1944.10.21.De Hypolite Worms.Fresnes.A Raymond Meynial et Robert Labbé.Original

Original

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21 octobre 1944

Note pour Meynial et Robert Labbé

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J'ai pu avoir hier une conversation avec Gabriel à la promenade, et l'après-midi nous nous sommes entretenus tous les deux avec nos avocats de ce qui suit :
Nous estimons - et nous sommes tous d'accord sur ce point - qu'il est absolument essentiel que les quelques personnes qui acceptent de nous aider et de nous défendre sur un plan autre que le plan purement judiciaire, soient absolument au courant de la marche de notre instruction. Je vous demande donc instamment d'établir, d'accord avec Poignard et Lénard pour moi et d'accord avec Bizos pour Gabriel, deux dossiers pour chacun de nous, en plusieurs exemplaires, dossiers qui comprendront copies de nos interrogatoires, copie du rapport sur le Trait remis au juge, copies des rapports d'experts, copies des rapports déposés par Gabriel (pour mon dossier personnel, le mémoire de Gabriel sur l'activité de la Maison sur le plan bancaire est seul utile, je n'ai pas besoin du second relatif à son activité politique qui a fait l'objet de son 2ème interrogatoire), les copies de rapports et copies de mémoires devront être versées aux dossiers en question sans être ni résumés ni expurgés, sauf dans la mesure où nos avocats voudraient, chacun pour son client, y faire quelques retouches.
Il ne s'agit naturellement pas de diffuser ces dossiers à n'importe qui, mais de les remettre aux quelques personnes sûres qui vont nous défendre soit dans les milieux gouvernementaux soit dans les milieux influents de la résistance, soit essentiellement devant la cour de Justice si (j'espère bien que cela ne sera pas le cas) on désirait aller jusqu'au bout du procès. Je fais plus particulièrement allusion à Leperc, René Mayer, Joliot-Curie et de Niselle, à Navarre, Jean [Anot], Michel et tous autres que nos avocats ou vous-mêmes jugeriez utiles.
En effet, il n'est pas suffisant que ces amis viennent témoigner, ou préparent l'ambiance sur le plan personnel, en disant que nous sommes de braves gens, qu'ils nous connaissent depuis plus ou moins longtemps et qu'ils nous garantissent moralement. Il faut qu'ils soient eux-mêmes personnellement convaincus que nous sommes innocents et qu'ils puissent affirmer qu'ils le savent, documents à l'appui, et qu'ils connaissent les dossiers de A jusqu'à Z. Actuellement notre affaire sur le plan judiciaire est en bonne voie ; le juge d'instruction semble être convaincu mais il s'agit maintenant de la préparer sur le plan politique pour obtenir d'abord la mise en liberté provisoire et par la suite le non-lieu, or c'est à ces moments-là que nos amis peuvent travailler utilement et il faut qu'ils aient les pièces en mains pour préparer le terrain à l'avance.
Je compte sur vous deux pour agir comme je vous le demande et en plein accord avec nos avocats respectifs.

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J'ai discuté avec Me Poignard et Me Lénard de la marche des opérations que nous voyons de la façon suivante : hier, Dieudonné et Balland ont déposé ; mardi Abbat fait sa déposition et dans le courant de la semaine le juge entendra également les témoins de Gabriel. En même temps, Robert doit donner à l'expert tous les éléments prouvant la perte des 23 millions du Trait, et, d'autre part, l'expert doit faire son rapport sur nos relations avec la Commerzbank, qui est le 2ème chef d'accusation retenu comme « commerce avec l'ennemi ». Toutes ces dépositions et rapports doivent être menés rapidement pour permettre la demande de mise en liberté provisoire. C'est la première partie de l'opération.
Si la liberté est accordée, commencera alors la deuxième partie qui, elle, doit être conduite avec toute la lenteur désirable. L'expert a demandé en effet à examiner d'une façon détaillée toutes nos opérations pour déterminer :
a - s'il y a des affaires en commun avec les Allemands
b - si les affaires dans lesquelles nous avons des intérêts majoritaires ou des influences déterminantes ont beaucoup travaillé pour les occupants. Il faudra donc le moment venu faire des études sur chaque affaire, et cela prendra nécessairement beaucoup de temps. Il faut du reste qu'il en soit ainsi.


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