1944.12.06.De Louis Vignet.Au juge Georges Thirion.Déposition

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NB : Ce document provient d'un dossier intitulé "Département charbons" et daté du 6 décembre 1944.

6 décembre 1944

Déposition de Monsieur Vignet

L'an 1944, le 6 décembre, devant nous Thirion, juge d'instruction au Tribunal de première Instance du département de la Seine, assisté de Lombard, greffier, a comparu :
Monsieur Vignet Louis, 52 ans, directeur général du département "charbon" de la Maison Worms, demeurant à Paris, 157, avenue Malakoff,
Dépose :
J'appartiens à la Maison Worms depuis 1919.
Avant la guerre, la Maison Worms était un des principaux importateurs de charbons de France. Elle importait du charbon de toutes provenances et notamment d'Allemagne, d'Angleterre, de Pologne, des colonies françaises, etc. L'Armistice devait mettre fin à cette activité, mais la Maison Worms désirant maintenir tout son personnel au travail, s'orienta vers la production de combustibles de remplacement. D'autre part, en tant que grossiste, elle a vendu à la clientèle française des quantités de charbon qui lui étaient allouées par les offices de répartition, ce qui ne représentait, en fait qu'un pourcentage très réduit.
Je dois signaler que la Maison Worms, bien qu'avant la guerre elle fit des transactions importantes avec l'Allemagne, n'a participé à aucun titre, pendant l'occupation, aux transactions faites sur des charbons allemands et belges par le Groupement dit des "charbons allemands" qui avait été créé sur l'initiative des services économiques de l'Hôtel Majestic.
En ce qui concerne les combustibles de remplacement, la Maison Worms entreprit des exploitations forestières, notamment dans l'Orne, l'Yonne et les Landes, dans le but principal d'alimenter ses chantiers en bois de chauffage et charbon de bois. A l'époque (1941) les Allemands ne s'intéressaient pas aux combustibles de remplacement. Ce n'est qu'en 1943 que les producteurs de charbon de bois et de bois de gazogène furent tenus de livrer aux allemands des quantités qui leur étaient imposées par le canal des Comptoirs départementaux des produits forestiers. En fait, les impositions allemandes auraient dû absorber la totalité de notre production, mais nous nous sommes attachés à distraire de ces impositions, des quantités de charbon de bois que nous avons livrées notamment à la Croix-Rouge, au Secours national et à l'Assistance publique. C'est ainsi par exemple que, pour une année, du printemps 1943 au printemps 1944, les impositions allemandes étaient de 1.727 tonnes. Nos livraisons aux autorités allemandes ne furent que de 1.116 tonnes, tandis que 650 tonnes environ étaient livrées aux administrations que je viens de citer.
En ce qui concerne le bois de gazogène, malgré les invites impérieuses de la part des autorités allemandes, d'avoir à développer notre production, celle-ci est restée très faible. Alors que deux tronçonneuses avaient été commandées à titre d'essai avant les sollicitations allemandes, une seule fut mise en service et la commande de la seconde fut annulée sous des prétextes techniques, mais en réalité pour éviter le développement de la production.
En 1941, nous avons acheté dans les Landes une petite et ancienne usine de carbonisation. Des travaux de rénovation ayant été entrepris furent mis en sommeil à partir du moment où les allemands manifestèrent de l'intérêt pour sa production et en fait, les deux nouveaux fours viennent d'être mis en service à fin novembre.
En fait, la Maison Worms n'a livré aux allemands sur imposition, et principalement dans un secteur (département de l'Orne) où les allemands venaient enlever sur place la production, que 1.116 tonnes de charbon de bois et 527 tonnes de bois de gazogène sur 1.154 tonnes d'imposition et 2.176 tonnes de production totale.
En résumé, les activités de remplacement que nous avons entreprises en 1940-1941 (exploitations forestières, lignite, tourbe) n'intéressaient pas, à ce moment-là, les Allemands, ce n'est que beaucoup plus tard que nous avons été involontairement amenés à devenir leur fournisseur.
L'ensemble du département charbonnier a laissé en définitive pour les quatre années d'occupation un déficit de 43.000.000 de francs, dû en grande partie au fait que la Maison a maintenu en service tout son personnel dans un but social.
Ces activités accessoires ont permis d'utiliser dans des conditions souvent difficiles de jeunes collaborateurs qui ont échappé ainsi au service du travail obligatoire.
Et signe après lecture.


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