1915.12.10.De Louis Nail - ministère de la Marine.Au Comité central des armateurs de France

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Ministère de la Marine
10 décembre 1915.
Sous-secrétariat d'État à la Marine

Le sous-secrétaire d'État à la Marine
à M. le président du Comité central des armateurs de France
73, boulevard Haussmann - Paris

Monsieur le président,
En vous accusant réception de votre lettre du 7 décembre courant et des documents qui l'accompagnent, je tiens à me faire auprès de vous l'interprète du gouvernement pour rendre hommage aux sentiments patriotiques qui animent les armateurs français et au souci qu'ils ont de seconder, de tout leur pouvoir, le grand effort national de la France.
Les projets que vous me soumettez, pour les statuts de l'Association nationale des armateurs français et pour la convention relative à la régie des navires que l'État se propose d'acquérir, comportent, par rapport aux formules que vous m'aviez précédemment données, des modifications de rédaction que vous avez considérées comme nécessaires à la clarté des textes. Ces variantes ne soulèveraient aucune objection de ma part, s'il n'apparaissait que les changements apportés à l'article 2 (in fine) du projet de statuts et aux articles 1er et 6 du projet de convention tendent à restreindre la portée d'une collaboration, dont le gouvernement apprécie tout le prix et qu'il souhaite aussi large que possible.
Vous exprimez la crainte de voir réquisitionner par l'amirauté anglaise quelques-uns des navires affrétés par des entreprises françaises d'armement, lorsqu'un certain nombre de navires britanniques seront à la disposition de l'État français. Vous n'ignorez pas que l'immunité dont jouissent actuellement les affrétés n'est pas une garantie par les autorités anglaises : c'est une situation de fait, et non de droit, dont le gouvernement s'emploierait de tous ses efforts, le cas échéant, à conserver l'avantage à nos armateurs, à raison de l'intérêt national qui s'attache à la régularité de nos relations par mer avec l'étranger et nos possessions.
En m'apportant le concours de vos collègues, vous croyez devoir, Monsieur le président , me faire connaître qu'ils n'envisagent pas, "sans une appréhension justifiée, le trouble éventuel que peut causer, dans le trafic auquel ils se livrent, l'intervention d'un tonnage pouvant travailler à perte". Je suis bien loin d'être indifférent à ce sentiment d'ordre commercial que je considère comme parfaitement légitime, et dont je m'empresse de le reconnaître, vos collègues et vous n'avez pas hésité à faire abstraction dans un esprit de haut patriotisme.
Mais, ainsi que vous le dites vous-même, nous sommes en guerre, et le devoir du gouvernement est de prendre toutes les mesures que comporte la situation. Ses intentions sont très nettes, et j'ai eu l'occasion de vous les préciser à diverses reprises ainsi qu'à plusieurs de vos collègues : conscient, des inconvénients résultant pour le présent et pour l'avenir, de la réduction de la flotte commerciale, il estime indispensable d'accroître les effectifs de cette flotte, dans la pensée que cet accroissement servira les intérêts généraux du pays et ceux de l'armement français.
Il y a tout avantage, à mon avis, à réaliser cette mesure avec la collaboration de nos armateurs ; je vous ai fait connaître dans quelle forme cette collaboration me paraissait désirable. Mes suggestions n'ont pas été accueillies par vous et vous m'avez offert votre concours dans les conditions qui font l'objet de votre lettre du 7 courant. A une participation intéressée, vous avez préféré une régie désintéressée. Désirant, avant tout, que vous ne restiez pas étrangers à une initiative prise, en grande partie, dans l'intérêt de l'armement français, j'ai accepté votre formule : c'est ce que j'ai précisé dans ma lettre du 1er décembre à votre distingué secrétaire général M. de Rousiers.
Or, il ressort de votre lettre du 7 décembre, et notamment des réserves qu'elle contient, que la combinaison présentée par vous est loin de vous donner satisfaction. Comme j'ai le plus vif désir d'obtenir votre concours sans réserves, je suis tout disposé à examiner les propositions que vous auriez à me soumettre.
Je vous serais donc très obligé de m'indiquer quelles sont, d'après vous, les conditions préférables pour l'État et pour vous-même, d'une collaboration répondant aux intentions du gouvernement et assurant l'augmentation immédiate du tonnage commercial français.
Mais je tiendrais à être saisi de votre réponse dans les plus brefs délais, et à cet effet, pour gagner du temps, je fais parvenir directement un exemplaire de la présente lettre à chacun des membres, désignés dans votre communication du 7 courant, de l'Association dont vous avez formé le projet.
Veuillez agréer, Monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

Louis Nail


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