1945.12.31.De Gaston Bernard.Au juge Thirion.Rapport d'expertise.Pages 565 à 701

Document correspondant aux pages 565 à 701 (cf. table des matières) du rapport de Gaston Bernard, expert-comptable près la Cour d'appel de Paris et le Tribunal de première instance de la Seine, rapport adressé à Georges Thirion, juge d'instruction à la Cour de justice de la Seine, et concernant l'"Affaire Ministère public contre Hypolite Worms et Gabriel Le Roy Ladurie".
Les PDF correspondant aux pages 565 à 622 et aux pages 623 à 701 sont consultables à la fin du texte. 

Troisième partie
Examen de la situation et des résultats d'ensemble de la société Worms & Cie
pendant l'occupation. Rôle de ses dirigeants et situation de fortune de MM. Worms et G. Le Roy Ladurie pendant la même période

Chapitre premier
Examen de la situation financière et des résultats d'ensemble de la Société Worms & Cie
pendant l'occupation

L'étude effectuée au cours de la première partie du présent rapport a permis de déterminer quels ont été les résultats obtenus par les différents départements de la Société Worms & Cie, et quelle fut leur situation financière pendant la période d'occupation.
Il a été procédé à un regroupement de ces résultats de manière à déterminer le montant des bénéfices ou pertes d'ensemble réalisés ou subis par ladite société au cours des exercices 1941 à 1944 inclus ainsi que la part provenant des opérations commerciales ou financières traitées avec les allemands.
En outre, les différents postes des bilans des quatre départements de la Maison Worms et celui de son siège social ont été groupés en un seul bilan général qui donne la situation de l'ensemble de la société à la fin de chacun des exercices considérés.

I - Détermination des résultats d'ensemble obtenus par la société Worms & Cie, pendant l'occupation et de la part imputable au secteur allemand

Les résultats nets d'ensemble de la société Worms & Cie pendant l'occupation sont constitués par la somme algébrique des résultats nets obtenus par chacun des départements durant les exercices 1941 (30 août 1940 au 30 septembre 1941) à 1944 (1er janvier au 31 décembre 1944) inclus, auxquels il convient d'ajouter les résultats particuliers du siège social.
En effet, le siège social de la société Worms & Cie est considéré, du point de vue comptable, comme un organisme autonome dressant en fin d'exercice un bilan.
Ce bilan comporte des postes analogues à ceux qui figurent aux bilans des autres départements, notamment immobilisations, cautionnements, débiteurs et créditeurs, divers, provisions, etc.
Il est à noter, de plus, que c'est à l'actif du bilan du siège social que sont représentés les contreparties des dotations [voir page 242 l'explication donnée au sujet des dotations] des départements.
Enfin le siège social effectue également, comme les autres départements, des avances au département bancaire.
Il n'a pas paru utile de procéder à une étude détaillée de ces bilans du siège social parce qu'ils ne reflètent qu'une situation statique sans exploitation propre. Le siège social n'enregistre d'autres profits que ceux qui peuvent provenir de la gestion de son portefeuille titres [ce portefeuille titres, comme celui des quatre départements, est compris dans les participations étudiées spécialement ci-dessus - 2ème partie] et supporte les frais de l'administration centrale de la société Worms & Cie.
Ces derniers frais sont plus importants que les profits du portefeuille et les résultats nets du siège social sont constamment et normalement en perte.
Pour déterminer l'ensemble des résultats nets obtenus par la société Worms & Cie, il y a donc lieu de tenir compte des résultats du siège social.
Il convient de retenir également les résultats provenant des intérêts de la Société hors de frontières françaises. Pendant l'occupation, l'exploitation correspondant à ces intérêts a d'ailleurs été déficitaire.
La détermination du montant de ce déficit, de peu d'importance, (maximum de F 483.530.40 en 1943) n'a pas fait l'objet d'une étude spéciale.
Compte tenu des divers éléments ci-dessus énumérés, les comptes de pertes et profits généraux peuvent être présentés en un tableau récapitulatif faisant ressortir par exercice, les résultats obtenus, par la Société Worms de 1941 à 1944 inclus :
- d'une part, en France,
- d'autre part, à l'étranger.
Ce tableau, se présente comme suit :
[Voir PDF - pages 570-572.]

Du tableau qui précède, il ressort que les résultats nets obtenus par la société Worms & Cie en France ont été :
pour l'exercice 1941 - bénéfice - F 8.592.268.01
pour l'exercice 1942 - bénéfice - F 9.160.200.12
pour l'exercice 1943 - bénéfice - F 6.098.018.71
pour l'exercice 1944 - perte - F 32.239.332.57
ce gui représente une perte nette de F 7.988.845.73.
A l'étranger les pertes nettes ont été :
durant l'exercice 1941 - F 2.642.14
durant l'exercice 1942 - F 335.175.19
durant l'exercice 1943 - F 483.530.40
durant l'exercice 1944 - F non déterminé
soit un total général de F 8.836.193.46
représentant l'ensemble des pertes nettes ressortant de la comptabilité de la Société Worms & Cie, pour la période d'occupation.
Au contraire, avant la guerre, la Maison Worms réalisait annuellement de très larges profits sur l'ensemble de ces départements et son bénéfice net total était établi :
- pour l'exercice 1938 - F 14.779.334.70
- pour l'exercice 1939 - F 26.969.882.55
ce qui représente pour ces deux seuls exercices un total de F 41.749.217.25.
Il est à noter que le chiffre de F 3.236.193.46, indiqué ci-dessus comme perte nette totale pour la période d'occupation, est obtenu après déduction de la rémunération de M. Le Roy Ladurie, directeur appointé, laquelle s'est élevée, au titre des exercices considérés à F 2.421.542, mais avant déduction des appointements de gérant de M. Worms (celui-ci étant considéré comme associé en nom collectif) et également avant attribution des participations de la commandite.
Ceci revient à dire que, même si M. H. Worms n 'avait bénéficié d'aucun appointement ni d'aucune rétribution pour le capital engagé par lui dans la société Worms & Cie, le montant des pertes serait resté rigoureusement identique.
Si, par contre, on faisait abstraction de la rémunération perçue par M. Le Roy Ladurie et dont le total s'est élevé, pour les exercices 1940 à 1944 inclus à F 2.421.542, la perte nette totale se trouverait réduite d'autant et serait ainsi ramenée à F 6.424.651.46.
Par ailleurs, il y a lieu d'ajouter que la perte F 32.239.332.57, qui ressort au titre de l'exercice 1944, revient, à concurrence de F 18.803.069.05 du département constructions navales.
Or, il a été expliqué [voir pages 145, 146 et 174] au cours de l'étude comptable relative à ce département que, en réalité, la perte dégagée pour ledit département, en 1942, ne s'appliquait pas spécialement à cet exercice, mais provenait seulement de ce que la liquidation de l'ensemble des opérations effectuées de 1940 à 1944 avait été bloquée sur 1944. Il était dit que, en conséquence, il ne fallait effectuer aucune comparaison entre les résultats comptables obtenus par le département constructions navales au cours des années 1940 à 1944, mais seulement considérer l'ensemble de la période.
Les résultats du département constructions navales influent largement sur le compte de pertes et profits général de la société Worms & Cie, ainsi qu'il a été dit plus haut, l'observation ci-dessus s'étend aux résultats d'ensemble ressortant de ce compte et la perte de F 32.239.332.57, comptabilisée en 1944, était, en réalité, partiellement en puissance dans les exercices précédents. Par suite, aucune comparaison utile ne saurait non plus être établie, d'un exercice à l'autre, entre les chiffres donnés page 573 et aboutissant à une perte nette finale, pour les opérations effectuées en France de F 17.988.845.73. C'est ce résultat d'ensemble qui seul offre un réel intérêt.
Quoi qu'il en soit, les résultats nets sur opérations allemandes, pendant les exercices 1940 à 1944 inclus, ressortent pour chaque département, de l'étude qui a été effectuée de la page 33 à la page 393 du présent rapport.
Cependant, il a été indiqué, au cours de ladite étude que :
- d'une part, les bénéfices ou les pertes imputables au secteur allemand tels qu'ils ressortent de la comptabilité pouvaient être compris entre deux limites en ce qui concerne le département Services maritimes [voir page 237 et suivantes].
- d'autre part, certaines pertes relatives à des créances douteuses [voir page 375] ou dues à des dommages causés aux installations de la société à la suite d'événements de guerre [voir page 123] n'ayant pas été comptabilisées durant l'occupation, constituent des charges supplémentaires venant en addition aux résultats comptabilisés.
En conséquence, les résultats de la société Worms & Cie, provenant d'opérations du secteur allemand se traduisent pour chaque département, et selon la critérium adopté :
- ou bien, par un chiffre minimum de résultats comptabilisés,
- ou bien, par un chiffre maximum de résultats comptabilisés,
- ou bien, encore, par un chiffre déterminé en tenant compte de provisions non encore comptabilisés au 31 décembre 1944.
L'ensemble de ces chiffres constitue le montant total des résultats nets imputables au secteur allemand, obtenus par la société Worms & Cie, pendant l'occupation.
Ce montant total ressort du tableau qui suit :
[Voir PDF - page 578.]

Le tableau qui précède appelle les remarques suivantes :
1. Le chiffre de pertes des Chantiers navals (colonne 1 et 2) établi à F 3.236.327.87 ne ressort pas directement de l'étude effectuée ci-dessus page 173 et suivantes. Il a été obtenu en déduisant du chiffre de pertes totales imputables au secteur allemand pour ce département, soit F 34.188.558.87, le montant de la provision pour dommages de guerre répartie entre les divers bâtiments livrés aux allemands [voir page 178] non comptabilisés au 31 décembre 1944, et dont cependant il a été tenu compte dans le calcul de F 34.188.558.87, F 10.952.231, différence conforme à la colonne 1 du tableau ci-dessus : F 23.236.327.87.
2. En ce qui concerne le département Services maritimes les montants dégagés dans les colonnes 1 et 2 représentent :
- colonne 1 - F 21.650.789 de bénéfice
- colonne 2 - F 5.928.015 de perte
Le montant bénéficiaire de F 1.650.789 est obtenu si l'on considère que n'entrent pas dans les résultats imputables au secteur allemand les charges improductives supportées par les succursales de Brest, Rouen, Dunkerque, pendant les périodes où leurs locaux étaient occupés par l'armée allemande, charges qui s'élèvent à F 7.558.804.
Au contraire, les pertes ressortent F 5.908.015 si l'on considère ces charges comme devant intervenir dans la détermination desdits résultats.
3. Le montant de F 2.941.392 ressortant dans la colonne 3, au titre du département bancaire, représente la différence entre les résultats comptabilisés F 4.914.803 et les provisions sur créances douteuses de F 1.973.411 non enregistrées au 31 décembre 1944 et dont le détail figure ci-dessus page 375.
Total égal à F 2.941.392.
Compte tenu des remarques qui précèdent, le montant des pertes nettes imputables au secteur allemand pendant l'occupation, s'établit :
- au minimum à F 19.248.437.87
- au maximum à F 39.673.183.87
Les pertes nettes totales subies par la société Worms & Cie pendant la même période que celle englobée par le tableau ci-dessus (septembre 1939 à décembre 1944) ne s'élevant, comme il a été dit, qu'à F 8.896.193.46, il en découle que les importantes pertes sur opérations allemandes furent en partie compensées par les résultats bénéficiaires obtenus sur les opérations du secteur français.
Il apparaît donc, qu'en général, les opérations sur secteur allemand furent onéreuses pour la société Worms, tandis que les opérations sur secteur français furent bénéficiaires.
Ceci, joint aux sentiments personnels dont M. Worms a fait état, tant au cours de l'information que de l'expertise, est de nature à expliquer que, en se plaçant sur le strict terrain d'une gestion éclairée, la direction de la société Worms & Cie, n'ait nullement été incitée à pousser son activité dans le cadre du secteur allemand.
4. Même en adoptant le critérium faisant apparaître pour le secteur allemand, un chiffre minimum de pertes, ladite perte ressort encore à F 19.248.437.87.
Cette perte est très supérieure aux appointements de directeur reçus par M. Le Roy Ladurie de 1940 à 1944 :
F 2.421.542 du total et ne peut donc être considéré comme étant causée par l'inscription desdits appointements en comptabilité. Par ailleurs, il est rappelé que les appointements de gérant de M. Worms ne sont pas comptabilisés avant établissement des résultats et n'ont donc aucune influence sur ceux-ci.

II - Étude de l'évolution d'ensemble de la situation financière de la société Worms & Cie, pendant l'occupation

La situation financière de l'ensemble de la société Worms & Cie ressort du bilan général de la société dressé en fin d'exercice.
Les bilans généraux présentés par la société Worms & Cie, pour les exercices 1939 à 1944 inclus ont fait l'objet d'un examen attentif.
Le montant de chacun des postes de l'actif et du passif de ces bilans généraux est constitué par la somme des montants figurant aux postes correspondants des Bilans des quatre départements et du siège social.
Cependant, il y a lieu de mentionner que certains des postes figurant aux bilans des départements de la société ne sont plus au bilan général. Ce sont les postes suivants :
- Worms & Cie - Services bancaires à l'actif,
- dotation au passif.
Il a été déjà expliqué que la contrepartie de ces postes se trouve au bilan du siège social.
Ils sont donc soldés, les uns par les autres, et n'apparaissent pas au bilan général.
Les bilans généraux de la société Worms & Cie, pour les exercices 1939 à 1944 inclus, se présentent comme suit :
[Voir PDF - pages 584 à 595.]

Les tableaux qui précèdent appellent les remarques suivantes :
1. Les immobilisations sont restées sensiblement de valeur constante sous l'occupation. Elles étaient, en effet :
- au 30 septembre 1940, de F 165.429.485.44
- au 31 décembre 1944, de F 184.817.855.07
mais il y a lieu de noter que, dans ce dernier montant, sont comprises les valeurs des immobilisations détruites ou endommagées par des événements de guerre, valeur s'élevant pour le seul département Chantiers navals à F 15.389.358.29 [voir ci-dessus page 185 - Tome I].
Le jeu des amortissements fait passer la valeur nette comptable de ces immobilisations :
- à F 38.761.594.32 au 30 septembre 1940
- à F 25.858.187.27 au 31 décembre 1944.
2. Les valeurs réalisables sont constituées par l'ensemble des postes suivants :
- Titres et participations
- Portefeuille effet, bons DN
- Stocks et approvisionnements
- Correspondants divers
- Débiteurs divers
- Débiteurs par acceptation
- Dépenses sur constructions en cours
- Comptes d'ordre et divers
Elles représentent un montant :
- de F 1.264.085.603.37 au 30 septembre 1940
- de F 1.568.798.160.49 au 30 septembre 1941
- de F 1.787.154.751.35 au 31 décembre 1942
- de F 2.256.729.926.76 au 31 décembre 1943
- de F 2.350.908.248.42 au 31 décembre 1944
Les valeurs réalisables ont donc accusé une progression constante, passant de F 1.264.085.603.37 au 30 septembre 1940 à F 2.350.908.242.42 soit un accroissement de F 1.126.000.000 environ.
Cet accroissement est dû essentiellement :
- à l'augmentation de la valeur des titres et participations, environ pour F 80.000.000
- à l'augmentation de celle du portefeuille effets et bons DN pour F 620.000.000
- à l'augmentation des débiteurs divers pour F 100.000.000.
3. Les disponibilités constituées par les postes :
- Caisse et Banque de France
- Banque
n'ont marqué qu'un léger accroissement pendant la durée de l'occupation.
En effet, elles se sont élevées :
- à F 246.653.783.40 - au 30 septembre 1940
- à F 233.575.985.90 - au 30 septembre 1941
- à F 253.649.299.88 - au 31 décembre 1942
- à F 288.703.716.29 - au 31 décembre 1943
- à F 287.704.267.31 - au 31 décembre 1944
- Correspondants divers
- Comptes de dépôts
- Créditeurs divers
- Comptes sur constructions
- Comptes d'ordre et divers
4. Les valeurs exigibles constituées par les acceptations se sont accrues dans d'importantes proportions, pendant la période 1940 à 1944 inclus.
C'est ainsi qu'elles se sont élevées :
à F 1.332.890.638.41 au 30 septembre 1940
à F 1.611.355.753.72 au 30 septembre 1941
à F 1.833.444.127.06 au 31 décembre 1942
à F 2.306.508.045.52 au 31 décembre 1943
à F 2.449.286.391.82 au 31 décembre 1944
Il y a lieu de remarquer que, d'ailleurs, l'ensemble des valeurs exigibles représentant : F 2.449.286.391.82, les créditeurs divers formaient à eux seuls, en dernier lieu : F 1.647.206.0007.36
se décomposant comme suit :
- F 4.761.810.54 chez le siège social
[dont] créditeurs divers - 3.360.705.00
retenues d'impôt sur les salaires, décembre et cotisation décembre aux caisses d'assurances sociales et de compensation d'allocations familiales à régler en janvier 1945 - 1.401.105.50
- F 1.583.875.903.44 chez le département bancaire :
[dont] comptes courants créditeurs - 1.437.707.320.19
comptes accréditifs - 88.402.905.67
comptes de passage - 16.328.176.95
comptes encaissements et recouvrements - 16.130.301.94
autres créditeurs divers - 25.307.198.69
- F 5.223.339.73 chez les Services charbons
[dont] créditeurs divers (fournisseurs) de la direction générale et des différentes succursales - 5.223.339.73
- F 102.412.97 chez les Services maritimes :
[dont] clients (acomptes et provisions) et fournisseurs divers (direction générale et différentes succursales dans les ports et comptes de consignation de navires) - 11.102.412.97
- F 42.242.540.68 chez les Chantiers de constructions navales :
[dont] fournisseurs - 2.507.476.93
acomptes sur indemnités pour travaux en cours de reconstitution et réparation de dommages de guerre - 19.800.000
acomptes sur déblaiements - 1.192.633.30
frais à payer et créditeurs divers - 18.662.430.45
Total du poste créditeurs divers au bilan consolidé au 3l décembre 1944 : F 1.647.205.007.36
Dans l'ensemble le total des valeurs exigibles s'est accru de F 1.177.000.000 entre 1940 à 1944 (F 2.449.226.391.82 - F 1.332.850.638.41). Cet accroissement est dû essentiellement :
- au poste créditeurs divers qui a atteint à fin 1944 - F 1.647.206.007.36
en augmentation d'environ F 1.000.000.000 sur le chiffre correspondant au 30 septembre 1940
- aux dépôts, en augmentation pour la même période d'environ F 70.000.000
- et enfin, aux correspondants divers en augmentation toujours pour la même période d'environ F 20.000.000.
5. L'augmentation de l'actif total figurant au bilan au 30 septembre 1940 pour F 1.549.831.244.15 et au 31 décembre 1944 pour 2.737.108.362.38 a donc représenté un total de F 1.187.277.118.23, soit environ F 1.190.000.000.
Compte tenu des remarques effectuées précédemment, il apparaît que la quasi-totalité de cette augmentation est constituée par l'accroissement des valeurs réalisables entre les mêmes dates (F 1.126.000.000).
Il pourrait paraître étonnant, à première vue qu'une telle augmentation ait pu se produire alors que la société n'a dans l'ensemble réalisé aucun bénéfice dans la période considérée et même a subi une perte nette.
Ceci s'explique cependant, par le fait que, parallèlement, l'accroissement des valeurs réalisables (titres et participations) et portefeuille effets (Bons DN) le passif exigible a marqué une progression sensiblement équivalente (F 1.117.000.000).
Ceci revient à dire que l'accroissement considérable du portefeuille effets et aussi du portefeuille titres (participations), ce dernier passé de F 78.353.930,21 à la date du 30 septembre 1940 à F 35.162.070.54 au 31 décembre 1944, a été réalisé au moyen de fonds provenant de l'augmentation des dépôts effectués librement chez la Banque worms par ses clients français, autrement dit, l'accroissement des éléments d'actif réel ne correspond pas à la concrétisation d'un bénéfice (ainsi qu'il" a été dit, il n'en a pas été réalisé sur l'ensemble des exercices 1940 à 1944) mais constitue seulement la contrepartie d'une augmentation correspondante des valeurs exigibles sans que cette augmentation de passif ait un lien quelconque avec l'occupation allemande.

Chapitre deuxième
Rôle des dirigeants de la société Worms & Cie
et situation de fortune de MM. H. Worms et G. Le Roy Ladurie

Il va être examiné ci-après quel a été le rôle des principaux dirigeants de la société Worms & Cie.
En outre, il a paru indispensable d'étudier les variations éventuellement intervenues pendant l'occupation dans la situation de fortune de MM. H. Worms et G. Le Roy Ladurie, ceux-ci faisant plus spécialement l'objet de la présente information.

I - Rôle des dirigeants de la société Worms & Cie pendant l'occupation

A. Rôle de M. H. Worms

M. H. Worms est le petit-fils de M. H. Worms qui fonda la Maison Worms & Cie, en 1848.
Comme il a été dit précédemment [voir page 11] M. H. Worms, tant en son nom propre qu'au nom de sa famille, possède F 7.076.923 sur un capital social de F 40.000.000. Par suite de la démission de M. Goudchaux intervenue dans les conditions déjà exposées [voir page 14], et en raison des nouvelles fonctions publiques remplies par M. Barnaud [voir page 618], fonctions qui empêchèrent ce dernier de s'occuper effectivement de la Maison Worms de 1940 à 1943, M. H. Worms fut effectivement le seul gérant de la société pendant la plus grande partie de l'occupation allemande.
Des documents figurant tant au dossier de l'information que de l'expertise, il résulte que le rôle de M. H. Worms, durant les années 1940 à 1944 fut le suivant :
Désigné en novembre 1939 par le gouvernement français comme chef de la délégation française au Comité exécutif franco-anglais des transports maritimes, M. H Worms devait assurer avec le Comité, l'aménagement et la mise en commun des ressources maritimes de la France et de l'Angleterre, conformément aux accords Chamberlain-Daladier.
C'est à ce titre que M. H. Worms se trouvait à Londres au moment de l'armistice franco-allemand du 25 juin 1940.
L'Angleterre saisit à cette époque navires et cargaisons français. De plus, la France, avait, en affrètement direct, pour la durée de la guerre, deux millions de tonnes de navires neutres. Ceux-ci étaient inutiles et représentaient cependant pour elle une charge considérable tant par la location des navires que par leur valeur totale à rembourser aux armateurs s'ils étaient perdus.
C'est dans ces conditions que toutes relations étant coupées avec le gouvernement français, M. H. Worms prit l'initiative, sur pouvoir de M. Rio, alors ministre de la Marine marchande, d'engager des pourparlers afin que le transfert de la flotte de deux millions de tonnes fut fait amiablement à l'Angleterre et que le gouvernement anglais payât les cargaisons au prix d'achat au lieu de les vendre aux enchères.
Après un échange de télégrammes avec l'amiral Darlan, un accord dans le sens prévu fut signé le 7 juillet 1940 entre M. H. Worms et le gouvernement anglais. M. H. Worms rentra en France le 1er août 1940 et le gouvernement français sanctionna las accords du 7 juillet 1940 appelés par la suite "accords Worms".
Les faits qui viennent d'être exposés se situent assurément en dehors de l'activité propre de la société Worms & Cie. Il a cependant paru indispensable de les rappeler, étant donné que l'information vise M. H. Worms personnellement et que, d'autre part, en prenant l'initiative d'agir comme il l'a fait à l'égard du gouvernement anglais, il s'appuyait évidemment sur la position que lui conférait l'importance de sa maison et son rôle en tant qu'armateur.
Postérieurement à août 1940, M. H. Worms resta en France, pendant toute l'occupation. Il a indiqué dans une note figurant au dossier de l'information que ce faisant, il avait pour but de défendre sa maison contre les allemands.
Cette dernière, a-t-il précisé, était particulièrement vulnérable puisqu'elle était en partie israélite et par conséquent exposée aux mesures de rigueur des lois raciales allemandes.
Il a été expliqué ci-dessus [voir pages 13 et suivantes] combien ces craintes étaient justifiées et comment M. Goudchaux, israélite, dût se retirer de la gérance, et dans quelles conditions un commissaire allemand fut nommé pour contrôler la Maison Worms.
M. H. Worms a exposé que ne parlant pas la langue allemande et désireux d'avoir le moins de relations possibles avec les Allemands, il avait délégué M. Le Roy Ladurie à l'effet de servir d'intermédiaire entre la Maison et l'administrateur.
M. Worms a affirmé de plus n'avoir eu de contacts personnels qu'avec les commissaires allemands successifs et deux ou trois industriels qu'il connaissait, dès avant la guerre, et avec lesquels il n'a traité aucune affaire en dehors de celles étudiées précédemment dans le cadre de la société Worms & Cie.
II n'a été trouvé trace, ni au dossier de l'information, ni en cours d'expertise de documents de nature à contredire ces affirmations.

D'une façon générale, M. H. Worms a pendant l'occupation allemande continué à assurer la direction générale de sa Maison, sans toutefois conserver une entière liberté en ce qui concerne l'orientation de la politique générale et même le détail de certaines opérations bancaires en particulier.
Il lui fallait, en effet compter avec la tutelle du commissaire allemand dont les pouvoirs étaient extrêmement étendus ainsi qu'il a été exposé dans les préliminaires du présent rapport [voir page 13] et qui, ainsi qu'il l'avait déclaré lui-même dans son allocution de prise de fonctions en octobre 1940, était décidé à éliminer tous ceux qui ne donneraient pas satisfaction.
Dans l'ensemble et aucun fait particulier ne se dégageant de l'étude du rôle de M. H. Worms, il faut apprécier celui-ci à la lueur des résultats obtenus et la proportion d'activité consacrée au secteur allemand.
M. H. Worms, entendu en cours d'expertise, a, pour illustrer son attitude générale vis-à-vis des autorités et ressortissants allemands, relaté les faits suivants :
Lorsqu'en 1942 fut lancé le sous-marin "La-Favorite", l'amiral Kinzel, commandant la Marine allemande, fit téléphoner par son chef d'état-major à M. Nitot, directeur général des Chantiers du Trait, pour dire à peu près ceci :
"L'amiral Kinzel a l'intention de se rendre au Trait pour assister au lancement du sous-marin. Il pense y trouver Monsieur Worms et désire connaître ce qui a été prévu comme cérémonie pour le lancement de ce bateau."
Il est, en effet, d'un usage constant dans les chantiers de constructions navales, qu'un lancement de navire est un jour de fête pour tous les ouvriers. Les portes du Chantier sont ouvertes au public et les dirigeants ont l'habitude de donner une réception aux autorités, la cérémonie étant généralement précédée ou suivie, suivant l'heure du lancement, d'un déjeuner.
M. Nitot, ayant transmis à M. Worms ce message, celui-ci déclare avoir, quelques heures plus tard, fait répondre à l'amiral Kinzell, par la même voie, que, dans les circonstances pénibles que la France traversait à ce moment-là, le lancement d'un navire pour compte allemand ne pouvait être considéré comme un jour de fête, qu'il n'y aurait aucune cérémonie de quelque sorte que ce soit, et qu'il n'assisterait pas au lancement du navire.
L'exactitude de ces faits n'a évidemment pu être confirmée par une documentation puisqu'il s'agit d'échanges de vues verbaux.
M. Worms a fait remarquer que, sur le plan des affaires sa maison était basée depuis cent ans sur le commerce franco-anglais et que ses intérêts en Angleterre et en Égypte étaient aussi importants qu'en France.
Dans ces conditions, à son sens, il ne pouvait pas, par son attitude durant l'occupation, risquer de compromettre la situation de la société en collaborant avec l'ennemi.
Le détail des sommes perçues par M. H. Worms chez la société Worms tant à titre de rémunération de gérant que de distribution de bénéfices, est donné ci-après page 626 à l'occasion de l'étude de sa situation de fortune.

B. Rôle de M. G. Le Roy Ladurie

M. Le Roy Ladurie Gabriel était en juin 1940 le directeur de la Banque Worms. II n'a jamais été gérant ni associé dans la Maison.
Sa connaissance de la langue allemande et sa situation à la tête de d'un des plus importants départements de la société Worms & Cie le firent charger par M. Worms des relations de la société avec les commissaires allemands ainsi qu'avec les autorités et ressortissants allemands en général.
D'une façon générale, en tant qu'employé de la société Worms & Cie, M. G. Le Roy Ladurie paraît ainsi s'être cantonné dans son double rôle de directeur des Services Bancaires et de mandataire général de la Maison Worms pour toutes les questions d'occupation.
En tant que directeur du département bancaire, M. G. Le Roy Ladurie a dû, comme M. H. Worms lui-même, subir la tutelle des commissaires allemands, tutelle qui portait plus spécialement sur la Banque, les deux commissaires allemands qui se sont succédé à la tête de la société Worms & Cie étant eux-mêmes banquiers de profession.
Dans le cadre de cette activité le rôle de M. G. Le Roy Ladurie doit être apprécié à la lueur des indications données de la page 303 à la page 394 en ce qui concerne les conditions dans lesquelles a fonctionné la Banque Worms pendant l'occupation.
Par ailleurs, en qualité de mandataire général de la Société Worms & Cie pour toutes les questions d'occupation, M. G. Le Roy Ladurie a eu une activité diverse.
Il a été notamment exposé ci-dessus [voir page 20] quel rôle il a joué lors des tentatives du Dr Hettlage pour s'approprier les parts de commandite Goudchaux.
Il a été précisé également [voir pages 305 et suivantes] comment il a dû intervenir personnellement auprès des allemands dans le cadre du secteur bancaire et notamment en ce qui concerne des participations que les Allemands tentèrent d'acquérir.
C'est ainsi que M. G. Le Roy Ladurie, tout en accordant une option au Dr Hettlage sur le capital de la Société privée d'études [voir page 509] manoeuvra pour que le ministère des Finances empêchât cette option.
De plus, M. G. Le Roy Ladurie conduisit les négociations du groupe Fournier-Ferrier avec les allemands. Il a été expliqué [voir page 529] comment ces négociations furent un échec pour les occupants.
Mais il apparaît que M. G. Le Roy Ladurie eut surtout à s'opposer très violemment aux volontés allemandes en février 1943, dans les circonstances suivantes.
La Maison Schuster de Vienne avait passé le 27 juillet 1942 à la société Japy, une commande d'essai de 250.000 pièces dont la société avait différé l'acceptation jusqu'en février 1943.
Les Allemands ayant émis, à l'encontre de la société Japy, des menaces d'enlèvement de machines et de déportation d'ouvriers, M. Marin Darbel fit appel à M. G. Le Roy Ladurie pour conférer au Rustungkommando de Besançon avec le Kommandeur Dietrich. Cette entrevue, aux dires de MM. Marin Darbel et Le Roy Ladurie, fut violente. Le commissaire allemand de la Maison Worms, von Falkenhausen, avait accompagné M. G. Le Roy Ladurie et appuyait de toutes ses forces les revendications du Kommandeur Dietrich.
A la suite de cet entretien de Besançon les Établissements Japy durent accepter les commandes allemandes.
Dans une déposition qu'il a faite devant vous-même, M. le juge d'instruction, en date du 27 septembre 1944, M. G. Le Roy Ladurie a reconnu qu'il fut parfois "amené à toucher d'autres milieux allemands que ceux avec lesquels il avait des rapports obligatoires. Mais il a précisé que ces relations avaient notamment pour objet de sauvegarder la liberté et la vie de certains français. Au nombre des personnes qui auraient eu recours à M. G. Le Roy Ladurie, il est possible d'indiquer :
- M. de Boishébert
- M. François Michel
- M. le comte Robert de Vogue
- la duchesse d'Harcourt
M. G. Le Roy Ladurie a ajouté avoir rempli diverses missions pour le colonel Navarre, du service de la Sécurité française.
Les personnes ci-dessus mentionnées comme ayant été sauvegardées dans leur liberté ou leur vie, par l'intervention de M. G. Le Roy Ladurie, non plus que le colonel Navarre, n'ont pu être entendues en cours d'expertise, il vous appartiendra, M. le juge d'instruction, d'apprécier si leur audition est susceptible de présenter un intérêt.
Enfin, M. G. Le Roy Ladurie a fait l'objet de trois perquisitions par la Gestapo à son domicile, en mars 1944, subi plusieurs interrogatoires et a été incarcéré à Fresnes pendant douze jours.
Il a expliqué qu'au cours de ces interrogatoires, il a été questionné sur la Maison Worms, sur ses relations personnelles avec des personnes de la Résistance et certains membres de la Wehrmacht ou de l'économie allemande, soupçonnés d'opposition au régime.
En bref, en l'état de la documentation remise, il n'apparaît pas que les relations entretenues par M. G. Le Roy Ladurie avec les Allemands aient eu pour résultat :
- soit d'augmenter l'activité de la Maison Worms & Cie dans le sens du secteur allemand
- soit de nuire à des ressortissants français.
Bien au contraire, il apparaît qu'il s'est efforcé :
- d'une part, de freiner la production des entreprises qui durent céder aux exigences allemandes,
- d'autre part, de n'abandonner aucune part d'actif aux allemands,
- enfin, d'utiliser ses relations dans les milieux allemands aux fins de sauvegarder la liberté ou la vie de certains français et d'exécuter un certain nombre de missions pour le compte de la sécurité militaire française.
Le détail des sommes perçues par M. G. Le Roy Ladurie en tant que directeur de la Banque Worms & Cie a été donné ci-dessus page 384. Il forme un total de F 2.421.542 et d'autre part la situation de fortune de M. G. Le Roy Ladurie est étudiée spécialement ci-après page 631.

C. Rôle de M. J. Barnaud

M. J. Barnaud était en juin 1940 cogérant avec M. H. Worms lui-même de la société Worms & Cie.
Dès août 1940, il fut appelé à des fonctions publiques et ne put plus s'occuper effectivement des affaires de ladite société.
Ceci est corroboré par une lettre du 6 août 1941, adressée par M. J. Barnaud à M. H. Worms et versée au dossier de l'expertise. Aux termes de cette lettre, M. J. Barnaud reconnaissait en effet que, ayant cessé son activité chez Worms & Cie, il n'avait aucun droit à sa participation de bénéfices en tant que gérant au titre de l'exercice 1940-41. Il conservait toutefois la part de bénéfices représentant la rémunération de la fraction de capital investie par lui dans la maison.
M. J. Barnaud ayant occupé une fonction publique jusqu'à fin 1942 retrouva, à ce moment, sa liberté.
Dans le courant de 1943, il reprit son poste de gérant chez la société Worms & Cie et le conserva jusqu'à la libération. Peu après celle-ci il donna sa démission définitive.
Entre sa rentrée à la Maison Worms & Cie, et août 1944, c'est-à-dire, pendant un peu plus d'un an, M. Barnaud n'a pas eu chez la société Worms & Cie de fonctions particulières.
En tant que cogérant il assistait M. H. Worms dans l'administration générale et comme lui, il se trouvait légalement soumis aux commissaires allemands.
En l'état de la documentation réunie et des renseignements recueillis, aucun fait particulier vient illustrer le rôle de M. J. Barnaud qui s'insère purement et simplement dans le cadre de la politique générale suivie par la Maison.
En bref, par conséquent, M. Barnaud n'a jamais cessé, pendant toute l'occupation, d'être légalement gérant de la société Worms & Cie. Mais c'est seulement pendant un plus d'un an, en 1943 et 1944, qu'il y a eu une activité effective. D'ailleurs il n'a perçu de rémunération qu'au titre de l'année 1943 et en l'état actuel rien ne lui a été accordé pour 1944.
Il apparaît donc qu'à partir d'août 1940, M. J. Barnaud, quoique légalement gérant de la société jusqu'en août 1944, date où il a donné sa démission, n'a pas effectivement participé à la gestion durant l'occupation.
L'ensemble des sommes qu'il a perçues de la société Worms & Cie pendant l'occupation peut être détaillé comme suit :

Versements

Intérêt capital

Participations
aux bénéfices (y compris part de gérance)

Part de réserve statutaire

Totaux

1941 pour l'exercice 1940

69.230.75

999.750.-

434.419.67

1.503.500.42

1942 pour l'exercice 1941

92.307.65

 

 

92.307.65

1943 pour l'exercice 1942

115.384.56

 

 

115.384.56

1944 pour l'exercice 1943

92.307.65

615.000.-

 

707.307.65

 

369.230.61

1.614.750.-

434.419.67

2.418.400.28

Les sommes portées dans la colonne participations du tableau ci-dessus comprennent les rémunérations de gérant considérées comme une répartition prioritaire de bénéfices.
Pour l'année 1943, qui est la seule année d'occupation au titre de laquelle M. Barnaud ait perçu une rémunération de gérant, cette rémunération s'est élevée à F 492.000, compris dans les 615.000 portés au titre de ladite année.
Il y a lieu d'observer que cette rémunération a été inférieure aux chiffres d'avant-guerre puisqu'ils avaient été de F 960.000 en 1938 et 1939 et de F 799.800 en 1940 (jusqu'au 30 septembre seulement).

B. Rôle de MM. Nitot, Émo et Vignet

MM. Nitot, Émo et Vignet furent respectivement pendant l'occupation :
- directeur général du département Chantiers navals de la société Worms & Cie
- directeur général du département Services maritimes de la société Worms & Cie
- et directeur général du département Charbons de la même société.
Il est rappelé que, pendant la même période, le directeur des Services bancaires, était M. G. Le Roy Ladurie dont le rôle a été précédemment étudié.
Aucune mention spéciale n'a été faite au dossier de l'information concernant particulièrement l'activité de MM. Nitot, Émo et Vignet pendant l'occupation.
Il n'apparaît pas qu'ils aient eu un rôle dépassant le cadre de celui que leur assignaient leurs fonctions et qu'ils aient agi autrement que comme mandataires de M. H. Worms.
Leur rôle n'appelle donc aucune remarque particulière.
Après cette étude de rôle joué par les principaux dirigeants de la société Worms & Cie pendant l'occupation, il a paru utile de procéder à un examen particulier de situation de fortune de MM. H. Worms et G. Le Roy Ladurie en 1939 et 1944, afin de déterminer dans quelle mesure elle a pu se modifier dans l'intervalle de ces deux dates.

I - Étude de la situation de fortune comparée de 1939 et en 1944 de MM. H. Worms et G. Le Roy Ladurie

A - Situation de fortune de M. H. Worms

Afin de déterminer si du fait de l'occupation, M. H. Worms a vu s'accroître ses biens et revenus, il a paru utile d'examiner la situation et la nature de ces accroissements éventuels.
M. H. Worms ayant été cité devant le Comité de confiscation des profits illicites de la Seine en date du 26 décembre 1944, il a été communiqué au cours de l'expertise de la déclaration détaillée des biens et revenus qui a été souscrite à cette occasion par l'intéressé.
Il résulte de cette déclaration que les immeubles dont M. H. Worms est propriétaire soit seul soit co-indivisionnaire étaient les suivant au 1er septembre 1939 :
- immeuble d'habitation à Paris, 4, avenue Deschanel, meublé,
- immeuble d'habitation à Saint-jean-Cap-Ferrat (AM), villa "La Peira Santa", meublé,
- à Ciboure (Basses-Pyrénées),
- lotissement dit de "Chotareta" quartier de Bordegain, approuvé par arrêté préfectoral du 27/5/1931, en copropriété M. H. Worms et à Mme vve R. Thion de la Chaume,
- en même copropriété, quartier de Berastiguia, terrains figurant sur le plan de morcellement de la société La Finafoncière,
- propriété dite "Les Mésanges" comprenant 1 parcelle cadastrée n°364 p et 448, section A
- et une autre parcelle n°363 - section A.
Ces immeubles sont restés sans modifications depuis le 1er septembre 1939. En l'état des renseignements recueillis, il en a été de même en ce qui concerne la consistance de leurs ameublements.
Par ailleurs, au 1er septembre 1939, M. H. Worms disposait en compte courant chez Worms & Cie de : 88.956 F.
En janvier 1940, l'augmentation du capital social, porté comme il a été dit de F 4.000.000 à F 40.000.000, a été accompagnée de répartition entre les associés de réserves constituées au cours des exercices antérieures.
H. Worms, associé en nom collectif, était réputé propriétaire de sa part, dans lesdites réserves au fur et à mesure de leur constitution, la part lui revenant dans la répartition des réserves susvisées s'élevaient à F 6.359.995, ce qui dès le début de 1940 portait à F 6.648.951 le montant des avoirs en compte courant de M. H. Worms.
De plus au moment de l'armistice de juin 1940, le portefeuille titres personnel de M. H. Worms représentait une valeur de l'ordre de F 27.000.000 (valeur d'achat).
H. Worms a perçu pendant l'occupation les revenus suivants :
- revenus des valeurs et des capitaux mobiliers constituant le portefeuille ci-dessus indiqué : 5.463.926
- intérêt de sa part de capital de la société worms & Cie : 1.946.453.80
- participation comme gérant : 4.373.002.54
- participation au titre de cette part de capital : 7.950.910.80
- revenus de traitements servis par d'autres sociétés telles que la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire et la Société française des transports pétroliers : 658.551.
Pour chiffrer le montant des sommes dont H. Worms a pu personnellement disposer, pendant l'occupation, il faut ajouter aux revenus ci-dessus l'excédent des ventes de titres de son portefeuille, sur les achats, les ventes s'étant élevées à F 27.592.433 et les achats à F 17.410.415, l'excédent des ventes sur les achats ressort à F 10.122.018, ce qui porte à F 30.574.862, l'ensemble des sommes dont M. H. Worms a pu disposer normalement de septembre 1939 à décembre 1944.
Le montant des règlements effectués par lui pendant la même période peut, d'autre part, être décomposé comme suit :
- règlement d'impôt sur le revenu impôt foncier et contribution mobilière : F 4.168.354
- dépenses privées : F 6.705.460
- achat d'un bijou : F 1.837.127
ce qui représente un ensemble de F 12.710.941.
Le détail de ces ventes et de ces achats ont été donnés par M. H. Worms en cours d'expertise. Il n'a pas paru utile de le reproduire dans le présent rapport. A titre indicatif il y a lieu de mentionner que, en août 1944, et compte tenu d'une part des remplois effectués, d'autre part ces ventes ayant procuré à M. H. Worms 10.182.018 de disponibilités, ainsi qu'indiqué plus haut, le portefeuille titres de M. H. Worms reportait à sa valeur d'achat, un montant d'un ordre de grandeur de F 29.000.000, compte tenu de la hausse des cours en bourse durant les années 1940 à 1944, la valeur réelle du portefeuille de titres de M. H Worms a pu atteindre au plus haut, un chiffre de l'ordre de F 100.000.000.
La différence entre :
- d'une part, l'ensemble des revenus ou profits perçus par M. H. Worms du 1er septembre 1939 à fin décembre 1944 soit F 30.574.862,
- d'autre part, l'ensemble des règlements effectués par M. H. Worms pendant la même période soit F 12.710.941
constitue l'accroissement de sa situation personnelle entre ces deux dates, accroissement qui ressort à F 17.863.921.
L'examen du compte courant de M. H. Worms chez la société Worms & Cie, corrobore ces résultats.
En effet, les accroissements de ce compte s'établissent comme suit :
- en 1939 (à partir du 1/9) : 1.707.467
- en 1940 : 1.529.084
- en 1942 : 196.110
- en 1944 (jusqu'en 6/12) 16.391.703
ce qui représente un total de 19.824.364.
Les diminutions du même compte ont été :
- en 1941 de F 1.042.180
- en 1943 de F 918.263
ce qui représente un total de F 1.960.443.
L'accroissement total de compte s'établit donc à F 17.863.921, montant conforme à celui obtenu précédemment.
Il a paru utile de rechercher si cette augmentation à F 19.863.921 était due à des opérations effectuées avec les Allemands.
L'examen des divers revenus de M. H. Worms pendant la période 1939 à 1944 [voir page 626] permet de dire que ces revenus, sont constitués :
- à concurrence de F 15.500.000 environ par des revenus de valeurs ou capitaux mobiliers et des profits sur opérations en bourse. Il n'y entre aucune part allemande.
- pour F 650.000, par des traitements servis par la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire et la Société française des transports pétroliers dont M. H. Worms est président du conseil d'administration.
Au cours de l'étude de l'activité de ces deux sociétés pendant l'occupation [voir pages 476 et suivantes] aucun élément n'a été réuni, qui soit de nature à indiquer qu'on puisse considérer comme imputable au secteur allemand, les émoluments perçus par M. H. Worms,
- pour F 14.000.000 environ par des participations aux bénéfices de la société Worms & Cie à différents titres ;
il a été exposé précédemment [voir page 581] que ces bénéfices ne provenaient que des opérations imputables au secteur français, les opérations de secteur allemand ayant été, dans l'ensemble nettement déficitaires.
Dans ces conditions, il n'apparaît pas qu'une part sensible de l'accroissement de fortune de M. H. Worms, intervenue pendant la période allant se septembre 1939 à fin décembre 1944 et des sommes dont il a pu disposer pour son usage personnel, proviennent d'opérations imputables au secteur allemand.

B. Situation de fortune de M. G. Le Roy Ladurie

M. G. Le Roy Ladurie, de même que M. H. Worms, a fait l'objet d'une citation au Comité de confiscation des profits illicites de la Seine.
La déclaration des biens et revenus qu'il a souscrite à cette occasion a été communiquée en cours d'expertise et a permis de déterminer les points suivants :
Au 1er septembre 1939, M. G. Le Roy Ladurie possédait en indivis avec ses frères et soeurs un immeuble sis 14, rue La Fayette à Paris. Cet immeuble est resté sans changement pendant toute la durée de l'occupation.
Le compte courant de M. G. Le Roy Ladurie chez MM. Worms & Cie présentait un solde en sa faveur de F 58.942.
D'autre part, son portefeuille titres personnel représentait, au début de l'occupation, une valeur d'ensemble de l'ordre de F 900.000 (valeur d'achat).
Les revenus bruts de M. G. Le Roy Ladurie pendant les exercices 1939 à 1944 inclus, constitué par ses émoluments de directeur de la Banque Worms s'établissent comme suit :
- pour l'exercice 1939 (à partir du 1er septembre) : 314.360
- pour l'exercice 1940 : 394.000
- pour l'exercice 1941 : 494.000
- pour l'exercice 1942 : 593.670
- pour l'exercice 1943 : 624.122
- pour l'exercice 1944 : 709.750
ce qui représente un total de 3.119.902
constituant les revenus de M. G. Le Roy Ladurie pendant la période considérée.
Les dépenses, frais et charges supportés par M. G. Le Roy Ladurie pendant la même période" ont été les suivants :
- achat, au nom de sa fille, d'une propriété à la Tache, commune de Marquay (Gironde) pour F 200.000
- dépenses diverses de ménage et d'entretien : F 1.591.093
- augmentation du portefeuille titres constitué par l'excédent des achats pour F 1.638.249
sur les ventes pour F 1.371.455
ce qui représente une différence de F 1.266.794
- impôt sur le revenu payé : F 495.548
- impôt sur les salaires et traitements et frais professionnels : F 711.831
- intérêts de dettes versées par M. G. Le Roy Ladurie : F 72.836
L'ensemble des dépenses, frais et charges supportés par M. G. Le Roy Ladurie pendant la période allant du 1er septembre 1939 à fin décembre 1944, s'établit donc à : F 3.345.104.
Il résulte donc de cet exposé que M. G. Le Roy Ladurie a perçu à titre d'appointements : F 3.119.902 et à dû dépenser : F 3.345.104.
Son patrimoine s'est donc trouvé diminué pendant la période considérée.
Cette diminution de patrimoine s'est trouvée couverte d'une part par F 58.742 correspondant au solde créditeur de M. G. Le Roy Ladurie dans les livres de MM. Worms & Cie au 1er septembre 1939, et d'autre part, par une avance de F 165.460 représentant le solde débiteur de M. G. Le Roy Ladurie chez MM. Worms & Cie, à fin 1944.
Total égal à F 225.202.
Il est à noter cependant que M. G. Le Roy Ladurie a amorti en 1940 un compte dollars dont le solde à sa charge était de $ 10.671. Il l'a fait en vendant des titres cotés à Londres. Ces ventes ont représenté $ 10.844.68.
Par conséquent, les revenus dont M. G. Le Roy Ladurie a normalement bénéficié de 1939 à 1944, en tant que directeur de la Banque Worms justifient les dépenses qu'il a pu effectuer et expliquer les variations subies par sa fortune.

Résumé

De l'expertise comptable qui précède, il résulte que :
La société Worms & Cie est une société en commandite simple au capital de F 40.000.000 dont l'exploitation comporte quatre branches principales ou départements dotés, chacun d'une organisation commerciale et administrative propre. Tous les associés étaient en juin 1940, à l'exception de M. J. Barnaud, des descendants de M. H. Worms, grand-père de l'actuel H. Worms et M. H. Goudchaux.
Les gérants responsables de la société étaient à la même époque :
- Hypolite Worms
- J. Barnaud
- H. Goudchaux
Dès octobre 1940, M. Goudchaux céda ses parts d'intérêts et résilia ses fonctions de gérant.
J. Barnaud, appelé à des fonctions officielles resta titulaire de son poste, mais cessa en fait ses fonctions vers la même époque.
Seul M. H. Worms restait donc gérant effectif mais sous le contrôle d'un commissaire allemand que les allemands placèrent à la tête de la Maison Worms dès octobre 1940, prétexte pris de l'origine des capitaux, et du fait qu'une partie de ces capitaux avait appartenu ou appartenait à M. Goudchaux et à Madame Labbé, israélites.
Les attaches britanniques de M. Worms paraissent, en outre, n'avoir pas été étrangères à la décision prise par l'occupant.
Pour pallier les effets des lois d'exception relatives aux israélites et sur le point d'être promulguées en France, M. Goudchaux fit donation le 25 octobre 1940 de ses droits dans la société en faveur de ses trois filles.
De son côté, Madame Labbé avait fait une donation analogue le 19 octobre 1940 en faveur de ses deux fils.
Néanmoins un commissaire allemand, M. von Ziegesar fut nommé le 5 octobre 1940 auprès de la société Worms & Cie.
Sur démarches de M. Worms à la direction du Trésor au ministère des Finances, un commissaire suppléant français qui fut adjoint à la même date en la personne de M. de Sèze.
Celui-ci semble s'être mis d'accord avec la direction et notamment avec Le Roy Ladurie pour minimiser autant que possible le rôle de M. von Ziegesar.
Ce dernier fut révoqué et remplacé en juin 1941 par M. von Falkenhausen, lequel avait mission d'être plus strict et plus rigoureux que son prédécesseur.
De son côté, M. de Sèze partit pour l'Afrique du Nord fin 1942, laissant vacant le poste de commissaire suppléant.
Durant l'occupation, différents groupes allemands tentèrent de s'immiscer dans le capital de la société Worms et de ses filiales.
C'est ainsi que le Dr Hettlage, de la Commerzbank, s'ouvrit à deux reprises, en décembre 1940 et en mars 1941, de ses intentions de racheter les parts que H. Goudchaux avait dû céder en dot à ses filles Il lui fut opposé un refus formel.
D'autres tentatives, également infructueuses avaient été faites par le groupe métallurgique allemand.
En conséquence, les Allemands prirent des mesures de rigueur et il a été expliqué page 26 comment la Maison Worms a dû supporter pendant dix-huit mois, la présence dans ses bureaux d'experts allemands chargés de faire un rapport sur l'activité de la société, et comment M. G. Le Roy Ladurie dut protester contre la menace faite par les Allemands de contraindre la société à céder ses parts à leurs groupes financiers.
Ainsi qu'il a été dit, la société Worms & Cie comprend quatre départements distincts, à savoir :
- le département Constructions navales
- le département Services maritimes
- le département Charbons
- le département bancaire.
En outre; elle possède dans son portefeuille titres des actions et des parts d'un certain nombre de sociétés. Ces participations lui confèrent dans certaines d'entre elles, une influence plus ou moins grande au sein des conseils d'administration et lui permettent ainsi d'étendre son action au-delà de sa propre maison.
L'expertise qui précède, a étudié séparément l'activité des quatre départements et la question des participations.
L'étude est résumée ci-après en suivant la même classification.

Département Constructions navales

Créés en 1917, les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, au Trait, appartenant à la Maison Worms & Cie, étaient en juin 1940, titulaires de différents marchés passés par le gouvernent français, notamment pour la construction de sous-marins et de ravitailleurs d'escadre.
Tous les efforts utiles ayant été faits pour soustraire aux allemands en juin 1940, le plus grand nombre possible des bâtiments en construction sur les huit cales des Chantiers, les Allemands ne trouvèrent à leur arrivée que les unités qu'il avait été absolument impossible de lancer avant l'invasion de la région normande.
Ces unités étaient :
- quatre sous-marins : "La-Favorite", "L'Africaine", "Andromaque" et "Armide" dont le premier presque achevé et les deux derniers à peine commencés
- trois ravitailleurs d'escadre : "La-Charente", "La-Mayenne", "La-Baïse"
Revenue d'exode dès fin juin 1940, la direction des Chantiers ayant à sa tête M. Nitot, directeur général, trouva les ateliers et installations occupés par un détachement allemand. En vue de reprendre possession des lieux, M. Nitot conféra notamment avec le capitaine de vaisseau Degenhardt et, en contrepartie de la restitution des Chantiers à la Maison Worms, celui-ci imposa une "convention provisoire" qui avait le caractère d'un ordre sans possibilité de refus et aux termes de laquelle les Chantiers étaient chargés de renflouer quatre bacs, de terminer les ravitailleurs d'escadre (pétroliers) "la-Charente", "La-Mayenne", et de construire quatre chalands. Les travaux reprirent le 25 juillet 1940 et à partir de cette date, il y a lieu de faire une distinction entre les commandes de l'amirauté française en cours au 25 juin 1940 et continuées pour le compte allemand et celles passées directement par les allemands postérieurement au 25 juin 1940.
En outre, des commandes françaises passées ultérieurement ou postérieurement au 25 juin 1940 furent poursuivies dans une faible mesure, pendant l'occupation, les Allemands ayant très rapidement déclaré leurs travaux prioritaires et ayant interdit qu'on travaillât sur bâtiments français sauf exception particulière.
L'amirauté française ayant, dès le début, fait démonter les sous-marins "Andromaque" et "Armide", il restait uniquement, susceptibles d'être poursuivis pour compte allemand :
- les sous-marins "La-Favorite" et "L'Africaine"
- les ravitailleurs d'escadre "La-Mayenne", "La-Baïse".
Pour le sous-marin "La-Favorite" qui était presque achevé, la Kommandierender Admiral in Frankreich donna un ordre verbal de continuation, dès le 8 juillet 1940, semble-t-il, et le confirma le 2 septembre 1940. Cependant, avant d'obtempérer à cet ordre, la direction des Chantiers en référa aux services français, ce qui donna lieu à un échange de correspondance et à des pourpalers de caractère dilatoire qui ont été analysés de la page 45 à la page 52.
Tout ceci aboutit à une lettre comminatoire émanant du capitaine Rhein en date du 4 octobre 1940 et à une confirmation de l'ingénieur général Herck, chef du service français des commandes allemandes.
C'est dans ces conditions que les Chantiers du Trait reprirent le travail sur "La-Favorite" ce qui fut annoncé au personnel par un avis du 8 octobre 1940, le mettant au courant des menaces allemandes.
Cette reprise du travail n'empêche d'ailleurs pas M. H. Worms de s'enquérir de la position du gouvernement français à l'égard de la conformité ou de la non-conformité de la continuation des constructions militaires avec les clauses de l'armistice. L'établissement des licences de régularisation donne lieu à de nouveaux pourparlers dilatoires. Cependant, bien qu'aucun obstacle n'eût plus dû se manifester après octobre 1941, le ralentissement du travail, tant du fait de la carence de certains fournisseurs, que de l'inertie générale contre laquelle les allemands envisagèrent d'ailleurs des mesures de coercition, fit que "La-Favorite" fut lancée en septembre 1942 seulement. (Ce lancement avait été précédé de l'arrestation par les allemands à titre de garantie de quatre membres du personnel.)
En ce qui concerne le sous-marin "L'Africaine" dont la situation juridique était identique à celle de "La-Favorite", mais dont l'avancement des travaux était bien moindre, un ordre écrit de continuation fut donné le 4 octobre 1940 par les Allemands.
Comme pour "La-Favorite", commencèrent alors une correspondance et des pourparlers dilatoires encouragés d'ailleurs dans une certaine mesure par le gouvernement français.
Forte de sa position, la Maison Worms opposa même à la Rustungsinpektion de Saint-Germain, un refus catégorique de continuation. Les Allemands réagirent immédiatement par une  sommation assortie de menaces (lettre du 4 mars 1941).
Malgré cela, la Maison Worms se retranchant toujours derrière l'amirauté française resta dans l'expectative et quoiqu'une licence définitive lui ait été remise le 5 octobre 1941, c'est seulement après plusieurs ordres allemands, dont le  dernier du 16 février 1942, que le travail fut repris.
En raison de sa lenteur, le bâtiment ne fut pas achevé avant la Libération.
Pour les ravitailleurs d'escadre "La-Mayenne", "La-Baïse" et "La-Charente", la convention du 8 juillet 1940 déjà citée, constituait un ordre de continuation des travaux mais vers la même époque, l'ingénieur général Norguet, chef du service technique français des construction navales, avait lui-même aussi donné verbalement l'ordre de poursuivre les travaux de ces bâtiments.
La direction des Chantiers se trouvait donc saisie de deux ordres identiques émanant des amirautés française et allemande sans qu'elle soit cependant en mesure de déterminer quel était le destinataire des deux bâtiments.
Elle référa de la situation au ministère français de la Marine et à l'amirauté allemande (lettre des 12 juillet, 21 et 24 et 27 septembre 1940).
Après un échange de correspondance une note du contre-amiral Auphan précisa que les demandes allemandes devaient être acceptées sous réserve de discussions en cours à la commission d'armistice.
Entre temps, l'amirauté allemande avait fait connaître le 27 septembre 1940 son accord en ce qui concerne la poursuite des travaux sur "La-Charente" et sur "La-Mayenne".
Pour "La-Baïse", des ordres contradictoires furent donnés par les Allemands et au cours des pourparlers qui s'ensuivirent la Maison Worms obtint l'autorisation de continuer ce bâtiment pour la marine française, ce qui lui fut confirmé par le Kommandierender Admirai in Frankreich, le 4 décembre 1940.
Malgré cela, la situation restait très confuse puisqu'une lettre du 5 février 1941 rangeait encore "La-Baïse" parmi les bâtiments destinés aux Allemands.
En réalité, ce sont seulement les décisions de la commission d'armistice de Wiesbaden qui tranchèrent définitivement la question en août-septembre 1941 dans un sens favorable à la France.
Cependant, en fait, les travaux ne purent être poursuivis sur "La-Baïse" en raison de la priorité des travaux allemands.
Pour "La-Charente" et "La-Mayenne", les travaux ne furent pas poursuivis au rythme tout d'abord prévu, tant en raison des difficultés d'approvisionnement en matériaux que de l'inertie volontaire.
D'ailleurs, deux lettres du secrétariat d'État à la Marine, en date des 8 octobre et 30 octobre 1941, firent assortir en définitive que seule "La-Charente", que les Allemands dénommèrent "Ostfriesland", devait être poursuivis. "La-Mayenne" restait ainsi destinée à la France.
Le lancement de L'"Ostfriesland" (ex-"Charente") prévu initialement pour le 1er octobre 1941, puis pour le 1er avril 1942, n'eut finalement lieu que le 10 juin 1943 et après que les Allemands eurent violemment menacé de prendre des mesures de rigueur (arrestations, etc.).
Outre les bâtiments dont il vient d'être parlé, les Chantiers du Trait poursuivirent pour compte des Allemands et sur l'ordre de ceux-ci la construction de quatre chaudières dont deux furent enlevées par eux (la Maison Worms ayant prétexté l'impossibilité d'effectuer la livraison par ses propres moyens) et dont les deux autres étaient encore dans ses ateliers à la Libération.
Par ailleurs, les Allemands passèrent directement commande à la Maison Worms :
- le 2 octobre 1940, de 3 cargos de 1.000 tonnes
- le 8 juillet 1940, de 4 chalands non automoteurs
- le 11 août 1940, de la transformation de 27 péniches
- les 20 juin 1944, 22 juillet 1944 et 4 août 1944 de neuf bacs de 15 tonnes et de trois bacs de 24 tonnes
- en novembre 1940 (par l'intermédiaire des Forges et Chantiers de la Gironde) de quatre machines pour la marine allemande.
Sur les cargos le travail ne commença qu'en décembre 1941 pour les deux premiers et en janvier 1942 pour le troisième. Il fut interrompu au début de 1943 et repris fin 1943 sur deux cargos seulement. Aucun ne fut livré à l'Allemagne.
La commande des chalands était constituée en fait par l'ordre formel dit "convention du 8 juillet 1940". Au cours d'un entretien qu'il eut avec le commandant Degenhardt, M. Nitot demanda à être déchargé de cette commande mais les Allemands la confirmèrent. Là encore, des pourparlers dilatoires s'engagèrent et le travail commença seulement au début de 1941. Un retard considérable se produisit dans la construction du fait que les Allemands ne pouvaient fournir les matériaux nécessaires aux Chantiers, en temps utiles.
Un seul chaland fut, en définitive, livré le 25 mars 1944.
Pour la transformation de chalands, le contrat ne fut effectivement passé qu'entre le 22 août et le 3 septembre 1940. Il s'agissait d'un contrat-type proposé aux divers chantiers français exécutant des travaux similaires. C'était là, d'ailleurs, un travail de très peu d'importance et vingt-sept péniches quittèrent rapidement les Chantiers après transformation.
Quant aux bacs, les deux premiers de 15 tonnes seulement furent terminés et livrés aux Allemands du fait des mesures d'accélération de travail expressément ordonnées par eux.
Les sept autres bacs de 15 tonnes ne furent jamais exécutés et les trois bacs de 24 tonnes ne purent être livrés bien qu'achevés.
Quant à la commande de quatre machines, elle fut résiliée en partie en juin 1942 et les deux autres machines prévues ne furent jamais construites.
Enfin, les Chantiers du Trait reçurent à plusieurs reprises notification par la Marine allemande d'avoir à envoyer des spécialistes sur d'autres Chantiers français effectuant des constructions pour l'autorité occupante.
Ceci n'intervint d'ailleurs qu'à la fin de l'occupation et a été tout à fait exceptionnel dans l'activité des Chantiers.
L'étude effectuée de la page 114 à la page 126 en ce qui concerne les tonnages lancés et livrés a confirmé que pour les Chantiers de l'importance de ceux du Trait le nombre des bâtiments livrés durant l'occupation a été anormalement faible.
C'est ainsi que, alors que le tonnage monté annuellement n'a jamais été inférieur avant 1940 à 4.100 tonnes, il n'a jamais dépassé 3.105 tonnes pendant l'occupation.
Le tonnage lancé par les Chantiers du Trait durant l'occupation a été livré en totalité aux Allemands, ceux-ci ayant interdit le travail sur les bâtiments destinés à la marine française. Ce tonnage représente moins de 30% du tonnage lancé pendant les quatre années qui ont précédé l'occupation.
Si le tonnage monté sur cale pendant l'occupation, ne constitue déjà qu'un tiers du tonnage monté pendant les années 1936 à 1940, 60% dudit tonnage monté pendant l'occupation n'a jamais été livré. Ceci revient à dire que, pour une grande partie, les Allemands n'ont obtenu, la livraison des tonnages précédemment indiqués que parce qu'ils ont profité des montages effectués avant juin 1940.
Il est a noter au surplus que le tonnage effectivement monté pour les Allemands ne représente que 44% du tonnage qu'ils avaient commandé. De plus, si l'on admet que les Chantiers du Trait ont une capacité de montage de 10.000 tonnes par an, soit 40.000 tonnes pour l'occupation, le tonnage monté pour les Allemands n'a pas atteint 8% de ce chiffre.
En bref, le tonnage livré aux Allemands a représenté :
- 44% environ des commandes allemandes,
- 40% du tonnage total monté pendant l'occupation (60% du tonnage monté pendant cette période n'ayant pas été livré).
- 8% environ de la capacité totale de production des Chantiers.
La diminution de production par rapport à l'avant-guerre est due essentiellement, tout d'abord, à la réduction des effectifs ouvriers (voir tableau page 128).
Ceux-ci, en effet, ont été durant l'occupation inférieurs à ceux des années 1936 à 1940. La moyenne des heures travaillées par an, qui était de 2.064.072 pour les années 1938 et 1939 n'a jamais été atteinte sous l'occupation.
Le total des heures enregistrées de 1940 à 1944 se monte à 7.548.143 heures, sur lesquelles 3.666.000 soit 47% ont été consacrées à des activités accessoires, 2.348.648 heures, soit 31% firent affectés aux travaux allemands, et 1.632.748.72 aux travaux de la marine française.
Les heures effectivement consacrées à la construction sur cale n'ont atteint que 3.531.200 contre 5.349.000 dans les quatre années 1936 à 1940.
La diminution de production est due à la baisse de rendement (voir tableaux de la page 120 à 123 - tome I).
En effet, le rendement comparé des heures affectées à la construction par rapport au tonnage monté avant et pendant l'occupation s'établit globalement à 229 de 1936 à 1940, contre 325 pendant l'occupation, ce qui montre une diminution de rendement d'environ 30%.
Il est à remarquer qu'au cours de cette étude comptable, les chiffres et rapports établis en ce qui concerne le tonnage lanc" et monté ainsi que les heures affectées à la construction des bâtiments sur cale, ont été établis, abstraction faite de travaux très peu importants tels que :
- les transformations de 27 péniches en 1940,
- la construction de 2 bacs de 15 tonnes et trois de 64 tonnes en 1944.
Ceux-ci, en effet, ne sont pas susceptibles de modifier, de façon appréciable, les résultats obtenues. Ils ont été négligés.
Une troisième cause de la baisse de rendement réside dans les tergiversations de la direction qui, notamment pour "L'Africaine" et "La-Favorite" ont retardé considérablement les travaux. (Le tableau de la page 116 fait ressortir quelle a été pendant l'occupation, l'activité déployée sur chaque cale et le tableau de la page 132 montre comment se sont réparties annuellement les heures de travail).
Le fait que la direction des Chantiers n'a rien entrepris pour accélérer utilement l'exécution des commandes allemandes est confirmé par les déclarations de la plupart des membres du personnel des Chantiers.
Trois ouvriers ont, il est vrai, émis un avis contraire mais, de l'ensemble de l'étude effectuée de la page 99 à la page 111, il résulte que :
- si différentes notes de service au cours des années d'occupation rappelaient aux ouvriers d'avoir à être présents sur les Chantiers, faute de quoi la direction devrait prendre des sanctions, il apparaît que ces notes de service ne faisaient que traduire les menaces faites par les Allemands à la direction elle-même ;
- si la direction des Chantiers est intervenue à plusieurs reprises auprès des Allemands pour faire accélérer l'approvisionnement des Chantiers en matériaux, elle agissait là uniquement pour donner aux Allemands une satisfaction de principe, et aussi dans le but d'accroître ses stocks tout en produisant le moins possible (le peu de livraisons effectuées, en définitive, par les Chantiers aux Allemands, le montre) ;
- si, enfin, la direction a essayé d'instaurer un système de planning destiné à rendre plus précis le calcul de ses prix de revient, ce nouveau système n'a pas eu pour résultat, semble-t-il, d'augmenter de quelque façon que ce soit le rendement du travail ; la direction des Chantiers affirme, d'ailleurs, qu'elle n'a jamais poursuivi ce but, et, au surplus, ce planning n'est jamais entré effectivement en vigueur.
Les comptes d'exploitation et des pertes et profits du département Constructions navales, ont fait l'objet d'une étude approfondie de la page 145 à la page 184.
Il résulte de cette étude que les bénéfices bruts des années 1940 à 1944 ont été constitués :
- par des bénéfices bruts sur constructions,
- par des bénéfices bruts sur travaux et réparations divers,
- par un poste commandes soldées.
Les commandes soldées s'appliquent uniquement à la liquidation de commandes françaises antérieures à 1940.
Les travaux et réparations divers ont donné lieu à un bénéfice brut total de F 3.791.039.11 dont F 1.399.816.91 sur travaux allemands (notamment la transformation des péniches).
Quant aux bénéfices bruts sur constructions proprement dites, ils ont été, pour la période d'occupation, de F 7.488.928.15 suivant détail page 165, ce chiffre comprenant F 5.512.797.21 de bénéfice brut sur constructions allemandes (voir détail page 172).
Au total, le bénéfice brut retiré par les Chantiers du Trait de l'exécution des ordres allemands a ainsi été de F 6.912.674.12.
La détermination des résultats nets correspondants a fait l'objet d'une étude de la page 173 à la page 184, tome I.
En raison du blocage sur l'exercice 1944 de la comptabilisation des fournitures allemandes, cette détermination n'a pu être faite que par une répartition par navire, des charges communes figurant au débit des comptes de pertes et profits.
Ces charges comprenant notamment diverses provisions, la répartition a été faite pour chaque bâtiment livré aux Allemands dans le rapport des dépenses sur constructions engagées par exercice pour lesdits bâtiments, aux dépenses totales engagées pendant le même exercice pour toutes les constructions en cours.
Les résultats de cette répartition sont donnés par le tableau de la page 178.
En définitive, et compte tenu de ces charges, les résultats nets sur travaux ou constructions effectués pendant l'occupation, pour compte allemand, ont été les suivants :
- perte sur bâtiments livrés : F 20.799.516.79
- perte sur travaux impayés ou constructions non achevées : F 13.389.242.08
Ensemble : F 34.188.558.87.
Il y a lieu d'observer que ce total est supérieur à celui des pertes nettes totales comptables accusées page 174, pour la période d'occupation. Cette anomalie apparente provenant de ce que le chiffre total comptable (F 29.313.930.73) a été obtenu avant déduction de la presque totalité de la provision pour dommages de guerre dont il a au contraire, été tenu compte pour obtenir la perte définitive afférente au secteur allemand (F 34.188.558.87).

Département Services maritimes

Sur les vingt-deux navires qui constituaient la flotte de la Maison Worms à la date de l'armistice franco-allemand de juin 1940, seul le s/s "La-Mailleraye", le plus petit de tous, restait à la libre disposition de ladite Maison Worms.
En effet, les autres unités, comme d'ailleurs la plupart des navires marchands français, avaient été dès le début de la guerre :
- soit affrétés par la Direction des transports maritimes sous le régime d'une charte-partie et d'un contrat de gérance dont les modalités ne furent définitivement établis qu'en septembre 1940,
- soit réquisitionnés par la Marine militaire française.
Sous l'un ou l'autre de ces deux régimes, la Maison Worms n'était que le gérant technique de ses navires, tandis que l'initiative de leur emploi revenait suivant le cas à la Direction des transports maritimes ou à la Marine militaire française.
C'est dans ces conditions, que, lors de l'armistice de juin 1940, neuf des unités de la flotte Worms se trouvaient dans les ports anglais et furent réquisitionnées par les autorités britanniques.
Pendant l'occupation allemande, six des unités stationnées dans les ports français furent réquisitionnées par les autorités occupantes. Deux d'entre elles furent déréquisitionnées les 18 janvier et 4 mars 1941 sur l'intervention de la Maison Worms auprès de la Direction des transports maritimes qui obtint elle-même cette mesure.
L'un des bateaux ainsi libéré passa sous le contrôle des Forces françaises libres lors du débarquement allié du 8 novembre1942, en Afrique du Nord.
Trois autres bâtiments, non réquisitionnés, mais affrétés par les Transports maritimes, et qui se trouvaient en Afrique du Nord à la même époque, naviguèrent ensuite également pour le compte des Forces françaises libres.
En décembre 1942, deux navires furent cédés à l'Allemagne en vertu des accords dits "Laval-Kaufmann".
La Maison Worms fut étrangère à ces négociations et n'en fut avisée qu'après la signature d'un procès-verbal de cessation de gérance au profit de l'État français.
Deux des bâtiments restant, ayant été coulés les 8 janvier 1942 et 27 juillet 1943, le seul navire qui était encore à la disposition des Transports maritimes fut coulé à son tour, par les Allemands, dans le port de Marseille, en août 1944.
En bref, la situation de la flotte Worms sous l'occupation peut être établie comme suit :
- navires stationnés dans les ports anglais dès l'armistice et ayant navigué pendant toute l'occupation sous contrôle britannique : 9
- navires cédés à l'Allemagne en 1942, déc. en vertu des accords Laval-kaufmann : 2
- navires ayant servi les Forces françaises libres après novembre 1942 : 4
- navires affrétés par les Transports maritimes et coulés en 1942 et 1943 : 2
- navires coulés par les Allemands en août 44 : 1
- navires réquisitionnés par les Allemands et restés sous leur contrôle depuis la date de réquisition jusqu'à la Libération : 4
ce qui représente un total de : 22 navires composant l'effectif de la flotte Worms durant l'occupation.
Il est à noter qu'un navire seulement, "La-Mailleraye", était à la libre disposition de la Maison Worms, il figure parmi les navires réquisitionnés et restés sous contrôle allemand jusqu'à la Libération. Il n'a donc été utilisé par l'ennemi que sous la contrainte née de la réquisition.
De plus, la succursale de la Maison Worms à Bordeaux, (entreprise de manutention ayant été placée, dès 1939, sous le contrôle direct du port autonome, les Allemands utilisèrent à leur arrivée, pour leurs propres opérations, les entreprises de manutention considérées comme service public.
C'est ainsi que la succursale Worms dut effectuer pour les Allemands un travail de déchargement de minerai espagnol, travail qui lui fut même ordonné expressément par le commissaire allemand von Falkenhausen (voir page 206 tome I).
Enfin, dès son arrivée au Havre, la marine allemande fit exécuter, par un petit atelier que possédait la Maison Worms dans ce port, quelques réparations de navires.
Il a été expliqué page 207 que l'exécution de ces travaux ne parut pas satisfaisante, car la Kriegsmarine réquisitionna l'atelier en 1944 et prit la direction effective du personnel, interdisant aux représentants de la Maison Worms l'accès de l'atelier.
Il y a lieu d'ajouter que les locaux de diverses succursales de la Maison Worms (Brest, Rouen, Dunkerque) furent occupés pendant des périodes plus ou moins longues par les armées allemandes.
Il en résultait, pour la Maison Worms des charges importantes, celle-ci, ayant pendant ces périodes d'occupation, gardé son personnel bien que celui-ci ne fournisse aucun travail productif.
Les indemnités afférentes aux navires réquisitionnés ont été perçues par la Maison Worms aux conditions prévues, tant dans la charte-partie que dans le contrat de gérance du 15 septembre 1940. Elles ont été versées par le gouvernement français, même lorsqu'il s'agissait de navires réquisitionnés par les Allemands. En contre-partie, la Maison Worms reversait préalablement au gouvernement français les indemnités de réquisition qu'elle pouvait recevoir directement des Allemands.
Dans l'ensemble, les indemnités versées par le gouvernement français à la Maison Worms pour les navires réquisitionnés par les Allemands ont formé un total de F 12.491.263.20 dont le détail est donné par le tableau de la page 218. Ces indemnités forment environ 7,7% seulement du total des indemnités perçues par la Maison Worms pour l'ensemble de ses navires pendant l'occupation. Le complément, soit 82.3 %, s'applique à des navires restés aux mains du gouvernement français.
Les exercices durant lesquels les navires de la flotte Worms se trouvèrent sous le régime de réquisition ou d'affrètement par l'État, présentent des résultats bruts très substantiels d'une moyenne annuelle approximative de F 20.000.000.
Il est donc certain que la réquisition ou l'affrètement par l'État a été pour la Maison Worms très avantageuse. Il est cependant à noter que les indemnités touchées par elle pour les navires réquisitionnés par les Allemands ne représentent qu'une faible part des indemnités totales, le bénéfice brut afférent au secteur allemand, s'établissant au minimum à F 9.559.600 et au maximum à F 9.832.670 pour les raisons expliquées page 228.
Dans l'ensemble, les lignes maritimes du département Services maritimes de la société Worms & Cie ont accusé un bénéfice net de F 73.780.847.87 tandis que les succursales ont perdu F 19.231.584.98. Cela tient au fait que, durant la période considérée, les Services maritimes ont reçu des indemnités importantes de réquisition et d'affrètement, alors que les succursales, dont l'activité consistait essentiellement en des opérations de transit et de manutention de navires, sont restées en sommeil, tout en supportant de grosses charges.
La seule opération effectuée pour les Allemands, par une succursale de la société Worms & Cie (celle de Bordeaux), s'est traduite par une perte nette de F 3.220.685.40. Par ailleurs, sur une perte nette totale de F 2.917.563.62 afférente à l'atelier du Havre, la fraction de perte imputable aux travaux effectués pour compte allemand sur réquisition, a été de F 798.526.
Par ailleurs, les charges improductives supportées par les succursales de Brest, Rouen, Dunkerque, où pendant les périodes où leurs locaux étaient occupés par l'armée allemande, occasionnèrent une perte nette de F 7.558.804.
Il en résulte que l'ensemble des résultats imputables au secteur allemand (travaux et occupation de locaux) s'est soldé pour les succursales, par une perte nette totale de F 11.578.015.40.
Il y a lieu de remarquer cependant que ce chiffre important n'est obtenu que parce qu'il a été imputé aux opérations allemandes, les frais, notamment de personnel, que la maison Worms n'a pas pu ou pas cru devoir supprimer pendant que ces succursales étaient contraintes à l'inactivité.
En fait, la perte sur opérations allemandes proprement dites se limite à F 4.019.211.40 (F 3.220.685.40 + F 798.526).
En définitive, les résultats nets tirés par le département Services maritimes des opérations et des réquisitions pour compte allemand, se sont traduits :
- par une perte nette de F 5.908.015 si l'on impute au secteur allemand la totalité des pertes résultant des charges improductives supportées par les succursales pendant qu'elles étaient occupées par l'ennemi,
- par un bénéfice net de F 1.650.789 si l'on fait abstraction de ces charges ne correspondant pas à des opérations proprement dites.
Le détail de ces chiffres a été donné page 239 (tome I).

Département Charbons

Le département Charbons est le plus ancien de la société Worms & Cie. La guerre, puis l'occupation ont ralenti considérablement l'activité de ce département.
En effet, les seuls charbons qu'il était possible d'importer en France, à partir de juin 1940, étaient les charbons belges et allemands, que les autorités d'occupation ont fait attribuer à un groupement composé de filiales et agents d'exportation allemands.
La Maison Worms n'était pas qualifiée pour faire partie de ce groupement et ne fut même pas sollicitée.
Son activité sur le plan charbonnier fut donc réduite aux seuls tonnages livrés par les mines françaises sur attribution de l'Office de répartition du charbon.
La Maison Worms ainsi prit, pendant l'occupation, la position de revendeur.
Pour ces opérations de vente de charbons, la Société Worms & Cie possède des comptoirs de vente dans diverses villes françaises, et il est arrivé que les autorités locales d'occupation aient, pour couvrir leurs besoins, réquisitionné elles-mêmes ou fait réquisitionner par les mairies un certain nombre de tonnes de charbon.
En l'état de la documentation réunie, il apparaît que ces réquisitions ont représenté les seules fournitures de charbon effectuées par la Maison Worms aux Allemands.
Les conditions dans lesquelles ont été opérées ces réquisitions ont été exposées page 248 et 249.
Il est certain que la réduction considérable d'activité subie par le département Charbons était de nature à contraindre la société Worms & Cie à licencier en masse le personnel.
Pour éviter ces mesures extrêmes et fournir à la clientèle des combustibles de remplacement, la Maison Worms s'intéressa, dès 1941, à un certain nombre d'entreprises d'exploitations forestières ou de production et de vente de tourbe et de lignite.
Les exploitations forestières qui fournissaient du charbon de bois et du bois pour gazogène n'ont été en relation avec les Allemands qu'à la suite de réquisitions ou d'impositions faites par les Eaux et Forêts dans les conditions exposées de la page 250 à la page 252.
Quant aux exploitations tourbières rattachées aux centres de Nantes et de Landerneau, elles effectuèrent diverses livraisons aux Allemands sur injonction de ceux-ci, dans les conditions exposées aux pages 252 et 253.
L'étude comptable effectuée a montré que les tonnages de charbons livrés aux Allemands n'ont pas dépassé 2.634 tonnes pendant toute l'occupation sur un tonnage total vendu de 1.197.556 tonnes, ce qui représente environ 0,2%. Cette proportion est absolument infime.
Elle a été également très faible pour la tourbe, sauf en 1944, en raison de ce que la tourbière de La Brière exploitée par la société Worms & Cie , se trouvait être dans la poche de Saint-Nazaire, l'une des rares sources de combustibles qui restât à ce moment à la portée des Allemands.
Par contre, les pourcentages de livraison ont été plus élevés pour les bois de gazogènes et le charbon de bois, puisque pour ces deux produits, ils ont varié selon les exercices entre 6,2% et 41% tout en ne représentant, dans l'ensemble, que 59% du tonnage commandé ou imposé par les Allemands.
La direction de la société Worms & Cie a expliqué, que ces pourcentages plus élevés étaient dus à ce que, employant sur ses chantiers de nombreux réfractaires au Service du travail obligatoire, elle avait cru préférable d'effectuer un minimum de livraisons plutôt que de voir les Allemands adopter des mesures de coercition dont aurait souffert le personnel.
D'ailleurs, malgré les pourcentages plus élevés afférents à l'exploitation forestière, la proportion d'activité du département Charbons au profit du secteur allemand, est resté dans son ensemble très faible.
En effet, les tonnages totaux de charbon de bois et de bois de gazogène manipulés par la Maison Worms ont représenté seulement 10.981 tonnes contre 1.197.000 tonnes de charbon.
Il en résulte que la proportion plus forte de livraisons au secteur allemand, en ce qui concerne le charbon de bois et le bois de gazogène n'est pas de nature à influer sensiblement sur le pourcentage d'ensemble qui est conditionné avant tout par les charbons proprement dits.
Ce pourcentage d'ensemble n'a pas dépassé 1% des quantités totales manipulées.
Par ailleurs, il y a lieu de noter que l'étude effectuée de la page 276 à la page 283, en ce qui concerne les effectifs ouvriers des exploitations forestières et tourbières, est de nature à corroborer les déclarations de la direction de la Maison Worms selon lesquelles elle aurait employé à ces exploitations les effectifs que, en raison des circonstances précédemment exposées, elle ne pouvait plus occuper à la vente des charbons.
L'étude des chiffres d'affaires du département Charbons a fait ressortir que le montant de ceux-ci pour les années d'occupation, a représenté une moyenne mensuelle de F 8.680.000 environ, soit 33% de la moyenne correspondante d'avant-guerre.
Cette proportion semble plus importante que celle de 10 à 12% se dégageant de l'étude des tonnages des charbons vendus. Cela tient au fait qu'à tonnage égal vendu, avant et pendant l'occupation, le chiffre d'affaires aurait dû environ tripler par suite de l'augmentation des prix.
Ceci revient à dire qu'il est normal qu'une diminution de 9/10 sur le tonnage vendu ne se traduise que par une régression de 1/3 sur le chiffre d'affaires.
D'autre part, les bénéfices bruts réalisés de 1940 à 1944, pour la seule vente des charbons, ont été en diminution considérable par rapport à l'avant-guerre (F 1.872.408.09 pour la période d'occupation contre F 66.798.031.77 pour la période de même durée ayant précédé l'occupation).
Quant aux exploitations accessoires (exploitations forestières et tourbe), elles ont procuré à la Maison Worms & Cie F 4.677.583.77 de bénéfice brut pendant l'occupation contre F 10.107.888.97 pendant une période équivalente antérieure à l'occupation. Le détail de tous ces chiffres figure de la page 286 à la page 295 tome I.
Les résultats nets ont, de leur coté, fait l'objet d'un examen spécial de la page 296 à la page 298 et il en résulte que, sous l'occupation, la perte nette totale du département Charbons a atteint F 58.267.104.76 contre un bénéfice net de F 31.046.000.62 pour l'ensemble des exercices 1938, 1939 et 1940.
La perte considérable imputable à la période d'occupation provient essentiellement des secteurs toujours Charbons et exploitations forestières qui ont été en déficit de 1940 à 1944.
Le secteur tourbière a au contraire été bénéficiaire en 1943 et 1944, mais la perte importante subie dans cette branche d'activité en 1942 n'a pas permis de faire ressortir un bénéfice net global.
Dans ces conditions, la part des résultats imputable au secteur allemand est déterminée en appliquant à chacune des branches (Charbons, forestière et carbonisation tourbière) les coefficients d'activité dégagée pour chacune de ses branches et dont le détail est rappelé page 298 tome I.
L'application de ces pourcentages aux résultats nets totaux permet d'établir que la fraction de perte nette imputable au secteur allemand ressort en définitive à F 2.577.502 sur un total de pertes de F 68.267.104 pour l'ensemble de la période d'occupation.

Département bancaire

Le Département bancaire de la société Worms & Cie a été créé en 1938 [sic] seulement.
D'une façon générale, il effectue toutes les opérations bancaires courantes, mais assure plus spécialement l'activité d'une banque d'affaires avec succursales à Marseille et à Alger.
En juin 1940, le directeur de la Banque Worms était M. Gabriel Le Roy Ladurie. Il y est resté pendant toute l'occupation. Il était appointé et non associé.
Pendant l'occupation, les opérations effectuées par la Banque Worms n'ont pas été différentes par leur nature de ce qu'elles étaient avant-guerre.
Ces opérations sont, comme dans toutes les banques, très variées mais peuvent être groupées en un nombre limité de catégories distinctes dont la liste a été donnée aux pages 305 et 306.
Étant donné la nature de ces opérations et pour les raisons qui vont être, exposées, l'importance desdites opérations ne peut donner lieu à des comparaisons utiles dans le cadre de la présente affaire qu'en se référant aux montants de courtage-commissions, droits, intérêts, produits, agios, etc. retenus ou attribués par la banque Worms à l'occasion desdites opérations.
Le classement des éléments des comptes d'exploitation de ladite Banque et le dépouillement de ces éléments a permis de dresser un tableau reproduit de la page 309 à la page 316 et qui fait ressortir pour les exercices 1939 à 1944 inclus ;
- d'une part, les totaux bruts des courtage, commissions, droits, etc. attribués ou retenus par la Banque Worms dans le cadre de chacune des catégories d'opérations effectuées par elle,
- d'autre part, les soldes débiteurs et créditeurs qui en résultent et dont l'ensemble forme pour chaque exercice le résultat brut tel qu'il est repris aux comptes de pertes et profits.
L'étude effectuée en ce qui concerne le contenu des sommes figurant sous chacune des rubriques du compte d'exploitation de la Banque (tableau page 309 à la page 316) a montré que trois de ces rubriques seulement comportent des résultats provenant d'opérations effectuées avec les autorités allemandes ou les ressortissants ennemis. Ce sont les rubriques suivantes :
- intérêts des comptes,
- commissions et agios divers,
- provisions.

La rubrique intérêts des comptes a fait l'objet d'une étude approfondie page 324 et suivantes.
De cette étude, il résulte tout d'abord que le montant des intérêts attribués par la Banque Worms à sa clientèle de 1940 à 1944 a représenté une moyenne mensuelle sensiblement supérieure à celle d'avant-guerre (F 900.000 contre F 400.000).
Le taux des intérêts servis aux dépôts ayant été sensiblement constant pendant les périodes considérées, ceci traduit un accroissement certain du montant de ces dépôts pendant l'occupation.
Cependant cet accroissement n'a pas son origine dans les opérations avec le secteur allemand.
En effet, la moyenne mensuelle des intérêts attribués par la Banque Worms, a des comptes de dépôts d'obédience allemande, n'a pas dépassé F 16.000 environ, soit un pourcentage de 1/8 par rapport à la moyenne des intérêts attribués, pendant l'occupation, à l'ensemble des déposants.
Par ailleurs, les intérêts retenus par la Banque Worms du fait d'ouvertures de crédit ont représenté, pendant l'occupation, un montant mensuel approximatif de F 1.280.000 contre F 1.000.000 avant-guerre.
Le montant des intérêts retenus par la Banque sur ouvertures de crédits aux Allemands n'a représenté que 4% environ du total des intérêts retenus pendant l'occupation pour cette catégorie d'opérations.
Le profit brut réalisé par la Banque Worms en ce qui concerne les intérêts des comptes a été en moyenne sensiblement inférieur à celui obtenu avant guerre (moyenne mensuelle de F 376.000 environ contre F 621.000 environ avant guerre).
Il apparaît donc que le rendement de cette catégorie d'opérations bancaires a été inférieur durant l'occupation à ce qu'il était avant guerre.
L'exposé détaillé des calculs qui ont abouti aux pourcentages ci-dessus, indiqués en ce qui concerne l'importance des opérations du secteur allemand figure :
- pour les intérêts attribués par la Banque Worms aux comptes allemands ou d'obédience allemand (1,8% des totaux de la catégorie) de la page 333 à la page 337,
- pour les intérêts retenus du fait d'opérations imputables au secteur allemand (4% des totaux de la catégorie) de la page 338 à la page 357.
Ces études ont également fait ressortir dans quelles conditions la Banque Worms a effectué ces opérations.
Il en résulte, notamment, que les comptes de dépôt ont été ouverts sur l'ordre des commissaires allemands et, que M. de Sèze, commissaire adjoint français, avait lui-même conseillé d'entreprendre ces opérations de peu d'importance pour donner une satisfaction de principe aux Allemands et pouvoir opposer une plus grande résistance sur des points en valant vraiment la peine.
D'ailleurs, ces comptes de dépôts ont été en général de très faible importance, exception faite cependant de celui du Rustungskontor ouvert sur demande spéciale du commissaire allemand von Falkenhausen (voir page 335).
Il est apparu également que les ouvertures de crédits effectuées dans le cadre du secteur allemand concernaient tantôt des ressortissants ennemis (20% de cette catégorie) tantôt des fournisseurs français de la Kriegsmarine (80% de cette catégorie).
Les noms des bénéficiaires de ces ouvertures de crédit et avances figurent pages 341 et 342 d'une part, et 345 et 346 d'autre part.
La plupart de ces bénéficiaires se trouvaient déjà dans la liste des titulaires des comptes de dépôts.
Les avances à des ressortissants allemands ainsi que les ouvertures de crédit aux fournisseurs français de la Kriegsmarine (ouvertures de crédit ayant fonctionné sous forme d'escompte de factures) ont été effectuées comme les ouvertures des comptes de dépôts sur ordre des commissaires allemands installés de façon permanente, dans les locaux de la Banque. Ces ordres, en général verbaux étaient, ensuite confirmés pour les avances aux fournisseurs français par une lettre adressée auxdits fournisseurs par la Marine allemande et constituant pour eux le droit d'introduire auprès de la Banque Worms une demande de crédit.
Le tableau figurant page 347 donne le détail mensuel de la position des comptes d'avances aux fournisseurs français de la Kriegsmarine ainsi que le montant des découverts de la Banque Worms.
Il ressort de ce tableau que les découverts moyens résultant, pour la Banque Worms de ces opérations a beaucoup varié d'une année à l'autre, atteignant un maximum de F 36.457.759.29 en avril 1941, pour s'annuler totalement à certaines époques à partir du [...] juillet 1941.
Durant presque toute l'année 1943, il n'y a eu aucun découvert, mais au contraire des excédents au profit de la Banque Worms (chiffres rouges du tableau de la page 347).
Il y a lieu de noter que, d'ailleurs, les découverts consentis par la Banque Worms aux fournisseurs de la Marine allemande ont continué à se manifester après la Libération. La majorité de ces créances étant considérées comme irrécouvrables et constituant une perte pour la Banque.
Quant aux opérations sur accréditifs simples et documentaires, il a été exposé qu'elles ont été entreprises avec la Commerzbank pour atténuer le refus formel de cession de parts d'intérêts que M G. Le Roy Ladurie venait d'opposer aux tentatives de Dr Hettlage, directeur de la Commerzbank.
A partir de 1942, et sur pression du second commissaire von Falkenhausen qui occupait une situation importante dans le groupe de la Deutsche Bank, des accréditifs furent également ouverts à celle-ci par la Banque Worms.
L'essentiel de ces opérations fut constitué par des échanges de correspondance relatifs aux règlements aux règlements d'accréditifs documentaires ouverts pour expédition de marchandise française en direction de l'Allemagne, sous le contrôle des différents services du ministère des Finances et plus spécialement de l'Office des changes.
Le mécanisme de ces opérations qui étaient, soit couvertes, soit non couvertes a été expliqué aux pages 350 et 351.
Le fait même d'accorder des accréditifs à l'Allemagne n'a pas été pour la Banque Worms une opération de caractère exceptionnel.
En effet, des accréditifs furent également ouverts simultanément à d'autres pays pour les montants et dans les conditions exposées page 354 et 355.
Il en résulte notamment, que les accréditifs ouverts dans des pays neutres au bénéfice de la Banque Worms pour les importations en France ont représenté un total de plus de F 178.000.000, un peu supérieur à celui de F 161.000.000 représentant le total des accréditifs ouverts à l'Allemagne par la Banque Worms pour les exportations de France.
On peut préciser que, parmi les opérations d'accréditifs effectuées avec la Suisse (page 355) figurait un transfert relatif à des importations de denrées alimentaires en provenance de la Hongrie en transit par le Reich.

La rubrique commissions et agios divers du compte d'exploitation de la Banque Worms a fait l'objet d'une étude page 357 et suivantes.
Ce poste est constitué par les commissions retenues ou attribuées par la Banque Worms à l'occasion des diverses opérations qu'elle effectue.
Durant l'occupation, aucune commission n'a été attribuée au secteur allemand.
Par contre, diverses commissions ont été retenues sur ces comptes.
La ventilation des commissions et agios divers entre secteur français et secteur allemand ressort du tableau de la page 358.
Il résulte de ce tableau que, durant l'occupation, les commissions et agios divers retenus par la Banque Worms ont marqué un accroissement approximatif mensuel de F 1.350.000 tout en présentant un caractère de constance d'un exercice à l'autre.
Pour l'ensemble de la période d'occupation, les commissions retenues au secteur allemand ont représenté F 15.245.151 soit environ 23% du total de F 65.488.967.
Il a été procédé à une étude détaillée des opérations ayant donné lieu à ce total et les résultats de ces recherches qui ont permis d'effectuer une ventilation par nature de commissions sont présentées par le tableau de la page 361.
Ce tableau montre que sur l'ensemble de F 15.245.151, les commissions retenues sur cautions des clients français vis-à-vis d'administrations allemandes ont été les plus importantes avec F 9.770.343 représentant 65% environ du total.
En l'état de la documentation réunie, ces cautions ont été consenties sur demandes des clients eux-mêmes appuyées par le commissaire allemand auprès de la maison Worms.
D'autre part, les commissions retenues sur avances aux fournisseurs française de la Kriegsmarine ont atteint F 4.154.639, soit environ 25% du total des commissions retenues pendant l'occupation.
Ces commissions sont superposées aux intérêts perçus sur les mêmes avances pendant la même période.
En outre, les commissions sur cautions au profit de ressortissants allemands n'ont pas dépassé F 93.909 au total. En effet, la Banque Worms n'a fourni caution que pour deux maisons allemandes et ce, sur demande expresse de la Commerzbank à laquelle appartenait H. von Ziegesar (voir pages 364 et 365).

La rubrique provisions du compte d'exploitation de la Banque Worms a été examinée pages 366 et suivantes.
Il a été enregistré à ce poste :
- au débit, le montant des créances estimées douteuses par la Banque Worms,
- au crédit, le montant des créances récupérées et reprises en compte.
La ventilation entre secteur allemand et secteur français des provisions ainsi constituées ou reprises pendant l'occupation est donnée par le tableau reproduit pages 367 et 368.
Sur l'ensemble des provisions constituées pour F 9.876.464.41, F 7.889.007 sont imputables au secteur allemand. Aucune provision constituée dans ce dernier secteur n'a pu être reprise.
D'une façon générale, les provisions constituées au titre du secteur allemand n'appellent aucune remarque particulière. Leur montant correspond aux découverts laissés dans les livres de la Banque, au moment de la Libération, sauf en ce qui concerne le Rustungskontor dont le compte a donné lieu à une provision de F 3.000.986 très supérieure à ce découvert. Ceci pour les raisons expliquées de la page 371 à la page 374.
Il est à noter, enfin que, depuis le 31 décembre 1944, la régularisation des écritures avec l'Office des changes a amené la Banque Worms a considéré comme douteuses ou irrécouvrables certaines créances supplémentaires sur fournisseurs français de la Marine allemande et sur ressortissants allemands.
Le montant de ces créances formant F 1.973.411 n'entre pas dans les chiffres de provisions précédemment indiqués.

L'étude effectuée en ce qui concerne les bénéfices réalisés par la Banque Worms a montré que, pendant l'occupation, la moyenne des bénéfices bruts a été plus de deux fois plus élevée que pendant les exercices 1939 et 1940.
C'est l'exercice 1941 qui a représenté pour la Banque Worms le profit brut allemand le plus élevé à la fois en valeur absolue (F 5.664.571) et en proportion (17,5% du total).
Dans l'ensemble, la part de bénéfice brut imputable au secteur allemand, par rapport aux bénéfices bruts totaux de la période d'occupation représente F 17.05.140, soit 9.8% de l'ensemble.
Ce chiffre et ce pourcentage sont d'ailleurs des maxima, étant donné qu'ils sont établis avant déduction des provisions normalement constituées pour créances douteuses au titre du secteur allemand.
Compte tenu de ces provisions, le pourcentage des bénéfices bruts du secteur allemand tombe à 5% de l'ensemble des bénéfices totaux.
Enfin, les bénéfices nets réalisés par le secteur bancaire ont été analysés page 383 et suivantes et le tableau reproduit page 388 montre que :
- le bénéfice net du secteur allemand, avant déduction des provisions s'établit à F 1.803.810, déduction faite des provisions directement afférentes au secteur allemand et correspondant à des pertes effectives, ce bénéfice net se trouve réduit à F 4.914.803 représentant environ 6,4% du total des bénéfices nets enregistrés par la Banque Worms pendant l'occupation.
Ce chiffre et ce pourcentage sont d'ailleurs susceptibles d'être encore réduits dans le cas où les découverts laissés par les Allemands et non provisionnés quant à présent (F 1.973.411) resteraient définitivement irrécouvrables, ce qui est probable.
Dans ces cas, le profit net retiré par la Banque Worms des opérations qu'elle a traitées directement ou indirectement avec les Allemands serait limité à F 941.398 pour la période d'occupation, ce chiffre représentant environ 3,8% du bénéfice total réalisé pendant la même période).

Les participations

Chacun des départements de la maison Worms a en portefeuille des actions ou des parts de sociétés françaises ou étrangères plus ou moins importantes.
Celles-ci sont désignées sous le terme général de participations.
Le tableau reproduit page 407 et 408 donne la répartition entre chacun des départements et le siège social lui-même, des participations de la Maison Worms, chiffrées à leur valeur comptable à la fin de chacun des exercices 1939 à 1944.
Ce tableau montre que, ainsi qu'il est naturel le département bancaire a dans son portefeuille et gère la majeure partie de ces participations.
Il apparaît également que depuis le début de la guerre, le portefeuille titres de la société Worms & Cie a été en continuelle progression et qu'il est passé de F (?)78.353.930.21 au 30 septembre 1940, à F 359.162.070.54 au 31 décembre 1944.
Cet accroissement tient essentiellement à ce que la Maison Worms a, entre ces deux dates, acquis de nombreuses participations qu'elle n'avait pas auparavant. La liste des participations de l'ensemble des départements de la société Worms et du siège social a été dressée telle qu'elle s'établissait au 30 juin 1944.
Cette liste est donnée de la page 415 à la page 461 en trois tableaux formant les distinctions suivantes :
- tableau 1 - sociétés dont la Maison Worms a le contrôle absolu, soit parce qu'elle possède plus de la moitié du capital, soit parce que les dirigeants  en assurent la présidence ou la direction générale,
- tableau 2 - sociétés dont la Maison Worms possède une partie importante du capital et dont elle inspire la politique générale et financière.
- tableau 3 - sociétés dans lesquelles la Maison Worms & Cie a fait des investissements ou pris des participations à la demande de groupes amis, mais dans lesquelles elle ne paraît exercer aucune influence marquante.
Ce tableau est lui-même divisé en trois groupes à savoir :
a) sociétés dont la Maison Worms détient les titres dont M. H. Worms est personnellement administrateur
b) sociétés dont la Maison Worms conserve les titres en portefeuille comme placement
c) sociétés dont la Maison Worms utilise les titres à des fins spéculatives (réalisations de profits en bourse, etc.).
Ces tableaux donnent pour chaque société :
- la raison sociale et le siège
- l'objet social
- le montant total du capital et sa composition
- la participation Worms (en nombre d'actions et en pourcentage)
- la valeur comptable au 30 juin 1944.
En outre, pour les tableaux 1 et 2, l'avant-dernière colonne donne la composition des conseils d'administration avec indication des membres d'obédience Worms.
L'étude des chiffres ressortant de l'ensemble de ces tableaux a montré que, sur la totalité de ses participations représentant au 30 juin 1944 une valeur comptable de F 329.913.654.(?)6 :
- la société Worms & Cie exerçait un contrôle absolu sur l'activité de vingt-quatre sociétés comprises dans le chiffre ci-dessus pour F 91.130.608.38,
- elle inspirait la politique générale et surtout financière de vingt-neuf sociétés comprises dans le chiffre ci-dessus pour F 150.767.854.87
- enfin, elle détenait des titres de soixante-quatre autres sociétés ou groupes mais en proportion insuffisante pour lui conférer une influence sur l'orientation de l'activité desdites sociétés.
Au total, la société Worms & Cie avait donc des participations dans cent dix-sept sociétés ou groupes.
Il a été procédé à une étude particulière de l'activité de toutes les sociétés représentant pour la Maison Worms une participation de quelque importance dans la première catégorie (contrôle absolu) et la deuxième catégorie (orientation de la politique générale et financière).
Les résultats de cette étude ont été exposés pour chacune des sociétés en cause de la page 476 à la page 556.
En ce qui concerne les sociétés englobées dans la première catégorie, il résulte de cette étude que certaines de celles-ci ont entretenu des relations commerciales avec les Allemands dans les conditions exposées page 557 et sans qu'une initiative quelconque de leur part ait été décelée.
L'étude relative aux sociétés englobées dans la seconde catégorie a porté notamment sur douze de ces sociétés ou groupes qui comptent parmi les plus importantes de la dite catégorie et au sujet desquelles une mention particulière a été faite au dossier de l'information.
En l'état de la documentation réunie, il apparaît que quatre de ces sociétés ont consacré une partie de leur activité aux livraisons allemandes durant l'occupation.
Ce sont :
- Manufacture centrale de machines agricoles, C. Puzenat
- Établissements Japy Frères
- Société tunisienne de l'hyperphosphate Réno
- Groupe Molybdène.
Il a été étudié pour chacune de ces sociétés, dans quelles conditions, les livraisons ont eu lieu, quelle en a été l'importance relative et quels en furent les résultats.
De cette étude, il résulte que l'activité de la société Puzenat au profit du secteur allemand a été très faible (6%) et que les livraisons effectuées l'ont été sur ordre.
Par ailleurs, la société Le Molybdène a effectué aux Allemands, sur ordre également, une seule livraison retardée volontairement et qui n'a d'ailleurs procuré aucun bénéfice, bien au contraire.
En ce qui concerne la société Japy et la Société tunisienne de l'hyperphosphate Réno, il n'apparaît pas que les livraisons effectuées aient été le résultat d'une initiative quelconque de la part de ces sociétés.

Situation et résultats d'ensemble
de la société Worms & Cie pendant l'occupation

Les résultats nets d'ensemble de la société Worms & C° pendant l'occupation sont constitués par la somme des résultats nets obtenus par chacun des départements durant les exercices 1941 à 1944 auxquels il convient d'ajouter les résultats particuliers du siège social.
Ces résultats ayant été, tantôt des bénéfices, tantôt des pertes, la somme est une somme algébrique.
Le tableau reproduit de la page 570 à 572 présente le regroupement des dits résultats pour chacun des exercices de la période d'occupation.
Il en résulte que, pendant cette période, l'ensemble des résultats nets obtenus par les sociétés Worms & C° se sont traduits :
- pour les établissements de France par une perte nette totale de F 7.988.845.73
- pour les établissements de l'étranger, par une perte nette totale, sauf mémoire, de F 847.347.73, soit une perte nette totale générale de F 8.936.193.46.
Il est à noter que ce chiffre de F 8.836.193.46 est obtenu après déduction de la rémunération de tous les directeurs appointés et notamment de celle de M.G. Le Roy Ladurie, directeur du Service bancaire. Ledit chiffre est par contre arrêté avant déduction des rémunérations de M. H. Worms.
L'examen du tableau des pages 570 et 572 montre que la perte nette totale provient essentiellement du département Constructions navales et du département Charbons qui ont toujours été largement déficitaires de 1941 à 1944.
Au contraire, le département Services maritimes et le département bancaire ont été bénéficiaires.
La part des résultats nets imputables au secteur allemand est donnée, pour chaque département, par le tableau de la page 578.
Il résulte de ce tableau que les opérations du secteur allemand ont donné lieu à des pertes considérables pour trois des départements de la Maison Worms & Cie, les Chantiers navals, les Services maritimes et les Charbons.
Seule la Banque a enregistré pour le secteur allemand un bénéfice net définitif de F (?)941.392, mais ce bénéfice a été tout à fait insuffisant pour compenser les pertes subies par les autres départements.
Il en résulte que la perte nette totale ressortant pour la société Worms & Cie des opérations effectuées par elle directement ou indirectement pour le compte des Allemands, s'établit à F 39.673.183.87.
Il y a lieu de noter que d'ailleurs, ce chiffre représente le résultat réel, compte tenu des pertes non encore comptabilisées au 31 décembre 1944 et provenant notamment de dommages de guerre directement imputables au secteur allemand ainsi que de créances irrécouvrables concernant ce même secteur.
Si l'on se réfère aux chiffres comptabilisés au 31 décembre 1944, la perte comptable nette totale de la société Worms & Cie pour la période d'occupation s'établissait en ce qui concerne le secteur allemand et suivant les critériums de répartition adoptés entre F 19.243.437.87 et F 26.807.941.87.
Enfin, une étude générale de l'évolution d'ensemble de la situation financière de la société Worms & Cie pendant l'occupation a été donnée de la page 58 à la page 60.
Il y a essentiellement lieu d'en retenir que :
- compte tenu des destructions par suite d'événements de guerre les immobilisations (installations, etc.) de la société Worms & Cie n'ont pas été accrues pendant l'occupation,
- au contraire, les valeurs réalisables ont accusé une progression constante due notamment à une augmentation d'environ F 80.000.000 sur le poste portefeuille titres. Cette augmentation se trouve presque exactement compensée par une augmentation équivalente au passif des valeurs exigibles, représentées principalement par les dépôts de la clientèle de la Banque Worms.
En dernier lieu, une étude spéciale a été réservée  de la page 603 à la page 604, au rôle et à la situation de fortune des principaux dirigeants de la société Worms & Cie et tout spécialement de MM. H. Worms et G. Le Roy Ladurie.
Dans ce sens, il a notamment été procédé à un dépouillement des déclarations souscrites par ces derniers devant le Comité de confiscation des profits illicites. Les résultats de ces dépouillements ont été regroupés :
- à la page 629 en ce qui concerne M. H. Worms,
- et à page 632 en ce qui concerne M. G. Le Roy Ladurie.

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