1897.11.25.De Paul Rouyer - Worms et Cie Buenos Aires.Original

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Worms & Cie

402, Corrientes
Buenos Aires, 25 novembre 1897
MM. Worms & Cie
Paris

Chers Messieurs et amis,
Voici une seconde semaine écoulée, et je n'ai pas encore mis à exécution la résolution que je vous ai indiquée par mon premier télégramme comme paraissant nécessaire ; c'est-à-dire de donner à M. Moore une procuration égale à celle de M. Lewis.
Dans le même télégramme, je vous disais mon intention d'agir dans ce sens dès lundi dernier, mais la suite de mon examen m'a conduit à modifier mes intentions quant à la date de l'exécution.
J'ai cru plus prudent de reconnaître à fond le terrain, de le déblayer et de mettre en règle certaines affaires de débiteurs, d'accord avec M. Lewis, avant de m'exposer à une rupture complète avec ce dernier.
C'est l'affaire de quelques jours encore, et cela me mènera sans doute trop loin pour que je puisse prendre le prochain paquebot des Messageries, le 3 décembre prochain, malgré tout le désir que j'en aurais et qui est bien justifié, non seulement par le besoin que j'éprouve de rentrer chez moi, mais aussi par des raisons de santé dans le détail desquelles il est inutile d'entrée ici.
J'ai compris le désir que vous aviez de vous sentir assurés que le chiffre de £ 10.000 que je vous indiquais comme pertes probables de l'année limiterait nos sacrifices ici, et j'aurais voulu pouvoir répondre tout de suite à votre question, mais c'était la chose du monde la plus impossible et nous ne saurons vraiment à quoi nous en tenir que dans plusieurs mois, c'est-à-dire après l'épuisement complet du vieux stock qui a subi l'incendie et quand les échéances des débiteurs douteux seront passées.
Malgré cela, j'ai cru devoir câbler ce matin comme suit : « £ 10.000. included (bad) debts partially. There is reason to fear (it) will probably be more, unless all circumstances in our favor. Date of (my) departure not yet fixed. Will probably have delay. »
Mon chiffre de £ 10.000 était basé sur la perte probable sur la réalisation des stocks, plus 45% de la créance Spinetto & Hijo et les sommes dues par quelques autres débiteurs que M. Lewis m'avait indiqués comme absolument insolvables.
Mais, l'examen des livres m'a amené à reconnaître que M. Lewis était beaucoup trop optimiste à l'égard de la rentrée de certaines créances, et qu'il y aura de ce fait quelques autres milliers de dollars qui ne rentreront pas.
La liquidation du vieux stock, aussi bien charbons que matériaux et huiles, ne se fera pas sans sacrifices sensibles. Je suis absolument incapable de dire à l'heure actuelle ce que ce sera.
L'important est, sans [récriminer] plus qu'il ne convient sur le passé, de modifier la manière de procéder de cette maison pour l'avenir en lui imposant plus de prudence.
En même temps, il faut essayer d'améliorer autant que possible les créances douteuses et prendre des sécurités là où nous en pourrons trouver.
Dans cet ordre d'idées, nous nous occupons de nous faire régler par A. Gardella & C°, armateurs de voiliers et remorqueurs, une dette d'environ $ or 29.000 qui n'eût jamais dû atteindre ce chiffre. Nous aurons pour cela des billets à ordre à 3, 6 et 9 mois dont le paiement à l'échéance sera assuré par une hypothèque régulière sur un nombre de remorqueurs et de voiliers que nous aurons le droit de faire vendre si l'une ou l'autre des échéances n'est pas payée. Avant de faire mettre l'acte hypothécaire au net, j'aurai soin d'en faire examiner la minute par notre avocat, avec qui M. Lewis et moi avons eu tantôt une conférence à ce sujet.
J'espère donc bonne fin de cette créance qui devra rentrer, capital et intérêts.
Une verrerie (Alanzo & Palacio) nous doit en outre environ £ 3.800 or, mais là nous ne pouvons procéder de la même façon. Elle nous a bien offert de nous vendre ou consigner en garantie une quantité de verrerie, mais notre avocat (M. Klaffenbach) nous a fait voir que la garantie ne serait qu'illusoire si les choses venaient à mal tourner tout à fait pour cette usine. C'était bien aussi mon sentiment et comme en pareil cas nous aurions encore à supporter quantité d'embarras et de frais pour les mouvements d'un stock de verrerie encombrant et fragile, il y a lieu de chercher une autre solution. Comme, dans cette affaire aussi bien que dans celle de de Gardella & C°, M. Lewis a été inspiré par des sentiments de bienveillance personnelle qui l'ont porté à exagérer le découvert. J'espère qu'il aura assez d'influence sur les débiteurs (MM. Alonzo y Palacio et aussi un M. Weyland, un Nord-Américain, ami de M. Le Mon et intéressé dans cette usine) pour trouver un biais qui nous permette de sortir notre épingle du jeu avant le crash final. Il est question d'un emprunt qui leur serait consenti par une banque et dont nous aurions le premier argent : quoi qu'il en soit je considère cela comme une mauvais affaire.
Camellino & Cie. C'est là encore un mauvais débit de quelque importance.
Cette créance avait été passée par profits et perte le 31 décembre 1895 et celles et à $ 4.846,58 papier.
Le compte a été ouvert en septembre 1896 pour la même somme à laquelle est venu s'ajouter une somme de $ 300 payée à notre avocat pour honoraires, et voici l'explication que j'ai trouvée à ce mode de procéder.
Les bateaux qui appartenaient autrefois à Camellino & C° sont devenus la propriété de B. [Garay] & Cie qui sont nos clients et, depuis septembre 96, le compte ouvert de Camellino est crédité d'une commission sur toutes les ventes charbon ou autres faites par nous à Garay. Ces commissions se sont élevées en un an à environ $ 1.200. Sont-elles vraiment justifiées par l'influence que Camellino est censé mettre à notre service ? Je ne saurais le dire, mais je n'en trouve pas moins fâcheuse cette manière de procéder.
Il serait sans utilité aujourd'hui d'entrer dans plus de détails que vous connaîtrez à mon retour. Je puis cependant vous dire que la présence de M. Le Mon comme employé de M. Lewis a été l'une des causes déterminantes de pas mal d'entreprises ou d'affaires qui ont plus ou moins mal tourné et surtout d'affaires en dehors du charbon pour lesquelles ni M. Lewis ni notre Maison n'étaient préparés.
Après ce nouvel exemple qui nous aura malheureusement coûté fort cher, vous conclurez sans doute avec moi que nous devons à l'avenir nous abstenir soigneusement de retomber dans la même faute.
Une fois limité aux affaires charbon, Lewis tenu en bride par la prudence de Moore qui me paraît apte à remplir ce rôle jusqu'à plus amples changements dans la direction de cette branche, je crois que nous pourrons marcher mais je crois aussi qu'il ne faudra pas espérer de gros bénéfices.
En tous cas, nous pourrions voir venir, modifier la situation selon le cas, ou même nous retirer prudemment, graduellement et avec honneur.
Mais, j'insiste sur ce point que, même au prix d'un sacrifice, vous devez faire soigner tout particulièrement à Cardiff (vraiment vous pourriez demander à M. Robinson dans ce cas particulier une attention spéciale et personnelle à ce que quelque chose de sérieux soit fait pour atteindre le but) et la qualité et la grosseur du charbon que vous expédierez ici les mois prochains, vu que ce sera le seul moyen d'aider à l'écoulement des 3.000 tonnes qui restent de l'ancien stock et de rétablir la bonne réputation de notre Maison comme livraisons, réputation qui a été sérieusement et justement ébranlée par nos livraisons des quatre derniers mois ! Une notable partie de la clientèle est mécontente et ce n'est pas avec des paroles qu'on pourra la satisfaire et la ramener.
Voisins. M. Lewis vous parlera dans sa lettre des adjudications [Obras del Riachulo]. L'agent de Cory ne semble pas fier aujourd'hui d'avoir soumissionné à 51 cents au-dessous de notre prix, d'autant qu'avec le cours du fret que vous nous annoncez pour décembre, ce sera une affaire qui laissera de la perte, son prix équivalant tout au plus à 24/ cif.
Arrivages. Comme c'était prévu, les trois steamers sont arrivés aujourd'hui l'un après l'autre dans l'ordre suivant : 1. "Tarragona", 2. "Virginia", 3. "Ethelbunga".
C'est un contretemps qui va me permettre de juger comment nos gens vont se tirer d'affaires, mais il n'en est pas moins vrai qu'avec le genre d'opérations de notre branche ici, ces arrivées simultanées sont très fâcheuses et coûteuses.
M. Bastien. Je l'ai reçu dimanche. Il ne m'a pas appris grand-chose de nouveau, mais j'ai pu vérifier l'exactitude de ses dires. Il a certainement le défaut d'être un peu emballé mais cela provient d'un caractère évidemment droit, d'une nature honnête. Si nous pouvions nous inspirer exclusivement, dans ce cas, d'un sentiment abstrait de justice, il est certain que M. Bastien devrait être remis en possession de son emploi, même avec des appointements réduits comme il l'avait demandé à M. Lewis lorsque celui-ci l'a remercié pour raisons d'économies.
Je suis navré, Messieurs et chers amis, d'avoir à vous écrire des lettres aussi peu agréables, mais vous pouvez bien cependant vous imaginer que j'aimerais cependant mieux-être à votre place qu'à la mienne, les recevoir au lieu de les écrire.
En attendant le plaisir de vous revoir et vous priant de vous faire mon interprète auprès de nos associés, je vous serre les mains bien cordialement.

Paul Rouyer


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