1945.04.22.De Hypolite Worms.A Raymond Meynial.Original

Original

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22.4.45

Mon cher Raymond
Je viens d'écrire à Simone T, avec demande de vous la communiquer, une lettre sévère à propos de Gabriel car je sens qu'on va recommencer à faire des bêtises. Comme il va s'ennuyer pendant deux mois à Belfort, on va le faire venir près de Paris. C'est couru, et son lit de douleur à l'hôpital deviendra le salon où tout Paris se précipitera pour le distraire. Il fera de nouveau figure de vedette. Je compte absolument sur vous pour empêcher cette catastrophe. Si vous n'y parvenez pas, je demanderais alors à me désolidariser de lui, car je ne peux tout de même pas - et la Maison non plus - continuer éternellement à subir ma punition, parce que Gabriel recommencera à faire parler de lui. Je remarque par exemple qu'on a fait mettre dans certains journaux, je l'ai lu dans le Figaro, l'annonce des fiançailles de Jeanne. Pourquoi ? L'événement a été annoncé à tous les amis, alors quel intérêt à en faire une manifestation publique qui permet aux gens mal intentionnés de se demander ce que deviennent le père et l'oncle, et à s'occuper d'eux, à nouveau. C'est un détail, je le veux bien, mais [qui] montre soit de l'inconscience, soit une absence totale de bon sens, et cela fait craindre de nouvelles erreurs de jugement.
Je voudrais maintenant vous parler de moi et vous demander d'éclaircir ma lanterne sur les deux points suivants lorsque vous aurez l'occasion d'un voyageur qui pourra m'apporter votre lettre, sans crainte qu'elle soit censurée ou égarée.
I. Quels événements ou incidents vous ont amené à retarder les démarches prévues pour le non-lieu et pour la levée de la résidence surveillée ? Croyez bien que je ne suis pas impatient et que j'attendrai calmement aussi longtemps qu'il le faudra, mais je remarque que vous préférez maintenant temporiser alors qu'il y a quinze jours vous sembliez attendre une solution complètement favorable d'une façon imminente puisque vous me demandiez si j'aurai le temps de finir ma cure de 21 jours.
Est-ce votre conversation avec Dunker ? Et cela m'amène au deuxième point :
II. Celui de l'enquête que les Anglais semblent avoir demandé sur moi, ce qui confirme ce que D. vous avait dit. A ce propos, Simone T. m'a raconté, par un mot que Bernard Verdier m'a apporté, son dîner chez Alfred Malet et la qualité des gens qu'elle a rencontrés. Je ne vous cacherai pas que j'attache une très grande importance à cette question dont je ne comprends du reste pas le but ou stade actuel. Ne croyez-vous pas qu'il y aurait intérêt à ce que vous vous fassiez mettre en contact directement vous-même avec ce fonctionnaire du ministère de l'Intérieur pour être sûr que le rapport qui sera remis aux Anglais sera en tous points favorable. Il me semble que vous ferez cela mieux que personne. D'autre part et puisque cette enquête a été demandée au ministère de l'Intérieur, n'y aurait-il pas lieu de faire intervenir Eugène F. auprès de son ami, et également Doublet ou son patron. Je sais que vous avez vu Dollie, et comme elle vient demain ici pour passer quelques jours avec moi elle me donnera des détails. Je m'excuse du reste de faire ainsi des suggestions auxquelles vous avez certainement pensé. Mais le point de vue des Anglais me semble capital non seulement pour moi mais pour la Maison.
Dollie a dû vous dire qu'elle avait vu Bearsted - très gentil - et que celui-ci lui avait raconté qu'un officier anglais (qui s'appelle Menzies et que je crois du reste ne pas connaître personnellement), fils et neveu d'amis à nous, s'était intéressé à moi mais qu'on (?) lui avait fait comprendre qu'il valait mieux qu'il ne s'en occupe pas.
Cet intérêt que les Anglais semblent me porter actuellement (je ne parle pas de cet ami anglais, mais du rapport demandé auquel le directeur du ministère de l'Intérieur a fait allusion), est-ce bon signe ou non ? ?
Si je vous écris ainsi, c'est que je n'ai pas d'autre moyen de discuter le coup avec vous.

Bien affectueusement à vous
Hypo

J'ai été frappé par le fait que dans le rapport d'avril 1942 de la direction du Blocus et dont il a envoyé en janvier 1945 copie au juge Thirion, il y a un paragraphe, dont je ne me rappelle pas le texte, indiquant que la Maison Worms est complètement liée à la Shell - Royal Dutch et avec la Banque Samuel de Londres. Cette même insinuation se trouve dans la note déposée par van Cabeke et qui transcrit le rapport fourni à la même date d'avril 1942 au comité national de Résistance, copie exacte du rapport de la direction du Blocus.
Or j'ai le souvenir qu'on trouve la même accusation au début de la campagne de presse de Paris-Soir en octobre 1940.
De même, ce sont ces mêmes liens (Shell - Royal Dutch - Samuel - Worms) qui étaient la principale préoccupation de la Treuen Gesellschaft lorsqu'elle est venue enquêter au bureau en 1941 ou 1942, puisqu'elle est même allée jusqu'à examiner les comptes Royal Dutch dans nos livres et qu'on a camouflé un compte Lady Bearsted, qu'on a passé à mon débit personnel pour éviter qu'ils ne le voient.
Prière de rechercher les textes (Paris-Soir ou autres journaux de l'époque) et de demander à Gabriel de rassembler ses souvenirs, et me faire une courte note à ce sujet. Ce point me semble extrêmement intéressant et mérite toute notre attention, d'autant plus qu'il sera peut-être nécessaire que nous fassions un jour une note pour Thirion, en réponse au rapport de la direction du Blocus.


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