1915.04.12.Du commissaire de la sûreté générale.Au préfet de Gironde.Ouvriers Worms

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Bordeaux, le 12 avril 1915

Installation des ouvriers marocains à Bordeaux

Monsieur le Préfet de la Gironde,
Procédant à une enquête sur les conditions dans lesquelles sont installés les ouvriers algériens et marocains récemment arrivés pour les travaux de déchargement des navires sur lesquels mon attention a été attirée, j’ai l’honneur de vous faire connaître que ces individus ont été installés de la façon suivante par les Maisons Worms et Baronnet pour le compte desquelles ils sont em­ployés.
M.M. Worms, armateurs, occupent pour le déchargement du charbon 152 algériens et 58 marocains, soit 210 ouvriers payés à raison de 5 fr. par jour et logés. Ils sont canton­nés rue Chantecrit, 6 dans un ancien chai qui au point de vue de l’éclairage, de l’air et de l’hygiène en géné­ral laisse trop à désirer.
Bien qu’on soit à même actuellement de procéder à un nettoyage à fond, et à changer la paille de couchage, la plupart des locaux sont sans plan­cher, noire et très malpropres. L’eau est dans la cour, mais les cabinets sont en dehors au bout du bâtiment et leur accès donne dans la rue à hauteur des numéros 11 et 15.
Il s’ensuit que, la nuit probablement, au lieu d’aller jusqu’aux cabinets éloignés, les occupants trouvent préfé­rable de faire leurs ordures au fond de l’un des locaux et une odeur repoussante règne dans ces lieux. Les cabinets qui donnent sur la rue Chantecrit ne sont pas nettoyés, ils infectent la rue, et les voisins se plaignent avec juste raison, ajoutant qu’au moment des chaleurs ce sera Intolérable. Ils ont d’ailleurs réclamé pour que ces cabinets soient fermés et condamnés et leur demande est fondée. La Maison Worms, pourrait faire installer une fosse d’aisance plus à portée, ainsi que le fait faire M. Baronnet pour ses hommes de la rue Lombart. De l’eau est surtout nécessaire en abon­dance à ces étrangers qui en rentrant de leur travail font de vastes ablutions.
Il est certain que c’est à cause de cet état de chose que 70 à 80 de ces africains ont quitté ce cantonnement et se sont logés un peu plus loin au numéro 31, dans une mai­son vide, noire, humide mais où ils ont du moins des cabi­nets et de l’eau à portée. Au début, ils étaient tous nourris par un épicier voisin, délégué par la maison Worms pour s’occuper d’eux, mais ils ont désiré faire leur cuisine eux-mêmes et se sont organisés pour cela. Ils ont de la paille et une couverture pour coucher.
La réclamation des habitants de ce quartier a sa rai­son d’être en ce qui concerne l’hygiène et la propreté.
M. Baronnet, maître arrimeur, quai de Bacalan 12 bis, a logé ses 94 marocains au N°37 de la rue Lombard, dans un vaste chai loué au crédit foncier. Deux ouvriers sont en train d’effectuer un nettoyage complet, blanchissent les murs à la chaux, raclent les planchers, et creusent une fosse d’aisance dans le local du bas. L’eau est suffisante, les locaux spacieux, le matériel de cuisine propre, deux cuisiniers préparent les aliments, des couvertures neuves sont distribuées à chaque homme. Une fois les travaux de nettoiement terminés ces 94 étrangers seront convenablement installés. Comme leurs camarades de la maison Worms ils reçoivent 5 fr. par jour et ont un chef ou caporal qui di­rige tout le service.

Le commissaire spécial

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