1948.06.05.De Hypolite Worms.Le Trait.Discours

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5 juin 1948

Mesdames,
Messieurs,
Mes chers amis,
Vous avez assisté aujourd'hui à un double lancement, qui unit, une fois de plus, le fleuve et la mer.
Une autre signification vous apparaîtra plus importante encore, si je vous précise que chaland et cargo clôturent respectivement leur série, qui était de quatre pour le premier et de trois pour le second.
Ces commandes, ex-allemandes, entreprises sous la contrainte, ont été retardées, en dépit de cette même contrainte, du temps nécessaire, et qui s'est étendu sur plusieurs années, pour que, finalement, toutes, sans exception, soient venues enrichir le patrimoine national. Vous me permettrez d'en rendre hommage à tous les artisans de cette magnifique prouesse.
Le "Courlis" ayant pris le premier possession de son élément, c'est à Monsieur Folliot, représentant de l'Office national de la navigation que j'adresse d'abord mon salut, ainsi qu'à la Raffinerie des pétroles du Nord, qui va exploiter cette unité, et dont je suis heureux d'accueillir ici le directeur : Monsieur Pierre, et son adjoint : Monsieur de Saint-Martin.
Vous trouverez bon que notre hommage aille maintenant à Mademoiselle Michèle Scotto, marraine de l'"Ille-et-Vilaine", qui, si gracieusement, a su accomplir le geste essentiel de cette journée.
Parlant ici comme chef de la Maison Worms, c'est donc non seulement comme constructeur de navires, mais comme armateur, que j'ai été heureux de recevoir nos invités, et notamment les représentants de la société Scotto, Ambrosino et Pugliese, armateurs du nouveau navire.
Etant donné les relations très cordiales qui unissent nos deux Maisons, vous me dispenserez d'un vain discours et vous me permettrez d'user très simplement du langage de l'amitié.
Celle-ci remonte déjà loin, mais a pris un caractère plus direct il y a près de 18 ans, puisque c'est en 1930 que ma Maison ayant pris le contrôle de la Compagnie havraise péninsulaire, fut amenée tout naturellement à maintenir à ses agents, qui étaient alors la Maison Scotto, la confiance que lui avaient accordée nos prédécesseurs.
Par la suite, ces relations d'amitié et de totale confiance s'étendirent rapidement à ma propre Maison, et dans tous ses domaines d'activité.
L'"Ille-et-Vilaine", dont le nom - n'en déplaise à sa marraine - sera sans doute provisoire, comme provisoire la gérance qui vous a été attribuée et qui se transformera bientôt, je l'espère, en un bon titre de propriété, constitue un nouveau et heureux trait d'union. Je m'en félicite tout particulièrement.
Si je me tourne maintenant vers M. l'ingénieur en chef Desforges, qu'a bien voulu déléguer auprès de nous notre nouveau secrétaire général de la Marine marchande : M. l'ingénieur en chef de 1ère classe du génie maritime René Courau, c'est pour lui dire tout d'abord, de bien vouloir lui transmettre nos plus vives félicitations à l'occasion de sa flatteuse désignation à la tête de ce département, qu'il a déjà illustré par des services distingués.
Son action passée est garante pour nous de l'œuvre qu'il saura y poursuivre.
Nous vous demandons également de faire part de nos regrets à M. l'ingénieur en chef Siegman, qui devait être des nôtres aujourd'hui.
Nous vous devons beaucoup et à plus d'un titre.
Ce n'est pas seulement en effet l'armement qui doit vous marquer sa reconnaissance pour l'œuvre de reconstruction de la flotte marchande, qui est sans doute votre principale préoccupation, mais c'est également la construction navale dans son ensemble. Celle-ci a, en effet, l'occasion de bénéficier de votre heureuse compréhension dans les nombreuses négociations qui se conduisent place Fontenoy, et je n'aurais garde d'oublier l'appui particulièrement bienveillant qu'ont trouvé auprès de votre administration, les Chantiers du Trait, exceptionnellement éprouvés, il est vrai.
Je serais ingrat, voyant ici Monsieur l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Laval, l'actif directeur du port de Rouen, si je ne remerciais également tous ceux qui, sur le plan local, nous aident dans cette tâche immense de la reconstitution de la puissance maritime française.
J'avais commencé par vous dire que je vous tiendrais un langage très simple. Ce n'est pas de ma faute si le ton de mes propos risque maintenant de s'élever un peu pour évoquer devant vous, l'histoire particulièrement exemplaire de la Maison Scotto, Ambrosino et Pugliese.
N'est-il pas en effet opportun, et à un certain égard édifiant, après avoir marqué d'un côté tout ce que nous devons à une action administrative tout naturellement orientée dans le sens des grands intérêts du pays, de montrer par l'exemple qu'il m'est donné d'illustrer, combien sont dignes de ces efforts, ceux qui sont appelés à en bénéficier, dans le cadre d'intérêts privés certes, mais qui tout de même représentent une ardente volonté de "servir".
Que de chemin parcouru depuis cette année 1874 où débarquait à Oran, Antoine Ambrosino, jeune marin de 14 ans, venant de la baie de Naples, et quittant son pays pour chercher fortune sur des côtes où tous les espoirs étaient permis. Nous imaginons volontiers l'énergie qu'il dut déployer, pendant les 16 années qui le séparent encore de cette année 1890, date de la création de votre société actuelle et date également de l'inauguration du service de cabotage oranais qui est votre marque et que vous exploitez depuis bientôt plus de 50 ans.
Si je rappelle que ce service a débuté par la mise en ligne d'une balancelle de 60 tonnes de port en lourd, la "Carmen", tirée par un remorqueur, le "Pharaon", c'est qu'en somme on peut bien sourire à distance d'une fantaisie anachronique, qui n'avait dû d'ailleurs troubler personne à cette époque. Devait-on s'étonner davantage, quelques années plus tard, de voir flotter le pavillon français sur "Procida", qui est sans doute le nom d'une petite île de la baie napolitaine mais, disons-le tout de suite pour ne pas risquer de complications diplomatiques, qui est également le nom donné à un navire de 1.800 tonnes acquis par votre société en 1930, grâce à l'institution du crédit maritime.
Cette acquisition, qui illustre bien le magnifique progrès déjà accompli, avait pris figure, en effet, d'événement familial, et l'on comprend dès lors que "Procida", berceau commun à vos trois fondateurs, ait été choisi pour leur rendre un juste hommage et figurât en lettres d'or à la proue et à la poupe de votre plus belle unité d'alors.
Exact symbole, en tout cas, qui marque bien, et la somme de travail accumulée au cours de ces années laborieuses et difficiles, et le patriotisme ardent de trois familles dévouées aux intérêts français et que notre empire avait rendu françaises.
Symbole aujourd'hui dépassé par le développement pris par vos affaires depuis cette époque, votre activité s'étant étendue dans les domaines les plus divers de la profession maritime : navigation au cabotage et au long-cours, acconage, consignation de navires, pour faire de vous, à l'heure actuelle, une des plus puissantes organisations maritimes nord-africaines.
Et comment, pour finir, ne rappellerais-je pas que votre première génération d'associés envoyait, en 1914, à la défense des frontières métropolitaines, sept de ses enfants, dont les trois gérants actuels qui furent tous les trois blessés et décorés sur le front ; cette contribution à la défense nationale étant répétée par la deuxième génération dans des conditions tout aussi magnifiques, lorsqu'en 1939 devait sonner, pour la deuxième fois, l'heure du sacrifice.
Est-il beaucoup de familles qui puissent s'enorgueillir d'un tel dévouement ? Nous savons que c'est de cela, et très justement, que vous tirez vous-mêmes votre plus grand motif de fierté.
C'est également la mienne de lever mon verre pour porter la santé à la Maison Scotto, Ambrosino, Pugliese, et à son navire, auquel nous souhaitons une heureuse fortune. Je le lève également pour la prospérité de la Marine marchande et en l'honneur de cette communauté française si dignement représentée ici.


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