1945.08.07.Note sur la Maison Worms et Cie (sans émetteur)

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Note sur la Maison Worms & Cie

Historique

La Maison Worms & Cie, société en nom collectif et commandite simple, existe sous cette forme depuis le 1er janvier 1874, sous les raisons sociales successives de :
- Hypolite Worms & Cie jusqu'en 1881
- Worms, Josse & Cie jusqu'en 1896
- Worms & Cie depuis cette date.
Elle avait repris en 1874, lors de la constitution de la première société en nom collectif, la suite des entreprises d'importation de charbons et de navigation maritime créées en 1848 par M. Hypolite Worms, fondateur de la Maison et grand-père de l'actuel M. Hypolite Worms.

Son activité est orientée dans quatre voies :

1/- Département 'charbons'
La Maison Worms importe du charbon en France depuis 1848 ; son activité, à la veille de la guerre, en prenant comme période de référence une année à peu près normale, soit l'année 1936, représentait 1.200.000 tonnes, sur un tonnage total d'importation de 22.200.000 tonnes ; elle s'étendait principalement à l'importation par mer des charbons anglais et accessoirement des charbons allemands, belges, hollandais, polonais, turcs et indochinois et s'exerçait par l'intermédiaire de succursales installées tant dans les principaux ports d'importation français que dans les principaux centres exportateurs étrangers.
Dès 1869, elle était établie à Port-Saïd et à Suez où elle n'a cessé d'être le principal dépôt de charbon de soute. Exerçant également dans ces derniers ports ainsi qu'à Alexandrie une importante activité d'agent maritime, transitaire de marchandises et réparateur de navires, elle a apporté à ce titre aux autorités alliées un concours considérable dans la poursuite des opérations en Méditerranée. Elle est parvenue à maintenir, malgré l'état de guerre et une concurrence internationale très grande une position française importante dans le Proche-Orient.

2/- Département "Services maritimes"
Créé en 1954, ce département de la Maison Worms est spécialisé dans l'exploitation de lignes de cabotage entre les ports français, d'une part, et entre les ports français et les ports espagnols, anglais, belges, hollandais, allemands et de la Mer Baltique, d'autre part.
La flotte qui, à la veille de la guerre, comptait 24 unités, n'en compte plus actuellement que 10. Son tonnage en 1936 représentait 31.258 tonnes jauge brute sur un tonnage total de 2.800.000. Cette flotte était par ailleurs exploitée depuis le 1er septembre 1939 pour le compte de l'État comme suite à la réquisition générale de la flotte française.
La Maison Worms possède en outre dans les principaux ports de la métropole et de l'Afrique du Nord des succursales spécialisées dans la consignation et la manutention des navires.
Elle a, d'autre part, le contrôle de la Nouvelle compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur qui assure un service par long-courrier sur Madagascar (48.302 tonnes jauge brute). Elle détient enfin une participation de 30% dans la Société française de transports pétroliers dont la principale participation se trouve entre les mains du gouvernement français.

3/- Département "Constructions navales"
Les Ateliers et Chantiers de la Seine maritime ont été créés en 1917 au Trait (Seine-inférieure), à l'instigation des Pouvoirs publics.
Dotés de 8 cales de construction, ils sont spécialisés dans la construction des pétroliers, des cargos de haute mer et des petites unités pour la Marine nationale.
L'importance des Chantiers du Trait ressort des chiffres suivants : production moyenne dans les dernières années précédant la guerre : 6.000 tonnes, sur une production totale de 150.000 tonnes, soit environ 4% des chantiers français.

4/- Département "Services bancaires"
Créé en 1928, ce département assure l'action d'une banque d'affaires avec succursales à Marseille et Alger.
Comme tout établissement similaire, il possède des participations dans un certain nombre d'entreprises d'activités assez diverses, notamment quincaillerie, machines agricoles, travaux publics, assurances, corps gras, etc.

Organisation

Chacun de ces départements, qui possède son organisation commerciale, administrative et comptable propre, est dirigé par un directeur général :
- charbons : M. Vignet
- services maritimes : M. Émo
- constructions navales : M. Nitot
- services bancaires : M. Brocard, qui a succédé en 1944 à M. Le Roy Ladurie.
Le secrétariat général commun est assuré par M. Simoni (remplaçant).
Au 1er septembre 1939, la Maison était gérée par les trois associés en nom :
M. Hypolite Worms
M. Michel Goudchaux (démissionnaire comme gérant le 18 octobre 1940 en raison des lois d'exception à l'égard des israélites, ses droits dans le capital ayant été intégralement transférés à ses enfants)
M. Jacques Barnaud (démissionnaire le 14 septembre 1944).
Les gérants actuels sont :
M. Hypolite Worms
M. Robert Labbé, ancien inspecteur des Finances
et M. Raymond Meynial.

Capital social

Lors de la création, le 1er janvier 1874, le capital de la société Hypolite Worms & Cie fut fixé à F 4.500.000. Il fut réduit à F 4.000.000 le 14 février 1881, Mme Veuve Hypolite Worms ayant retiré du fonds social la somme de F 500.000.

Depuis lors, il ne fut modifié que le 11 janvier 1940. A cette date, pour le mettre plus en rapport avec l'activité de la société, il fut porté à F 40.000.000 par incorporation de réserves.

Sauf M. Jacques Barnaud, devenu associé en nom le 1er janvier 1930 et détenteur à ce titre d'une fraction modeste du capital du moment (F 100.000), tous les associés commandités et commanditaires de la Maison Worms sont des descendants directs, soit de M. Hypolite Worms. le fondateur de la société, soit de Henri Goudchaux, cousin et principal collaborateur, chef de la Maison de 1881 à 1916, date de son décès.

L'augmentation du capital social le 11 janvier 1940 s'était effectué au prorata des droits de chacun, conformément aux statuts mis en vigueur le 1er janvier 1930, à la suite de l'entrée dans la société de M. Jacques Barnaud comme associé en nom collectif.

Le tableau ci-après donne, avec l'indication de la filiation de parenté, la décomposition actuelle du capital de la Maison Worms :

1/- petits-enfants de M. Hypolite Worms (fondateur de la Maison, décédé en 1877) :

M. Hypolite Worms

F 12.307.692

Mme Fauchier-Magnan

F 3.076.923

Mme Fauchier-Delavigne

F 3.076.923

Mme Jacques Lebel

F 3.076.923

Mme Marcel Razsovich

F 2.769.231

2/- arrières-petits-enfants de M. Hypolite Worms :

Héritiers Leroy

F 2.769.231

3/- petits-enfants de M. Henri Goudchaux :

Mme Patrick Blanchy

F 2.358.974

Mme Jacques Desforges

F 2.358.975

Mme veuve Boccon-Gibod

F 2.358.975

M. Léon Labbé

2.600.000

4/- étranger à la famille :

M. Jacques Barnaud

F 1.846.153



F 40.000.000

Les seules mutations intervenues depuis le 11 janvier 1940 concernent les droits des petits-enfants de M. Henri Goudchaux, en raison de la qualité racial des enfants de ce dernier, M. Michel Goudchaux et Mme Jean Labbé, et ce pour pallier les effets des lois d'exception à la veille d'être promulguées.
1. Donation en date du 25 octobre 1940 par M. Michel Goudchaux de ses droits dans la société Worms & Cie, soit F 7.076.924 en faveur de ses trois filles : Mmes Blanchy, Desforges et veuve Boccon-Gibod.
2. Donation et cession en date du 19 octobre 1940 par Mme Labbé de ses droits dans la société Worms & Cie, soit F 4.000.000 en faveur de ses deux fils : MM. Léon et Robert Labbé.

Intervention des autorités ennemies

Dès le mois d'octobre 1940, l'attention des autorités allemandes étaient attirée sur la Maison Worms ; les raisons en étaient : l'importance de l'activité de la Maison Worms, le nombre de ses succursales à l'étranger, principalement en Angleterre, mais surtout l'origine israélite du capital de la Maison et la présence jusqu'à cette date comme associé-gérant de Michel Goudchaux, non-aryen, les attaches de la famille de M. Hypolite Worms en Angleterre, les succès, enfin, remportés par ce dernier au cours de la mission remplie à Londres entre novembre 1939 et juillet 1940 qui s'était traduite en dernière analyse par un transfert au profit du Royaume-Uni et ce postérieurement à l'armistice, des navires neutres au service de la France et des marchandises acquises outre-mer[1].
Le 25 octobre 1940, sous le couvert des lois raciales, M. von Ziegesar était désigné comme commissaire-administrateur de la Maison Worms par l'administration militaire allemande en France. C'était la première fois qu'une mesure aussi brutale était prise contre une entreprise française. Il est à remarquer qu'à notre connaissance, seules, la Banque de France et les banques étrangères considérées par l'occupation comme de nationalité ennemie, ont été l'objet de pareilles mesures[2].
Cependant cette décision, sitôt connue, la Maison Worms avait effectué une démarche auprès de M. Brunet, directeur du Trésor au ministère des Finances et responsable à ce titre de la surveillance des banques françaises. Conscient du danger susceptible de menacer l'économie bancaire, M. Brunet obtint que fût désigné parallèlement un commissaire-administrateur adjoint, de nationalité française, M. Olivier de Sèze, ancien inspecteur de la Banque de France.
M. von Ziegesar prenait possession de ses fonctions le 30 octobre 1940[3] et précisait[4] l'étendue et la nature de ses prérogatives qui étaient pratiquement illimitées. En fait, la loyauté de M. de Sèze et la ténacité des dirigeants responsables de la Maison Worms permirent de limiter peu à peu les intervention de M. von Ziegesar d'abord, puis de M. von Falkenhausen ensuite - son successeur du 1er juillet 1941 à la fin de l'occupation. Cette limitation de leur intervention ressort notamment du fait que le plus récent bilan d'ensemble de la Maison Worms qui ait jamais été entre les mains des commissaires-administrateurs, a été celui du 30 septembre 1941.
Mais jusqu'au dernier jour, le danger est resté constant, si l'on se souvient des méthodes d'emprise économique allemande qui tantôt recourait à des mesures de force et tantôt cherchait à s'infiltrer avec ténacité et patience. En réalité, les autorités d'occupation ne cessèrent d'avoir l'arrière-pensée de briser l'indépendance de la Maison Worms.
En décembre 1940 et au début de l'année 1941, le Docteur Hettlage, chef de la Commerzbank à laquelle appartenait en temps de paix M. von Ziegesar, et qui occupait, en outre, des fonctions officielles très importantes au ministère de l'Économie allemande, ayant eu connaissance des difficultés irrémédiables dont la Maison Worms était menacée, demanda à ses dirigeants de transférer à son groupe les droits, dans le capital, que M. Michel Goudchaux venait de transmettre in extremis, en dot, à ses trois filles.
Les négociations traînèrent en longueur, ce qui permit d'aboutir à une fin de non-recevoir, comme il devait en être de même en mars 1941, à une démarche plus nuancée, mais aussi nette, émanant du groupe métallurgique et charbonnier Klöckner.
Devant ces insuccès, les autorités allemandes eurent alors recours à un procédé plus direct et non moins dangereux.
Au mois d'octobre 1941, la Treuhand Gesellschaft, société fiduciaire à caractère officiel, était chargée de faire une enquête détaillée tant sur les origines de la Maison Worms que sur son activité, par ses propres départements ou le canal de ses participations. Un rapport - volumineux si l'on en juge par le délai supérieur à dix-huit mois que prit cette enquête - mais dont les dirigeants de la Maison ne parvinrent pas à avoir connaissance - eut certainement donné lieu à un rebondissement de l'ingérence des autorités allemandes, si les événements d'Afrique et d'Italie d'abord, les progrès de la guerre en Europe ensuite, n'étaient venus détourner leur attention vers des problèmes plus pressants.
Si, en définitive, la Maison Worms fut, en raison des circonstances rappelées ci-dessus, l'objet d'un traitement particulièrement sévère de la part des autorités d'occupation, la ténacité de ses dirigeants permit, non sans risques grands pour eux, de maintenir l'entreprise pure de toute ingérence ennemie.

Activité des différents départements de la Maison Worms
pendant l'occupation

Un bref résumé de l'activité des différents départements de la Maison Worms entre août 1940 et août 1944 permet d'apprécier les résultats obtenus par l'attitude adoptée par ses dirigeants.

1/ - Charbons
Importateur de charbon en France, la Maison Worms a vu, de juin 1940 jusqu'à la libération son activité totalement arrêtée.
Elle s'est bornée, pendant cette période, à distribuer les tonnages réduits de charbon français mis à sa disposition par les organismes de répartition. Elle exploita certaines branches annexes destinées tant à conserver un personnel qui risquait sans cela la déportation, qu'à satisfaire très particulièrement les besoins de son habituelle clientèle en foyer domestique par des combustibles de remplacement (tourbe, bois, charbon de bois).

2/ - Services maritimes
Comme ceux de tout l'armement français, les navires de la Maison Worms sont réquisitionnés depuis le 1er septembre 1939. L'activité de ce département s'est bornée à une gestion purement technique, toutes les instructions relatives au mouvement des navires étant données par les seules autorités gouvernementales.
Les succursales maritimes spécialisées dans le transit, la consignation et la manutention ont été pratiquement inactives pendant quatre années.

3/ - Constructions navales
Les Chantiers du Trait, spécialistes de la construction de petites unités pour la Marine de guerre, ont été, dès le mois d'août 1940, occupés par la Marine allemande et l'objet, jusqu'à la Libération, d'une tutelle étroite de sa part.
Sur quatre sous-marins en chantier au jour de l'armistice, deux furent, après résiliation, démantelés. Des deux autres, l'un, "La-Favorite", qui aurait dû être livré en novembre 1940, vit le travail se poursuivre sur [lui] à un ralenti tel qu'[il] fut livré seulement le 24 novembre 1942, et ce sans ces tubes lance-torpilles, ce qui réduisait à néant sa valeur militaire. L'autre, 'L'Africaine", qui aurait dû être livré en juin 1941, ne fut jamais lancé et se trouve encore sur cale en voie d'achèvement pour la Marine française.
Les seules livraisons de navires faites aux autorités allemandes portèrent, outre "La-Favorite", sur un chaland non auto-moteur et un pétrolier lancé avec deux ans de retard sur les prévisions initiales.
La suite du rapport permettra d'apprécier dans quelles conditions ces travaux furent exécutés.
Par ailleurs, les Chantiers du Trait n'ont effectué pendant l'occupation ni réparations ni transformations de navires pour le compte des autorités allemandes.
Il ressort des dépositions des ingénieurs de la Marine que la capacité des Chantiers du Trait avec huit cales de construction et plus de huit cents ouvriers aurait permis, entre 1940 et 1944, de construire en activité normale : douze sous-marins et quatre gros pétroliers.

4/- Services bancaires
Banque privée, la Maison Worms a, en matière bancaire, deux formes d'activité.
Elle a, d'une part, été amenée à s'assurer des participations dans un certain nombre d'entreprises industrielles et commerciales.
Elle fait, d'autre part, toutes les opérations de banque normale (dépôts de fonds, opérations sur titres, escompte, etc.).
Au cours des quatre années d'occupation, et malgré la présence d'un commissaire, la Maison est parvenue à ne céder aucune participation ni aucun titre détenu par elle ou par ses filiales. A plusieurs reprises, que ce soit pour la société Le Molybdène, pour la Société des terres rares, la société Fournier-Ferrier ou pour des sociétés minières françaises, les autorités d'occupation ont fait pression sur la Maison Worms pour l'amener à céder une part de leur actif ou de leurs titres. La Maison Worms a toujours refusé de donner son consentement à aucune cession de ce genre et a résisté avec succès à toutes les demandes des autorités allemandes.
L'activité bancaire proprement dite s'est bornée avec les Allemands aux opérations courantes d'ailleurs imposées par les commissaires (eux-mêmes banquiers dans la vie civile).
Le chiffre d'affaire ainsi relevé a atteint un montant relativement faible. Une indication précise est en effet donnée à cet égard par le rapprochement :
- du pourcentage des opérations traitées avec le clearing allemand : 1,47%
- de l'ensemble des opérations des autres banques de la place de Paris (pourcentage déterminé grâce aux chiffres passés au compte de compensation de la Reichskreditkasse de Paris)
- et de celui : 3% environ
selon les chiffres quotidiennement enregistrés par la Chambre de compensation de Paris et qui permettant d'apprécier l'activité de la Banque Worms par rapport aux autres banques de la place.
Encore convient-il de signaler qu'une appréciable fraction de ce chiffre a été réalisée avec la Commerzbank dont était directeur l'un des commissaires imposés à la Maison Worms par les autorités allemandes.

7.8.45


[1] Les articles joints, parus à l'époque dans la presse de Paris, contrôlée par les Allemands, justifient cette indication. [Pièces manquantes.]

[2] Lettres de nomination jointes [voir 25 octobre 1940].

[3] Allocution aux chefs de services jointe [voir 30 octobre 1940].

[4] Pièce jointe [voir 30 octobre 1940].

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