1944.12.07.De J. Révoil.Note

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Note

Lors de nombreux entretiens que j'ai eus en Angleterre et au cours desquels l'on m'a questionné sur la situation de la Maison en général et de Monsieur Worms en particulier, j'ai donné à mes interlocuteurs les renseignements suivants :
Par suite de l'origine de ses associés et bien que ne tombant pas sous le coup de la loi confisquant les biens des Israélites, la Maison Worms fut placée pendant toute l'occupation sous la surveillance de contrôleurs allemands qui exercèrent sur elle un contrôle très gênant.
Malgré cela, la Maison Worms n'a travaillé au profit des Allemands que dans la mesure où elle y fut contrainte ; en fait, cette part de son activité fut aussi minime que les circonstances le permettaient.
J'ai donné à cet égard les renseignements suivants :
Les Chantiers du Trait avaient sur cales en juin 1940 4 sous-marins et 2 petits tankers ravitailleurs. Faute d'instructions de la Marine, cependant sollicitée avec insistance par la direction des Chantiers, la destruction de ces navires ne fut pas possible avant l'arrivée des Allemands et leur construction dût être reprise par suite des accords intervenus entre le gouvernement français et le gouvernement allemand.
Bien qu'en juin 1940, 1 sous-marin et 1 petit tanker fussent parvenus à un stade de construction qui aurait normalement permis de les lancer vers la fin de l'année, ce n'est que dans le courant de 1942 que ces deux unités furent livrées aux allemands sur ordre du gouvernement français.
Les dégâts causés aux Chantiers par les bombardements alliés de 1941 et 1942 ne furent pas assez importants pour retarder, de façon appréciable, ces constructions mais incitèrent les Allemands à en pousser l'achèvement qui fut cependant remarquablement lent. Les autres sous-marins et le deuxième tanker ne furent jamais achevés et les résultats de l'exploitation des Chantiers du Trait pour les quatre années d'occupation se sont traduits par une perte considérable, sans tenir compte, bien entendu, de celle qui est la conséquence de leur destruction par les bombardements.
En résumé, l'on peut dire que si la Maison Worms avait abandonné la direction des Chantiers aux Allemands les bâtiments sur cales en juin 1940 auraient sans doute été tous achevés et utilisés par eux.
En ce qui concerne l'activité bancaire de la Maison Worms, il ressort des statistiques de la Banque de France que le montant des opérations de crédit concernant des affaires allemandes auxquelles elle a dû se livrer, comme toutes les autres banques françaises, n'a pas dépassé 1,5% du montant total des opérations de cette nature faites par les banques parisiennes et 0,60% des opérations faites par l'ensemble des banques françaises.
D'autre part, jamais la Maison Worms n'a cédé d'actions ou de participations aux Allemands dans les affaires qu'elle contrôlait malgré la pression dont elle fut l'objet.
Dans ces conditions, l'innocence de Monsieur Worms, arrêté pour avoir livré des navires à l'Allemagne et fait avec elle de fructueuses opérations bancaires, pourra être facilement démontrée et il serait sans doute déjà libéré si l'atmosphère politique à l'égard de tout ce qui a trait à la période d'occupation ne retardait la chose.
Il en est de même en ce qui concerne Monsieur Le Roy Ladurie pour les affaires bancaires.
Lorsque j'ai été interrogé au sujet de l'activité de Monsieur Barnaud au gouvernement, je me suis borné à répéter ce qu'il m'avait déclaré en 1943 au moment où il avait quitté ses fonctions ; il m'avait dit alors qu'il partait avec la satisfaction de pouvoir constater qu'aucune maison française n'était tombée sous le contrôle allemand pendant l'exercice de sa charge, à moins qu'elle ne s'y soit prêtée de son propre gré ou qu'elle n'ait été contrôlée par les Allemands avant la guerre.
Partout où il m'a été donné de fournir ces indications elles ont été accueillies avec intérêt et satisfaction. J'ai dû, dans certains cas, les compléter en indiquant qu'en France les garanties de l'Habeas corpus n'existent pas et que la durée de la détention préventive est fonction de multiples facteurs souvent indépendants de la cause elle-même.
Dans beaucoup de cas d'ailleurs, mes interlocuteurs estimaient qu'on ne pouvait faire grief à des maisons françaises d'avoir eu avec l'occupant des relations auxquelles elles étaient astreintes par la force des choses.
Nulle part, je ne me suis heurté à un accueil hostile. Quelques-uns de mes interlocuteurs ont cependant exprimé le regret que Monsieur Worms ne soit pas resté en Angleterre en 1940 car il eut pu y jouer un rôle de premier plan.
Je n'ai pas eu de peine à leur montrer qu'il lui avait fallu plus de courage pour rentrer en France défendre sa Maison dont dépendait le sort de milliers de personnes, plutôt que de rester en Grande-Bretagne où se trouvaient sa femme et sa fille ainsi qu'une partie importante de ses biens.

7 décembre 1944


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