1967.01.19.Des Echos.Article sur le rapprochement entre la Compagnie financière de Suez et la Banque de l'Indochine

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Le rapprochement entre la Compagnie financière de Suez et la Banque de l’Indochine est d’une grande portée

La Compagnie financière de Suez et la Banque de l’Indochine ont fait savoir mardi que leurs conseils d’administration venaient d’approcher le principe d’une prise de participation réciproque qui ne pourrait dépasser 7 % (voir Les Échos du 18/1/1966).
Chaque mot compte dans leur communiqué laconique qui officialise un accord d’une grande importance pouvant, selon l’optique, paraître le fruit de quelques mois de pourparlers ou la conséquence de plus de quinze années de liaisons professionnelles et de coopération discrète entre les membres des deux grands groupes.
La Banque de l’Indochine et la Compagnie financière de Suez, en effet, sont chacune le pivot d’une grande alliance bancaire distincte et de forme différente, le troisième rassemblement est celui formé autour de la Banque de Paris et des Pays-Bas, à la suite de prises de participation réciproques de celle-ci, d’’une part, avec la Compagnie bancaire, d’autre part, avec le Crédit industriel et commercial, et en sus une association de la Banque de Paris et des Pays-Bas et de Worms et Cie, se doublant pour cette dernière banque privée d’une tentative de coopération avec le Crédit du Nord.
Le nouvel échange de participations réciproques entre le premier rassemblement, celui du Suez, et le second, celui de la Banque de l’Indochine, est lourd de conséquence dans la mesure où il est peut-être susceptible de modifier les rapports d’équilibre et entre les trois groupements bancaires non nationalisés et à l’intérieur de chacun d’entre eux.

Des divisions par sept
Dans l’immédiat, c’est ce dernier aspect des choses qui retient particulièrement l’attention des investisseurs institutionnels, souhaitant arriver à des conclusions précises. L’entreprise est prématurée, quoiqu’il soit peut-être possible d’essayer de dégager quelques directions de recherche sur trois plans :
1) Sans attacher une valeur mystique au chiffre 7, il est significatif que le montant accordé par la Banque de l’Indochine au représentant de l’autre grand rassemblement, la Compagnie financière de Suez, soit aligné sur la proportion allouée à la Paternelle, alter ego de la Banque de l’Indochine dans le domaine de l’assurance, et sur celui accordé par la Banque de l’Indochine à ses nouveaux associés depuis avril dernier à titre de réciprocité : à savoir 7 % de son capital donné à Schneider, et 7 % donnés à son principal actionnaire, le groupe Empain, représenté par son holding, Électrorail.
Quoiqu’il faille se méfier des symétries, certains seront tentés de se dire que face aux 14 % de Schneider-Empain dans la Banque de l’Indochine, il pourra y avoir éventuellement un autre 14 % de contrepoids, celui de La Paternelle et du Suez. Il n’en résulte, en aucune façon, une distanciation entre la Banque de l’Indochine et ses nouveaux associés, mais une latitude accrue pour chacun avant d’arriver à un point de vue concerté dans les affaires les plus complexes et de grande envergure.

2) Le fait que la Compagnie financière de Suez a donné une participation de 7 % dans son capital à la Banque de l’Indochine signifie-t-il qu’elle se donne du jeu dans ses rapports avec ses associés ? Il semble qu’il faille répondre par la négative. Ce rassemblement a été très avant, en effet, dans la voie de la concentration depuis le jour où en septembre 1965 (voir Les Échos du 10.9.1965) a été soudé l’accord entre la Compagnie financière de Suez et l’Union des Mines-La Hénin par la création par la création d’une banque commune, la Banque de Suez et de l’Union des Mines, dans laquelle la Compagnie financière de Suez a pris 40 % du capital et l’Union des Mines 50 %, 10 % étant donnés à la Banque de l’Union parisienne, qui, en contrepartie, cédait 3,44 % à l’Union des Mines-La Hénin et 21,05 % à la Compagnie financière de Suez. La concentration depuis s’est resserrée (voir Les Échos du 16.9.1966), aboutissant au terme de deux opérations à une division à 50-50 % du capital de la Banque de Suez et de l’Union des Mines, entre l’Union des Mines-La Hénin et la Compagnie financière de Suez. Cette dernière, au terme d’opérations complexes simultanées, a pris une participation de 80 % dans la nouvelle Banque de l’Union parisienne, les autres 20 % appartenant à l’ancienne Compagnie française de crédit et de banque (CFCB).

Multiplicité des liaisons
L’octroi d’une participation de 7 % dans la Banque de l’Indochine à la Compagnie financière de Suez seule ne répond pas essentiellement aux poids respectifs différents, au sein de leur association étroite, de l’Union des Mines-La Hénin et de la Compagnie financière de Suez, seul pivot de l’échange réciproque de titres avec la Compagnie de Pont-à-Moisson, il correspond également, semble-t-il, à une répartition concertée des fonctions entre le Suez et l’Union des Mines-La Hénin, ayant entretenu de longue date des rapports avec la Banque de l’Indochine.

3) Des liens d’affaires et d’amitié ont uni en effet peu après la fin des hostilités la Banque de l’Indochine et la Banque générale industrielle-La Hénin, qui devait fusionner en juillet 1963 avec l’Union des Mines pour former l’Union des Mines-La Hénin, toutes deux avaient à procéder à des reconversions parallèles très tôt. La seconde pour se diversifier de ses intérêts charbonniers, la première de ses intérêts d’Extrême-Orient. C’est pourquoi M. Gérard Dangelzer, directeur à la Banque de l’Indochine, a été le censeur de la Banque de l’Union des Mines-La Hénin.
Certains pourraient être tentés de dire qu’il y a dissymétrie entre la liaison des coalitions de la Compagnie financière de Suez et de la Banque de l’Indochine et l’isolement de la confédération de Worms et Cie, de la Compagnie bancaire, du Crédit industriel et commercial et de la Banque de Paris et des Pays-Bas.
Mais les choses ne sont pas si simples, car il y a des éléments qu’il ne convient pas d’oublier tout à fait, unissant la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Banque de l’Indochine : il existe notamment une liaison mi-personnelle, mi-institutionnelle entre ces deux grands établissements. Lazard frères, depuis le début des années 1950, détient une participation dans la Banque de Paris, estimée généralement à 5 % ou 6 % de son capital de la Banque de l’Indochine, le premier des associés, gérants de Lazard frères et Cie, M. Pierre David-Weill, est administrateur de ces deux banques.
Sans tenter d’être plus précis, l’essentiel est de retenir que tous les rapports bancaires franco-français sont en voie de transformation et ne peuvent se comprendre que dans la perspective du mouvement, grâce auquel se forment des puissances comparables à celles des plus grandes banques européennes, et comme telles capables de faire de Paris ce marché financier européen, qui peut cesser prochainement d’être un rêve pourvu qu’il lui soit accordé ainsi qu’annoncé la liberté nécessaire.

19 janvier 196

Alain Vernay
 

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