'un franc couvrirait amplement cette augmentation de frais, et c'est pourquoi dans notre télégramme nous vous avons indiqué un chiffre de 9 à 10 francs par tonne.
D'après cette base de frais extra qu'auraient à supporter les armateurs d'un vapeur amenant du charbon à Port-Saïd, il nous semble que les armateurs seraient amplement couverts par un fret additionnel maximum de 10/- par tonne de Suez à Port-Saïd, et qu'ils seraient d'autant plus disposés à accepter une offre de ce genre que nous pourrions leur consentir plus de 400 tonnes par jour au déchargement, ce qui compenserait et au-delà la perte de temps occasionnée par les deux traversées du Canal. D'un autre coté, la Port-Saïd Salt Association, dont les agent à Londres sont MM. Moxey Savon & C°, Ltd., recherche constamment des navires à charger en sel pour Colombo, Calcutta et les Straits Settlements, et il serait facile, croyons-nous, de combiner l'affrètement d'aller en charbon avec un affrètement de retour avec du sel pour un des ports susnommés, et peut-être d'obtenir nous-mêmes de meilleures conditions en garantissant un fret de retour.
A ce propos, nous avons jugé utile d'allonger encore notre dépêche en vous mettant au courant d'une offre que nous venions de transmettre à la Nederland pour le "Timor", de la part de la Port-Saïd Salt Association, et de suggérer que vous pourriez peut-être affréter "Timor" pour un voyage subséquent de Durban à Port-Saïd, en lui garantissant un nouveau chargement de sel après déchargement ici.
L'indication du taux de fret offert peut vous être utile à titre de renseignement sur les conditions actuelles d'un fret de retour.
Depuis, la Nederland nous a télégraphié, nous chargeant de remercier la PSSA de son offre, qu'elle regrette de ne pouvoir accepter, ayant déjà entamé des pourparlers d'un autre côté pour l'emploi du "Timor". Nous n'avons pas vu de nécessité à rectifier par dépêche le premier renseignement donné, attendu qu'il n'est pas mauvais que vous vous mettiez en rapport avec la Nederland, qui doit avoir d'autres cargos arrêtés aux Indes néerlandaises.
Il est évident que la question préoccupante et primordiale sera toujours celle du tonnage, et dans cet ordre d'idées il y a des chances qu'on puisse trouver plus facilement des vapeurs au Japon qu'ailleurs. C'est pourquoi nous nous sommes permis de suggérer que l'importation de charbon japonais pourrait être menée concurremment avec celle de charbons du sud de l'Afrique, l'important étant avant tout de nous constituer des stocks à temps utile, car il faut s'attendre à ce que l'acuité actuelle de la crise de tonnage ne fasse qu'augmenter avec les besoins croissants des pays alliés. A ce propos, nos amis japonais, soit la NYK, soit MM. Mitsui & C°, soit l'Osaka Chosen Kaisha, seraient peut-être mieux placés que MM. M. Samuel & C°, pour nous procurer et le charbon et les vapeurs pour le transporter, à des conditions sortables. Nous croyons ne pas nous tromper en disant que notre Maison jouit d'une excellente réputation dans les milieux maritimes japonais, où elle est certes la plus connue des maisons de charbonnage établies au Canal, et cette situation spéciale pourrait nous permettre de nous passer d'intermédiaire, tout en établissant des rapports plus étroits avec l'armement japonais, qui sera probablement d'un appoint sérieux dans les affaires du Canal après la guerre.
Nous ne voyons pas pourquoi la Compagnie du Canal ne nous prendrait pas de ce charbon exotique, et il est d'ailleurs assez probable que l'Amirauté anglaise ne consentirait à assurer ses besoins en charbon que si nous étions tout à fait à sec, éventualité qui, nous l'espérons encore, ne se produira pas, tout menaçante qu'elle puisse paraître.
Veuillez agréer, Messieurs, nos bien sincères salutations,

Worms & Cie


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