1965.05.24.Du ministre des travaux publics et des transports.Au délégué à l'aménagement.ACSM

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Le 24 mai 1965,

Le ministre des travaux publics et des transports à monsieur le délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale
1, avenue Charles Floquet
Paris - 7ème

À l’attention de M. Rambaud

Objet : Réforme du décret n° 64 400 du 21 mai 1964 instituant une prime de développement industriel et une prime d’adaptation industrielle.

Le décret n° 64 440 du 21 mai 1964 a prévu l’octroi de primes de « développement industriel » et « d’adaptation industrielle » en faveur des entreprises qui procèdent à des investissements permettant de remédier aux difficultés d’emplois dans certaines régions défavorisées par l’évolution économique.
La prime de développement industriel a pour objet de susciter l’implantation d’activités nouvelles dans les régions de l’ouest, du sud-ouest, certaines régions du centre du pays et la Corse ; la prime d’adaptation industrielle est destinée à favoriser la création d’activités nouvelles dans les zones où se pose un problème de conversion particulièrement grave.
La localisation des régions, zones et agglomérations où ces primes peuvent être accordées a été précisée dans des tableaux annexés soit au décret du 21 mai 1964, soit à l’arrêté d’application pris le même jour.
En ce qui concerne les possibilités d’application de ces dispositions en faveur de l'assainissement et de la conversion de l’industrie de la construction navale, on remarque que la situation est très disparate, l’aide de l’État pouvant être accordée ou non selon que les établissements se trouvent ou non dans les zones délimitées par les textes.
C’est ainsi que les entreprises issues ou contribuant à la conversion des chantiers de construction navale situés dans les départements bretons, dans ceux de la Loire-Atlantique, de la Charente Maritimes et de la Gironde peuvent bénéficier de la prime de développement industriel, tandis que les entreprises liées à la conversion des autres chantiers ne peuvent ni prétendre à cette prime, ni obtenir la prime d’adaptation industrielle, l’octroi de ce dernier avantage ayant été limité essentiellement aux régions minières et textiles.
Or, la situation de l'industrie de la construction navale en France est telle qu’elle semble requérir l’attention des pouvoirs publics, au même titre que les activités extractives et textiles.
Certes, le décret du 27 octobre 1960 a prévu l’octroi en faveur de cette industrie d’une « aide spéciale temporaire » destinée aux entreprises de construction navale mettant en œuvre un programme de conversion de leur activité. Mais ce texte ne peut recevoir d'application que dans le cas de conversion « interne » c'est-à-dire de transformation de l’activité propre des chantiers.
Or, Ies possibilités d’une telle transformation d’une part se trouvent circonscrites par la vocation antérieure de ces entreprises qui les conduit généralement à se limiter à des activités connexes de leur activité principale (mécanique, chaudronnerie), d’autre part se heurtent, dans ces branches d’industrie, à la concurrence d’entreprises spécialisées ayant, du fait de leur antériorité acquis une position solide sur un marché au demeurant étroit.
On comprend, dans ces conditions que les efforts de conversion interne, cependant non négligeables, accomplis par les chantiers de construction navale, n’aient pu leur éviter de recourir à des licenciements de personnel, et que l’action entreprise doive être complétée, notamment dans les zones affectées par ces licenciements, par un effort d’implantation d’industries nouvelles extérieures aux entreprises de construction navale.
C’est dans cette optique qu’il m’est apparu nécessaire d’appeler votre attention sur la situation difficile de certains chantiers navals français, qui vont se trouver contraints de réaliser incessamment un nouveau programme de réduction d’emplois.
Parmi les grands chantiers, trois établissements se trouvent dans cette situation :
- les A. C. de la Seine-Maritime (Le Trait)
- les C. A. de Provence (Port de Bouc)
- les F. C. M. (La Seyne).
Or ces trois sociétés font partie du groupe des quatre sociétés qui ont entamé, à la demande du gouvernement, un processus de fusion, processus qui doit aboutir à la cessation de l’activité navale subventionnée dans deux d’entre elles. Comme il est certain qu’une partie de l’activité navale sera concentrée dans la quatrième d’entre elles, à savoir les Chantiers navals de La Ciotat, deux sur trois de ces sociétés sont vouées à une conversion totale de leurs activités.                  
a) Les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime (Le Trait)
Cette entreprise a fait des pertes importantes en 1964 et ne dispose pas d’un carnet de commandes navales satisfaisant.
Pour livraison en 1966, le total des commandes enregistrées se limite à 2 navires représentant 7.650 tjb, alors que la production moyenne annuelle du chantier a été de 25.250 tjb depuis 1957. Pour 1967, il n'existe encore que des projets de commandes.
Dans ces conditions, l'établissement a dû réduire les effectifs de son personnel ce qui s’est traduit par une diminution de 192 emplois au cours de l’année 1964.
L’effectif moyen du 1er trimestre 1965 s’établit à 1 809 (effectif total inscrit du chantier). Mais ce chiffre doit être réduit de 155 employés et ouvriers qui ont été congédiés au mois d’avril. D’autres compressions devront être envisagées si le carnet de commandes ne s’améliore pas assez vite en ce qui concerne Ies navires livrables en 1966 ou en 1967.
La société a fait un effort de conversion en créant une filiale, les « Constructions mécaniques du Trait » qui occupe 200 employés et en utilisant une partie sensiblement équivalente de son personnel propre dans des travaux à destination industrielle « terrestre ».
Les résultats ne sont pas suffisants cependant, et il convient d’envisager que des entreprises extérieures puissent s’installer à proximité des A.C. de la Seine Maritime, dans la région du Trait pour accueillir la main-d’œuvre excédentaire.
Il est évident que ce résultat ne sera atteint que si les entreprises éventuellement intéressées peuvent bénéficier de la prime de développement ou de la prime d'adaptation, ce que le décret du 21 mai 1964 dans son état actuel ne permet pas.
Il y a lieu de remarquer à cet égard que la commune du Trait constitue une agglomération suffisamment distincte et éloignée de ses grandes voisines Rouen et Le Havre et que son inclusion parmi les zones bénéficiaires de primes ne préjugerait nullement la situation de ces autres agglomérations.
b) Les Chantiers et Ateliers de Provence : établissement de Port-de-Bouc                                                        
Le carnet de commandes de ce chantier se trouve également très réduit :
- en 1965 : achèvement du paquebot-car-ferry "Fred Scamaroni" 5.800 tjb (dont la coque a été construite par les F.C.M. La Seyne).
- pour livraison en 1965 : un autre paquebot-car-ferry de 5.000 tjb pour la Cie générale transatlantique.
Ces chiffres doivent être comparés avec la production moyenne du chantier depuis 1957 qui atteignait 24.400 tjb par an.
Aussi la société a-t-elle dû procéder à des réductions d’effectifs importantes :
- dans le courant de l'année 1964, l'effectif moyen du chantier de Port-de-Bouc est tombé de 1.333 à 924, soit une réduction de 409 employés.
- au 1er trimestre 1965, une nouvelle réduction a ramené l’effectif moyen à 727.
Un effort de conversion a été par ailleurs entrepris avec la création de la société « Provence – industrie » à Port-de-Bouc, laquelle a pris en charge les diverses fabrications industrielles non navales de l'établissement. Cette nouvelle entreprise emploie actuellement un effectif de 392 salariés.
Il apparaît que cet effort doive être poursuivi pour aboutir à une conversion totale d'activité, mais là encore le classement de la région de Port-de-Bouc parmi les zones énumérées dans les textes du 21 mai 1964 aiderait considérablement à la mise en œuvre de ce programme, qui ne peut être mené à bien par les seuls moyens à la disposition des Chantiers et Ateliers de Provence.
c) Les Forges et Chantiers de la méditerranée – Établissement de La Seyne-sur-Mer.           
Le même problème de conversion risque de se poser à brève échéance pour le chantier de La Seyne, des Forges et Chantiers de la Méditerranée.
Les perspectives de livraison pour 1966 ne comportent à l’heure actuelle que 2 navires (1 cargo pour la Chine et 1 paquebot car-ferry pour la Cie de navigation mixte) soit au total 15.150 tib de navires neufs, alors que la moyenne de production depuis 1957 est de 39.500 tjb/an. Il convient de mentionner également deux transformations de pétroliers pour la S.M. Shell.
Cette société était traditionnellement un constructeur important de matériel militaire (véhicule blindés) mais elle a vu disparaître ce type de commandes de ses carnets.
L’effectif total du chantier a été réduit en 1964 de 423 employés, passant de 3.931 à 3.508. Il est à craindre que de nouvelles compressions d’effectifs soient rendues nécessaires dans un proche avenir si ne sont pas obtenues d’autres commandes de navires livrables en 1966 ou 1967.
En matière de conversion, les Forges et Chantiers de la méditerranée ont entrepris des fabrications nouvelles :
- usines d’incinération des ordures ménagères,
- moteurs diesel sous licence « Alco ».
L’extension de ces activités à destination “terrestre” ou la création de nouvelles activités serait favorisée considérablement si le bénéfice des primes de développement ou d’adaptation industriels pouvait être accordé à la région de La Seyne. Au surplus, l’acuité du problème posé est renforcée si l’on tient compte de la crise qui menace la région toulonnaise.
En conclusion, la situation difficile de ces trois chantiers (A.C.S.M.-Le Trait, C.A.P.-Port-de-Bouc, F.C.M.-La Seyne) dont l’activité de construction navale est de plus en plus appelée à se réduire, voire pour deux d’entre eux à disparaître, sans qu’ils aient la possibilité de créer par leurs propres moyens, des activités de substitution suffisantes pour résoudre les graves problèmes d’emplois auxquels ils se trouvent confrontés m’a paru devoir mériter une attention particulière des pouvoirs publics.
C’est pourquoi dans la mesure où une extension des zones où peuvent être accordées les primes prévues par le décret du 21 Mai 1965 serait envisagée, il m’apparaîtrait très désirable que les communes ou agglomérations dans lesquelles sont situées ces entreprises puissent bénéficier de cette extension.

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