1968.11.00.Discours (sans signataire).Lancement du Hypolite-Worms

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Nous voici donc réunis pour donner à ce bateau que nous avons construit le non d'Hypolite Worms, celui de l'homme qui pendant près de cinquante années, de la grande guerre jusqu'à 1962, a été le chef incontesté de sa Maison. Je ne l'ai malheureusement pas connu, mais je crois me faire de lui une assez juste image d'après ce que m'en ont dit, soit ses associés, soit ses pairs dans ce beau métier d'armateur qui était par excellence le sien, soit enfin ses collaborateurs ou ses amis.

C'était essentiellement un homme simple, je veux dire un homme sans détour, de cette droiture qui est celle des hommes de la mer, et qui se dégageait du regard direct et pénétrant qu'il posait sur ses interlocuteurs. Ce regard que je dirai simplificateur était celui d'un homme d'action, qui mûrissait ses décisions, mais qui savait trancher, risquer, gagner et perdre. C’était le regard d'un chef. C'est lui qui donnait à cet homme fragile une présence et une autorité exceptionnelles.

Mais il était bien loin de n'être qu'une volonté. Ceux qui le connaissaient peu pouvaient se méprendre sur sa réserve et croire qu'elle était la marque extérieure d'une certaine froideur. Ceux qui vivaient auprès de lui sentaient qu'il était un homme bon, un homme généreux, plein de délicatesse et de fidélité pour ses amis, mais aussi pour tous ceux dont la vie le rapprochait. Cette bonté, jointe à un sens inné de la justice, explique que tous ceux qui ont travaillé à ses côtés ou sous ses ordres ont gardé de lui un souvenir dont j'ai pu apprécier la force et la rare qualité. Ce chef, ils le savaient, était pour eux un ami, et ils n'avaient nul besoin qu'il les en assure.

Si l'art du commandement et l'exercice de hautes responsabilités exigent la rectitude du jugement, la fermeté du caractère et la générosité du cœur, alors nous pouvons affirmer que peu d'hommes dans sa génération ont autant mérité que lui d'être ce qu'il fut pendant de si longues années. Et c'est cela, n'en doutons pas, qui explique que dès la guerre de 1914 et à plusieurs reprises les gouvernements de son pays lui aient confié des missions difficiles. Ce n'est pas seulement parce qu'ils le savaient capable de les remplir. C'est plus encore parce qu'ils avalent confiance en lui.

Mais Hypolite Worms, qui a vécu pour sa Maison au point de s'identifier à elle, et au point qu'il y est toujours présent, ne bornait pas son horizon aux seules affaires. Il était un homme raffiné d'un goût sûr, un connaisseur avisé de l'art vénitien, comme de celui du 18ème siècle français. De Guardi, de Fragonard, de Gabriel de Saint-Aubin, il savait tout et de bien d'autres, dont les œuvres enchantaient son regard dans son hôtel du Champ de Mars.

C’est donc le nom d'un homme complet que le navire qui est devant nous aura l'honneur de porter et pas seulement celui d'un grand armateur. L'hommage qui lui est ainsi rendu aidera à maintenir sa présence parmi nous, parmi ceux qui l'ont connu, et pour l'enseignement de ceux qui viendront après lui, pour qui il a tracé la route, ouvert la voie et montré l'exemple.

 

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