1990.00.De Worms & Cie.Historique (non daté).Relations avec la Grande-Bretagne

 Worms et Cie, une maison franco-anglaise

Le rapprochement entre Arjomari et Wiggins Teape & Appleton représente en 1990 une étape nouvelle dans les relations que Worms et Cie entretient depuis 150 ans avec l'Angleterre, relations que les multiples activités de la maison ont rendues aussi diversifiées que constantes.

L'étroitesse et le renouvellement de ces liens sont d'ailleurs à ce point manifestes qu'il est aujourd'hui impossible de retracer l'évolution suivie par Worms sans se référer incessamment au développement économique de la Grande-Bretagne en général et de son activité charbonnière en particulier.

C'est dans le négoce des charbons en effet qu'Hypolite Worms orienta son affaire en 1848.

Voulant imposer en France la houille anglaise (peu répandue bien que d'excellente qualité) contre son homologue belge (omniprésent car moins coûteux), Hypolite résolut d'établir sa première succursale en Angleterre, à Newcastle, port charbonnier de première importance et ce, dans le but de traiter directement avec les propriétaires de mines et d'assurer l'affrètement des navires.

Trois ans plus tard, en 1851, Hypolite Worms, conscient de l'utilisation accrue du charbon de soute que le développement de la marine à vapeur n'allait pas manquer de provoquer, ouvrit un second établissement à Cardiff, centre d'extraction de ce combustible.

Puis, en 1856, une troisième succursale est créée à Grimsby, cette fois. D'autres établissements (à Blith, Sunderland, Swansea) viendront compléter ce dispositif commercial.

L'année 1856 compte comme un temps fort dans la chronologie des relations commerciales de la Maison avec l'Angleterre. A cette date en effet, Hypolite Worms répond au projet de la Manchester Sheffield & Lincoln Railway et participe à la constitution de l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, société destinée à développer le port de Grimsby.

Cette même année marque en outre la date de naissance de la flotte Worms par le lancement de quatre steamers héliciers (type de navire quasiment inconnu en France), construits en Angleterre (comme tant d'autres après eux), par les chantiers Samuelson & Cy.

Ils seront affectés au cabotage entre les ports de Grimsby ou Cardiff et ceux de Dieppe, Le Havre et Rouen.

Ces navires quittèrent les Iles britanniques avec des chargements de charbon le plus souvent, et de ballots de laine également. Ils revinrent avec nombre de produits, agricoles notamment, qui manquaient en Grande-Bretagne du fait de l'attention quasi exclusive portée à l'industrie.

Durant plusieurs décennies, le fret de retour au départ de Bordeaux consista en d'importantes livraisons de poteaux de mines, fabriqués dans les Landes et de vins dont les noms fameux servirent à baptiser plusieurs unités de la flotte.

Grâce à sa triple implantation, la Maison Worms put imposer le charbon anglais non seulement en France mais aussi dans le monde entier.

En raison des nombreux contrats passés avec des clients aussi importants que les Messageries maritimes et les Marines nationales (de France, d'Angleterre, de Russie, d'Autriche et même du Japon), la Maison Worms eut à approvisionner maintes stations charbonnières situées dans les grands ports internationaux au long des routes maritimes les plus fréquentées.

Ainsi, en 1871, moins de 25 ans après sa fondation, la Maison assurait à elle seule 7% des exportations totales de charbons d'Angleterre, se rangeant parmi les toutes premières entreprises britanniques dans ce secteur.

On comprend, dans ces circonstances, la méprise commise au lendemain de la création de la Succursale d'Alger en 1892, par le journal La Bataille —.qui, apprenant que la Marine française venait de faire une adjudication importante à la Maison Worms, se fit l'écho de la presse algéroise et consacra la "Une" du 28 février 1892 à un article intitulé : "Les fournitures pour la flotte française confiées aux Anglais" !

Par sa présence en Égypte, Worms et Cie, à la fin du siècle, fut amenée à prendre une part active, aux côtés de la Maison anglaise Marcus Samuel & Cy, dans le commerce du pétrole.

Samuel en effet conçut le projet de faire transiter par le Canal des navires citernes chargés de pétrole en vrac. Mais nécessité lui incombait de faire cautionner ses engagements financiers auprès de la Compagnie du Canal; ce que fit la Maison Worms. Les accords signés entre les deux sociétés permirent à cette dernière de devenir l'agent général de Samuel tout d'abord, puis de la Shell, lorsque celle-ci fut constituée en 1897, à Marseille, Port Saïd et Suez, avant d'obtenir le monopole de la vente du pétrole en Égypte et au Soudan.

Rappelons que « le rôle dans le commerce de l'or noir était tel qu'au début du siècle le bidon de pétrole en Égypte s'appelait un Worms ». (Réf. Livre du centenaire).

Si l'histoire a montré depuis, que le pétrole et ses dérivés devaient progressivement et irréversiblement remplacer le charbon, la Maison maintint cependant ses importations au plus haut niveau jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. Elle fut à ce titre considérée comme l'une des premières entreprises françaises de négoce de charbons anglais durant toute la période qui vit se maintenir l'emploi de ce combustible.

Dès l'entre-deux-guerres, le déploiement des opérations de services maritimes (consignation et transit) jointes aux prestations industrielles (manutention) offertes à la clientèle d'armateurs, consolida la position des succursales en remédiant aux aléas de l'activité charbonnière.

La surface financière de la maison était appréciée en Angleterre au point qu'elle était classée en catégorie Al, c'est-à-dire société bénéficiant d'un crédit "illimité", comme en témoigne la revue financière SEYD.

Deux événements empruntés à la Seconde Guerre Mondiale illustrent quelle fut la qualité des relations que la Maison entretint avec l'Angleterre dans un passé plus récent.

Il s'agit d'une part de la mise à la disposition des forces britanniques des dépôts charbonniers de Port Saïd et de Suez, et d'autre part, des accords signés à Londres en juillet 1940 par Hypolite Worms, petit-fils du fondateur, en sa qualité de chef de la Délégation Française du Comité Exécutif des Transports Maritimes, accords ayant pour but d'organiser la répartition et l'emploi entre la France et l'Angleterre des navires neutres de la Marine marchande.

L'existence de nombreux établissements sur les côtes d'Afrique du Nord permit le développement d'une activité d'agence de voyages qui trouva son prolongement en Grande-Bretagne et offrit un moyen de reconversion aux succursales anglaises menacées par le déclin du négoce charbonnier et les crises de la marine marchande.

Que l'empreinte britannique ait profondément marqué les activités combustible et maritime est donc évident.

Elle a également façonné les services bancaires. Le "merchant banker" anglais (type Baring Bros.) fut effectivement l'un des modèles qui guida Hypolite Worms vers la création de ce département en 1929.

De plus, lorsque dans les années 1960, Worms et Cie décida de renforcer la position de sa Banque sur la scène internationale, elle accueillit dans le capital de celle-ci quatre banques étrangères dont deux d'origine britannique, la Bank of London and South America et la Bank of Scotland.

Dans cette perspective, la Banque Worms prit part également à la création d'établissements bancaires à l'étranger, telle l'International Energy Bank, fondée à Londres en 1973 avec la Bank of Scotland et Barclay's Bank notamment, dans le but de financer des projets dans le domaine énergétique au niveau mondial.

Citons pour mémoire, la constitution de filiales, en liaison pour certaines avec les activités maritimes :

- Worms Investment Ltd (ex Worms & Co Ltd UK), avant 1962,

- Worms Shipping Agencies UK, en 1972,

- Worms Cargo Services (UK) Ltd, en 1975.

Au-delà ou plutôt au travers de ce panorama d'activités, il y a les hommes que de manière constante la maison a choisis pour animer l'un, voire l'ensemble de ses départements et qui tissèrent au fil des générations des liens étroits avec l'Angleterre.

Le meilleur exemple est donné ici par Henri Josse, qui exilé à Londres au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851, se fit naturaliser anglais et siégea à la Chambre des Communes, avant de devenir Directeur de la succursale de Grimsby en 1856, puis associé gérant en 1874.

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