1944.11.29.De Bernard Verdier - Établissements Puzenat.Note.02

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Note sur les Établissements Puzenat

Prise de direction : juillet 1939.
Mobilisé de septembre à décembre 1939.
- Années 1939-1940
La maison s'oriente immédiatement sur les fabrications de guerre et en quelques mois mettant en oeuvre les commandes préparées dès le temps de paix, réunit 40 millions de commandes, c'est-à-dire un chiffre voisin de son chiffre d'affaires normal annuel.
En juin 1940, un tonnage de projectiles très important était en cours de livraison. La fabrication des chariots était passée sur le plan de la série.
- Juin 1940
Les visites des officiers allemands se multiplient, nos fabrications sont saisies, nos ateliers de guerre sont sous scellés.
Très rapidement nous sommes sollicités avec beaucoup de fermeté pour la reprise de fabrications similaires. Notre fonderie pouvant produire jusqu'à 600 et 700 tonnes par mois est, en particulier, un outil approprié.
Nous ne cessons de louvoyer et dès 1941 nous provoquons, sous des prétextes divers, le démantèlement de nos ateliers de guerre : machines vendues, dispersées, outillage mis au rebut, etc. Les demandes ultérieures, non moins fréquentes, se heurtent à cet état de fait.
Cette politique a été décidée de plein accord avec la Maison Worms, dont les directives n'ont, à cet égard, pas été modifiées du début à la fin des hostilités.
- Relations avec les autorités allemandes
Elles furent en général assez tendues et, cela, dès 1940. Un pharmacien du pays, Mathis, s'avéra rapidement collaborateur acharné, ne cessant de dénoncer les habitants de la région et l'usine pour des prétextes les plus divers.
II devient, par la suite, chef de la milice de Saône-et-Loire et Allier occupés. Un de ses principaux seconds était notre chef comptable, d'Aram. Après avoir laissé ce dernier six mois sans lui adresser la parole, il comprit que sa situation devenait intenable et nous quitta vers septembre 1943.
Ces dispositions des autorités allemandes se retrouvent sur deux terrains :
1/ la relève,
2/ les commandes qui nous furent affectées.
- Relève
Il faut établir une distinction entre notre usine de Saint-Denis soumise localement à l'Influence de Mathis et d'Aram, et notre fonderie, située dans l'Allier à Dompierre-sur-Besbre.
A notre fonderie 2 ou 3 opérations de relève n'eurent aucun effet ; un seul ouvrier, sur plus de cent, partit (volontaire), il était d'origine allemande.
A Bourbon, il en fut tout autrement.
- Une première opération eut lieu en octobre 1942,
- une deuxième opération eut lieu en novembre 1942,
- une troisième opération eut lieu en décembre 1942,
- une quatrième opération eut lieu en janvier 1943.
L'ensemble de notre personnel en octobre 1942 était de 600 environ.
Sur près de 200 personnes désignées, 80 environ furent contraintes à partir. La troisième relève fut opérée dans des circonstances presque dramatiques. Les ouvriers appelés par les agents allemands furent cernés et emmenés sans même pouvoir s'habiller. Toute intervention de nos cadres et de la direction fut interdite.
Par la suite, les ouvriers revenus d'Allemagne ne rejoignirent pas. Dénoncés par Mathis, ils furent recherchés, leurs femmes prises comme otages et une vingtaine durent rejoindre.
Finalement, 35 à 40 ouvriers sont encore en Allemagne. Entre temps, nous avions placé dans les exploitations forestières un certain nombre d'ouvriers pour les soustraire aux déportations. Ceci valut, d'ailleurs à nos ingénieurs des interrogations sans fin, des menaces de la part de la Gestapo.
A notre connaissance, il n'y eut pas d'interventions aussi brutales dans toutes les usines voisines. Seule l'action de Mathis et notre hostilité présumée nous valut un tel traitement.
- Commandes allemandes
Nos refus de prendre toute commande qui pouvait intéresser les services allemands fut constant et nous n'avons jamais accepté - et plus encore exécuté - une seule commande qui sorte du cadre de la machine agricole et, cela, malgré les pressions verbales et réitérées.
Nous avons refusé également de terminer une série de chariots de notre marché de guerre français. Des ouvriers allemands vinrent les terminer sur place.
Notre position sur le terrain de la machine agricole était plus difficile à défendre mais, là encore, sous les prétextes les plus divers, nous nous sommes refusés à modifier nos machines pour les mettre es harmonie avec les modèles de machines allemandes.
La présence de stocks très importants de machines de récolte, dont l'expédition a surtout lieu en saison, ne nous permettait pas de rejeter toutes les demandes qui nous furent présentées. Les demandes sur ce point de la part des services de Dijon, d'Autun, de Nevers, intervenant par les services de Paris, n'admettaient pas des impossibilités permanentes.
Les commandes que nous avons dû accepter sont de trois ordres :
1/ celles demandées par des services allemands en France pour des exploitations en France
Ces services, dénommés Dienstelle, Ostland, etc., ont reçu sur nos fabrications en quatre ans F 4.980.000 de machines, après nous avoir fourni tous les bons matières nécessaires.
Un ensemble de commandes important ne reçut jamais d'exécution. Ceci représente donc 1.250.000 par an, en moyenne, au regard d'un volume de vente pour la France de 50 millions environ.
2/ Commandes pour l'Allemagne
Sur la pression du ministère de l'Agriculture allemand (qui m'avait convoqué à Berlin, invitation à laquelle je n'ai pas déféré), nous avions dû accepter une commande de râteaux avec la maison Fahr.
Cette commande avait été aiguillée de telle sorte que le modèle livré fut celui spécial à l'Alsace. Nous avons su que les 1.250 râteaux livrés ont été effectivement vendus à nos clients d'Alsace, car nous avions refusé absolument de ne pas mettre notre marque.
Cette commande de 1.250 râteaux passée en avril 1942, fut livrée en 1943, c'est-à-dire dix mois environ après, alors que nous avons déjà fabriqué dans nos ateliers plus de 20.000 râteaux par an, dès 1926-1927.
Une deuxième commande de 2.500 râteaux, soit plus de 5.000.000, intervint ensuite en mars 1944 ; sous prétexte de manque d'approvisionnements elle fut à peine amorcée.
3/ Commandes de trieurs de pommes de terre
Se basant sur le montant très faible de nos commandes pour l'économie allemande, les services allemands régionaux nous firent passer une commande de 8.000 trieurs de pommes de terre, en novembre 1942. De fabrication extrêmement facile, cette commande devait être réalisée en quelques mois à peine.
Nous avons exigé d'abord l'envoi du métal d'Allemagne, ainsi que des fontes. Puis discutant sur les quantités reçues nous réduisions la quantité à 5.500.
La maison donneur d'ordre était une petite affaire sans surface, donc plus malléable qu'une grande firme. Nous exigions des avances importantes, puis, par la suite, nous nous sommes montrés de plus en plus stricts pour les paiements. Les expéditions s'en trouvèrent freinées jusqu'à l'arrivée d'un officier allemand qui, à la vue du stock, imposa des expéditions à une époque où seuls les transports allemands avaient une priorité. Cette fabrication a laissé en stock 2.200 trieurs que, d'accord avec les services de l'Agriculture française, nous mettons à la disposition du marché français.
Cette commande, par son importance, factice d'ailleurs, nous servit à éluder d'autres prises de commandes plus gênantes.
En résumé, sur une commande de 8,5 millions, passée en novembre 1942, il ne fut livré à juin 1944 que 4.400.000.
- Bois
L'importance de nos exploitations forestières, qui servit à isoler hors de la relève une vingtaine de personnes, nous désignait pour les commandos de bois.
Un marché fut passé d'un total de 1.500.000 portant sur des bois en grumes.
Alors qu'en quatre années pour le compte de la SNCF, de nos besoins, etc., il fut manipulé des milliers de m3, nos envois se chiffrèrent à 390 m3 pour F 897.000,-.
Si l'on récapitule tous ces postes, on s'aperçoit que de juin 1940 à juin 1944, périodes correspondant d'ailleurs à un mois près, à nos exercices sociaux, nous avons réalisé un chiffre d'affaires de F 217.000.000,- en quatre ans, pour 13.200.000 de commandes allemandes, soit 6%.
Une idée plus exacte encore de notre opposition à ces commandes ressort des tonnages sortis de nos établissements :
- 6.700 tonnes en 1940/41
- 5.300 tonnes en 1941/42
- 3.800 tonnes en 1942/43
- 2.600 tonnes en 1943/44.
En gardant un effectif à peu près semblable au cours de ces quatre années, nous avons voulu placer en secteur semi-protégé notre personnel qui aurait pu être diminué d'un tiers.
Nul ne disconviendra au surplus que si nous avions voulu compenser ce défaut de tonnage par des commandes allemandes, cela eut été facile et, par là, de doubler, sinon tripler, notre chiffre d'affaires.
Enfin, dès septembre-octobre 1944, nous avons repris le contact avec la sous-direction de l'Armement, et nous prenons actuellement une commande de projectiles dans les modèles mêmes que les Allemands désiraient nous voir continuer.
- Conclusion
La maison Puzenat représente sur le marché français, à l'exception de son concurrent américain ayant ses usines en France, la plus importante manufacture de machines agricoles. Son usine de Bourbon, sa fonderie de Dompierre, particulièrement bien outillées, en font un outil de travail de premier ordre, facilement adaptable à de multiples fins.
Les autorités allemandes régionales n'ont cessé pour leur compte et celui de leurs services de Paris, de chercher à nous aiguiller sur des fabrications les intéressant.
Nos objections ont été l'objet de contrôles multiples, de pressions par le truchement des officiers chargés de nous contrôler.
La commande de chariots que nous avions pour l'armée française n'a cessé de les intéresser, mais en vain.
Lorsque les raisons techniques étaient insoutenables, il fut argué de question de personnel, de spécialistes partis en Allemagne, d'impossibilité d'approvisionnements.
Les consultations dont nous fûmes l'objet reçurent parfois des réponses, quand elles étaient appuyées par ceux qui pouvaient avoir une action sur le déplacement de notre personnel. Elles ne reçurent jamais d'exécution.
En définitive, nous avons dû accepter quelques commandes pour conserver ce personnel, tout en restant dans le cadre de la machine agricole.
L'inactivité de nos ateliers, durant ces deux dernières années, a été flagrante, il a été voulu par nous de propos délibéré.

29/11/44


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