1978.12.31.De Georges Albertini.Cent ans boulevard Haussmann

 

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Cent Ans boulevard Haussmann

Ce livre est dédié à tous les collaborateurs et amis de la Maison Worms, à ceux qui l'ont faite, à ceux qui assurent aujourd'hui sa continuité, à ceux qui viendront demain.
Il résume l'ouvrage qui fut publié en 1948, lors du centenaire de la Maison, et le complète pour les trente dernières années.

MM. Worms & Cie
45, boulevard Haussmann, Paris IXe
1978

Ce bref rappel historique est motivé par plusieurs anniversaires. La Maison Worms, née il y a 130 ans, occupe ses locaux actuels à Paris, 45, boulevard Haussmann, depuis 100 ans. La Banque a eu 50 ans en 1978. Et la Maison est présente dans le secteur de l'assurance depuis 40 ans.
Ces divers anniversaires sont l'occasion de montrer que la continuité est l'une de ses caractéristiques principales. Société de personnes depuis 1848, elle l'est encore, et l'une des rares à l'être. Si elle a pu le rester, c'est que ses fondateurs et leurs héritiers ont su lui conserver cette originalité exceptionnelle, tout en permettant l'accès aux plus hautes responsabilités d'hommes recrutés par eux, et qui se sont parfaitement intégrés à la Maison. En 130 ans, quatre hommes y ont exercé les responsabilités principales : Hypolite Worms, le fondateur, Henri Goudchaux, son neveu, Hypolite Worms, son petit-fils, et Raymond Meynial, le disciple du précédent. Autour d'eux, d'autres Associés-Gérants, des Directeurs généraux et des Directeurs, ayant presque tous parcouru dans la Maison toutes les étapes de leur carrière, ont constitué des équipes capables et homogènes, appuyées sur un personnel de choix.
Cette continuité et ce renouvellement ont permis à la Maison d'aller de l'avant, d'élargir le champ de ses activités, d'innover et de se transformer. Maison de négoce de charbon à l'origine, elle est rapidement devenue une Maison d'armement maritime, tout en sachant passer plus tard du charbon au pétrole et au gaz. Elle a exploité pendant cinquante ans un chantier de constructions navales. Enfin, dans le dernier demi-siècle, elle a créé une importante banque d'affaires et de dépôts, tout en se taillant une place de premier plan dans le secteur des assurances. Cette extension continue et cette diversification ont assuré son équilibre et expliquent sa réussite.
Il est significatif que, quand on parle de Worms, on dise "la Maison Worms". Cette expression prouve à l'évidence que l'ensemble de ses activités échappe encore - et échappera longtemps, il faut le vouloir - au caractère trop impersonnel de l'économie moderne. Chez Worms, de tout temps, et dans tous les domaines, les hommes ont toujours compté, quel que soit leur rang dans la hiérarchie. On ne veut pas produire pour produire, mais produire pour l'homme.

La Maison Worms de 1848 à 1914
Du négoce de charbon à l'armement maritime

La Maison Worms a été fondée en 1848 par Hypolite Worms. Ses ancêtres, commerçants, habitaient Sarrelouis dès le temps de Louis XTV. Lui-même naquit à Metz en 1801, et s'établit à Rouen en 1829 comme commissionnaire et négociant en gros. Il se maria avec Séphora Goudchaux, et vécut quelques années à Paris, comme banquier, sans abandonner Rouen. L'essentiel de son activité depuis 1845 était la fabrication et le négoce du plâtre. Établi à proximité de l'Angleterre en plein essor industriel, il pensa à y exporter du plâtre, assuré de trouver dans le charbon anglais le fret de retour nécessaire. Dès 1842, il songeait d'ailleurs à importer ce charbon pour concurrencer le charbon belge qui tenait une place très importante sur le marché français. Comprenant aussi, dès cette époque, quelles perspectives nouvelles la création des chemins de fer ouvrait au commerce et à l'industrie, il se fit envoyer à Dieppe et à Rouen, en novembre 1848, deux cargaisons de houille, achetée directement à la mine, ce qui permit de la vendre à un prix inférieur de 10% à celui de ses concurrents. Il la transporta aisément par fer. La preuve était donc faite que son idée était juste, et c'est ainsi, à cette date, que naquit la Maison Worms, dont la première vocation fut l'importation du charbon anglais en France.
Cette activité supposait une installation en Angleterre. Elle fut effective le 19 décembre 1848 par la création d'une succursale à Newcastle, alors le premier port charbonnier des Iles britanniques, et complétée, sur l'autre rive de la Manche, par l'ouverture dans les premiers mois de 1849 des succursales de Rouen et du Havre. Mais dès le début de ce trafic, Hypolite Worms constata, d'une part que l'Angleterre manquait de produits agricoles, donc qu'il serait profitable de lui en expédier, et d'autre part qu'il pourrait faire transiter par Newcastle les produits français destinés à la Baltique, à laquelle nos ports étaient mal reliés. C'est dire que, dès l'origine, Hypolite Worms pratiqua, outre l'importation du charbon, les transports maritimes les plus variés.
Son esprit le portait toujours loin en avant. De même qu'il avait compris l'importance des chemins de fer, alors que tant de grands contemporains se disaient assurés de leur échec, il avait la conviction que la navigation à vapeur s'imposerait et que les nouveaux navires détrôneraient les grands voiliers transatlantiques. C'est pourquoi quand le Franklin, bateau à vapeur de 88 mètres de long, effectua la première traversée New York - Le Havre, il repartit du Havre avec 800 tonnes de charbon de soute fournies par le dépôt Worms, qui alimenta ensuite les navires de la Compagnie sur cet itinéraire (c'était la New York and Havre Steam Navigation Co.). Dans le même temps, Hypolite Worms devenait l'un des principaux fournisseurs de la Marine de l'État. Il fut ainsi conduit à installer des dépôts de charbon dans de nombreux ports du monde, et à en transporter partout. Au début des années 1850, il développa sa pénétration en Méditerranée, en accord avec les Messageries Nationales, ce qui lui permit d'être, lors de la guerre de Crimée (1854-1856) - la première guerre où la navigation à vapeur joua un rôle décisif - le principal fournisseur de la flotte française. On aura une idée du trafic si l'on sait que le transport des subsistances du corps expéditionnaire exigea 1.800 navires, et qu'il en fallait 250 pour assurer une liaison continue entre la France et la mer Noire.
Hypolite Worms put effectuer ces fournitures de charbon de soute, dit "cardiff" en Angleterre et peu connu en France, car il avait ouvert dès 1851 une succursale dans le grand port gallois. C'est depuis cette date, où il annonçait qu'il livrerait « partout aussi bien que toute maison anglaise », qu'il était devenu le plus gros acheteur français de charbon en Angleterre, et l'un des principaux affréteurs français de navires naviguant sous pavillon britannique.
Le fondateur de la Maison, toujours attentif à l'évolution économique, et qui constatait le nouvel essor des affaires maritimes en France, en même temps qu'il suivait le remplacement des navires à roues par des navires à hélices, fit construire à Hull deux navires "héliciers". En 1855 il en possédait quatre, qui étaient parmi les bateaux de charge les plus modernes alors en service. Le négociant était donc à cette date devenu armateur, et sa flotte s'étendit d'abord sur les mers du nord de l'Europe, mer du Nord et mer Baltique, avec les lignes régulières Bordeaux-Hambourg (1859) et Bordeaux-Anvers (1869), et plus encore vers divers ports anglais après l'installation en 1856 d'une succursale charbonnière à Grimsby, port naturel d'exportation des charbons du Yorkshire.
Appelé par les Messageries Impériales, dès 1860, à organiser leur ravitaillement en charbon sur leur réseau postal, de l'Atlantique-Sud et de l'océan Indien jusqu'à Calcutta avec prolongement vers la péninsule indochinoise, Hypolite Worms fut l'un des premiers à comprendre l'importance décisive qu'aurait le percement de l'isthme de Suez. Tout l'y avait préparé : les fournitures de charbon faites à l'Égypte depuis plusieurs années, aussi bien que ses liaisons avec les Saint-Simoniens proches du banquier Pereire qui furent les plus fermes soutiens de Ferdinand de Lesseps. Il devint donc, en 1865, le fournisseur principal de charbon des entreprises qui creusaient le Canal, et il fut amené à fournir l'essentiel des 300 tonnes transportées pour la première fois par voie d'eau de Port-Saïd à Suez. En 1867, devenant le fournisseur de la "Peninsular and Oriental" et des Messageries Maritimes, Hypolite Worms créa une succursale à chaque extrémité du Canal (Port-Saïd et Suez), pour y vendre du charbon et y développer des activités de transitaire et de consignataire. Il fut ainsi le premier pourvoyeur des navires participant aux fêtes de l'inauguration du Canal, par l'Impératrice Eugénie, le 17 novembre 1869 ; ce fut une lourde responsabilité pour un seul homme.
On imagine difficilement aujourd'hui le risque qu'il courait. On croit qu'en misant sur le succès du Canal, il ne faisait que suivre l'opinion. Rien n'est plus faux car, dans sa majorité, en France comme en Angleterre, elle croyait à l'échec de cette gigantesque entreprise : la nature désertique semblait invincible, non seulement en s'opposant aux travaux, mais aussi en rendant impossible le maintien de la navigabilité. Les objections techniques, favorisées par la prépondérance encore existante de la navigation à voiles, rejoignaient celles provoquées par les besoins financiers de l'entreprise. Hypolite Worms, lui, avait confiance dans le destin de cette nouvelle voie vers l'océan Indien, malgré le pessimisme de ses propres collaborateurs, découragés par la lenteur avec laquelle la navigation s'y développait. Il resta sur le Canal envers et contre tous - et l'Histoire justifia son choix.
La guerre de 1870, durant laquelle son gendre fut tué et son fils décoré de la Légion d'Honneur, lui donna une autre occasion de mettre son entreprise au service du pays. Puis, la Maison se développant, devint en 1874 la société en nom collectif Hypolite Worms & Cie, au capital de 4.500.000 F. Le siège qui avait été d'abord rue Laffitte, puis rue Scribe en 1865, s'installa en 1877 au 45, boulevard Haussmann. Il y est encore aujourd'hui, dans un immeuble que le fondateur fit construire.
C'est à cette époque qu'il mourut, âgé de 76 ans. Il avait été un représentant typique des grands hommes d'affaires du Second Empire. Précurseur et pionnier en maintes circonstances, il aimait le risque, mais il savait l'évaluer. L'importance du charbon, de la vapeur, de l'hélice, des chemins de fer, du Canal de Suez, qui ont si fortement marqué le XIXe siècle fut comprise par lui immédiatement, ce qui démontre l'originalité et la puissance de son esprit. En 1871, sa Maison assurait à elle seule 7% des exportations charbonnières de la Grande-Bretagne, chiffre d'autant plus remarquable qu'il était l'œuvre d'un Français. Toutes les marines de l'Europe étaient ses clientes.
Mais il fit plus. Il organisa des lignes de navigation importantes, d'abord en affrétant des navires pour transporter le charbon anglais, puis en devenant armateur avec ses propres navires. En une vingtaine d'années, il acquit une dizaine de steamers et créa treize agences et succursales en France et à l'étranger. En réduisant le déficit charbonnier de la France, en gagnant des marchés avec ses navires, il a joué un rôle important dans l'industrialisation du pays entre 1848 et 1877. II marqua durablement la Maison. En un temps où les affaires évoluaient vers l'anonymat (la loi sur les sociétés anonymes est de 1867), il resta fidèle à cette image de négociant-armateur dont Jacques Cœur avait été le modèle quatre siècles auparavant, engageant ses propres capitaux dans ses entreprises, dont il assurait l'entière direction. Le monde a changé. La Maison aussi, mais l'empreinte que lui a donnée Hypolite Worms est indélébile. Ses successeurs d'hier et d'aujourd'hui ont gardé son esprit.
L'associé d'Hypolite Worms depuis 1874, Henri Josse, le remplaça à la tête de la Maison, où il était entré en 1854. L'une des décisions qu'il prit en 1881 fut d'accroître le nombre des associés et c'est pourquoi la société s'appela pendant vingt ans, Worms, Josse & Cie.
Parmi ces associés se trouvait un homme de 35 ans qui allait jouer un rôle considérable dans la Maison : Henri Goudchaux, neveu du Ministre des Finances de 1848. Il était aussi le neveu par alliance d'Hypolite Worms, qui le fit entrer dans la Maison en 1863 où il déploya une activité efficace. Avec le fondateur d'abord, avec Henri Josse ensuite, il prit une part de plus en plus importante dans la vie de la Maison, avant de la diriger, en fait seul, à partir de 1893.
Dans ce dernier tiers du XIXe siècle, le panorama du monde avait changé. A côté de l'Angleterre apparaissaient de nouvelles grandes puissances industrielles : l'Allemagne, les États-Unis, le Japon. La concurrence devenait plus âpre et les affaires plus difficiles. Henri Josse et Henri Goudchaux luttèrent avec succès pour consolider et étendre le champ d'action de la Maison. Elle s'intéressa à l'industrie gazière, elle alla pour la première fois à Madagascar, elle développa ses activités en Afrique du Nord où elle était installée depuis 1851. Henri Goudchaux créa en 1892 la succursale d'Alger, pensant qu'elle pourrait concurrencer les dépôts charbonniers de Gibraltar et de Malte. Elle prit un essor considérable.
Mais c'est à Port-Saïd qu'il donna toute sa mesure. Dès 1871 il était persuadé de l'avenir de ce port. Il eut raison : en 1891, 4.206 navires y passèrent pour franchir le Canal, et la succursale de la Maison fournit 500.000 tonnes de charbon à plus de 1500 navires. C'était la moitié du tonnage embarqué dans le port, et Worms ne cessa plus d'être le principal fournisseur de charbon dans la zone du Canal. Avec une importante flottille de chalands, la Maison avait parmi ses clients les marines de guerre d'Angleterre, d'Autriche-Hongrie, d'Italie, de Russie et du Japon, et, en mettant au point de puissants projecteurs qu'elle louait aux navires franchissant le Canal, elle fut à l'origine de la navigation de nuit qui en réduisit l'encombrement.
C'est précisément la puissance de cette installation à Port-Saïd qui permit à Henri Goudchaux d'avoir accès aux affaires pétrolières. En 1897 à Londres, Marcus Samuel créa la Shell pour prendre en charge l'ensemble de ses intérêts pétroliers. Il entra en rapport avec Henri Goudchaux car, désirant faire passer par le Canal des navires-citernes transportant le pétrole en vrac, il était intervenu auprès de la Compagnie de Suez qui fit quelques objections. Elle demanda à Henri Goudchaux de cautionner certains engagements de Samuel. Il accepta et devint son agent général en Égypte, et son fournisseur de charbon entre Constantinople et Colombo.
Mais, en même temps, la Shell entreprit d'équiper la route d'Europe en Indochine, afin d'exploiter les puits indonésiens. La Maison Worms, qui était son agent à Marseille comme sur le Canal, obtint l'autorisation de construire des réservoirs à chaque extrémité. La première cargaison de "liquid fuel" le franchit le 18 octobre 1899 : le nom d'Henri Goudchaux y fut ainsi étroitement associé, comme celui d'Hypolite Worms l'avait été au percement de l'isthme.
La Maison jouait un tel rôle dans la commercialisation de l'or noir au Moyen-Orient qu'au début du siècle on appelait le bidon de pétrole, en Égypte, un "worms". Cela n'empêchait nullement le développement de ses activités charbonnières dans la même zone. La Maison, dans les années qui précédèrent la guerre de 1914, participait à 50% du trafic du Canal, et parfois assurait le tiers des recettes de la Compagnie.
Henri Goudchaux donna aussi une impulsion considérable à l'extension des services maritimes. Sa flotte s'accrut, des lignes régulières furent créées ou développées. Les centres principaux d'activité demeuraient au Havre (où la direction des services maritimes siégea longtemps), à Bordeaux (tête de la ligne vers Hambourg et d'où partaient aussi les navires transportant les vins de la région, ce qui conduisit d'ailleurs la Maison à donner à plusieurs d'entre eux les noms des crus locaux), à Hambourg, à Anvers. Ils s'étendirent ensuite à Dunkerque, Rouen, Pasajes, à d'autres ports encore, cependant que le cabotage national prenait une grande extension. Tout cela explique que de 1893 à 1914 le tonnage de la flotte ait plus que doublé. Le rôle d'un des collaborateurs d'Henri Goudchaux, Georges Majoux, fut à cet égard décisif. Les succès remportés dans le secteur maritime furent d'autant plus remarquables qu'ils se produisaient en pleine crise de la Marine Marchande française, crise qui atteignit son paroxysme au début du siècle. C'est pour y faire face que fut créé en 1903 le Comité Central des Armateurs de France, où Henri Goudchaux joua jusqu'à sa mort un rôle important.
Sur sa proposition, la Maison avait déjà pris depuis 1895 son nom définitif de "Worms & Cie". Pour diriger la Maison, il avait auprès de lui Paul Rouyer depuis 1896, Michel Goudchaux, son fils, et Hypolite Worms, petit-fils du fondateur, depuis 1911. Georges Majoux devait les rejoindre en 1916, après la mort d'Henri Goudchaux.
En 1914, elle restait la première affaire française pour l'importation du charbon anglais ; son pavillon flottait de Suez à la Baltique, sur ses propres bateaux ; elle avait dans le monde vingt et une succursales. Depuis sa fondation en 1848, elle avait prospéré au-delà de toute espérance.
Henri Goudchaux, terrassé par une crise cardiaque, mourut au début de 1916. Il avait consacré pendant cinquante-trois ans sa vaste intelligence au service de la Maison. Sa puissance de travail égalait sa force de caractère, et son mérite fut d'autant plus grand qu'il la dirigeait dans une époque d'affrontements sévères. Sa probité, sa volonté, sa culture, son sens des responsabilités étaient ceux des grands hommes d'affaires français d'avant 1914. Le dernier service qu'il rendit à la Maison fut d'en confier la direction à Hypolite Worms, déjà Associé.

La Maison Worms depuis 1914
Le commerce des combustibles
depuis 1914

Pendant la Première Guerre mondiale, la Maison assura d'importantes fournitures de charbon anglais à la France, grâce notamment à ses succursales britanniques. L'aide fournie à la Marine Nationale lors du débarquement des alliés en Syrie, en 1918, fut le principal titre à la Légion d'honneur d'Hypolite Worms au lendemain de la guerre. Après la fin du conflit, les services charbonniers orientèrent leur activité dans de nouvelles directions, vers la Belgique (Gand), les Pays-Bas (Rotterdam), la Ruhr (Duisbourg), la Pologne (Dantzig et Gdynia), la Turquie. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Maison fournissait au marché français une partie importante du charbon acheté à l'étranger.
La Maison Worms était donc, en 1939, une puissante affaire d'importation, en France et en Afrique du Nord, de charbons étrangers d'origines diverses. La guerre et l'occupation, en interrompant presque complètement le ravitaillement en charbons étrangers, obligèrent Worms à une double reconversion de ses activités charbonnières. On passa de la vente des charbons industriels à celle des charbons pour les foyers domestiques, et de la vente des charbons d'importation à celle des charbons français.
Les achats auprès des bassins français furent développés, ainsi que les ventes aux grossistes et même aux foyers domestiques. En vue d'employer le personnel au maximum, une importante participation fut prise dans une société d'exploitation de tourbières. Et l'on se lança aussi dans l'exploitation forestière, notamment dans le Sud-Ouest et en Normandie.
Toutefois, le rôle du charbon diminuait. Le charbon de soute était remplacé par le fuel-oil. Après 1945, le développement du chauffage au mazout retentit fortement sur la physionomie du département charbonnier. Enfin, l'État ayant créé un monopole au profit de l'Association Technique pour l'Importation du Charbon (atic), le métier traditionnel d'importateur vit son activité réduite, cependant que se développait celle de négociant de charbon en gros. En outre, la Maison avait pris des intérêts dans des usines d'agglomérés et de laverie de charbon.
Ce secteur dépendait depuis 1925 d'une direction générale des Services "Combustibles", confiée pendant plus de vingt ans à Louis Vignet, dont l'action fut poursuivie et étendue ensuite par M. Michel Leroy, neveu d'Hypolite Worms, puis par M. Albert Bosmans. Ces Services ne se bornèrent pas au charbon et dès 1936, ils participèrent, avec les Services Bancaires, à la réorganisation de la Société pour l'Approvisionnement des Consommateurs d'Huiles Combustibles (Huilcombus), et entrèrent à son conseil.
Le commerce du charbon continua néanmoins, mais on aura une idée de la réduction de cette activité quand on saura que les ventes passèrent de 726.000 tonnes en 1948 à 391.000 tonnes en 1952. C'est pourquoi les Services Combustibles portèrent leurs efforts vers les combustibles gazeux (butane et propane) et liquides (fuel). En 1956, cette activité fut apportée avec les Services Maritimes à une société anonyme "Worms CMC", présidée par Robert Labbé, petit-fils d'Henri Goudchaux. L'évolution se poursuivant, il fut décidé, en 1973, de céder le fonds de commerce de distribution du fuel à la Société Worex, qui devint une filiale à 100% d'Esso-Standard.
Quant à la distribution de combustibles gazeux, après accord avec Elf-Antargaz, elle fut prise en charge par "Worms Gaz", SA créée le 1er juillet 1977 et filiale à 100% de Worms CMC. Les activités charbonnières se poursuivent néanmoins dans des associations en participation, ou des filiales créées avec les autres professionnels, pour faire face au déclin inévitable de l'emploi du charbon pour foyers domestiques.
Ce département de la Maison, 130 ans après sa création, se maintient donc, mais sous des formes nouvelles imposées par l'évolution de l'utilisation des combustibles dans le monde. Il demeure un témoin toujours actif de ce que fut la Maison à ses origines, et son histoire jusqu'à la Première Guerre mondiale montre la place très importante qu'y tint le commerce charbonnier, pendant trois quarts de siècle.

La construction navale (1916-1966)

La guerre de 1914 fut à l'origine d'une activité nouvelle, qui devait durer un demi-siècle. Hypolite Worms connaissait depuis 1913 Anatole de Monzie, Sous-Secrétaire d'État à la Marine Marchande. En 1916, la guerre sous-marine faisant rage, un grand effort dans le domaine de la construction navale était indispensable. Anatole de Monzie en appela à Hypolite Worms, qui accepta d'ouvrir au Trait un chantier de constructions navales. Situé entre Rouen et Le Havre, Le Trait offrait l'avantage de la proximité de l'Angleterre, dont les fournitures étaient d'autant plus indispensables que les bassins du Nord et de l'Est étaient occupés par l'armée allemande. Sous l'impulsion de Georges Majoux, huit cales furent construites. Le 29 novembre 1921, le premier bateau fut lancé (le cargo charbonnier Capitaine Bonelli). Le Sous-Secrétaire d'État tint à assister à son baptême. En quatre ans, les chantiers lancèrent 24 navires, et l'une des premières cités-jardins ouvrières fut bâtie, accueillant plus de 3.000 personnes. Il s'agissait bien là d'une création, car le site du Trait était jusqu'alors exclusivement voué à l'agriculture, et rien ne semblait destiner cette campagne normande à devenir une zone industrielle.
M. Henri Nitot succéda à Georges Majoux et demeura à la tête des Chantiers du Trait jusqu'en 1959. A la fin de 1939, plus de 100 unités avaient été lancées par les Chantiers : torpilleurs, sous-marins, pétroliers, navires de charge, navires mixtes, charbonniers, ainsi que le premier et seul navire français de recherches océanographiques Président Théodore Tissier. Le 12 octobre 1935, le lancement du pétrolier Shéhérazade fut un événement : avec 18.800 tonnes de port en lourd, il était le plus grand pétrolier du monde, et ce rappel permet de mesurer le progrès qui s'est effectué en quarante ans.
La Seconde Guerre mondiale amena de grandes destructions aux Chantiers du Trait, lors des bombardements de 1941,1942 et 1943, et des combats d'août 1944. Les ateliers furent presque totalement détruits : il ne restait pratiquement rien des 36.000 m2 de leurs surfaces couvertes et ils furent parmi les chantiers les plus éprouvés de France, alors que leur production avait été volontairement très ralentie pendant la guerre. Dans le même temps, des accords conclus avec les Chantiers d'Odense (Danemark) permirent, après la guerre, la construction de nombreux navires en attendant la remise en état des chantiers français.
L'adjoint de M. Nitot, Pierre Abbat, effectua dès 1944 un voyage d'études aux États-Unis et en Scandinavie, qui lui fit connaître les progrès de la construction navale. C'est ainsi que les Chantiers furent rebâtis selon des techniques entièrement nouvelles, avec des surfaces couvertes portées à 56.000 m2. Pour faciliter leur développement, ils furent, en 1945, constitués en société indépendante sous le nom de Société Anonyme des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime (ACSM), dont Robert Labbé assuma la présidence avec Hypolite Worms et M. Raymond Meynial comme administrateurs. Le rythme des lancements se développa rapidement, notamment de pétroliers, de cargos-mixtes et de navires de guerre. Une grande partie de la flotte Worms, de celles de la Havraise et de la SFTP, fut reconstruite aux Chantiers du Trait.
La crise commença en 1961. La diminution considérable des commandes militaires, désormais entièrement réservées aux arsenaux, la concurrence japonaise, l'excédent des bateaux construits dans le monde par rapport aux besoins, l'expliquent pour une large part. L'évolution vers les gros tonnages créait d'autres difficultés pour les ACSM. Installés sur les bords de la Seine, les tirants d'eau de ces nouveaux géants des mers étaient trop importants, et leur lancement sur le fleuve devenait impossible.
Pour faire face à cette crise, les ACSM décidèrent de se lancer dans des techniques de pointe. Le Président des ACSM était alors un nouvel associé de Worms & Cie, M. Pierre Herrenschmidt, ancien Directeur du Crédit National, Inspecteur Général des Finances honoraire, qui eut la lourde tâche de les diriger dans la dernière période de leur existence. Malgré de grands efforts d'investissement, il apparut rapidement que les chantiers français ne pourraient faire face à la crise qu'en regroupant leurs activités.
Le Gouvernement prit la décision, en janvier 1965, de concentrer les Chantiers et de fermer certains d'entre eux. C'est ainsi que fusionnèrent les Chantiers Navals de La Ciotat, les Chantiers et Ateliers de Provence et les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime. Le 16 mai 1966 cette dernière société fut dissoute. Elle disparaissait à la demande de l'État cinquante ans après qu'il en eût provoqué la création. Durant ce demi-siècle, les Chantiers avaient construit 179 unités civiles et 23 navires de guerre pour la Marine Nationale (14 bâtiments de surface et 9 sous-marins), en tout 202 navires. M. Henri Nitot, qui fut pendant quarante ans l'animateur du Trait, a pu écrire à bon droit « l'histoire des Ateliers et Chantiers de la Seine Maritime est certainement une très belle page dans celle plus vaste de la Maison Worms ». L'un de ses principaux adjoints, M. Charles Duguet, devait devenir le Directeur financier de MM. Worms & Cie.
La Maison a d'ailleurs conservé de ces activités passées une équipe d'ingénieurs et de techniciens de haute qualité qui, sous la direction de M. Audy Gilles, ont poursuivi la mise au point des techniques concernant le transport maritime du gaz liquéfié. Réunis dans "Gaz-Transport", ils ont créé la première société mondiale d'ingénierie dans ce domaine.
Ses ingénieurs mirent au point une technique autoporteuse utilisée pour la construction du premier méthanier français, le Jules Verne de 25.500 m3. Ils ont ensuite conçu une technique intégrée avec membranes en "Invar" qui, à la fin de 1978, venait en tête des techniques françaises ou étrangères retenues pour la construction de méthaniers, puisqu'elle a été choisie pour près de 40% des navires en service ou en construction. Les premiers navires, des méthaniers de 71.500 m3, les Polar Alaska et Arctic Tokyo furent livrés en 1969 et sont en service entre l'Alaska et le Japon. Ils étaient les plus grands méthaniers à flot. Un nouveau record mondial fut établi en 1975 avec le premier navire de 125.000 m3 : El-Paso - Paul Kayser.

Les transports maritimes et terrestres depuis 1914

Lors de la guerre de 1914, la flotte des Services Maritimes fut mise à la disposition de l'État. Ses navires transportèrent surtout du ravitaillement et des matières premières pour les armées. La moitié de la flotte Worms fut détruite entre 1914 et 1918.
Au lendemain de la guerre, les Services, dirigés par le Commandant Delteil, se transformèrent, Le Havre restant la plaque tournante du trafic de la Maison. Ses navires sillonnèrent toute la Baltique et développèrent leurs lignes de cabotage dans l'Atlantique, la Manche et la mer du Nord. Le tonnage de la flotte, qui était de 29.000 tonnes en 1914, passa à 41.000 en 1939. Des succursales existaient dans la plupart des ports français et dans plusieurs ports étrangers (Dunkerque, Boulogne, Dieppe, Le Havre, Rouen, Caen, Brest, Lorient, Nantes, Bordeaux, Bayonne, Marseille en France ; Grimsby, Newcastle, Cardiff en Grande-Bretagne ; Anvers, Rotterdam, Hambourg, Dantzig dans l'Europe du Nord) et des agents dans d'autres ports français et étrangers. Le cabotage national et international était la principale spécialité de la flotte Worms, qui desservait plusieurs lignes régulières. Avec ses 26 à 28 navires de différents types et tonnages, la Maison disposa, entre les deux guerres, à l'apogée de la navigation de cabotage, d'une flotte qui lui permettait d'assurer ses départs avec une très grande souplesse et régularité. II n'était pas rare de voir quatre ou cinq "Worms" faire escale, en même temps, dans des ports tels que Bordeaux, Le Havre ou Dunkerque, qui étaient alors les centres principaux de trafic. Toutefois, dès avant 1939, le rail et la route faisaient au cabotage une concurrence sérieuse, qui poussa la Maison à développer davantage ses anciennes activités de consignation, manutention et transit.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, huit navires furent réquisitionnés par la Marine Nationale pour être transformés en patrouilleurs, cependant que les autres furent affrétés par la Marine Marchande qui en laissa la gérance technique à la Maison. Quatorze unités sur vingt-quatre furent détruites, dont les plus belles. La reconstruction fut entreprise dès la fin des hostilités et la flotte dotée de navires plus modernes. Le cabotage national, sévèrement concurrencé, notamment par la SNCF, diminua rapidement, mais se développa en Méditerranée, du moins jusqu'à l'indépendance des pays du Maghreb. Les Services Maritimes comme les Services Combustibles furent regroupés en décembre 1956, on l'a vu. Durement atteinte par les événements d'Égypte et d'Algérie, Worms CMC abandonna progressivement ses fonctions d'armateur pour se consacrer au développement des activités annexes : la mécanisation des moyens de chargement et de déchargement entraîna une certaine industrialisation des services de manutention ; les consignations et les représentations s'accrurent et se diversifièrent ; et c'est ainsi que Worms CMC, dont le rôle de transitaire se développait, devint progressivement l'agent de grands armements étrangers.
La Société s'intéressa aussi à d'autres activités dans des domaines voisins. Elle ouvrit à Paris, en 1948, une agence de voyages. Elle s'orienta plus récemment vers les transports routiers, en particulier les transports frigorifiques nationaux et internationaux. Les accords et participations dans ce domaine aboutirent, en 1973, à la création d'un Groupement d'Intérêt Économique (GIE), disposant de plus de 500 véhicules et de 40.000 m2 d'entrepôts frigorifiques en France et à l'étranger.
Tous ces changements et ces extensions amenèrent la transformation de Worms CMC en une société holding présidée par M. Jean Bamaud, contrôlant une filiale maritime "Worms Services Maritimes" que préside M. Jean Bucquet, neveu d'Anatole Bucquet, ancien Directeur général de la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire (NCHP) ; des filiales "combustibles" ; et un ensemble de filiales routières dans le GIE "Transports Frigorifiques Européens" présidé par M. Jacques Masson. Si l'on compare l'activité passée des Services Maritimes, tels que les anciens dirigeants de la Maison les avaient conçus et organisés, et leurs activités actuelles, on ne peut qu'être frappé par les changements qui se sont produits, et par la capacité qu'ils ont montrée aux adaptations nécessaires.
Mais l'activité maritime de la Maison, au cours de ces cinquante dernières années, a surtout été marquée par son entrée dans la navigation au long cours et le transport pétrolier. Ce secteur a ainsi pris une physionomie nouvelle à l'initiative d'Hypolite Worms.
A la fin de 1929, la Compagnie Havraise Péninsulaire de Navigation à Vapeur, fondée en 1882, se trouvait en difficulté. Elle rechercha une aide extérieure, qu'étudièrent Hypolite Worms et Jacques Barnaud, nouveau Directeur général de la Maison. Ils constituèrent, avec d'autres, le 26 mai 1930, une société d'exploitation de la Compagnie. Cette nouvelle société ne parvenant pas à surmonter ses difficultés, la Maison prit la Compagnie complètement en charge. Ainsi naquit le 20 mars 1934 la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire de Navigation (NCHP), dont Hypolite Worms assura la présidence (qu'il garda jusqu'à sa mort en 1962), tandis qu'il confiait la direction générale à Charles Dumard, Directeur de Worms-Anvers, puis à Anatole Bucquet, Directeur de Worms-Rouen.
La Maison prenait ainsi place sur le trafic long-courrier, puisque la Compagnie desservait la mer Rouge, l'océan Indien et Madagascar.
En 1939, la Compagnie possédait dix navires. Cinq furent détruits pendant la guerre. La reconstruction de la flotte commença dès 1945. Des agences nouvelles furent créées, notamment à Madagascar où une flotte de caboteurs permit d'améliorer la desserte des ports secondaires. Mais surtout le trafic long-courrier prit de l'extension avec la création, en 1955, d'une nouvelle ligne vers le Golfe et en 1964 d'une ligne spécialisée sur la Mer Rouge. La capacité de transport de la flotte, dont la plupart des unités portaient le nom d'une "ville" de France, d'Europe, ou d'un des pays de l'océan Indien, fut régulièrement accrue. L'indépendance de Madagascar entraîna la création d'une flotte battant pavillon malgache : une société de cabotage "Compagnie Malgache de Navigation" fut créée en 1960 avec la participation de capitaux malgaches, suivie quelques années plus tard par une autre, la "Société Malgache de Transports Maritimes" pour le trafic au long cours.
A l'heure actuelle, sous la présidence de M. Pierre Goulard, la Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire continue à desservir par des lignes régulières l'océan Indien (Madagascar, La Réunion, l'Ile Maurice) ; le Golfe, autour duquel s'articulent les pays du Moyen-Orient ; et la mer Rouge. Sa flotte d'une quinzaine d'unités a progressivement évolué vers les techniques nouvelles adaptées au transport des marchandises générales : porte-conteneurs, navires-rouliers, transports de colis lourds.
Les anciennes relations de la Maison avec Marcus Samuel et la Shell avaient appelé depuis longtemps l'attention d'Hypolite Worms sur le problème du ravitaillement en produits pétroliers. C'est pourquoi il créa, en 1936, avec le concours d'un groupe anglais, la Société de Courtage et d'Affrètement Pétrolier (Socap), devenue Socomet, dont la direction fut confiée à Jean Nelson-Pautier. Elle avait pour objet l'importation, le transit et le commerce des huiles minérales de pétrole et dérivés, l'affrètement de navires-citernes et le transport en général de tous produits pétroliers. En 1939, elle était devenue de très loin la première société de courtage et d'affrètement pétrolier en France. Elle prit le nom de Socomet-Auvray, après absorption de la société Auvray. Sous la direction de M, Michel-Charles Laroche, ancien Directeur général de la Havraise elle exerce aujourd'hui toutes les activités de courtage, d'affrètement, de ventes et d'achats de navires.
Une seconde intervention de la Maison dans ce domaine se révéla particulièrement heureuse. En 1936, en effet, M. Pierre Poulain fondait la Société de Transports Maritimes Pétroliers (STMP). Le premier navire de la société, le Brumaire, fut acheté grâce à des avances de la Maison, et de là datèrent, notamment avec M. Raymond Meynial, des relations qui ne cessèrent d'être étroites et confiantes. En outre, M. Poulain était Président de la Compagnie Nationale de Navigation, qu'il développa rapidement.
Mais c'est en 1938 que la Maison s'engagea directement dans le transport pétrolier. Le Gouvernement était à cette date gravement préoccupé par la faiblesse des moyens en ravitaillement pétrolier dont pourrait disposer la France en cas de guerre. Hypolite Worms, Jacques Barnaud, ainsi que Gabriel Leroy-Ladurie, furent consultés sur le problème que posait la mise à la disposition de notre pays de nouvelles unités pétrolières. Les conversations se poursuivirent activement avec M. Jules Moch, alors Ministre des Travaux Publics, puis avec Édouard Daladier, Président du Conseil, et ses Ministres Paul Marchandeau et L.O. Frossard. Par lettre de mission spéciale du 23 juillet 1938, le Gouvernement donna mandat irrévocable à MM. Worms & Cie, dans le délai de deux mois, d'acquérir à l'étranger une flotte pétrolière de 70.000 à 100.000 tonnes ; de créer une société dont l'État détiendrait 30% du capital (et qui serait ainsi une des premières sociétés d'économie mixte fondées en France), et des groupes privés, exclusivement français, les 70% restants.
La Maison se mobilisa pour mener à bien cette mission de défense nationale qui exigeait célérité et secret. Au cours de l'été, en quelques semaines, 76.000 tonnes de navires pétroliers furent achetés à l'étranger. Le 19 septembre la Société Française de Transports Pétroliers (SFTP) était constituée : Hypolite Worms en devint le Président et devait le rester jusqu'à sa mort. Il fit appel, comme Directeur général à Victor Duret, directeur de l'agence de Dunkerque, puis à l'Amiral Béret qui le demeura jusqu'à son départ en 1972. A la fin de 1938, d'autres acquisitions portèrent le tonnage à 115.000 tonnes, dépassant même le chiffre fixé par l'État : cela signifiait que par son action déterminée Worms & Cie avait en six mois augmenté de 50% le tonnage pétrolier national, et c'est ce qui explique qu'Anatole de Monzie, Ministre des Travaux Publics, ait voulu assister en personne à la réception, le 26 septembre, des deux premiers pétroliers acquis par la SFTP.
La guerre coûta à la Société quatre de ses douze pétroliers. Dès 1945, elle entreprit de reconstituer, puis de développer sa flotte. Elle augmenta le nombre de ses unités puis, à partir des années 60, leur tonnage, suivant en cela l'évolution mondiale, qui faisait passer des pétroliers de 20/30.000 tonnes à ceux de 50.000, 100.000, 250.000 tonnes et plus. Après une courte présidence d'Henri Douxami, entré dans la Société dès ses débuts, elle continue, sous la direction de M. Henri Petit, à être l'un des plus importants armements pétroliers français et pratiquement le seul à ne pas être intégré dans un groupe pétrolier.
Une autre évolution importante intervint en 1968, lorsque, grâce à d'anciennes et amicales relations avec le groupe J. J. Carnaud, la Maison développa ses activités dans le secteur des transports de vrac et du tramping, en absorbant la Compagnie Nantaise des Chargeurs de l'Ouest (CNCO). Cet armement, lui-même héritier de très vieilles traditions, en particulier celles des Voiliers Nantais, a conservé son siège et ses services à Nantes. Il regroupe aujourd'hui toutes les activités autres que les lignes régulières au long cours et le transport pétrolier.
La diversification et l'importance des investissements de ce secteur de la Maison ont rendu nécessaire, ces dernières années, la mise en place d'une structure nouvelle. La majeure partie de la flotte fut regroupée dans la Société Française de Transports Maritimes (SFTM), elle-même filiale de la Compagnie Navale Worms, présidée par Robert Labbé, ensuite par M. Jean Barnaud, fils de Jacques, assisté de M. François Rozan.
La SFTM est aujourd'hui propriétaire d'une flotte de plus de quarante navires : pétroliers, transporteurs de vrac, cargos de ligne, navires spécialisés, caboteurs, dont l'ensemble représente près de 3 millions de tonnes de port en lourd. Elle a trois filiales d'exploitation : la Société Française de Transports Pétroliers (hydrocarbures) ; la Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire (cargos de lignes régulières) ; la Société Nantaise des Chargeurs de l'Ouest (navires spécialisés, transporteurs de vrac sec et caboteurs). Une autre société du Groupe, "Pechelbronn", dont le Président est M. Nicholas Clive Worms, petit-fils d'Hypolite Worms et Associé-Gérant de MM. Worms & Cie depuis 1974, et le Directeur général M. Philippe Papelier, est propriétaire d'une part quirataire de 33% sur chacun des navires pétroliers de la SFTM.
La Compagnie Navale Worms a d'autres filiales importantes se répartissant en trois groupes. Les filiales de l'océan Indien (principalement La Réunion, Madagascar, l'Île Maurice) exploitent des lignes de cabotage dans cette zone ; celles de la région nantaise assurent divers services et utilisent une flotte de caboteurs sur les trafics nationaux et internationaux, surtout formée par les navires de la Compagnie Morbihannaise de Navigation (CMN) qui retrouve ainsi une des plus anciennes traditions de la flotte Worms ; enfin des filiales internationales disposant en particulier de navires auxiliaires pour la recherche et le forage pétroliers, et de navires spécialisés notamment dans le transport de produits chimiques.
La répartition de la flotte entre ces diverses activités reflète assez bien la tendance générale du trafic maritime de notre temps : prépondérance en tonnage des pétroliers, croissance des grands transporteurs de vrac, maintien et modernisation d'une flotte de cargos.
L'importance du rôle joué par la Maison dans les transports maritimes, et la part prise par Robert Labbé et M. Jean Barnaud, expliquent leur désignation comme Président du Comité Central des Armateurs de France, le premier de 1963 à 1966, le second de 1968 à 1972, et à nouveau en 1979.

Des Services Bancaires de 1928
à la Banque Worms d'aujourd'hui.
Les Assurances depuis 1938

Les activités bancaires sont liées depuis deux siècles au nom de Worms. Le premier banquier de la famille exerça à Paris à la fin du XVIIIe siècle et dans les premières décennies du XIXe. Le second, Adolphe Worms, frère d'Hypolite Worms le fondateur de la Maison, fut banquier à Metz sous Louis-Philippe. Hypolite épousa Séphora Goudchaux, d'une famille de banquiers lorrains, dont il devint l'associé à Paris en 1837. Michel Goudchaux devant abandonner ses activités de banquier, par suite de sa nomination comme Ministre des Finances du Gouvernement provisoire de la Révolution de 1848, Hypolite Worms fut chargé de les liquider.
Dès que la Maison fut créée et se développa, les mouvements de capitaux dont elle disposait firent naître l'idée qu'une banque, dont elle serait propriétaire, la compléterait heureusement. Après la guerre de 1914, son petit-fils Hypolite Worms avait été frappé par l'exemple anglais des "Merchant Bankers". Ils avaient commencé comme négociants, avaient pratiqué ensuite le commerce de l'argent, puis transformé leurs maisons de négoce en "Merchant Banks". Préoccupé par la diminution inévitable des ressources fournies par le département charbonnier, à cause de la concurrence du mazout, il décida de s'orienter vers les activités bancaires. Il y fut encouragé par l'un de ses proches amis, René Thion de la Chaume, Président de la Banque de l'Indochine, et par un jeune Inspecteur des Finances, Jacques Barnaud, qu'il avait engagé en 1927 comme Directeur général de la Maison. Jacques Barnaud avait déjà accompli une brillante carrière dans l'Administration des Finances, ainsi qu'au Cabinet du Ministre. L'une de ses premières tâches fut d'organiser les Services Bancaires, créés le 11 juillet 1928. En 1930, il devenait Associé-Gérant de la Maison.
Il fallut d'abord recruter des hommes. Le premier chef des nouveaux services fut Ferdinand Vial, Inspecteur de la Société Générale, bientôt rejoint par un haut fonctionnaire des Finances, Erwyn Marin, et, en juillet 1929, par Gabriel Leroy-Ladurie, Directeur à Katowice de la Banque Franco-Polonaise. Il allait devenir, pendant quinze ans, la cheville ouvrière des Services Bancaires. Plusieurs des familles commanditaires aidèrent de leurs relations le nouveau département. La renommée de la Maison facilita le développement de sa clientèle, les dépôts s'accrurent, donnant ainsi les moyens d'étendre les activités commerciales et surtout de s'intéresser à des opérations financières, à des prises de participation. Elle fut donc une banque d'affaires dès ses débuts.
Les Services Bancaires furent mêlés à l'opération de sauvetage et de réorganisation de la Compagnie Havraise Péninsulaire en 1930, puis en 1934. Et c'est grâce à eux que se développèrent les prises de participation successives dans la Société Française de Sablières ; dans l'Immobilière Haussmann ; dans les Établissements Marret, Bonnin, Lebel et Guieu, dont Erwyn Marin assura la réorganisation ; dans la Société des Faïenceries de Niderviller ; dans la Société Française d'Entreprises de Dragages et de Travaux Publics ; dans plusieurs affaires minières, sous l'impulsion du Prince Jean Cantacuzène, en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud, et dont l'ensemble fut apporté après la guerre à la Société Penarroya. Jacques Barnaud ayant joué un rôle important dans la fusion d'Air-Union et d'Air-Orient, se trouva être l'un des fondateurs de la Compagnie Air-France, et c'est pourquoi il fut appelé à siéger à son Conseil d'Administration. Le départ d'Erwyn Marin fut l'occasion de l'arrivée, en octobre 1932, d'un nouveau collaborateur, M. Raymond Meynial, Inspecteur de la Société Générale, qui devint fondé de pouvoir des Services Bancaires le 1er janvier 1933, commençant une carrière qui le mena, trente ans plus tard, à la tête de la Maison. L'état-major des Services Bancaires continuait à se renforcer d'hommes jeunes que leurs qualités porteraient tous à de hautes fonctions dans la Maison : Lucien Guérin (1934), venu de la Banque de Suède et de Paris, qui développa les relations avec les pays du Nord ; M. Guy Brocard (1937), Inspecteur de la Société Générale Alsacienne de Banque, qui devait assister M. Raymond Meynial dans la direction de la banque avant de devenir Associé-Gérant de la Maison ; M. Robert Dubost (1941), collaborateur de la Banque Franco-Chinoise, qui allait jouer quelques années plus tard un rôle important dans le développement des activités des Services Bancaires à Alger et à Casablanca, avant de devenir, en 1962, le Directeur général, puis le Vice-Président de la Banque.
Il serait fastidieux de retracer par le détail les activités multiples des Services Bancaires. Mais ce qu'il faut noter c'est qu'ils furent étroitement associés à la création de la SFTP (1938) ; à la réorganisation de la Compagnie d'Assurances La Préservatrice à laquelle ils prirent une part décisive (1938), et qui permit ainsi l'entrée de la Maison dans le secteur de l'assurance où elle devait prendre plus tard une des premières places ; à la réorganisation des Établissements Japy Frères (1939), etc.
A la veille de la guerre, en 1939, le total du bilan des Services Bancaires était de 553 042 508 AF et le montant des dépôts de 320.735.854 AF.
Pendant la guerre de 1939-1940, quand Hypolite Worms, M. Raymond Meynial et Robert Labbé furent envoyés à Londres, la direction des Services Bancaires continua d'être assurée par Jacques Barnaud et Gabriel Leroy-Ladurie.
Jacques Barnaud abandonnant toutes ses fonctions dans la Maison en juillet 1940 pour participer à des missions gouvernementales, la responsabilité et la direction des Services Bancaires incombèrent, pendant toute l'occupation allemande, à Hypolite Worms, à Gabriel Leroy-Ladurie et à M. Raymond Meynial. C'est pour échapper en partie au contrôle des autorités allemandes et pour suivre leur clientèle qu'ils ouvrirent, le 1er novembre 1940, une agence à Marseille, avec Lucien Guérin qui devenait "Délégué de la direction générale en zone sud" ; puis, le 1er juin 1941, une autre agence à Alger, avec Lucien Guérin et M. Robert Dubost. Ils la dirigèrent seuls à partir de novembre 1942, quand le débarquement américain coupa tout contact avec la Métropole.
Malgré la guerre, les Services Bancaires s'efforcèrent de développer leurs activités, le plus souvent en liaison avec d'autres banques. Ils réorganisèrent la Manufacture Centrale des Machines Agricoles Puzenat ; préparèrent la cotation en Bourse des Établissements Japy Frères ; participèrent à l'augmentation de capital des Entreprises Albert Cochery ; à l'émission d'actions de l'Entreprise de Grands Travaux Hydrauliques. Dans les années suivantes, ils prirent, à la demande du Gouvernement, le contrôle des Établissements Fournier-Ferrier alors en difficulté, et, à l'occasion d'une augmentation de capital, une part importante dans la gestion de la Société des Produits Chimiques des Terres Rares, dans la Société des Peintures Astral Celluco, dans les Ateliers Moisant-Laurent-Savey, dans les Magasins du Bon Marché qu'ils aidèrent à se réorganiser. Ainsi se développait une politique systématique de prises de participation dans de nombreuses affaires. En même temps, ils apportèrent leur aide financière tant à la SFTP (emprunt obligataire) qu'à la NCHP (augmentation de capital). En 1945, le total du bilan atteignait 3,60 milliards AF et le total des dépôts 3,04 milliards AF.
Les activités de la Maison, ayant continué pendant l'occupation allemande, firent l'objet d'un examen approfondi par les services compétents du nouveau Gouvernement. Le rapport officiel d'expertise conclut à la parfaite régularité des opérations qu'elle avait traitées durant ces quatre années, et leur volume était parmi les plus faibles des établissements similaires.
En 1944, Robert Labbé devint Associé-Gérant et M. Raymond Meynial Gérant statutaire, avant d'être Associé-Gérant en 1949. La même année 1949, Jacques Barnaud reprit ses fonctions d'Associé-Gérant. M. Guy Brocard fut Directeur des Services Bancaires en 1945, où il prenait la suite de Gabriel Leroy-Ladurie. Au moment où il quittait la Maison, avant une mort prochaine et prématurée, Gabriel Leroy-Ladurie laissait le souvenir d'une vaste intelligence et d'une personnalité rayonnante. Il était essentiellement un créateur qui permit aux Services Bancaires de conquérir une place importante à Paris en quelques années.
Au cours des années qui suivirent la guerre, ces Services firent un très grand effort pour se développer. D'abord en direction de l'Afrique du Nord où, après Alger, une autre agence fut ouverte à Casablanca, le tout étant placé sous l'autorité de M. Robert Dubost, cependant que les Services Bancaires prenaient en 1949 une part prépondérante dans le capital de la Banque Industrielle de l'Afrique du Nord qu'allait diriger Lucien Guérin. Le développement des relations avec les pays du nord de l'Europe : Hollande, Danemark, Norvège, Suède et Finlande continua. Au cours de la décennie qui commence en 1950, les Services Bancaires prirent notamment le contrôle du Comptoir International d'Achats et de Ventes (Ciave), société d'ingénierie financière. A la même époque, ils acquirent une importante participation dans la Banque E. Hoskier & Cie qui devait fusionner sous le nom de "Sofibanque-Hoskier" avec la Société Métropolitaine de Financement et de Banque. M. Guy Brocard en devint le Président en 1960 et M. Pierre Bazy le Directeur général. Jacques Barnaud étant l'ami de René Meyer, inspira la prise de contrôle de la Banque R. Meyer & Cie, dont Guy Taittinger, entré dans la Maison en 1947, devint Associé-Gérant. Cette banque prit plus tard le nom de Banque de Gestion Privée, sous la présidence du Comte Christian de Fels. La Banque prit une importante participation dans "Luchaire SA".
A cette époque également, les Services Bancaires s'élargirent à la province, en ouvrant des succursales à Lyon et à Lille. Ainsi commençait une politique nouvelle dans ce secteur, dont le principal artisan fut M. Robert Dubost, qui occupait depuis 1955 le poste de Directeur général adjoint. Cette politique, activement poursuivie, permit à la Banque d'avoir en 1978 dans l'ensemble du pays (Paris et province) 29 succursales ou bureaux.
Mais l'activité des Services Bancaires s'étendit à d'autres domaines. Us rachetèrent au Bon Marché la Banque Dreyfus. Elle devint la Banque de l'Union Française, puis de l'Union Occidentale (buo) avec à sa tête, dès 1957, M. Patrice de Corgnol, alors Directeur général adjoint des Services Bancaires. Ils accrurent leur champ d'action dans les Assurances (sujet sur lequel nous reviendrons). Ils participèrent en outre, à la fin de l'année 1960, aux augmentations de capital de l'Hôtel Lutétia et de la Société d'Expansion Hôtelière du Louvre, ce qui devait entraîner le renforcement des liens avec le groupe de la famille Taittinger, lequel acquit ensuite une position prépondérante dans ces affaires.
L'année 1962 marque dans la vie de la Maison un épisode douloureux et capital. Le 28 janvier, Hypolite Worms mourait subitement à 72 ans, ayant consacré plus de cinquante ans de sa vie à la Maison qu'il avait dirigée pendant quarante-sept ans : leur destin se confondit donc pendant un demi-siècle.
Le 15 avril, Jacques Barnaud, qui avait travaillé avec lui depuis 1927, mourait à son tour à 69 ans, après une brève maladie.
Ainsi prenait fin une longue période de l'histoire de la Maison. Comment ne pas tracer le portrait des hommes qui disparaissaient après un labeur inlassable, accompli avec une capacité exceptionnelle ?
Hypolite Worms était entré dans la Maison à 19 ans et y avait fait ses classes. En Angleterre d'abord, qui resta toujours chère à son cœur, car  il y trouva un genre de vie qu'il aimait, et surtout parce qu'il y rencontra celle qu'il devait épouser et qui allait être la confidente de toute sa vie. En Égypte ensuite, où il constata l'importance du trafic sur le Canal de Suez. Henri Goudchaux n'avait pas tardé à voir dans son jeune collaborateur l'homme qui devait lui succéder. Avec une sûreté de jugement et une impartialité qui l'honore, il en fit son associé en 1911, et lui confia ensuite la responsabilité de la Maison en 1915 quand la maladie l'éloigna des affaires. Hypolite Worms en devint le chef, à 27 ans, au début de 1916.
Alors commence une nouvelle époque dans le vie de Worms & Cie. La Maison va s'élargir et se transformer, sous l'impulsion d'un homme dont la rectitude inspirait à tous une totale confiance. Audacieux et entreprenant, il fut un créateur qui veilla aussi à maintenir intact l'esprit de la Maison, tel que ses prédécesseurs le lui avaient légué.
C'est ainsi qu'il créa le nouveau département de la construction navale à la fin de la première guerre, et les Services Bancaires il y a cinquante ans. C'est ainsi qu'il renouvela profondément les activités maritimes de la Maison, d'une part en la faisant accéder au trafic long courrier en direction de l'océan Indien, d'autre part en la faisant pénétrer dans le domaine du transport pétrolier. En 1939, à la veille de la guerre, quelque vingt ans après qu'il ait assumé la responsabilité totale de la direction de la Maison, il en avait changé l'image et étendu largement les possibilités.
Cette réussite explique qu'en novembre 1939, au début de la guerre, le Gouvernement Français lui ait demandé de faire partie du Comité des transports maritimes en formation. Anatole de Monzie, Ministre des Transports du gouvernement de guerre et son ami depuis plus de vingt ans, a défini ainsi dans son livre Ci-devant la mission qui lui était confiée : « Hypolite Worms est chargé d'une mission spéciale en Angleterre. Il est désigné comme Chef de la Délégation française à l'Exécutif franco-anglais des Transports Maritimes. En cette qualité, il sera plus particulièrement chargé des négociations avec les représentants anglais et des arrangements qui devront être étudiés par l'Exécutif des Transports Maritimes, conformément au programme qui lui sera transmis par MM. Daladier et Chamberlain.. (II) sera chargé de représenter la France dans toutes les négociations interalliées, relatives à l'achat et à l'affrètement des bateaux neutres ».
Hypolite Worms arriva donc à Londres à la fin de novembre 1939, accompagné de deux de ses plus proches collaborateurs, Robert Labbé et M. Raymond Meynial. Il s'installa au "Ministry of Shipping". Après l'armistice, et malgré les clauses qu'il contenait, il prit la responsabilité (que devait plus tard approuver l'Amiral Auphan et l'Amiral Darlan), d'user, non sans risque, de ses pleins pouvoirs, et de transférer à la Grande-Bretagne, non seulement la libre disposition de notre flotte marchande réquisitionnée, mais aussi tout l'effort de guerre fait par la France pour assurer ses approvisionnements. Ce transfert fut effectué en liaison avec la Mission d'achat française à New York. C'est tout cela qui, signé par lui le 4 juillet 1940 à Londres (deux semaines après l'armistice), est connu sous le nom "d'accords Worms".
Ayant ainsi fait son devoir, il rentra en France, estimant qu'il ne pouvait abandonner ni la Maison ni son personnel, et sans se dissimuler le danger qu'il courait en revenant à Paris. Après la guerre, il se remit au travail pour réparer les dommages divers que la Maison avait subis, faisant confiance à des hommes dont il avait apprécié la compétence, au premier rang desquels M. Raymond Meynial. Hypolite Worms donna à la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire et à la Société Française de Transports Pétroliers un grand essor. Il fit face aux difficultés de la crise née de la nationalisation du Canal de Suez en 1956.
Il prit dès 1945 les premières initiatives visant à constituer des sociétés indépendantes pour chacune des grandes branches d'activité de la Maison, amorçant ainsi une évolution qui devait conduire aux structures actuelles. II voulait poursuivre ces changements dans le domaine bancaire, quand la mort vint le frapper.
Il laissait à ses successeurs une Maison dont l'esprit était resté le même que lorsqu'il l'avait prise en charge, mais dont l'importance était beaucoup plus grande, et le crédit encore plus assuré. Avec lui s'en allait une des grandes figures du monde français des affaires. Il alliait un jugement très sûr à l'esprit d'équité et au sens du devoir qui font les véritables chefs, et cela explique que, malgré les années qui ont passé, son souvenir continue à vivre au cœur de ceux qui l'ont servi, respecté et aimé.
Sachant écouter avec attention, il savait aussi s'entourer d'hommes de grandes capacités. Il le montra notamment en choisissant, en 1927, comme principal collaborateur, Jacques Barnaud. Rien dans le passé de ces deux hommes, et peut-être même dans leur caractère, ne paraissait devoir les rapprocher. Pourtant, leur entente fut immédiate et leur collaboration confiante et fructueuse. Jacques Barnaud avait les qualités d'intelligence et de savoir qui caractérisent depuis longtemps les meilleurs représentants de la haute Administration française. Ses compétences étaient grandes, sa culture étendue, et nul n'avait l'esprit plus ouvert sur son époque. Ceux qui ont travaillé à ses côtés savent le rôle joué par lui dans les décisions les plus importantes prises durant ces années, où il a été mêlé de près à toutes les activités de la Maison.
Hypolite Worms lui faisait une totale confiance. Il lui laissa donc la liberté de répondre à l'appel du gouvernement après l'armistice. Et il reprit sa collaboration avec lui en 1949. Jacques Barnaud, dont la capacité de réflexion était extrême, comprenait la nécessité de transformer en profondeur les structures de la Maison. Jusqu'au bout, l'acuité de son intelligence et la curiosité de son esprit furent intactes. Quand Hypolite Worms mourut, il était déjà très malade, mais il faisait face avec le stoïcisme dont il fit preuve en d'autres circonstances. Il rendit à la Maison, grâce à ses qualités exceptionnelles, un dernier service durant les deux mois où il la dirigea avant de mourir, en définissant les nouvelles tâches dont les Associés devraient se charger.
La disparition presque simultanée de ces deux hommes provoqua de grands changements. Madame Hypolite Worms devint Associée commanditée, car le nom qu'elle portait était indissociable du crédit de la Maison. M. Jean Barnaud, Officier de Marine d'origine, qui était entré dans la Maison en 1948 et qui avait fait toute sa carrière à la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire, à la Direction générale de laquelle Hypolite Worms l'avait appelé en 1961, remplaçait son père dans les fonctions d'Associé-Gérant. M. Guy Brocard devenait Gérant statutaire de Worms & Cie, cependant que M. Robert Dubost prenait la Direction générale des Services Bancaires. Robert Labbé allait à la présidence de la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire de Navigation. Et M. Pierre Herrenschmidt, qui était Associé-Gérant de Worms & Cie depuis 1960 et assurait déjà la présidence des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, devenait Président de la Société Française de Transports Pétroliers. M. Pierre-Édouard Coquelin enfin, ancien Inspecteur des Finances, qui appartenait à la Maison depuis 1947, y exerçant diverses hautes responsabilités, fut nommé Secrétaire général de Worms & Cie, poste où pendant de longues années M. Philippe Simoni avait donné la mesure de son dévouement, avec la collaboration de M. Toussaint Pinelli, cependant que Robert Malingre apportait sa connaissance précise des questions administratives et financières.
En 1962, la nécessité s'imposait d'une réorganisation profonde des Services Bancaires pour permettre leur développement. C'est à cette tâche prioritaire que s'attacha M. Raymond Meynial qui devenait en fait le chef de la Maison. Tout son passé professionnel l'y avait préparé. Il savait que l'expansion de la Banque dépendait des moyens dont elle disposerait, et qu'elle ne pourrait les trouver qu'en accédant au marché financier, et en devenant juridiquement distincte de MM. Worms & Cie. Il fallait donc trouver de nouveaux partenaires, acceptant de n'avoir qu'une participation minoritaire dans le capital de la Banque. Ce fut fait en trois temps. Le 14 octobre 1964, la « Société Financière Worms & Cie » fut créée en nom collectif entre MM. Worms & Cie, Madame Hypolite Worms et les cinq Associés-Gérants. Le 1er janvier 1965, naissait la Banque Worms & Cie par l'apport des "Services Bancaires" nés trente-sept ans plus tôt. Le 30 mars 1967, la Banque, société en nom collectif se transforme en société anonyme, avec comme Président-Directeur général M. Raymond Meynial, comme Vice-Président Directeur général M. Guy Brocard, et comme Directeur général M. Robert Dubost.
L'initiative la plus importante fut en 1967, d'ouvrir la Banque à des partenaires étrangers : la Bank of Scotland et la Bank of London and South America (bolsa), devenue depuis la Lloyds Bank International Ltd, et en 1968, la Philadelphia National Bank, enfin la Hessische Landesbank Girozentrale de Francfort. Dans le même temps, des négociations permettaient la fusion avec Sofibanque-Hoskier et la Banque Industrielle de Financement et de Crédit-BiFC (ex. bian) que présidait M. Claude Tixier, ancien Inspecteur des Finances, cependant que le capital de la Banque était porté à 114.093.400 F. Ces fusions accrurent sensiblement le nombre des agences de la Banque.
Dans les années qui suivirent, elle multiplia les initiatives. Elle s'intéressa à la création de sociétés de financement immobilier ; créa en 1969 une filiale bancaire à Genève ; prit 10% du capital de l'Union Bancaire, née du rapprochement du Crédit du Nord et de la Banque de l'Union Parisienne ; participa activement à la création à Londres de l'International Energy Bank (IEB), spécialisée dans le financement des projets énergétiques, et à Koweit à la direction de "International Financial Advisors (Ifa)", société financière ayant les activités d'une "investment bank" ; elle ouvrit une représentation à New York. Les Services Bancaires avaient joué un rôle très important dans la création de la Compagnie Bancaire à laquelle la Banque continue de porter un intérêt soutenu, dont elle demeure l'un des principaux actionnaires, et qui est assurément l'une des affaires les plus importantes à laquelle elle ait participé depuis la guerre. Elle prit aussi le contrôle d'un établissement bancaire à statut étranger installé à Paris "La Mutuelle Industrielle", dont la présidence fut confiée à M. Robert Dubost, et participa avec sa filiale, la BUO, à la création en 1977 de la Société Bancaire Arabe. Parallèlement, la Maison prit le contrôle de Pechelbronn, qui devint l'un de ses principaux holdings financiers et qui acquit notamment une part importante du capital de la Compagnie Lebon, dont M. Patrice de Corgnol devait devenir en 1971 le Président-Directeur général. C'est aussi Pechelbronn qui, en liaison avec la Compagnie Navale Worms, permit au groupe d'acquérir la totalité du capital de la SFTP en rachetant les parts que l'État détenait depuis l'origine.
Étroitement liée à l'histoire des Services Bancaires puis de la Banque, est celle de l'entrée puis du développement de son activité dans le domaine de l'assurance. Lorsqu'en 1938 La Préservatrice, compagnie qui tenait en France la première place dans la branche « accidents du travail », se trouva par suite d'une mauvaise gestion en grande difficulté financière, on demanda aux Services Bancaires de lui venir en aide. Ils réussirent à bâtir, avec l'aide de la profession, un plan de réorganisation qui permit le redressement en quelques années. Worms en devint ainsi un important actionnaire. La Compagnie fut présidée par Robert Cousin jusqu'en 1966, puis par M. Raymond Meynial, qui quitta la présidence en 1976, où le remplaça Guy Taittinger.
D'autre part, les Services Bancaires furent également conduits à s'intéresser, sur la proposition de Gaston Gaston-Breton, beau-père de Guy Taittinger, à la Compagnie La Foncière qui tenait une place importante dans l'assurance maritime. M. Pierre Laure, ancien Vice-Président de la Compagnie Générale Transatlantique, fut désigné comme Président, d'accord avec les « Assicurazioni Generali » qui détenaient avec la Maison le contrôle de cette Compagnie. Guy Taittinger fut nommé Président de La Foncière, après le rachat par la Banque de la participation des "Generali" en 1971.
Afin de faciliter le rapprochement de ces deux grandes compagnies (le montant des primes encaissées avoisine 4 milliards de francs), en accord avec le Ministère des Finances, les capitaux disponibles des deux compagnies furent regroupés dans une société financière, "Comindus". Cela devait permettre au groupe d'investir dans des activités de même nature, de s'internationaliser à l'étranger, et de mieux répartir ses risques.
Après diverses opérations de titres, menées par M. Raymond Meynial et Guy Taittinger, Comindus détient désormais, d'une part le contrôle de La Préservatrice-IARD et de La Fondère-TIARD par l'intermédiaire de la Société de Participations et de Gestion (Speg), et d'autre part les principales participations étrangères du groupe d'assurances, ainsi que d'importantes disponibilités.
M. Nicholas Clive Worms à la tête de Comindus et de la Speg poursuit aujourd'hui la rationalisation des activités des deux compagnies avec l'aide de MM. Guillaume Legrand et Michel Crestin pour La Préservatrice, et de MM. Claude Tixier et Georges Soleilhavoup pour La Foncière.
Indépendamment de la prise de contrôle de ces deux compagnies, la Maison fut conduite à se rapprocher d'une troisième : La Populaire-Vie, créée en 1910 par Émile Hoskier (fondateur de la Banque Hoskier) qui en fut le premier Président, et par Duval-Fleury qui lui succéda et en fut le principal animateur. Elle fit pénétrer en France la technique de l'assurance populaire, mise au point dans les pays Scandinaves, et qu'Émile Hoskier connaissait à cause de ses origines danoises. Sous la présidence successive de Jean Thierry, qui avait déjà été l'artisan du rapprochement de la Banque Hoskier et de Worms, de Louis Gâche et de M. Pierre. Bazy (depuis 1973), elle développa beaucoup ses activités, et le montant de ses primes en fit la première compagnie du secteur privé dans ce domaine. L'action de M. Pierre Bazy permit à la Maison d'y acquérir une position importante, à côté des familles Duval-Fleury et Thierry. En 1976, La Populaire-Vie fit apport de ses activités d'assurances à une nouvelle société d'assurances qui reprit le nom de La Populaire-Vie. Elle prit elle-même le nom d'Athéna, M, Pierre Bazy conservant la présidence.
La plupart de ces opérations et beaucoup d'autres se développèrent sous la direction de M. Raymond Meynial. II décida lors de l'Assemblée Générale de la Banque du 21 mai 1974, de ne pas demander le renouvellement de ses fonctions de Président. Il quitta donc la présidence de cette Banque à laquelle il avait su donner un extraordinaire essor depuis 1962. C'est à partir de cette date, en effet, qu'il prépara et fit aboutir la transformation des Services Bancaires de Worms & Cie en une Banque jouant un rôle important dans l'économie nationale, et prenant peu à peu un rayonnement international. Quelques chiffres souligneront cet essor. Le total du bilan qui était de 815 millions en 1960 passa en 1973 à 6,5 milliards et en 1978 à près de 16 milliards. Les dépôts de la clientèle qui étaient de 680 millions en 1960 étaient de 5 milliards en 1973 et de plus de 7 milliards de francs en 1978.
Mais ce que les chiffres ne peuvent dire c'est l'atmosphère d'intense activité qui a régné à la Banque, d'abord entre 1945 et 1962, et plus encore peut-être à partir de 1962, quand M. Raymond Meynial en assuma la totale direction. Il joignait à la capacité d'imaginer celle de décider. Sa contribution à l'extension et à la transformation de la Maison fut considérable : il fit de la Banque une des premières banques privées de la place, et contribua largement au développement du rôle de la Maison dans le secteur des Assurances. Par la durée de son action à la tête de la Maison, par un ensemble de qualités que connaissent bien ses collaborateurs, il mérite assurément qu'on dise de lui qu'Hypolite Worms n'aurait pu avoir de meilleur successeur, et ceux qui ont vécu la vie de la Maison savent ce que cela signifie.
Devenu Président d'honneur de la Banque tout en continuant à assumer ses responsabilités d'Associé-Gérant de Worms & Cie jusqu'en 1978, M. Meynial est donc bien le quatrième homme ayant joué en 130 ans dans la Maison un rôle prolongé et déterminant : Hypolite Worms, le fondateur, Henri Goudchaux son successeur, Hypolite Worms, le petit-fils du premier, et lui enfin. Bel exemple de continuité avec si peu d'hommes, mais dont la réussite tient aussi à la qualité de tous ceux qui les ont entourés durant plus d'un siècle.
On ne saurait oublier que dans sa tâche, depuis 1937, M. Raymond Meynial a bénéficié pendant quarante ans de la collaboration de M. Guy Brocard, qui a parcouru tous les degrés dans la hiérarchie de la Maison, pour en devenir Associé-Gérant en 1967, tout en ayant été pendant de longues années le Directeur général de la Banque. Bénéficiant de la confiance totale et de l'amitié de M. Meynial, M. Brocard a été associé à toutes ses décisions par un contact permanent, au cours duquel l'équilibre de son jugement, ses connaissances professionnelles, et sa compréhension très humaine des problèmes sociaux, n'ont cessé de montrer leur valeur.
L'année 1974 fut malheureusement marquée par la disparition subite de Robert Labbé, Associé-Gérant depuis trente ans. Ancien Inspecteur des Finances, d'une culture étendue, d'une élocution élégante, il avait joué pendant trois décennies un très grand rôle dans la direction des activités maritimes de la Maison, tout en suivant de près l'ensemble des autres, et en participant à de grands conseils d'administration comme ceux d'Air-France ou du Gaz de France.
Guy Taittinger, Associé-Gérant de Worms & Cie depuis 1970 et Vice-Président Directeur général de la Banque depuis 1971, succéda à M. Raymond Meynial à la présidence en 1974, couronnant ainsi une carrière commencée dans les Services Bancaires dès 1947, et au cours de laquelle il avait montré les qualités qui guidèrent le choix de M. Meynial pour lui succéder. Sous sa présidence, la Banque poursuivit dans la voie tracée par son prédécesseur et élargit encore le cadre de ses activités.
Il se préparait à donner toute la mesure de ses possibilités, qui étaient grandes car son intelligence était vive, quand la maladie l'abattit en 1978. Il fit face à l'épreuve avec une grande fermeté d'âme. Il entendait rendre à la Maison, à laquelle il était profondément attaché, ce qu'elle lui avait donné, et il avait les qualités pour y parvenir. Il voulait marquer son passage, comme d'autres avant lui, par des initiatives nouvelles. Un destin cruel ne l'a pas permis, mais l'émotion soulevée par sa fin prématurée, y compris chez les plus modestes, est le meilleur hommage qui pouvait être rendu à ses rares qualités de cœur.
M. Pierre Bazy, Directeur général depuis 1971, Associé-Gérant de Worms & Cie depuis 1977, lui a succédé à la présidence de la Banque. M. Claude Janssen, Directeur général adjoint depuis 1975, est devenu Directeur général, cependant que M. Henri Marot, Directeur général adjoint depuis 1975, complète l'équipe de direction. M. Nicholas Clive Worms a remplacé Guy Taittinger à la présidence de Comindus et de la Speg, tandis que M. Jean Barnaud a conservé la haute direction de l'ensemble des activités Combustibles, Maritimes et de Transport.
Avec eux commence le temps qui n'est plus de l'histoire faite mais de l'histoire qui se fait, et qu'on écrira un jour. Par exemple en 1998 lors du 150e anniversaire de la Maison Worms...

Les associés-gérants de la Maison Worms depuis sa création

Hypolite Worms de 1848 à 1877
Henri Josse de 1874 à 1881
Henri Goudchaux de 1881 à 1916
Lucien Worms de 1881 à 1895
Élie Baudet de 1881 à 1891
Paul Ch. L. Rouyer de 1896 à 1915
Alphonse Mayer de 1896 à 1905
Jules Sylvain de 1906 à 1911
Hypolite Worms de 1911 à 1962
Michel Goudchaux de 1911 à 1940
Georges Majoux de 1916 à 1925
Jacques Barnaud de 1930 à 1944 et de 1949 à 1962
Robert Labbé de 1944 à 1974
Raymond Meynial de 1949 à 1978
Pierre Herrenschmidt de 1960 à 1967
Guy Brocard de 1967 à 1978
Guy Taittinger de 1970 à 1978

En activité au 1er janvier 1979 :

Jean Barnaud depuis 1962
Nicholas Clive Worms depuis 1974
Pierre Bazy depuis 1977

Les dénominations successives de la Maison Worms depuis sa création :

De 1848 à 1874 : Hypolite Worms (affaire personnelle)
De 1874 à 1881 : Société en nom collectif "Hypolite Worms & Cie"
De 1881 à 1895 : Société en nom collectif "Worms, Josse & Cie"
De 1895 à ce jour : Société en nom collectif "Worms & Cie"

Les leçons du passé et l'action d'aujourd'hui

Le 22 octobre 1949, Hypolite Worms, à l'occasion du Centenaire de la Maison (un peu retardé), prononça deux discours. L'un où il retraçait à grands traits cette histoire durant cent ans. L'autre où il en dégageait la philosophie. Peut-être aurait-on pu tout simplement reprendre ce qu'il disait comme conclusion de ce livre, car ses paroles n'ont rien perdu de leur pouvoir d'évocation, ni pour le lecteur d'aujourd'hui, ni pour celui de demain. Mais un tiers de siècle a passé et il est nécessaire de regarder ces cent trente ans d'un œil neuf, et de décrire le présent tel que nous le vivons.
La Maison a été une création continue : évoluant du négoce du charbon à l'armement maritime, de l'armement à la construction navale puis aux autres formes de transport, de la houille au pétrole et au gaz, et se dotant d'un département bancaire il y a cinquante ans. Grâce à lui, elle s'est ouverte aux activités industrielles et a pris une large place sur le marché français de l'assurance. Ces adjonctions successives l'ont largement développée. Mais elle a cherché aussi, dans le cadre de ses activités traditionnelles, à s'adapter étroitement au progrès, en utilisant les techniques les plus spécialisées. A cet égard, l'évolution d'un des plus anciens départements de la Maison, celui du transport maritime, a sans doute été marquée par les changements les plus significatifs.
A la bien considérer, la Maison s'est développée selon une forte logique interne. Mais on s'interdirait de la bien comprendre si l'on oubliait qu'elle a été d'abord le fruit de l'imagination et de la force créatrice de quelques hommes. Les pages qui précèdent ont nommé certains d'entre eux - et l'énumération en est bien incomplète. Pourtant, au moment de conclure, il faut rappeler ce qu'ont fait ceux qui l'ont plus fortement marquée.
Hypolite Worms, le fondateur, a été l'un des premiers parmi ses contemporains à comprendre le rôle que jouerait le charbon anglais dans le monde. C'est autour de cette idée qu'il a organisé la Maison pendant trente ans. Henri Goudchaux a vu qu'au tournant des XIXe et XXe siècles, le Canal de Suez serait un outil capital de la prépondérance économique. Il a su y tailler pour la Maison une place de choix, qu'elle a conservée durant près d'un siècle. Hypolite Worms, le deuxième, a fait naître une autre Maison de celle qu'il avait reçue, au cours de cinquante années marquées par deux guerres longues et cruelles. C'est lui qui a fait d'une entreprise solide, respectée, mais limitée, une très importante affaire de navigation et de banque, au crédit indiscuté. L'un de ses mérites aura été de s'entourer de collaborateurs de grande valeur, notamment, parmi d'autres, Jacques Barnaud, puis M. Raymond Meynial, qui devait lui succéder. Celui-ci, aidé à son tour d'hommes de qualité, a marqué une action de quarante ans par des transformations profondes des activités de la Maison, notamment dans le domaine de la Banque, qu'il internationalisa, et dans celui de l'Assurance.
S'il est vrai que la forme de société de personnes, qui fut celle de la Maison depuis l'origine, permit aux hommes qui la dirigèrent de donner toute leur mesure, il faut savoir aussi que son développement fut rendu plus difficile par suite de l'existence de cette structure même, à laquelle personne ne voulait (ni ne veut) renoncer.
En effet les diverses étapes de son extension nécessitèrent l'emploi de capitaux neufs considérables que la Maison ne pouvait trouver chez ses commanditaires. Une gestion prudente a certes permis de renforcer ses moyens financiers en limitant les distributions de bénéfices aux commanditaires ; mais dans les trois dernières décennies, en raison notamment de l'inflation, ces capitaux se trouvèrent insuffisants et il fallut rechercher des sources nouvelles de fonds propres. Ce sont ces problèmes et la solution qui leur a été donnée qui expliquent la forme actuelle de la Maison.
C'est ainsi que dans le domaine maritime, elle rechercha des appuis financiers lors de la création de la SFTP en 1938. Aujourd'hui, après diverses opérations de titres, Worms & Cie possède directement moins de 50% de la Compagnie Navale Worms. C'est ainsi que la prise de contrôle à 50% de Pechelbronn en 1970 apporta à la Maison des moyens accrus, qui ont facilité la restructuration de ses activités dans le domaine maritime, et permis de nouveaux développements, tel le rapprochement avec la Compagnie Lebon. C'est ainsi que Worms & Cie céda au public 20% de la Banque, 30% l'ayant été à des banques étrangères ; émit dans le public pour la Banque des emprunts obligataires, et pour la Compagnie Navale Worms un emprunt obligataire convertible en actions ; créa une société d'investissement devenue depuis une sicav ; prit une participation importante dans Athéna qui contrôle les assurances La Populaire-Vie et créa, en liaison avec Pechelbronn, la société Comindus pour l'aider dans le financement du développement des compagnies d'assurances.
La Maison se trouve donc être, au bout de ces 130 ans, un groupe puissant dont les fonds propres, ajoutés à ceux de Pechelbronn et de diverses sociétés financières qui dépendent d'elle, sont aujourd'hui suffisants pour lui permettre, dans les années qui viennent, un large développement. Elle est en effet solidement assise sur trois piliers : celui du transport maritime et terrestre ; celui de la banque, banque commerciale et banque d'affaires travaillant en France et à l'étranger ; celui de l'assurance avec trois importantes compagnies anciennes et de réputation indiscutée. Cette structure équilibrée est une force, et cet ensemble économique compte dans la France d'aujourd'hui à la fois par sa puissance et par son crédit.
Ce crédit n'est pas seulement le fruit d'une gestion saine et inventive. Il est aussi le résultat de la pérennité des structures fondamentales de la Maison. Elle est aujourd'hui constituée par un ensemble de sociétés anonymes semblables à toutes les autres. Mais elles demeurent intégrées dans la société en nom collectif Worms & Cie, vieille d'un siècle.
Cela signifie que Worms & Cie, comme aux premiers jours, appartient à un certain nombre d'associés commanditaires. Ils sont, soit les héritiers des fondateurs de la Maison, soit ceux qu'ils ont cooptés, ou leurs descendants, en raison des éminents services qu'ils ont rendus. Le nombre des familles qui détiennent le capital de Worms & Cie est limité : en ce sens elle reste familiale dans son capital, tout en ne cessant de s'ouvrir à des talents nouveaux, qui s'intègrent aux anciens.
Worms & Cie est aussi une affaire originale par suite du rôle joué par les Associés-Gérants, c'est-à-dire les hommes qui la dirigent effectivement, et qui sont d'ailleurs responsables de leur gestion sur la totalité de leurs biens, caractéristique presque unique dans le monde des affaires d'aujourd'hui.
Leur choix obéit à des règles simples. Les nouveaux associés sont choisis par les anciens et ils exercent effectivement la direction de l'ensemble des activités de Worms & Cie. Certes, l'un ou l'autre d'entre eux s'occupe plus particulièrement d'un secteur : la navigation, la banque, l'assurance. Mais chacun d'eux participe au choix des orientations du groupe et est associé, dans le plein sens du terme, aux décisions prises. C'est une direction collégiale où chacun a pourtant des responsabilités particulières. Une pareille structure a sans doute permis de mieux surmonter les épreuves qui ont pu survenir, et de prendre des décisions rapidement, ce qui est un facteur d'efficacité.
On ne peut sans doute mieux conclure qu'en citant les paroles qu'Hypolite Worms prononça lors du Centenaire de la Maison, il y a trente ans. Il disait, non sans fierté : « Les hommes qui nous ont précédés nous ont légué l'exemple du labeur, des nouveautés créatrices, du respect de soi-même. Cet exemple, nous nous sommes efforcés de le suivre, et je crois pouvoir dire aujourd'hui, avec la gravité qu'un tel moment impose, que ce ne fut pas sans succès.
Les mêmes hommes, des plus puissants aux plus humbles, ont toujours travaillé dans une étroite union, avec la passion du service, et l'instinct qu'ils formaient comme une grande famille, aux fonctions diversifiées, mais aux sentiments et aux intérêts communs. Cet état d'esprit, qui nous a donné tant de force, dans les succès comme dans les heures difficiles, car nous en connûmes, comme tous les hommes et toutes les collectivités qui ont un long passé, cet état d'esprit, qui était celui de la Maison dès 1848, comme vingt ou cinquante ans plus tard, comme aujourd'hui, c'est notre principal devoir que de le maintenir, et c'est un devoir auquel, pour ma part, je ne faillirai pas. C'est pour moi et pour mes associés un bonheur et un honneur que de vous le dire en ce jour de fête. Considérant ces générations d'hommes et de femmes de tous rangs qui ont œuvré sans relâche, avec tant de zèle et tant d'intelligence pour notre pavillon, dont le labeur obscur ou éclatant, chaque jour renouvelé, a fait de notre Maison l'une de celles dont parle le monde entier, je ne saurais autrement conclure qu'en les remerciant profondément pour tout ce qu'ils ont apporté d'eux-mêmes à cette Maison, et qu'en vous remerciant, vous tous, qui êtes présents, qui continuez leur labeur, et qui êtes aujourd'hui les ouvriers de nos succès. »
Ainsi l'homme qui incarna la Maison pendant un demi-siècle rappelait-il, avec son sens profond de l'humain, qu'elle était l'œuvre de tous ceux qui lui avaient donné leur intelligence et leur cœur, à quelque rang qu'ils aient été placés. Puissent ceux qui sont là aujourd'hui, et ceux qui viendront demain, se souvenir qu'ils appartiennent à une Maison créée et développée par le travail opiniâtre de tous, avec, comme but suprême, de faire toujours plus et toujours mieux.

Table

Avant-Propos
I. La Maison Worms de 1848 à 1914
Du négoce de charbon, à l'armement maritime                                                          11
II. La Maison Worms depuis 1914
Le commerce des combustibles                                                                                    25
La construction navale (1916-1966)                                                                               29
Les transports maritimes et terrestres                                                                          35
Des Services Bancaires de 1928 à la Banque Worms d'aujourd'hui
Les Assurances depuis 1938                                                                                         47
III. La Maison Worms aujourd'hui
Les leçons du passé et l'action d'aujourd'hui                                                              69

Georges Albertini est l'auteur de ce livre,
Comme il le fut du "Livre du Centenaire" en 1948.
Pour écrire "Cent Ans boulevard Haussmann",
Francis Ley a apporté sa collaboration
Pour les recherches documentaires.
Cet ouvrage, achevé d'imprimer le 31 décembre 1978,
A été réalisé par les
Éditions Graphis Conseil à Paris
Sur une mise en page de Rémy Peignot.
Le tirage a été limité
à 8.020 exemplaires numérotés
se décomposant comme suit :
20 exemplaires sur Velin d'Arches pur chiffon
numérotés de 1 à 20
Et 8.000 exemplaires sur papier d'Édition ivoire
Des papeteries Arjomari Prioux
numérotés de 21 à 8.020

 
 

 

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