1944.11.18.De Hypolite Worms.Fresnes.A Raymond Meynial et Robert Labbé.Original.02

Original

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

18 novembre 1944

Pour R. Labbé et R. Meynial
Comme j'espère vous revoir bientôt, je ne répondrai pas tout de suite aux questions que vous me posez tant dans la note résumée de Robert que dans le rapport général fort intéressant que vous m'avez envoyé sur l'activité de la Maison.
Il y a toutefois un point sur lequel je désire attirer votre attention après lecture des documents reçus et qui me semble fort important.
Après mûre réflexion je suis arrivé à la conclusion qu'il ne fallait pas que Grédy retourne en Égypte maintenant, même si cela devenait possible à la suite des démarches que vous avez entreprises.
J'avais comme vous - et nous en avons souvent parlé avec Robert - l'impression qu'il était désirable que Grédy parte aussitôt que possible pour Port-Saïd mais j'ai maintenant changé d'avis et voici pourquoi.
D'après les renseignements reçus, notre Maison là-bas marche aussi bien que possible - je dirai même d'une façon inespérée - le gouvernement anglais la fait travailler à pleins tuyaux, elle n'a jamais eu de contrôleur, ni même de surveillant, ce qui montre qu'elle n'a jamais été soupçonnée.
Or, si maintenant Grédy, à force de démarche, arrive à Port-Saïd, nous aurons l'air, sinon de désavouer Acfield, mais en tout cas de vouloir reprendre en mains nous-mêmes le contrôle de notre succursale d'Égypte, ce qui ne pourrait qu'être mal vu des autorités britanniques. Celles-ci pourraient craindre que nous puissions, dans ces conditions, être tenus, à Paris, au courant des opérations du canal de Suez, et, de là à craindre qu'on boycotte notre succursale il n'y a qu'un pas que j'ai franchi ces jours-ci en réfléchissant à la question.
Il est un fait certain c'est que le gouvernement britannique doit se méfier de notre maison. C'est le moins qu'on puisse dire. Je suis inculpé et par conséquent la Maison elle-même. Le trafic au canal, et par conséquent l'activité de notre succursale, dépendent uniquement du Ministry of War Transport, qui ne peut pas ignorer que je suis en prison pour soit disant commerce avec l'ennemi ; il est donc fort possible que les autorités anglaises prennent ombrage de la venue à Port Saïd d'un Français arrivant de Paris pour reprendre en mains la direction des affaires d'Égypte, même si ce Français se trouve être son ancien directeur, qui a été précisément renvoyé il y a 3 ans. Je crains donc une réaction mauvaise et en définitive j'estime que Grédy ne doit à aucun prix retourner à Port Saïd, même s'il le pouvait, et ce jusqu'à la fin des hostilités ou, en tout cas, jusqu'à ce que notre Maison ait pu être réhabilitée dans l'esprit des autorités britanniques.
Je suis persuadé que vous partagerez cet avis et que vous agirez en conséquence.
Ce sera désappointant très certainement pour ce brave Pierre Grédy mais il est suffisamment intelligent pour le comprendre, et d'ici très peu de temps, nous pourrons utilement l'employer pour la reprise du contact avec les armements étrangers, en Hollande, et même certainement en Angleterre, ce qui ne sera pas du temps perdu.


Retour aux archives de 1944