1949.06.28.De la direction générale des prix et des enquêtes économiques.Rapport coopérative ACSM

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Paris, le 28 juin 1949

Direction générale des prix et des enquêtes économiques
Direction nationale des enquêtes
Objet : Enquête au sujet du groupement coopératif du Trait (Seine-Inférieure)

Rapport

J’ai l'honneur de vous rendre compte de l'enquête que vous avez bien voulu me confier sous le n° 1013 du 10 juin 1949 et que j'ai effectuée personnellement à Rouen et au Trait (Seine-Inférieure) avec le concours de M. Flouroux, Commissaire.

Enquête à Rouen :

Je me suis présenté tout d’abord à M. Boutheiller qui m’a mis au courant de l’état actuel de la question et qui m’a confié les comptes rendus ci-joints d’enquêtes antérieures effectuées sur le plan départemental :
a) Enquête du service effectuée le 18 novembre 1948 dont les résultats ont été communiqués le 23 novembre à la préfecture de la Seine-Inférieure ;
b) Enquête sommaire de la gendarmerie effectuée en janvier 1949 ;
c) Enquête 358 du service portant sur des distributions de denrées contingentées : chocolat, café, fromage, etc. par le groupement d’entreprises effectuée dans le courant du mois de février 1949.
Monsieur le directeur a bien voulu me communiquer un relevé également ci-joint des prix pratiqués en février 1949 pour 23 articles de consommation courante (alimentation et habillement) sur les marchés d’Aumale, Blangy-sur-Bresle, Caudebec-en-Caux et Le Trait.
Il ressort de ce document que les prix pratiqués au Trait sont très généralement plus élevés que sur les autres marchés du département.
Je me suis rendu ensuite à la préfecture pour prendre l’attache de M. le préfet qui m’a reçu à 11 heures, rendez-vous pris préalablement par monsieur le directeur.
Le préfet m’a déclaré que ses services avaient mis en demeure le groupement d’achat du Trait et la coopérative de La Mailleraye de déposer leurs statuts. Il a indiqué, en outre, qu’à sa connaissance, ces statuts n’avaient pas été déposés.
Au cours de la conversation, M. le préfet m’a déclaré selon ses propres termes, qu’il estimait souhaitable que toutes les opinions puissent s’exprimer et il a ajouté qu’il convenait selon lui d’entendre notamment le maire du Trait qui est président du comité d’entreprise Worms et ancien conseiller général de la Seine-Inférieure.
Il a ajouté qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que l’enquête soit commencée auprès des commerçants de la localité, sur le plan de l’information afin que ceux-ci confirment leurs doléances ou non.
Je me suis rendu enfin au greffe du tribunal de commerce afin de m’assurer que dans les jours précédents, aucune inscription au registre du commerce n’avait été effectuée par les dirigeants du groupement coopératif du Trait.
Il m’a été indiqué dans cette administration qu’aucune inscription n’avait été prise par cet organisme et qu’aucun n’avait été déposé.
Notre enquête s’est donc continuée au Trait (Seine-Inférieure).

Enquête au Trait :

J’ai eu, tout d’abord, un entretien avec M. Brétéché, maire du Trait, ancien conseiller général de la Seine-Inférieure et président du comité d’entreprise des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime (entreprise Worms).
Au début de notre conversation, j’ai tenu à bien préciser que je m’adressais en sa personne au magistrat municipal et que je désirais entreprendre une enquête d’information sur l’organisme coopératif Worms.
M. Brétéché m’a indiqué qu’il était disposé à me donner toutes informations utiles pour faciliter notre tâche et m’a fait un exposé de l’activité du groupement d’entreprise.
Il m’a notamment déclaré que Le Trait était une commune à population ouvrière et qui s’était fort développée pendant et après la guerre.
Il a ajouté que les prix pratiqués au Trait étaient généralement plus élevés que dans les autres communes du département, en raison de cet accroissement rapide de la population ouvrière et de l’insuffisance pour une distribution normale de commerce libre installé dans la commune.
Il a indiqué en outre que le groupement d’achat était une création spontanée du comité d’entreprise Worms réalisée dès 1941 et dont le but était de permettre l’approvisionnement en denrées alimentaires à des prix normaux des ouvriers des chantiers qui constituent la majeure partie des habitants de la commune.
M. le maire m’a fait connaître que le magasin de vente de cette coopérative était installé sur un terrain appartenant aux chantiers, mais ouvrant sur un chemin public.
Aucune carte n’est exigée des acheteurs, aucune inscription sur la façade du magasin n’indique qu’il s’agit d’une coopérative. Toutefois, à l’intérieur, existe une pancarte pour limiter les ventes aux ouvriers de l’entreprise.
M. Brétéché croit savoir qu’une étude est actuellement faite par le comité d’entreprise afin, soit de transformer le groupement d’achat en coopérative légale, soit de reconnaître à cet organisme l’impossibilité de subsister.
Lui ayant demandé quelle était l’organisation interne du groupement d’achat, il nous a répondu que la comptabilité était tenue et vérifiée par les services comptables des chantiers. Les transports sont assurés par les chantiers mais payés par le groupement d’achat. C’est la comptabilité des chantiers qui fixe les prix de vente des denrées et produits mis en vente, compte tenu de tous les frais et charges, et notamment du paiement de toutes les taxes fiscales. Aucun bénéfice n’est prélevé au profit du groupement d’achat.
Enfin, M. Brétéché nous a confié qu’il y avait actuellement une certaine tendance à la renaissance de la concurrence sur le territoire du Trait, mais qu’en définitive, il était plus facile et plus profitable surtout pour les commerçants du lieu de réaliser des ententes commerciales afin d maintenir des prix élevés.
M. le maire nous a enfin déclaré qu’une fusion du groupement d’achat avec l’union des coopératives COOP était également envisagée.
Nous avons ensuite entendu quatre commerçants de la localité : les sieurs Saupin, quincaillier, demeurant rue G. Clemenceau, Porrot, quincaillier, demeurant également rue G. Clemenceau, Mme Chevallier, épicerie-légumes, rue G. Clemenceau et le sieur Beuvin, épicerie, rue Jean Bart, dont les procès-verbaux d’audition sont ci-joints en annexe.
Les déclarations recueillies auprès de ces commerçants se résument à l’articulation des principaux griefs suivants contre le groupement d’achat :
1) Les ventes sont effectuées par cet organisme non seulement aux ouvriers des chantiers mais encore à de simples particuliers et quelquefois même à des agriculteurs étrangers à la localité.
2) Les procédés de vente sont d’après ces négociants déloyaux, étant donné que des ventes à crédit sont pratiqués par le groupement d’achat.
Il nous a été indiqué verbalement par certains commerçants que des articles vendus par le groupement d’achat sont les mêmes que ceux vendus par les commerçants (notamment des cuisinières) et que les dirigeants du groupement ont procuré ainsi des articles identiques à leur clientèle à des prix très inférieurs à ceux du commerce privé.
Par contre, les détaillants interrogés ont estimé que la coopérative de La Mailleraye agissait d’une façon beaucoup plus régulière, parce qu’elle était installée dans l’enceinte même de l’entreprise et qu’elle ne vendait qu’à ses adhérents.
Enfin, pour compléter l’enquête d’information et pour répondre en même temps à la demande exprimée par monsieur l’administrateur de la 3ème division, j’ai recueilli auprès des administrations financières les renseignements fiscaux suivants :

Contributions indirectes :

Je me suis rendu à Pavilly (Seine-Inférieure) où se trouve la recette des contributions indirectes.
Le groupement d’achat paie toutes les taxes indirectes comme une entreprise privée, notamment les taxes sur les ventes, sur les achats directs, la taxe locale, la taxe d’abatage de 1 fr par kg, les taxes perçues au profit du fonds de solidarité agricole, les taxes à la production.
Nous avons relevé à titre de renseignement à la recette de Pavilly le montant des diverses taxes sur le chiffre d’affaires dues pour le mois de mars 1949 (ci-joint en annexe tableau I).
Les déclarations ont été établies régulièrement par le groupement jusqu’au mois de décembre 1948, le tableau 2 ci-joint en annexe reprend les diverses taxes payées pendant l’année 1948.
Les taxes de janvier 1949 (taxe de 1 % sur 360.000 soit 3.600) ont été également payées, sans qu’une déclaration ait été souscrite. Depuis février, les déclarations n’avaient pas été souscrites et ce n’est qu’une huitaine de jours avant notre intervention que les déclarations ont été déposées pour les mois de février, mars, et avril.
Les paiements pour ces trois mois n’ont pas été effectués, le tableau ci-dessous indique le montant du chiffre d’affaires déclaré et des taxes dues. 

 

Chiffre d’affaires déclarés

Taxe à payer

Février

528.000

23.352

Mars

690.593

36.307

Avril

688.000

42.159

Enfin, la déclaration de mai n’a pas été souscrite.
Le receveur nous a indiqué que la direction nationale des enquêtes des contributions indirectes a vérifié il y a quelque temps la situation fiscale du groupement.

Enquête fiscale complémentaire à Rouen :

À mon retour du Trait, j’ai enfin recueilli divers renseignements aux contributions directes, 41, rue verte à Rouen. Ci-joint en annexe les bilans de 1947 et 1948.
Le groupement a payé en 1947 : 2 pour 1000 sur un chiffre d’affaires imposable de 4.196.000 frs et la taxe d’apprentissage soit 2 pour 1000 sur 384.000 frs.
Les conclusions de l’enquête d’information à laquelle je me suis livré peuvent se résumer de la façon suivante :
Le groupement coopératif du Trait est dans l’état actuel des choses, une simple émanation du comité d’entreprise des établissements Worms.
En effet, il est géré par des employés de cette firme, les locaux appartiennent et sont établis sur un terrain appartenant à cet établissement, les transports sont souvent assurés par les camions des chantiers Worms.
Enfin, la comptabilité est tenue par le comptable de Worms.
Par contre, il faut bien admettre que cet organisme a rendu dans le passé des services importants à la population ouvrière du Trait.
Il a permis aux ouvriers des chantiers qui constituent une grosse fraction de la population active de s’approvisionner dans des circonstances difficiles et à des prix bien plus bas que ceux pratiqués par le commerce local qui, en tout état de cause, était, sans doute, incapable pendant et aussitôt après la guerre de ravitailler normalement une population ouvrière qui croissait sans cesse. Il nous paraît évident que le nombre relativement faible des commerçants en face d’une agglomération toujours en extension légitimait la création d’une telle organisation de type coopératif.
Les avantages sociaux considérables de cet organisme subsistent encore, bien qu’actuellement une tendance à une reprise de la concurrence se fasse sentir dans le commerce libre de la localité.
Les procédés cependant du groupement des établissements Worms semblent assez critiquables ; pour deux raisons principales, d’abord le groupement ne vend pas qu’aux ouvrier adhérents, mais en fait à qui se présente ; ensuite sur le plan commercial la concurrence que cette coopérative de fait pratique contre les commerçants de l’endroit n’est pas toujours très correcte. Elle a profité par exemple de la mise en vente d’un type de cuisinière par un commerçant privé, pour mettre aussitôt en vente ce même type d’appareil de chauffage à des prix très inférieurs. (Voir déclarations des commerçants). Il y a lieu de noter à cet égard que nous ne sommes pas présentés au siège de la coopérative, tenant à demeurer dans le cadre strict de l’enquête d’information.
Par contre, sur la question des impôts, on ne peut rien reprocher d’important à cet organisme qui paie généralement toutes les taxes fiscales, quoique certaines irrégularités de déclarations et certains retards de paiement aient été constatés à la recette des contributions indirectes à Pavilly ainsi qu’il est mentionné plus haut. Toutefois, il semble se dégager de l’examen superficiel des déclarations faites aux contributions indirectes que le chiffre d’affaires réel de cet organisme ne semble pas, s’il est exact, causer un préjudice bien sensible aux commerçants du Trait.
En résumé, les enquêteurs estiment que, si l’utilité de ce groupement coopératif paraît certaine, il y aurait intérêt pour les dirigeants de cet organisme d’en régulariser la situation juridique, soit en transmettant ses attributions à une union de coopération déjà existante, soit en se constituant en coopérative régulière conforme à la loi du 10 septembre 1947. Cette régularisation aurait sans doute pour résultat d’affaiblir considérablement les critiques qui ne semblent pas sans fondement et qui sont adressées actuellement à cet organisme.

L’inspecteur principal,
Chef de la 1ère brigade.
Signé : illisible.
 

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