1945.12.31.De Gaston Bernard.Au juge Thirion.Rapport d'expertise.Pages 243 à 302

Document correspondant aux pages 243 à 302 (cf. table des matières) du rapport de Gaston Bernard, expert-comptable près la Cour d'appel de Paris et le Tribunal de première instance de la Seine, rapport adressé à Georges Thirion, juge d'instruction à la Cour de justice de la Seine, et concernant l'"Affaire Ministère public contre Hypolite Worms et Gabriel Le Roy Ladurie".
Le PDF est consultable à la fin du texte. 

Section III
Département Charbons

I - Historique du département Charbons - conditions dans lesquelles il est entré en contact avec les allemands et a fonctionné sous l'occupation

Le département Charbons est le plus ancien de la Maison Worms & Cie. Il fut en effet à la base de la création de la société.
Dès 1848, la société Worms & Cie importa du charbon anglais dans les principaux ports français.
Lors de la construction du canal de Suez, elle s'installa à Port-Saïd et à Suez où elle créa un dépôt de charbons de soute, et à Alexandrie où elle exerça une importante activité d'agent maritime, de transitaire de marchandises et réparateur de navires.
Depuis 1924, le champ d'action de la société Worms & Cie s'étend aux principaux pays producteurs de charbon tels que : Allemagne, Pologne, Amérique (pendant la grève anglaise de 1926), Hollande, Belgique, Indochine, Turquie.
En 1938, à la veille de la guerre, la direction générale Charbons disposait, en dehors de son siège à Paris, du réseau suivant de succursales :
- Succursales d'achat : Cardiff, Swansea, Newcastle, Grimsby, Duisburg, Dantzig
- Succursales de vente : Dieppe, Le Havre, Rouen, Nantes, Rochefort, Bordeaux, Angoulême, Bayonne, Marseille, Alger, Port-Saïd, Suez.
Par ailleurs, elle avait des filiales entièrement ou partiellement contrôlées par elle, à savoir :
- Société d'approvisionnement pour le chauffage central - Paris,
- Compagnie charbonnière de Provence - Toulon,
- Compagnie charbonnière du Midi - Cannes - Antibes - Golf Juan,
- Combustibles montois - Mont-de-Marsan,
- Consortium maritime tunisien - Tunis, Sfax.
Ces filiales se trouvent englobées dans les participations de la société Worms & Cie, qui fera l'objet d'une étude spéciale dans la suite du présent rapport (IIème partie - tome II).
La guerre, puis l'occupation ont ralenti considérablement l'activité du département Charbons de la Maison Worms.
En effet, les seuls charbons qu'il était possible d'importer en France, à partir de juin 1940 étaient les charbons belges et allemands que les autorités d'occupation ont fait attribuer à un groupement composé de filiales et agents d'exportateurs allemands. La Maison n'était pas qualifiée pour faire partie de ce groupement et ne fut même pas sollicitée.
Son activité sur le plan charbonnier fut donc réduite aux seuls tonnages livrés par les usines françaises sur attributions de l'Office de répartition du charbon. La Maison Worms a ainsi pris, pendant l'occupation, la position de revendeur.
La direction générale de ce département de la société a versé une note au dossier de l'expertise dans laquelle il est exposé que cette réduction considérable d'activité était de nature à contraindre la société à licencier en masse le personnel.
Pour éviter ces mesures extrêmes, maintenir le personnel au travail et fournir à la clientèle des combustibles de remplacement, la Maison Worms s'intéresse, dès 1941 à un certain nombre d'entreprises, notamment :
- exploration d'un gisement de lignite en Dordogne (Société minière du Sarladais)
- exploitation d'un gisement de lignite dans les Landes (Société minière de Saint-Lon)
- exploitation de tourbières en Bretagne (Brennilis et Tremaouessan), en Brière (Crossac), en Maine et Loire (Baugeois) et en Charente (Chantemerle)
- exploitations forestières et chantiers de carbonisation dans l'Orne, l'Yonne, la Gironde, les Landes, les Basses-Pyrénées, la Charente et la Loire inférieure
- achat et modernisation d'une usine de carbonisation au Haut-Mauco (Landes)
- participation dans la construction d'une usine de carbonisation à Châteauvillain (Haute-Marne)
- achat de scieries à Tours (sinistrée) et à Chemillé-sur-Dême.
En bref, l'activité du département Charbons s'est orientée pendant l'occupation dans trois directions essentielles :
- la vente de charbons,
- l'exploitation forestière,
- la production et la vente de tourbe et lignite.
Il va être étudié ci-après dans quelles conditions a fonctionné chacune de ces branches d'activité pendant l'occupation.

A - Vente de charbons

La société Worms & Cie possède des comptoirs de vente de charbons dans les villes suivantes :
- Angers
- Angoulême
- Bayonne
- Dieppe
- Le Havre
- Marseille
- Nantes
- Rochefort
- Tours
Comme il a été dit précédemment, les allemands n'ont pas essayé de traiter directement avec la direction du département Charbons. Mais il est arrivé que les autorités locales d'occupation aient pu couvrir leurs besoins, réquisitionné elles-mêmes ou fait réquisitionner par les mairies un certain nombre de tonnes de charbon.
La direction de la Maison Worms affirme que la totalité du tonnage livré aux Allemands, l'a été sur réquisitions. Elle n'a cependant pu produire de documents relatifs à ces réquisitions.
En effet, a-t-elle dit, ces documents se trouvent répartis dans la plupart des succursales et filiales du département Charbons à travers la France.
De plus, les bons de réquisition, remis par les mairies ou les unités militaires portaient sur de petites quantités et, s'ils n'étaient pas rendus aux organismes payeurs contre versements de fonds, ils étaient classés en comptabilité.
Indépendamment des réquisitions, les allemands ont, de plus, approché diverses succursales afin de leur notifier directement d'avoir à stocker pour leur compte les charbons sur les chantiers.
Ces notifications étaient le plus souvent verbales. C'est ainsi que la succursale de Marseille reçut la visite, dans ses bureaux, de l'inspecteur Glaser, officier allemand. Celui-ci manifesta le "désir" d'utiliser le chantier du Canet pour stocker du charbon. La succursale Worms s'inclina.
En outre, en février 1942, le commandant d'une unité allemande - L 22.007 - alors stationnée au Havre, fit connaître à la direction locale de Worms & Cie son "désir" d'utiliser les terrains de l'usine et la main d'oeuvre provenant du chômage de ladite usine pour y stocker des combustibles. C'était un ordre. Il fut mis à exécution et fut sanctionné par une réquisition qui intervint le 1er juillet 1942.
Cet ordre de réquisition n'a pu, lui non plus, être produit par la Maison Worms.
D'ailleurs, étant  donné la proportion infime des tonnages livrés aux allemands, telle qu'elle est révélée par l'examen comptable effectué ci-après, cette question est sans grand intérêt.
Quoi qu'il en soit, la direction Worms affirme s'être efforcée, dans toute la mesure du possible, de limiter les occupations ou réquisitions à de parties de chantiers, de façon à pouvoir stocker concurremment les charbon destinés à l'industrie française à la population.
L'étude comptable effectuée dans la suite du présent rapport, pour déterminer la quantité de charbon effectivement livrée aux Allemands est de nature à établir que la Maison a atteint son but.

B - Exploitations forestières

A partir de 1942 et afin d'occuper le personnel menacé de chômage, la Maison Worms a exploité et vendu du charbon de bois, et du bois pour gazogène. Les différentes exploitations forestières ont été les suivantes :
- Bayonne
- Haut-Mauco
- Bordeaux
- Le Havre
- Paris
- Rouen
- Saint-Cyprien
- Dieppe
- Rochefort
Ces exploitations n'ont été en relations avec les allemands qu'à la suite de réquisitions ou dépositions faites par les Eaux et Forêts.
La direction du département Charbons a indiqué que les deux exploitations qui ont livré les plus grosses quantités, c'est-à-dire celles dépendant de Paris et de Rouen, servaient de refuge à de nombreux réfractaires du STO [Service du travail obligatoire]. Il lui était, de ce fait difficile de ne fas satisfaire en grande partie aux impositions des autorités allemandes, le freinage de la production exposant le personnel à des mesures de représailles.
Le directeur des exploitations Worms de l'Orne aurait enfin été arrêté et emprisonné pendant plusieurs semaines en 1943.
La direction de la Maison Worms a ajouté que l'usine de carbonisation du Haut-Mauco a fait l'objet d'un ordre émanant de l'administration militaire allemande (Militär Verwaltung) de Bordeaux en date du 8 avril 1942, d'avoir à mettre la totalité de sa production à la disposition des autorités allemandes.
Il n'a été communiqué aucune pièce en cours d'expertise susceptible de venir à l'appui de ces dires de la direction du département Charbons. Elles seraient d'ailleurs d'un intérêt tout à fait secondaire, étant donné la faible importance des livraisons allemandes relativement à la production totale.
Enfin, les exploitations de l'Orne, dépendant de Rouen, se sont trouvées dans la zone de bataille au cours de la campagne de Normandie. Pendant 2 mois, les allemands ont exigé les quantités de combustibles dont ils avaient besoin.
Le montant des livraisons faites aux Allemands (en quantité) ainsi que celui des bénéfices réalisés de ce fait pendant l'occupation sera chiffré par ailleurs.

C - Production et vente de tourbe

A partir de 1941, la Maison Worms dirigea la production de tourbières rattachées à Nantes et à Landernau.
Sur l'injonction des allemands, injonction verbale, semble-t-il, la direction de la tourbière de Nantes effectua la première livraison au camp de prisonniers français de Savenay.
Au début de 1942, la même exploitation reçut la visite du colonel Betghe, commandant l'unité 32-76. Cet officier a demandé qu'on lui livrât la totalité de la production de la tourbière en 1942. La direction obtint, après de nombreuses discussions, de limiter à 10.000 mètres cubes les prétentions de l'officier allemand. Cette quantité même ne lui fut pas livrée.
A partir de septembre 1944, la tourbière de la Brière s'est trouvée dans la poche de Saint-Nazaire où elle constituait l'une des rares ressources de combustibles dont les allemands pouvaient encore disposer. Les employés demeurés sur place n'ont pu éviter les réquisitions.
En ce qui concerne la tourbière de Landernau, l'évacuation de la tourbe n'était possible que grâce à l'utilisation d'un chemin de fer local qui, exploité par l'artillerie navale française, a été pris ensuite par l'organisation Todt de Brest. Ce dernier organisme n'a autorisé la direction Worms à utiliser ledit chemin de fer qu'à charge de lui livrer la tourbe. Cette condition a dû être acceptée mais les quantités ainsi vendues ont été, au? dires de la direction Worms, de peu d'importance.
Il sera déterminé dans la suite du présent rapport la quantité de tourbe livrée au Allemands et le profit qui en a résulté pour la Maison Worms.

II - Examen comptable relatif au département charbons de la société Worms & Cie

L'examen comptable qui va suivre comporte essentiellement deux parties :
- d'une part, une étude des quantités (poids et volume) de charbons vendus et de bois, charbon de bois et tourbe produits pendant l'occupation, ceci afin de déterminer la part qui en a été livrée aux allemands.
Il sera examiné de plus dans quelle mesure ont varié les effectifs ouvriers et employés des divers chantiers du département Charbons pendant la même période,
- d'autre part, une étude des comptes d'exploitation et de pertes et profits et de la situation financière du département Charbons. Cette étude porte notamment sur la détermination de la part de résultat imputable aux livraisons effectuées par les différents chantiers aux allemands. L'étude de la situation financière comporte, en outre, un examen des principaux postes des bilans dudit département.

A - Étude des quantités produites ou vendues ainsi que des effectifs ouvriers occupés pendant l'occupation par les différentes exploitations dépendant du département Charbons de la Maison Worms et Cie

a) Étude des quantités produites ou vendues

L'étude relative aux quantités produites ou vendues pendant l'occupation a pour but de déterminer la part de ces ventes dont ont bénéficié les allemands.
Cette étude a porté :
- d'une part, sur les charbons proprement dits,
- d'autre part, sur les bois de gazogène et le charbon de bois,
- enfin, sur la tourbe.

I° - Étude des tonnages de charbons vendus pendant l'occupation

Il a été dit précédemment qu'à partir du début de la guerre de 1939, la Maison Worms n'avait plus importé et qu'elle était devenue exclusivement revendeuse du charbon à elle attribué par l'Office de répartition.
Il en résulte pour elle une diminution d'activité qui se traduisit par un fléchissement du tonnage de charbon vendu pendant l'occupation par rapport aux périodes antérieures.
En effet, la Maison Worms a vendu :
- en 1938 - 1.846.000 tonnes de charbon
- en 1939 - 774.000 tonnes, soit 41% de 1938
- en 1940 - 496.000 tonnes, soit 26% de 1938
- en 1941 - 170.000 tonnes, soit 09% de 1938
- en 1942 - 236.000 tonnes, soit 12% de 1938
- en 1943 - 183.000 tonnes, soit 10% de 1938
- en 1944 - 112.000 tonnes, soit 06% de 1938
Ainsi, l'activité charbonnière de la société Worms et Cie n'atteignait pas 10% de son activité antérieure à la guerre durant les années 1941 à 1944, pendant les années 1942 et 1943, le tonnage vendu a été respectivement de 10 et 12% de l'activité d'avant-guerre.
Pour l'ensemble de la période d'occupation, la Maison Worms a vendu 1.197.000 tonnes de charbon, ce qui représente environ 65% de la vente de la seule année 1938.
Il a été recherché quelle part de cette activité réduite a pu bénéficier aux allemands pendant l'occupation.
A cet effet, le chiffre de 1.197.000 tonnes vendues a fait l'objet d'une ventilation faisant ressortir par exercice comptable et par succursale, le tonnage vendu tant au secteur allemand qu'au secteur français.
Cette ventilation est présentée dans le tableau ci-après.
[Voir PDF, pages 258 à 260.]

Le tableau qui précède appelle les remarques suivantes :
1) Le pourcentage des tonnages vendus aux allemands par rapport au tonnage total s'établit, pour l'ensemble des comptoirs de vente de Worms & Cie,
- pour l'exercice 1940 à 0.1 % environ
- pour l'exercice 1941 à 0,7% environ
- pour l'exercice 1942 à 0,1% environ
- pour l'exercice 1943 à 0,2% environ
- pour l'exercice 1944 à 0,1% environ
2) Pendant toute l'occupation, la Maison Worms & Cie a vendu aux allemands 2.634 tonnes de charbon sur un tonnage total vendu de 1.197.556 tonnes pendant la même période, ce qui représente environ 0,2%.
Cette proportion est extrêmement faible. II est à noter cependant qu'en 1940, 1941 et 1942 la succursale de Marseille a vendu environ 200.000 tonnes de charbon qui se trouvaient hors d'atteinte des allemands jusqu'en novembre 1942. II y aurait donc lieu de les déduire dès 1.197.000 tonnes afin de déterminer le coefficient exact des livraisons aux allemands par rapport à ce qu'il était possible de leur livrer. Ceci n'est pas de nature à modifier le pourcentage de 0,2%.

2°) Étude des tonnages de bois de gazogène et de charbon de bois produits et vendus sous l'occupation

Il a été recherché quels tonnages des charbon de bois d'une part, et de bois de gazogène d'autre part, ont été produits et vendus par les différentes succursales de la Maison Worms pendant l'occupation.
L'ensemble de ces investigations a été regroupé en deux tableaux présentant, par année et par succursale, les tonnages de charbon de bois et de bois de gazogène vendus et imputables :
- d'une part au secteur allemand,
- d'autre part, au secteur français.
Il y a lieu de noter que, dans ces tableaux, les tonnages portés dans les colonnes secteur français englobent ce qui a été effectivement vendu au Français, pendant l'occupation et ce qui a été progressivement stocké par la Maison Worms durant cette même période.
Une dernière colonne reproduit sous le titre Impositions allemandes, les tonnages que, selon la direction générale du département Charbons de la société Worms & Cie, les Allemands ont réquisitionné ou dont ils ont demandé la livraison.
Ces tableaux se présentent comme suit :
[Voir PDF, pages 263 à 265 et 266 à 267.]

Des tableaux qui précèdent, il ressort essentiellement que :
1) La société Worms & Cie a livré du charbon de bois aux allemands à partir de l'exercice 1942 dans les quatre entreprises suivantes : Haut Mauco, Bordeaux, Le Havre et Rouen.
En 1944, seules la succursale de Dieppe et celle de Rochefort n'ont rien livré.
Les livraisons aux allemands ont donné lieu aux pourcentages suivants par rapport au tonnage total produit :
- pour l'exercice 1942 - 06,20%
- pour l'exercice 1943 - 33,00%
- pour l'exercice 1944 - 41,00%
L'ensemble du charbon de bois livré aux allemands a atteint 1.918 tonnes sur 7.317 tonnes produites pendant l'occupation soit environ 26%.
Il est à noter cependant que le tonnage livré (1.918 tonnes) n'a représenté que 59% environ du tonnage commandé ou imposé par les Allemands tel qu'il ressort de la colonne 17 du premier des deux tableaux qui précèdent.
2) En ce qui concerne le bois de gazogène, les livraisons aux allemands ont représenté :
- pour l'exercice 1942 - 29% du tonnage total de l'exercice
- pour l'exercice 1943 - 16% du tonnage total de l'exercice
- pour l'exercice 1944 - 36% du tonnage total de l'exercice
Sur total de 3.664 tonnes de bois de gazogène produit, les livraisons au secteur allemand ont atteint 960 tonnes, soit environ 26% du tonnage total produit par les succursales Worms durant l'occupation.
Le tonnage de 960 tonnes n'a représenté que les 51% environ du tonnage imposé par les allemands comme devant leur être livré (colonne 17).
3) Il est possible d'admettre à titre indicatif que l'ensemble de l'activité forestière de la Maison Worms & Cie, s'établit comme suit (en tonnes) :

 

Production pendant l'occupation

Impositions allemandes

Livraisons aux allemands

charbon de bois

7.317

3.284

1.918

bois de gazogène

3.664

1.745

960

Totaux représentant l'activité forestière

10.981

5.029

2.878

Il ressort de ce tableau récapitulatif que sur les quantités totales de charbon de bois et de bois de gazogène produits par les Chantiers Worms & Cie, les allemands ont voulu se faire livrer 5.029 tonnes, soit 45,7% de la production totale. En réalité, il ne leur a été livré que 2.878 tonnes, soit 57,5% environ de leurs exigences et 26,4% de la production totale.

3°) Étude des quantités de tourbe produites et vendues pendant l'occupation

Les quantités de tourbe produites par les tourbières de la Brière, de Maine et Loire et Sarthe et de Landernau appartenant à la société Worms & Cie, ont fait l'objet d'une étude particulière à l'effet de déterminer quelle a pu être la part de cette production imputable au secteur allemand.
La ventilation de la production de tourbe (en mètres cubes) entre secteur allemand et secteur français a été présentée dans un tableau reproduit ci-après.
[Voir PDF, pages 271-272.]

b) Étude des effectifs ouvriers occupés dans les diverses exploitations dépendant du département Charbons

La direction générale du département Charbons de la Maison Worms a affirmé que son orientation vers l'expansion des exploitations forestières et tourbières avait eu notamment pour but :
- d'éviter dans la mesure du possible le licenciement du personnel laissé inoccupé par suite de la disparition des importations de charbons,
- d'employer ainsi dans des lieux plus discrets des réfractaires au Service du travail obligatoire affectés jusque-là à d'autres exploitations de la société.
Il a paru utile, dès lors, de procéder à une étude des effectifs ouvriers occupés dans les diverses exploitations dépendant du département Charbons de la Maison Worms & Cie.
Le pointage des rôles des ouvriers pour chacune des agences a permis :
- d'une part, d'établir l'effectif ouvrier au 31 décembre de chaque année depuis 1938,
- d'autre part, de faire ressortir les pointes qui se sont produites dans le courant de chaque année.
Le regroupement de ce travail a été présenté dans un tableau donnant par agence, par année et par catégorie d'activité (charbon, exploitation forestière et tourbe), les effectifs ouvriers occupés par le département Charbons de 1938 à 1944 inclus.
[Voir PDF, pages 279-280.]

L'examen des tableaux qui précèdent appelle les remarques suivantes :
1) dans les années 1938 et 1939, l'activité de la Maison Worms était concentrée sur la branche Charbons. Les effectifs ouvriers étaient sensiblement constants et s'établissaient à :
- 375 ouvriers pour l'année 1938,
- 322 ouvriers pour l'année 1939.
2 ) En 1940, la Maison Worms commença à s'orienter vers l'exploitation forestière, mais les effectifs ouvriers afférents à cette branche restèrent minimes (18 ouvriers) et aucune pointe ne fut enregistrée en cours d'année.
3) Durant les années 1941, 1942, 1943 et 1944 les effectifs ouvriers accusent un double mouvement général :
- d'une part, une diminution de l'effectif de la branche Charbons qui passe de :
- 263 ouvriers au 31 décembre 1941, à
- 200 ouvriers au 31 décembre 1942, à
- 234 ouvriers au 31 décembre 1943
- d'autre part, un accroissement considérable de l'effectif des exploitations forestières qui s'établit comme suit :
- 83 ouvriers au 31 décembre 1941 (contre 18 en 1940)
- 159 ouvriers au 31 décembre 1942
- 221 ouvriers au 31 décembre 1943
- 169 ouvriers au 31 décembre 1944
Enfin, l'exploitation des tourbières qui n'existait pas avant 1940 occupait :
- 238 ouvriers au 31 décembre 1941
- 67 ouvriers au 31 décembre 1942
- 36 ouvriers au 31 décembre 1943
- 20 ouvriers au 31 décembre 1944
La diminution des effectifs de la branche Charbons s'explique par le fait que cette branche n'a pu déployer qu'une faible activité par rapport à celle d'avant-guerre.
L'accroissement des effectifs occupés aux exploitations forestières et tourbières est dû surtout au fait que la Maison Worms a acquis plusieurs de ces exploitations en 1941 et 1943 et a dû légalement poursuivre l'exécution des contrats de travail passés antérieurement à son acquisition.
Mais il y a lieu de remarquer que, tant en ce qui concerne l'exploitation forestière que celle de la tourbe, les effectifs ouvriers accusent des pointes très importantes par rapport au contingent existant au 31 décembre de chacune des années 1941, 1942, 1943 et 1944.
C'est ainsi qu'en 1941, les effectifs tourbe marquent une pointe de :
- 1.063 ouvriers contre 238 au 31 décembre, et en 1942
- 771 ouvriers contre 67 au 31 décembre, et en 1943
- 555 ouvriers contre 36 au 31 décembre, et en 1944
- 360 ouvriers contre 20 au 31 décembre.
Les effectifs exploitation forestière s'établissent :
- au 31 décembre 1941 à 283 ouvriers avec une pointe de 378 ouvriers
- au 31 décembre 1942 à 159 ouvriers avec une pointe de 309 ouvriers
- au 31 décembre 1943 à 221 ouvriers avec une pointe de 287 ouvriers
- au 31 décembre 1944 à 269 ouvriers avec une pointe de 326 ouvriers
Tout ceci est de nature à corroborer les déclarations de la direction de la Maison Worms selon lesquelles elle aurait employé à ses exploitations les effectifs qu'elle ne pouvait occuper à la vente des charbons.

B - Étude des comptes d'exploitation et de pertes et profits du département Charbons de la société Worms & Cie et détermination des résultats imputables au secteur allemand pendant l'occupation - Examen de la situation financière dudit département pendant la même période


a) Étude des comptes d'exploitation et de pertes et profits et détermination des résultats imputables au secteur allemand

L'activité normale de ce département consiste, ainsi qu'il a été dit, à importer et à vendre des charbons.
C'est la raison pour laquelle les opérations intitulées ventes en comptabilité ne concernent que les ventes de charbons. Les résultats des activités annexes, nées de la guerre, n'interviennent dans les comptes d'exploitation que par un solde qui modifie le résultat brut obtenu par la vente des seuls charbons et donne le résultat brut du département tout entier.
Par contre, les rubriques portées aux comptes de pertes et profits représentent la totalité des frais et charges engagées par l'ensemble des activités du département, y compris les exploitations forestières et tourbières.
C'est compte tenu des remarques préliminaires qui précèdent, qu'il convient d'examiner les comptes d'exploitation et de pertes et profits des exercices 1939 à 1944 inclus, reproduits dans les tableaux comparatifs ci-après.
[Voir PDF, pages 286 à 291.]

De l'examen des tableaux qui précèdent il ressort que les chiffres d'affaires des exercices antérieurs à l'occupation ont été respectivement :
- en 1938 (12 mois) de F 355.368.124.47
- en 1939 (8 mois) de F 204.743.951.63
- en 1940 (13 mois) de F 284.100.994.52
ce qui représente une moyenne mensuelle de F 5.570.000 environ.
Pendant les années d'occupation, les chiffres d'affaires se sont élevés :
- en 1941 à F 79.389.528.26
- en 1942 à F 160.285.562.25
- en 1943 à F 125.253.564.09
- en 1944 à F 69.157.163.02
ce qui représente une moyenne mensuelle de 8.680.000 environ soit 33% de la moyenne correspondante d'avant-guerre.
Cette proportion semble plus importante que celle (10 à 12%) qui a été obtenue ci-dessus page 256 au cours de l'étude des tonnages de charbons vendus.
Ceci tient au fait qu'à tonnage égal vendu avant et pendant l'occupation, le chiffre d'affaires aurait dû environ tripler par suite de l'augmentation des prix.
Ceci revient à dire qu'il est normal qu'une diminution de 9/10 sur le tonnage vendu ne se traduise que par une régression d'un tiers sur le chiffre d'affaires.
Les bénéfices bruts totaux découlant de ces chiffres d'affaires s'établissent comme suit :
- en 1938 - F 25.206.126.34
- en 1939 - F 15.408.794.76
- en 1940 - F 26.183.110.67
ce qui représente un total de F 66.798.031.77 de bénéfice brut
Pendant l'occupation, les résultats bruts ont atteint :
- en 1941 - F 3.066.217.49 perte brute
- en 1942 - F 4.105.609.56 bénéfice brut
- en 1943 - F 1.952.597.28 bénéfice brut
- en 1944 - F 1.113.581.26 perte brute
ce qui représente un total de F 1.872.408.09 de bénéfice brut
Pendant l'occupation les mêmes résultats bruts ont été :
- en 1941 - F 1.364.376.24 de perte brute
- en 1942 - F 4.282.017.62 bénéfice brut
- en 1943 - F 3.017.535.36 bénéfice brut
soit un total de F 6.549.991.86 de bénéfice brut pour la période d'occupation.
Il ressort de la comparaison des chiffres ci-dessus reproduits avec ceux qui ont été obtenus pour la vente du charbon seul, que les exploitations accessoires ont procuré à la Maison Worms & Cie F 10.107.883.97 (76.905.920.74 - 66.798.031.77) de bénéfice brut durant les exercices antérieurs à l'occupation et F 4.677.583.77 (6.549.991.86 - 1.872.408.09) de bénéfice brut pendant l'occupation.
Du tableau de la page 289 il ressort que les résultats nets réalisés pendant les exercices 1938, 1939 et 1940 ont été :
- en 1938 - de F 17.438.729.21
- en 1939 - de F 10.924.972.99
- en 1940 - de F 2.682.298.42
ce qui représente un total de F 31.046.000.62 de bénéfice net.
Sous l'occupation les mêmes résultats nets ont été :
- en 1941 - de F 12.239.910.51 perte nette
- en 1942 - de F 17.006.351.79 perte nette
- en 1943 - de F 17.134.529.73 perte nette
- en 1944 - de F 21.886.312.73 perte nette
ce qui représente une perte nette totale de F 68.267.104.76 pour la période d'occupation.
Cette perte nette fait l'objet ci-après d'une analyse afin de déterminer quelle part de ces résultats provient :
- de la vente de charbon,
- des exploitations forestières et de carbonisation
- des exploitations tourbières.
Ventilation des résultats des exercices 1941 à 1944 inclus

Exercices

Activité normale
Charbons

Activités forestières et carbonisation

Tourbières

Totaux

1941

12.080.673

159.237

-

12.389.910

1942

10.332.832

4.519.169

2.154.351

17.006.352

1943

14.525.725

3.361.558

752.754

17.134.529

1944

20.851.240

1.080.880

45.808

21.886.313

Totaux

57.790.470

9.120.845

1.355.789

68.267.104

Il ressort du tableau qui précède que, pendant toute la période d'occupation, seules les tourbières ont été bénéficiaires en 1943 et 1944. Néanmoins, la perte importante subie dans cette branche d'activité en 1942, n'a pas permis de faire ressortir un bénéfice net global.
Dans ces conditions, la part des résultats imputables au secteur allemand est déterminée en appliquant à chacune des branches (charbon, forestière, carbonisation, tourbières) les coefficients d'activité dégagés :
- en ce qui concerne les charbons, page 261, soit 0,2%
- en ce qui concerne les exploitations forestières, page 270, soit 26,4%
- en ce qui concerne les tourbières, page 273, soit 4,5%.
L'application de ces pourcentage aux résultats déterminés dans le tableau de la page 289 permet d'établir la part imputable au secteur allemand des pertes nettes supportées pendant l'occupation par le département Charbons de la Maison Worms & Cie,
- perte sur charbon, F 115.580
- perte sur exploitations forestières, F 2.407.891
- perte sur tourbières, F 54.231
ce qui représente une perte nette de F 2.577.702
imputable au secteur allemand, sur un total de perte de F 68.267.104 pour l'ensemble de la période d'occupation.

b/ Étude de la situation financière du département Charbons de la société Worms pendant l'occupation

Les bilans du département Charbons pour les exercices 1939 à 1944 ont fait l'objet d'un examen attentif.
Il convient de présenter au sujet des principaux postes de ces bilans les remarques suivantes :
1/ les immobilisations qui figuraient au 31 août pour F 27.204.546.59 ont décru en 1940 et 1941 où elles ont représenté :
- au 30 septembre 1940 - F 19.890.323.24
- et au 30 septembre 1941 - F 18.678.390.54.
Par contre, elles ont été portées :
- au 31 décembre 1942 à F 33.092.993.18
- et au 31 décembre 1943 à F 35.052.409.88.
Cette augmentation tient au fait que la société Worms & Cie a acquis en 1942 et 1943 un certain nombre d'exploitations forestières ou tourbières destinées à occuper le personnel de ce département (voir ci-dessus page 250).
2/ Les titres et participations ont marqué, pendant l'occupation, une progression sensible, passant de : F 1.454.090.90 au 31 août 1939, à
F 1.533.996.17 au 30 septembre 1940, à
F 2.879.319.54 au 30 septembre 1941, à
F 6.212.064.05 au 31 décembre 1942, à
F 6.824.961.05 au 31 décembre 1943.
Une légère régression est à noter au cours de l'exercice 1944, puisque le portefeuille titres était au 31 décembre 1944 de F 3.553.557.05.
L'examen de ce poste sera englobé dans l'étude générale effectuée dans la deuxième partie du présent rapport et consacrée aux participations de la société Worms & Cie.
3/ Les valeurs réalisables constituées par les postes :
- effets à recevoir
- portefeuilles, bons défense nationale
- stocks et approvisionnements
- correspondants divers
- débiteurs divers
accusant une très nette progression durant les exercices 1939 à 1942, passant de :
F 90.084.199.84 au 31 août 1939, à
F 104.860.945.96 au 30 septembre 1940, à
F 167.138.745.85 au 30 septembre 1941, et à
F 2066.089.063.57 au 31 décembre 1942 et à
F 2 [...].
Cet accroissement est dû essentiellement à l'augmentation des correspondants divers débiteurs.
En 1943 et 1944, les valeurs réalisables ont été ramenées respectivement à F 83.881.636.43 et F 62.741.462.65.
4/ - Les valeurs disponibles représentées par les postes :
- Caisse
- Caisse et Banque de France
- Banques
ont été de :
F 10.850.311.59 au 31 août 1939
F 7.656.747.31 au 30 septembre 1940
F 2.792.608.94 au 30 septembre 1941
F 4.389.729.40 au 31 décembre 1942
F 5.339.048.58 au 31 décembre 1943
F 3.897.470.49 au 31 décembre 1944.
5/ A l'actif du bilan figure un poste intitulé Worms & Cie - Services bancaires qui a atteint F 33.471.736 au 30 septembre 1941 et figure au 31 décembre 1944 pour F 19.756.238.46.
Ces sommes représentent les avances faites par le département Charbons au département bancaire.
Il est à noter, d'ailleurs, qu'en 1940 et 1943, ce poste figure au passif du bilan et représente alors des sommes prêtées par le département bancaire, au département Charbons de la société Worms & Cie.
6/ - Les postes du passif n'appellent aucune remarque particulière.

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