1944.10.17.De Hypolite Worms.Au juge Georges Thirion.Interrogatoire

Copie

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

Interrogatoire de Worms

L'an 1944, le 17 octobre devant nous, Thirion, juge d'instruction au Tribunal de première instance du département de la Seine, assisté de Lombard, greffier, a comparu :
Worms Hypolite - inculpé déjà entendu assisté de Maître Poignard et Maître Lenard, ses conseils.

Demande :
Nous vous donnons connaissance de la note déposée par l'expert, concernant l'activité des Chantiers du Trait, pendant I'occupation.

L'inculpé dit :
Cette note ne soulève de ma part aucune observation.

Demande :
Certains récents articles de presse vous ont représenté tantôt comme ayant eu une influence occulte sur les gouvernements de Vichy, tantôt comme ayant été l'un des agents "essentiels" de ces gouvernements. En nous reportant aux nombreux articles que vous avez collectionnés sous l'occupation, et qui font l'objet du scellé n°un, nous y avons relevé plus spécialement sous la plume de l'éditorialiste de "L'Œuvre" des articulations et des griefs semblables. On y lit notamment que vous auriez été l'inspirateur d'une politique de collaboration, réduite il est vrai aux affaires, pour masquer une politique attentiste.
Sans attacher plus d'importance qu'il ne convient aux allégations de cette presse, nous avons cependant constaté que plusieurs personnes liées directement ou indirectement à la Maison Worms avaient occupé de hautes fonctions dans le gouvernement, et l'administration du pays, pendant I'occupation. Nous vous demandons de vous expliquer sur vos relations avec les milieux politiques durant cette période et sur le rôle qui vous est prêté ?

Réponse :
Ainsi que je vous l'ai déjà déclaré, je ne me suis jamais occupé de politique, et je n'ai jamais subventionné aucun parti. Il m'est arrivé d'avoir des rapports avec certains ministres mais uniquement sur le plan professionnel, touchant aux diverses activités, plus particulièrement à mon activité maritime.
Cette déclaration vaut pour toute ma vie, aussi bien avant que depuis l'occupation, et concerne également ma propre maison.
Me trouvant à Londres, au moment où l'on sentait que la France allait demander l'armistice, je me suis entretenu avec Monsieur [Monick], alors attaché financier à Londres, de la possibilité de faire comprendre au gouvernement français la détermination de l'Angleterre de continuer la lutte, ses chances de succès et l'intérêt qu'il y avait pour le gouvernement d'en tenir compte dans ses décisions. A la suite de cet entretien. Monsieur [Monick] décida de partir en avion à Bordeaux, et à son retour il me fit part de l'échec de ses conversations.
A mon retour en France, convaincu que j'étais de l'impossibilité d'une invasion de l'Angleterre au point de vue technique et toujours persuadé des décisions de résistance, je suis allé voir pour leur exposer mon point de vue les ministres auxquels je devais rendre compte de ma mission, et que je connaissais personnellement pour les avoir rencontrés précédemment sur le plan professionnel. J'ai vu ainsi l'amiral Darlan et l'amiral Auphand, Messieurs Baudouin, Piétri, Lemery et Bouthillier. J'ai été reçu de manières diverses, mais je tiens à souligner que ce fut auprès de Monsieur Bouthillier et de Monsieur Lemery que j'ai trouvé la plus grande compréhension.
En août et septembre 1940, j'ai fait plusieurs voyages à Vichy pour y rencontrer l'Amiral Auphand, directeur de la Marine marchande, à l'occasion de la mission que j'avais remplie en Angleterre. Au cours d'un de ces voyages, ayant entendu dire que Monsieur Laval tenait des propos hostiles à ma personne et à ma Maison, je lui demandais audience. Je fus reçu par Monsieur Laval qui se montra violent et qui me reprocha d'être opposé à sa politique. Je lui ai assuré que je n'avais rien fait contre lui et que j'avais pour règle de m'abstenir de toute activité politique. Monsieur Laval m'a parlé de certaines personnes de mon entourage, et plus spécialement de Monsieur Le Roy Ladurie, qu'il accusait d'être monarchiste. Monsieur Laval insista sur le fait qu'il "casserait les reins", selon sa propre expression à toute personne qui s'opposerait à lui. Depuis, je n'ai plus revu Monsieur Laval et pas davantage l'Amiral Darlan ni aucun autre Ministre. Je n'ai jamais assisté à aucune réunion politique privée ou autre.
J'ai toujours eu pour principe de ne pas m'occuper de la vie privée et des opinions politiques de mes collaborateurs à qui je demandais seulement d'être dévoués aux intérêts que je leur confiais. Si des personnes appartenant à la Maison Worms ou ayant un rapport quelconque avec elle ont joué un rôle politique ou une activité quelconque extra-professionnelle, elles l'ont fait sous leur responsabilité et indépendamment de la Maison Worms et de moi-même. J'entends affirmer de façon absolue le principe de cette scission complète.
Monsieur Jacques Barnaud était associé-gérant de la Maison Worms depuis 1928. Au mois d'août 1940 il reprit du service à l'inspection des Finances, et devint chef de cabinet de Monsieur Belin à la Production industrielle, dans des conditions que j'ignore. Il était déjà en fonctions lors de mon retour de Londres. Dès ce moment, Monsieur Barnaud cessait toute activité au service de la Banque et ne percevait plus d'émoluments, suivant accord qui fut confirmé par une lettre du 6 août 1941 que je vous dépose, lors de la clôture des comptes de l'exercice 1940. Dès cette époque, Monsieur Barnaud n'est plus venu à la Maison Worms où il n'avait plus de bureau et n'a pas été tenu au courant de l'activité de la Maison. Monsieur Barnaud, toutefois, n'avait pas donné sa démission d'associé-gérant, d'abord parce qu'une telle démission aurait entraîné de grosses difficultés au point de vue administratif, et d'autre part parce qu'il était le seul élément aryen 100 pour 100 de la Maison et que son départ aurait offert aux Allemands l'occasion qu'ils recherchaient de liquider la Maison Worms en tant que Maison juive. Monsieur Barnaud a repris ses fonctions à la Banque en 1943, après avoir démissionné de ses fonctions officielles en novembre 1942.
Monsieur Pucheu est devenu en 1938, directeur général de la société Japy, que la Maison Worms était alors chargée de réorganiser à la demande de la Banque de France, mais où elle n'avait alors que des intérêts minoritaires. Dans ces conditions, Monsieur Pucheu n'a jamais appartenu à la Maison Worms et pas davantage au Groupe Worms. Monsieur Pucheu a démissionné de ses fonctions de directeur général lorsqu'il est devenu ministre de la Production industrielle. Tout le temps qu'il a occupé ces fonctions, et celles de ministre de l'Intérieur, je n'ai eu aucun contact avec lui. Lorsqu'il quitta le ministère, Monsieur Pucheu demanda à être réintégré dans ses fonctions de directeur général. J'eus alors avec lui un entretien au cours duquel je lui opposai une fin de non-recevoir définitive, motivée par son refus de prendre l'engagement de cesser toute activité politique, ne faisant que confirmer l'attitude qu'avait prise à son égard Monsieur Le Roy Ladurie.
Messieurs Bouthillier, Paul Berthelot et Paul Baudoin n'ont jamais fait partie du Groupe Worms à quelque titre que ce soit. Je les connaissais seulement sur le plan professionnel et social.
Monsieur Jacques Guérard, qui fut secrétaire général de Monsieur Pierre Laval, avait été jusqu'au premier septembre 1939, président de la compagnie d'assurances "La Préservatrice", que la Maison Worms avait été chargée de réorganiser et dans laquelle elle n'a qu'un intérêt minime. On ne peut donc soutenir, comme l'a fait la presse, qu'il ait appartenu au Groupe Worms.
La campagne de presse dont vous faites état date du 21 octobre 1940, c'est-à-dire des jours qui ont suivi de peu mon entretien avec Monsieur Pierre Laval. Sans pouvoir être affirmatif, à cet égard, je puis me demander si un rapprochement n'est pas à faire entre cette visite et la campagne qui a suivi. Quoi qu'il en soit, je constate que le thème de cette campagne a été de m'accuser d'avoir eu et par moi-même soit par des hommes politiques membres prétendus de mon groupe, une attitude hostile à la collaboration franco-allemande. J'ai donc le droit d'être surpris de voir reprendre aujourd'hui la même campagne pour réclamer mon arrestation et mon inculpation, ce qui est tout à la fois absurde et contradictoire.
J'affirme de nouveau n'avoir ni commercé avec les allemands ni avoir eu la moindre intelligence avec aucun d'eux, et n'avoir joué sur le plan politique aucun rôle si minime soit-il. Mon passé, mes convictions personnelles, ma situation de famille, mes intérêts commerciaux m'interdisaient évidemment tous sentiments ou toute action favorable à l'Allemagne.
Et signe après lecture.


Retour aux archives de 1944