1945.02.08.De Raymond Meynial.A Hypolite Worms.Original

Original

Vendredi, 8 février 1945

Mon cher Hypo,
J'ai été extrêmement touché de la lettre que vous m'avez envoyée et je ne sais comment vous en remercier. Cette période de ma vie aura beaucoup compté pour moi. Elle a été d'une part très douloureuse car je savais tout ce que vous enduriez et vous comprenez qu'en raison de la profonde affection qui me lie à vous j'en souffrais aussi. Mais, d'autre part, j'avais un grand soutien dans mon action car je pensais que chacun de mes efforts pouvait abréger vos souffrances.
Mais je tiens, comme je vous l'ai dit de vive voix, à ce que vous ne vous exagériez pas mon rôle au cours de ces cinq derniers mois. S'il est exact que j'ai fait vraiment tout ce que je pouvais, c'est cependant l'ensemble des efforts coordonnés de vos amis, et ils sont nombreux, qui a obtenu un résultat.
Et puis c'est aussi, et principalement, le fait que personne, pas même vos ennemis, ne pouvait formuler contre vous le moindre reproche véritable. Moi qui ai vécu à vos côtés et qui, je crois, ai souvent connu vos pensées intimes, je sais à quel point vous étiez animés par le sentiment du devoir, tant vis-à-vis de vous-même et de votre maison que de votre pays. C'est cette certitude profonde que j'avais en moi qui m'a permis souvent de convaincre ceux qui ne vous connaissaient pas. Je me souviendrai toute ma vie de l'exemple que vous m'avez donné en juillet 1940 lorsque nous cherchions tous où était notre devoir. Vous m'avez dit alors : « Je vous comprendrai quel que soit le choix que vous fassiez. Pour moi, j'ai décidé de revenir en France. Je n'ai pas le droit dans une période qui va être particulièrement douloureuse et dure pour mon pays de ne pas être au milieu des quelques milliers de collaborateurs, employés ou ouvriers qui vivent de mon activité. » Et c'est sur un plan beaucoup plus modeste ce qui m'a éclairé sur moi-même. C'est parce qu'à tout moment vous avez eu une vision claire de votre devoir dans une période où il était particulièrement difficile à discerner, et parce que vous n'avez jamais transigé avec lui que je vous ai admiré et permettez-moi le mot, aimé. Vous m'excuserez de me montrer sous un jour peut-être un peu différent de celui que vous connaissez mais je ne pourrais de vive voix pas vous dire tout cela et je voulais cependant que vous le sachiez.
Vous comprendrez donc maintenant que c'est moi qui dois vous remercier des douze années que j'ai passées auprès de vous, et principalement des cinq dernières années où je vous ai approché de plus près et que les quelques efforts que j'ai pu faire au cours de ces derniers mois ne sont qu'une manière bien faible de vous exprimer ma reconnaissance. J'ajoute en terminant que tous ceux qui vous entourent ont également admiré le courage de Dolly qui, malgré toute la révolte qui était en elle, n'a cessé, elle aussi, de vous soutenir sans jamais se plaindre du sort qui lui était réservé.
Je pense venir vous voir à la fin de la semaine prochaine ou suivante et avoir obtenu d'ici là que vous veniez passer quelques jours à Paris pour vous sortir un peu de votre vie si austère.
Bien affectueusement,

Raymond Meynial


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