1944.11.18.De Hypolite Worms.Fresnes.A Raymond Meynial et Robert Labbé.Original.01

Original

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18 novembre 1944

Pour R. Labbé et R. Meynial
Me [Beill], secrétaire de Lénard, que je viens de voir cet après-midi, me dit que vous désirez recevoir mes observations au sujet de la note préparée pour le Blocus au sujet de l'extension à la métropole de l'arrêté d'Alger au sujet du commissaire. Il paraîtrait que Me Poignard aurait mal compris la communication qu'il avait reçue et qu'il avait communiquée au juge devant moi jeudi ; la question n'étant pas réglée à notre satisfaction comme il l'a déclaré. C'est regrettable car dans ma déposition j'avais fait une protestation très violente contre cette menace. Le juge m'avait demandé d'en prendre acte dans le procès-verbal que je devais dicter moi-même, mais à la suite de l'intervention de Poignard, j'ai dû modifier cette déclaration qui dans le procès-verbal ne s'appliquera par conséquent qu'à la nomination du commissaire d'Alger et à la comparaison que j'avais faite entre le traitement dont nous avions été l'objet de la part des Français avec celui qui nous était infligé en Égypte par les Anglais.
Ceci étant dit, j'en viens maintenant à votre note qui me semble, et vous excuserez ma franchise, beaucoup trop "pompons" et à côté de la question. Après avoir fait l'apologie des dirigeants de la Maison (en y comprenant le palmarès des commanditaires) elle semble plaider coupable et demander l'indulgence du jury.
Or, qu'importe que dans les commanditaires il y ait la mère d'un secrétaire d'ambassade bien en cours ou la belle-mère du frère du ministre de la Justice ; qu'importe que la famille de chef de maison soit anglaise et qu'un associé actuel ait été pendant 7 ans dans l'inspection des Finances ; cela n'empêcherait pas qu'une nomination de séquestre pourrait être envisagée si on pouvait à juste titre accuser la Maison d'avoir commercé avec l'ennemi. D'autre part, je ne crois pas qu'il faille plaider l'indulgence mais bien demander justice.
Je voudrais donc que notre note soit d'abord plus courte et ensuite plus précise et plus ferme.
Elle devrait à mon avis être divisée en deux parties.

1° Exposé sur l'activité de la Maison, son importance, et faire ressortir qu'elle représente un élément essentiel dans l'économie du pays.

2° Discuter avec fermeté la légitimité de la mesure envisagée. Et cette deuxième partie devrait être faite en plein accord - je dirais même - par nos avocats Poignard et Lénard.
Il n'est pas admissible qu'on prenne une mesure même conservatoire contre une maison dont le chef est en prison depuis 72 jours sous inculpation de commerce avec l'ennemi, ce qui serait préjuger de sa culpabilité. Or la Maison Worms, par son chef, mais la Maison Worms tout de même car c'est elle qui est visée par cette inculpation, est actuellement entre les mains d'un juge d'instruction. C'est à ce juge d'instruction, et à lui seul, qu'il appartient de déterminer si oui ou non il y a eu commerce avec l'ennemi. Il n'est pas possible de lui interposer un séquestre venant de l'extérieur qui se trouverait donc en opposition avec la justice en cours, et ne pourrait que l'entraver.
Or le juge a entre les mains tous les éléments d'appréciation, non seulement sur l'activité métropolitaine de la Maison dans tous ses domaines mais également sur l'affaire du Molybdène qui est la cause de l'arrêté pris à Alger. Cette dernière affaire est également partie de l'inculpation qu'il instruit puisque j'ai moi-même comme les dirigeants du Molybdène été interrogé à ce sujet.
Cette partie de la note doit être développée aussi nettement et aussi fermement que possible. Elle pourrait se terminer par une conclusion réclamant non seulement la non-extension à la métropole de l'arrêté d'Alger, mais comme vous le suggérez vous-même, son annulation pour Alger même.
J'irai même plus loin et je me demande s'il ne faudrait pas charger immédiatement Lénard ou Poignard (surtout peut-être ce dernier qui avait donné un renseignement non confirmé) de voir le juge d'instruction pour lui dire :

1° que la menace existe toujours contrairement à ce qui lui a été dit,

2° et lui demander d'intervenir d'urgence auprès du ministère des Finances, service du Blocus, sans même attendre la remise de la note que vous allez préparer.
Je suis convaincu qu'il n'admettra pas une telle interférence, qui le mettrait lui-même dans une situation impossible. Je sais que c'était l'avis de Lénard lorsque nous avions parlé de la question il y a 3 semaines lorsque la menace s'était précisée. Il semblait convaincu qu'il n'y avait pas péril pour la raison que j'indique ci-dessus et j'ai compris qu'il était prêt à faire intervenir Thirion s'il en était besoin. Je pense que Lénard va partir ce soir pour la campagne jusqu'à lundi soir mais vous pouvez en parler tout de suite à Poignard et faire le nécessaire dès le début de la semaine prochaine. Je crois que c'est plus urgent et plus important que l'établissement de la note elle-même.

Plus tard

Depuis ce qui précède, Me Poignard vient de me faire appeler. Il n'y a pas eu malentendu hier ; son intervention n'était qu'une manœuvre de sa part parce qu'il ne voulait pas que je fasse insérer au procès-verbal de mon interrogatoire la partie relative à l'extension éventuelle du commissaire d'Alger à la métropole ; il m'en a expliqué les raisons comme il a dû le faire à vous-même et j'ai parfaitement compris.
Je pense également qu'il ne voudra pas qu'on fasse intervenir, comme je le suggère plus haut, le juge d'instruction auprès du ministère des Finances, ceci afin de ne pas attirer l'attention du Parquet, avant ma libération provisoire, il pourrait croire qu'il y a encore quelque chose de louche, ce qui ne ferait que la retarder.
Dans ces conditions, je maintiens et je vous confirme tout ce que j'ai écrit plus haut quant à l'établissement de la note que vous allez préparer. Par contre pour l'intervention auprès du juge, il y a lieu d'attendre - il sera temps de le faire si nos avocats le jugent bon, quand je serai sorti d'ici.

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Il vous intéressera de savoir que le doyen [Ripert] est nouvellement arrivé dans nos murs après un séjour de 2 mois à Drancy. Je l'ai vu dans les couloirs ce soir. Il est en très bonne santé apparemment. Il est maintenant définitivement inculpé comme ancien ministre.

A-t-on des nouvelles de Jean Fraissinet, est-il toujours en résidence surveillée ?


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