1949.05.15.Du Commandant Begouen.Note

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Le PDF est consultable à la fin du texte. 

NB : Cette reproduction fait partie d'un dossier qui a été transmis, en 1978, à Francis Ley par Roland Gada, pour la documentation de l'ouvrage "Cent ans boulevard Haussmann", documentation regroupée dans une reliure sous le titre "Témoignages maritimes".

15 mai 1949
Confidentiel

Note

Évaluation du tonnage global de la flotte de cabotage allemande correspondant aux besoins de la reconstruction allemande et européenne

1. À la suite de trois séances d'étude du comité désigné par les commandants en chef pour procéder à l'évaluation de la flotte de cabotage, la délégation française estime nécessaire de préciser sa position comme suit.
2. La délégation française a abordé la discussion en prenant pour base les chiffres proposés pour la flotte de cabotage par les experts anglais et américains en septembre 1948.
Ces chiffres, qui estimaient les besoins à 360.000 tonnes (chiffres anglais) ou 400.000 tonnes GRT (chiffres américains) de dry cargo, étaient justifiés par la nécessité de procéder en 1952 au transport d'un tonnage total de marchandises de 7,9 millions de tonnes entre ports allemands et dans le voisinage immédiat de l'Allemagne (Finlande, Scandinavie et Pays-Bas). Le tonnage de 7,9 millions avait été calculé par les experts britanniques de l'ERP.
L'idée de la délégation française consistait à augmenter ces chiffres de la part correspondant :
- à l'extension de la zone de cabotage consécutive à l'augmentation du tonnage des coboteurs, autorisée par l'accord de Washington ;
- à la participation du cabotage allemand au trafic européen (Cross Trade).
3. Au cours des premières séances, la délégation française s'est aperçue qu'elle rencontrerait un complet accord de la délégation britannique sur la méthode d'estimation. La délégation américaine, au contraire, a exprimé sa méfiance pour les chiffres calculés par les experts et a demandé qu'une enquête complémentaire soit effectuée auprès de l'OMCE pour estimer les besoins du cabotage européen en 1952 d'après les prévisions à long terme et pour déterminer la part que prendrait l'Allemagne à ces échanges.
Au vu de cette demande et malgré le sentiment très net des délégations britanniques et française qu'aucune information utilisable ne serait recueillie sur un sujet aussi spécial, le comité a demandé et obtenu qu'un délai d'un mois lui soit accordé pour fournir ses conclusions.
4. Pendant le temps qui s'est écoulé entre les réunions du 29 avril et celles du 12 mai, la délégation française s'est efforcée de recueillir quelques informations complémentaires.
Le groupe de travail de l'OMCE, à Paris, ayant signalé qu'il ne possédait aucun élément sur la question, son travail ne portant que sur l'évaluation du trafic intercontinental, deux autres méthodes ont été appliquées, consistant :
a) à vérifier les chiffres de l'ERP par l'étude des données sur le trafic des années récentes (47, 48, 49) ;
b) à demander leurs avis aux experts allemands travaillant pour le compte du service des statistiques et du plan Marshall.
5. Ces sources d'estimation ont donné les résultats suivants : le chiffre de 5 millions 1/2 de tonnes a été transporté en 1948 par le petit cabotage allemand. Eu égard aux conséquences de la levée du blocus de Berlin et à la progression notée sur le trafic de 1947 et sur les premiers mois de 1948, il est raisonnable de considérer que ce chiffre doit s'élever jusqu'à 7 à 8 millions en 1952.
Les experts allemands consultés ont évalué à 7 millions ces besoins.
Par ailleurs, la délégation française a recueilli certaines informations concernant les importations que l'Allemagne aura à exécuter dans les années prochaines en provenance de France et d'Afrique du Nord et sur l'importance de la participation du cabotage allemand dans le trafic du charbon polonais vers l'Europe occidentale.
Ces études l'ont conduite à estimer à environ 9 à 10 millions de tonnes le trafic total dévolu au cabotage allemand en 1952, environ un million 1/2 de tonnes étant transporté en "cross trade".
6. Ces chiffres ont été mis en avant à la réunion du 12 mai. De son côté, la délégation britannique arrivait, par des estimations analogues, au chiffre de 8.900.000 tonnes.
La délégation américaine a exprimé son profond scepticisme à l'égard du développement du cabotage allemand au-dessus des chiffres actuels, tenant compte des rivalités commerciales et du paiement du fret en dollars.
Cette délégation espère encore avoir des renseignements sur les chiffres des échanges européens en 1952. Ayant des chiffres en dollars, elle espère les convertir en tonnages.
Cette délégation estime que le pouvoir transporteur d'une tonne GRT peut aller jusqu'à 50 tonnes de marchandises par an, ce qui mettrait en doute l'utilité pour l'Allemagne de construire des caboteurs neufs, la vieille flotte actuelle permettant de transporter 5 millions et 1/2 tonnes.
Les délégués français et britanniques estiment que 1 tonne GRT peut en moyenne transporter 23 tonnes par an et signalent qu'en septembre, les délégués américains avaient admis le chiffre de 20 tonnes comme un maximum.
7. En résumé, la délégation française aboutit aux chiffres suivants :
- tonnage total à transporter en 1952 : 9 à 10 millions de tonnes ;
- tonnage de la flotte : 400.000 tonnes (dry cargo).
La flotte existante se montant à présent à 217.000 tonnes et une quarantaine de milliers de tonnes pouvant être récupérée par renflouement, il convient de construire un minimum de 140.000 tonnes, sans compter le remplacement estimé nécessaire par les Allemands de 70.000 tonnes de la flotte actuelle hors d'usage.
La délégation britannique arrive aux mêmes chiffres.
8. Si la délégation américaine ne change pas son point de vue en cours de la prochaine réunion fixée à 23 mai, il sera impossible de se mettre d'accord.
Et ici il convient d'ouvrir une parenthèse.
Les estimations britanniques et françaises, basées sur des chiffres que les Américains avaient eux-mêmes adoptés en septembre 1948, sont raisonnables et impartiales.
Elles rejoignent les estimations les plus récentes des experts allemands. Le chiffre proposé pour la flotte ne s'élève qu'à la moitié du tonnage d'avant-guerre.
Il semble au contraire que l'argumentation américaine soit fortement influencée par le fait que si l'Allemagne ne construit pas de caboteurs, elle va pouvoir mettre en route sans délai la construction de navires océaniques. De là à minimiser les besoins du cabotage allemand il n'y a qu'un pas et les Allemands ne tarderont pas à suivre cette bonne piste.
Il convient cependant, à notre avis, de respecter les termes de l'accord de Washington et d'évaluer impartialement les besoins allemands en cabotage sans considération des avantages éventuels que peut apporter à l'Amérique la construction immédiate d'une flotte allemande océanique.

Commandant Begouen


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