1948.00.De Worms et Cie.Historique Port-Saïd (1857-1874)

Note de synthèse préparatoire à la rédaction
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949

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Port-Saïd
(Historique)

Pendant cette période (1857-1874) c'est surtout en Méditerranée et plus particulièrement en Égypte que les affaires charbons de M. H. Worms prirent de l'extension.
L'attention était vivement appelée sur l'Égypte où des progrès rapides avaient été réalisés sous Mehemet Ali. Le problème du transit entre la Méditerranée et la mer Rouge allait bientôt recevoir sa solution définitive : après les essais faits par le lieutenant Waghorn, la Compagnie péninsulaire et orientale avait organisé "l'Overland route" avec deux services de navigation conjuguée, mis sur pied un service de voyageurs entre l'Angleterre et Bombay par l'Égypte, et demandé instamment la construction d'une voie ferrée qui fut achevée entre 1850 et 1860. L'insuffisance de cette solution par rapport aux besoins du commerce, avait remis en faveur l'idée d'une voie d'eau, le 30 novembre 1854 M. Ferdinand Lesseps avait obtenu le firman de concession lui donnant le pouvoir exclusif de constituer et de diriger une Compagnie universelle pour le percement de l'isthme de Suez et l'exploitation du canal. Cette concession avait été complétée par un deuxième acte du 5 janvier 1856 ; la Compagnie du canal fut constituée le 15 décembre 1858 et le premier coup de pioche donné le 25 avril 1859 à l'emplacement futur de Port-Saïd.
M. H. Worms ne tarda pas à entrer en relations avec la nouvelle Compagnie, puis avec M. Hardon, entrepreneur français chargé des premiers travaux sous la direction des ingénieurs de la Compagnie, et avec le directeur général des travaux à Alexandrie, en vue d'être appelé à fournir le charbon qui pourrait devenir nécessaire, mais ce n'est qu'en 1865, lorsque la suppression de l'emploi de la main-d'œuvre indigène réquisitionnée eut entraîné un grand développement de l'outillage mécanique, qu'il eut la satisfaction de voir ses offres de service acceptées par MM. Borel, Lavalley & Cie a qui avait été confiée une partie des travaux du Canal et qui devaient en devenir les principaux entrepreneurs[1].
Au mois de novembre de cette même année, il reçut d'eux une première commande, bientôt suivie d'autres qui prirent rapidement une grande importance. Malgré les difficultés qu'il éprouvait pour les affrètements et du fait du mauvais temps et des vents contraires, il ne recula pas devant la responsabilité que faisait peser sur lui la nécessité d'approvisionner les chantiers dans les délais qu'imposait la marche des travaux.
En 1867 il obtint de la Compagnie du canal elle-même un marché pour la fourniture de deux chargements à Port-Saïd.
Entre temps il avait réussi à étendre ses ventes à l'Industrie locale. Indépendamment de ses fournitures aux Messageries impériales il vit augmenter sans cesse le nombre de ses expéditions à ses agents d'Alexandrie, fit à son compte en 1862 une importante fourniture aux chemins de fer égyptiens et obtint quelque temps après d'autres commandes importantes du gouvernement égyptien. La Compagnie centrale d'éclairage par le gaz, Lebon, lui confia de même l'exécution d'ordres pour Alexandrie.
Devant les résultats obtenus il avait le sentiment que l'Égypte présentait des perspectives d'énormes affaires de toute nature et que les débouchés pour les charbons y étaient considérables. II n'était pas éloigné de l'idée d'établir une succursale à Alexandrie et associait cette même idée à celle de la création d'une ligne de navigation que lui avait soumise ses amis, MM. Hantier Mallet & Cie, les sorties de charbon à l'allée et les frets de coton en retour lui paraissant devoir offrir un aliment important.
Les événements l'amenèrent par la suite à donner à ses intentions une orientation nouvelle. Malgré les difficultés rencontrées, les travaux du canal avançaient, M. Worms avait la plus grande confiance dans l'avenir de celui-ci et dans le développement qu'il entraînerait. Un premier résultat encourageant était d'ailleurs acquis : le 15 août 186, la fête de l'empereur fut célébrée à Ismailia par l'ouverture du canal d'eau douce et le passage d'une cargaison de 300 tonnes de houille transitant directement de la Méditerranée dans la mer Rouge. Le président de la Compagnie s'était rendu à Port-Saïd pour surveiller par lui-même le départ du convoi des chalands portant la cargaison. Le départ eut lieu le 13 à 7 heures du matin et entra dans la mer Rouge dans la journée du 26 août. Le transit d'une mer à l'autre sans solution de continuité était ainsi un fait accompli.
Le fonctionnement régulier de ce transit ne put avoir lieu que quelques mois plus tard. Ce n'est qu'en 1867 que l'état d'avancement des travaux permit à la Compagnie d'organiser un service de transit par le canal en cours de construction ; l'idée d'utiliser cette voie d'une façon régulière pour le transport des charbons à destination de Suez fut alors soumise semble-t-il par MM. Borel Lavalley & Cie aux Messageries impériales qui l'accueillirent favorablement et ne tardèrent pas à l'employer. Elle retint l'attention de M. H. Worms qui s'en fit également l'apôtre, cette voie beaucoup plus économique ayant en outre l'avantage d'assurer une meilleure conservation du charbon en le mettant à l'abri du concassage et de la poussière auxquels l'exposait le transport par chemin de fer d'Alexandrie à Suez.
II en fit la base de propositions à la P & O Cy et eut ainsi la satisfaction de conclure avec cette Compagnie à la fin de l'année 1867 un important marché. Elle lui confia en effet l'exécution d'une commande de 6.000 tonnes à expédier à Port-Saïd pour être transportée ensuite à Suez par la nouvelle voie ; cette commande ne tarda d'ailleurs pas à être suivie d'autres.
Des démarches du même genre furent entreprises par M. H. Worms auprès d'autres armements ; les choses prenaient ainsi une nouvelle physionomie. En prévision de l'inauguration du Canal, il décida, au cours de l'année 1869, d'établir sa Maison, immédiatement, à Port-Saïd, puis à brève échéance à Suez.
II chargea M. Rosseeuw, son collaborateur de la première heure, du soin de procéder sur place à la réalisation de ses projets. Prévoyant que le passage des vapeurs produirait un mouvement de fonds considérable et que le transit par le Canal provoquerait des affaires de banque très importantes, il décida que sa succursale s'occuperait également de banque, de transit, commission et de consignation, tout en conservant le charbon comme base principale de son activité.
Son premier soin fut de s'assurer auprès de la Compagnie du canal l'emplacement nécessaire pour l'établissement d'un dépôt et de constituer un approvisionnement en vue de pourvoir aux besoins éventuels des navires qui prendraient part aux fêtes de l'inauguration. II appela l'attention de la Compagnie sur l'utilité de cette précaution et, après avoir obtenu d'elle quelques encouragements, prit à sa charge les risques de l'opération. En même temps il portait son initiative à la connaissance des gouvernements étrangers ainsi qu'à celle des armateurs et des maisons de commerce en relations avec Suez et Port-Saïd.[2]
Malgré les grandes difficultés que rencontra dès le début son agent local, il ne perdit courage à aucun moment. La confiance qu'il avait dans la réussite du Canal fut bientôt justifiée par les résultats qu'il ne tarda pas à obtenir et fut renforcée par le revirement qui dès le courant de l'année 1870 commença à sa produire dans l'opinion publique en Angleterre où les gens au courant du trafic des Indes et de l'Extrême-Orient commençaient à construire à grands frais des navires adaptés aux besoins de ce commerce et à la nouvelle route. Le 2 avril 1870, M. H. Worms avait livré du charbon à plus de 60 navires, y compris ceux qui avaient passé à l'inauguration.
Après la guerre 1870-1871, résolu à faire de sa succursale une grande Maison, même au prix de lourds sacrifices, il la dota d'un matériel important et de coûteuses installations. En août 1872, M. H. Worms était le seul à n'avoir pas de charbon sur le sable ; grâce à son matériel et à ses remorqueurs il fut en situation de livrer vite et bien. L'importance de ses ventes lui permettait déjà de n'avoir jamais de vieux charbon ; il s'appliquait d'ailleurs à ne livrer que des charbons de première qualité.
En même temps il s'efforça de coordonner les efforts de ses succursales et de ses correspondants d'Angleterre pour regagner le terrain perdu pendant la guerre 1870-1871. Dans cet ordre d'idées il fit appel à un de ses jeunes collaborateurs, M. Henri Goudchaux, attaché depuis plusieurs années à sa Maison de Cardiff et dont depuis quelque temps il utilisait également les services en France. II lui confia la mission de s'installer à Londres, chez ses agents MM. G & A Herring & C°, et de visiter les armateurs anglais pour l'Inde et la Chine en vue d'en acquérir la clientèle à sa maison de Port-Saïd. Dès la fin de la guerre M. Goudchaux rejoignit son poste en passant par la Belgique et la Hollande pour se rendre compte s'il s'y formait des sociétés pour l'organisation de services à travers le Canal et prendre contact avec elles à ce sujet[3].
M. H. Goudchaux devint alors son principal intermédiaire pour la négociation d'un accord avec une importante maison de Londres, la maison James Burness & Sons, auquel il attachait une grande importance et qui fut l'origine entre les deux maisons d'une large et intime collaboration qui devait se continuer jusqu'à l'heure actuelle.
M. H. Worms avait pu se rendre compte que les navires arrivant à Suez et à Port-Saïd choisissaient fréquemment leurs consignataires ou leurs fournisseurs d'après les renseignements recueillis dans leurs autres ports d'escale. II y avait donc une grande utilité à posséder dans ces ports des correspondants ou des agents susceptibles de faire connaître sa maison. MM. James Burness & Sons lui parurent bien placés pour jouer ce rôle. "Contracteurs" pour la fourniture de charbons, ils avaient des dépôts à Gibraltar, Malte, Aden, Pointe de Galle et Singapour et pouvaient offrir aux armateurs une suite continue de dépôts entre l'Angleterre et les Indes, à l'exception de Port-Saïd où ils n'étaient pas installés. M. H. Worms était depuis longtemps en relations avec eux : il leur devait même déjà la consignation de quelques navires à Port-Saïd. Les deux maisons virent la possibilité d'associer leurs intérêts ; dans le courant des années 1871 et 1872 ils se mirent d'accord sur une convention aux termes de laquelle MM. James Burness & Sons devenaient les agents exclusifs de M. H. Worms pour la vente des charbons aux navires à Port-Saïd et Suez, M. H. Worms devenant de son côté leur seul représentant dans ces deux ports pour la vente et la fourniture des charbons. MM. James Burness & Sons ajoutaient dès lors Port-Saïd et Suez sur la liste générale de leurs stations et M. H. Worms par contre prenait l'engagement d'employer les efforts de sa Maison de Port-Saïd en faveur des agents de MM. James Burness & Sons. II acquerrait d'ailleurs, ainsi, lui-même, la possibilité de donner des prix pour toute la traversée aux Indes.
A la suite des différentes mesures, le développement de sa maison de Port-Saïd, favorisé par celui du trafic du Canal, continua à s'accélérer[4]. À la fin de l'année 1872 M. H. Worms avait livré à lui seul les 3/4 des charbons pris par les navires transitant. En avril 1873 il pouvait mentionner parmi les lignes qu'il fournissait à Port-Saïd :
Alfred Holt, de Liverpool
Rathborne Bros, de Liverpool
Lloyd italien
Compagnie Adria, de Trieste
Compagnie Nederland, d'Amsterdam
British India steam Navigation, de Glasgow
Peninsular & Oriental Cy
P. Henderson & C°, de Glasgow
John Fenwick & Son, de Londres
T. Green & C°, de Londres
Donald Currie & C°, de Londres
German s.s. C°, de Hambourg.
Aux lignes ci-dessus on peut ajouter la Compagnie du canal, la Marine française, etc. Plusieurs d'entre elles s'adressaient à lui presque depuis le jour où elles utilisèrent le Canal, en particulier la ligne Holt.


[1] Le cube total des terrassements et dragages effectués pour le Canal et ses ports s'élevait, le 20 décembre 1869, date à laquelle fut arrêtée l'entreprise générale, à environ 74.000.000 de M3, effectués comme suit : Régie directe intéressée : 12,5 millions m3 ; Entrepreneurs divers : 4,7 millions m3 ; Entreprise Borel & Lavalley : 56,8 millions m3. Total 74 millions m3.
[2] L'inauguration du Canal maritime eut lieu le 17 novembre 1869.
[3] Au début de l'année 1870, M. H. Goudchaux s'était déjà rendu à Rotterdam dans le même but semble-t-il. A la suite de ce voyage M. H. Worms avait écrit aux membres de la Commission de la navigation à vapeur entre la Hollande et Java, via canal de Suez, pour leur offrir les services de sa maison de Port-Saïd, et avait demandé à MM. Ruys & C° de Rotterdam de lui prêter leur appui.
[4] Navires ayant transité en 1870 : 486 ; 1871 : 765 ; 1872 : 1082.Ensemble des navires en escale à Port-Saïd et des transiteurs : en 1870 : 988 tonnes 986.963 ; 1871 : 1.240 tonnes 1.385.946 ; 1872 : 1.458 tonnes 2.003.712. 

 

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