1942.12.10.CR.Syndicat professionnel du personnel de la Maison Worms & Cie

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Syndicat professionnel du personnel de la Maison Worms et Cie

Syndicat du personnel sédentaire supérieur des services maritimes
Syndicat du personnel sédentaire subalterne des services maritimes
Syndicat professionnel provisoire du personnel des services charbons
Compte rendu du banquet du 10 décembre 1942

Le 10 décembre 1942, à l’issue des réunions, au cours desquelles ont été officiellement constitués les syndicats de personnel sédentaire supé­rieur et subalterne des services maritimes, les délégués étaient invités par la Maison à un banquet qui, sous la présidence de monsieur Hypolite Worms et en présence de monsieur Vignet, directeur général des services charbons et monsieur Péquignot, fondé de pouvoir, remplaçant monsieur Emo, directeur géné­ral des services maritimes, dont les récents événements nécessitaient la pré­sence à Marseille, groupait pour la dernière fois, le conseil du syndicat pro­fessionnel du personnel de la .Maison et pour la première fois, les conseils des syndicats H et I de la corporation de la marine de commerce, ainsi que le bureau du syndicat provisoire du personnel des services charbons.
Dans le cadre élégant et clair de la « popote 45 », ce banquet fut un réel succès, tant par le menu, dont la qualité et l’abondance en ces temps difficiles, font honneur à l’organisatrice, madame Tournier, chef du secrétariat des services bancaires, à laquelle nous adressons nos félicitations et notre gratitude, que par l’atmosphère de sympathie et de franche cordia­lité qui ne cessa de régner parmi les convives.
À l’issue de ces « agapes » des allocutions furent prononcées successivement par messieurs Millot, Simoni et Decaix, auxquelles répondit monsieur Hypolite Worms.
Nous en donnons ci-dessous le texte in extenso.

Allocution de monsieur Millot
Président du syndicat professionnel du personnel de la Maison Worms & Cie.

Monsieur, mes chers amis,
C’est pour la dernière fois que nous sommes aujourd’hui réunis en assemblée du syndicat professionnel du personnel de la Maison Worms et Cie, et on peut dire que nous ne sommes déjà plus réunis sous l’égide de ce syndicat puisque, ce matin même, nous avons procédé à la constitution des deux syndicats H et I de la corporation de la marine marchande. C’est donc pour notre vie syndicale déjà vieille de plus de 6 ans, une journée qu’on appellera, sinon historique, - parce qu’il y en a trop qui le sont et pour d’autres causes, - mais une journée importante, une page qui tourne. Il me semble que nous ne pou­vons pas tourner cette page sans revivre quelques instants ce qui a été le passé du syndicat, ce qui devient, à cette minute même, le passé, et sans examiner rapidement, dans un présent incertain, ce que pourra être l’avenir.
Le passé du syndicat professionnel de la Maison Worms, vous le connaissez tous, mais peut-être n’en connaissez-vous chacun qu’une partie. Il n’y a pas à cette table beaucoup de membres du syndicat qui puissent raconter l’histoire de bout en bout. Moi-même, la première année, je n’ai pas fait par­tie du conseil syndical; notre ami Vincent, par contre, l’a suivi depuis le début. C’est lui qui a fondé le syndicat, c’est lui qui l’a fait vivre pendant la première année, peut-être la plus difficile de toutes, l’année où on se cherchait, où aucune méthode n’était encore déterminée. C’est lui qui, avec une modestie à laquelle on ne saurait trop rendre hommage, s’est effacé de­vant d’autres, et a accepté, à leurs côtés, de continuer une tâche qu’il avait commencée. Cette tâche a été la création d’un esprit social parmi le person­nel de la Maison. Cela a été la connaissance mutuelle les uns des autres, cela a été, pour le personnel, la connaissance plus intime de ce qu’était la Maison de ce qu’étaient ses grands chefs, qui les uns après les autres ont présidé les banquets de nos assemblées générales: Monsieur Vignet d’abord, puis mon­sieur Delteil, monsieur Emo, monsieur Barnaud, monsieur Labbé et monsieur Worms, sont venus successivement ou simultanément, apporter au milieu de nous le témoignage d’une compréhension croissante, d’une collaboration de jour en jour plus étroite entre la Maison et son personnel. Ce n’est pas sans émotion que nous pensons aujourd’hui à ces journées de nos assemblées générales, que ce soit celle de Paris, la plus modeste peut-être en 1937, que ce soit Le Havre qui déjà, dans une atmosphère véritablement cordiale, marquait un progrès énorme, que ce soit Bordeaux en 1939, à quelques heures d’un désastre que certains parmi nous prévoyaient peut-être, mais qu’aucun n’aurait pu imaginer aussi total, que ce soit après la guerre, lorsque nous nous sommes retrouvés pour la première fois en cette réunion d’il y a un an, ou aujourd’hui. Mais après bien des travaux fructueux, après des études véritablement approfondies où chacun a mis du sien, où chacun a aidé, cherché, agi, où chacun a compris quelle était la tâche d’hier, quelle devait être celle de demain, c’est, répé­tons -le, une page que nous venons de tourner.
Il reste à dresser le tableau de ce que nous pourrons faire main­tenant. Jusqu’à aujourd’hui vous aviez un syndicat unique. Vous savez les fruits qu’il a portés. Vous savez combien cette unité s’est affirmée dans les heures difficiles que nous avons traversées, combien la fraternité entre le personnel charbon et steamer s’est épanouie dans toutes les nouvelles activi­tés dont les circonstances ont amené la création.
Aujourd’hui, nous appliquons la charte du travail qui, pour les services maritimes, est une charte particulière : celle de la marine marchande. L’application de cette charte particulière est beaucoup plus avancée que celle de la charte générale, c’est pourquoi les services maritimes ont déjà des syn­dicats établis, tandis que les services charbons ne savent pas quand et com­ment leurs propres syndicats seront constitués. Pour vous, services maritimes, on peut dire que c’est la formule de notre syndicat qui continue, puisque la loi a classé la Maison parmi les entreprises habilitées à constituer des syn­dicats réservés à leur propre personnel. Sans doute, au lieu d’un syndicat unique, aurez-vous maintenant une série de syndicats, par catégories profession­nelles, ce qui, succédant à l’unité que nous avions réalisée, risquerait de créer un fâcheux éparpillement ; mais je sais que vos syndicats, tels que vous venez de les constituer, vont prendre la suite normale du syndicat profession­nel et je vous demande de continuer à vous inspirer dans vos travaux de ce qui a fait la force et la fécondité du syndicat ancien.
D’ailleurs, et nous pouvons en être fiers, de ce qui semble dans la charte le plus heureux, le plus susceptible de contribuer à la paix socia­le c’est-à-dire les comités sociaux, nous avons eu la préfiguration dans ces réunions où les directeurs généraux venaient parler avec nous de toutes les questions angoissantes qui se posaient pour le personnel et nous exposaient à leur tour les difficultés non moins grandes que la Maison rencontrait dans le développement normal de ses affaires.
En ce qui concerne les charbons, nous ne savons pas encore où nous allons ; nous aurons probablement, dans la construction de la charte proprement dite, une série de syndicats. Peut-être le personnel de la Maison sans se retrouver avec celui de ce qu’on appelle la famille du sous-sol, qui est nettement différent puisqu’il va du mineur de houille, au mineur de fer, de l’ouvrier des carrières à l’agent de charbonnage, se retrouvera-t-il avec le personnel des autres maisons d’importation ou de commerce de charbons ?
Car nous avons aussi une chance : c’est qu’une branche spéciale soit créée pour le commerce et l’importation charbonnière. Dans ces conditions, si nous ne pouvons pas avoir un syndicat entièrement à nous, nous pourrons, du moins avoir dans les syndicats de la corporation, un rôle considérable à jouer par­ce que, là encore, il -faut le souligner, le syndicat professionnel du person­nel de la Maison Worms a montré la voie. J’ai de bonnes raisons de savoir que la commission du sous-sol, qui devait recevoir la déclaration de tous les syndicats anciens, n’a reçu, dans les délais fixés, pour les catégories employés agents de maîtrise, ingénieurs, cadres administratifs et commerciaux, qu’une seule déclaration qui émane de notre syndicat. Il faut en déduire qu’il est sans doute le seul de sa catégorie : Comme je vous le disais dans notre réunion de cet après-midi, non seulement notre syndicat existe, mais ses membres ont acquis les uns et les autres une véritable expérience au point de vue syndi­cal, de sorte que nous avons toutes chances de pouvoir, dans les syndicats à venir, maintenir notre idéal.
Mais alors que devient l’unité que nous avions si laborieusement construite entre Maritimes et Charbons. Je pense qu’elle sera ce que vous la ferez. Si chacun, d'entre vous y apporte cet idéal commun, si chacun continue à creuser le sillon que nous avons commencé ensemble, je suis certain qu’il ne sera pas difficile de jeter entre ces syndicats, des ponts suffisamment solides pour avoir des liaisons durables et pour garder les contacts néces­saires. Qui sait d’ailleurs si d’autres ponts ne pourront pas être jetés et si ce travail d’unité, ce travail de coordination n’ira pas plus loin dans le cadre général de la Maison ? L’avenir seul nous le dira.
Vous me permettrez, monsieur, de vous remercier tout particuliè­rement d’avoir bien voulu présider ce dernier banquet du syndicat profession­nel qui, après 6 ans d’activité, va rejoindre dans le passé beaucoup d’autres institutions avec, sur certaines, l’avantage de laisser, je crois, des souve­nirs durables, des souvenirs d’un travail effectif.
Je vous en remercie au nom de tous. Vous me permettrez également de remercier ce soir les directeurs généraux, en la personne de monsieur Vignet et de monsieur Péquignot, remplaçant monsieur Emo, que nous regrettons de ne pas avoir parmi nous ; le secrétaire général de la Maison, le commandant Denis nous a demandé de l’excuser pour des raisons devant lesquelles nous ne pouvons que nous incliner. Surtout, vous me permettrez de dire combien nous regrettons l’absence du fondé de pouvoir général du siège social, de monsieur Robert Labbé, qui depuis si longtemps se penche avec tant de compréhension sur nos travaux et qui nous a témoigné une si vive bienveillance. Nous faisons les voeux les plus sincères pour son prochain rétablissement.
Mes chers amis, je vous demande de lever symboliquement votre verre à la Maison, à son personnel, pour que la ligne sociale que nous avons voulue se poursuive heureusement et, par-dessus tout, au pays qui a besoin de tous ses fils unis le plus possible.

Allocution de monsieur Simoni
Président du syndicat du personnel sédentaire supérieur des services maritimes

Mon cher patron,
Mes chers directeurs,
Mes chers amis,
Ce serait manquer de simplicité que de ne pas avouer combien je suis sensible à l’honneur que vous m’avez fait en me plaçant à la pointe de l'un de nos deux nouveaux syndicats.
Cette marque d’estime et de confiance me dicte des devoirs : je m’efforcerai d’y faire face et de me montrer digne de votre choix.
Si maintenant, mon cher patron, je me tourne vers vous pour vous exprimer, au nom de mes camarades, nos sentiments de dévouement et de respectueux attachement, ce n’est pas par souci d’un vain conformisme.
J’ai conscience, en effet, que, dans les circonstances graves que nous traversons et devant les épreuves communes qui nous attendent et qui peuvent demain frapper chacun de nous, dans sa famille, dans sa personne et dans ses biens, affirmer la solidarité qui nous lie à vous, c’est prononcer des pa­roles qui engagent.
Peut-être pourrait-on craindre que l’obligation où nous sommes déjà de nous répartir dans des corporations distinctes, porte atteinte à notre unité. Pour ma part, je ne le crains pas, car au-dessus des choses qui passent et des méthodes qui changent, nous saurons représenter partout la permanence que tire notre Maison de ses généreuses et déjà longues traditions : celles-là même que vous incarnez.
À votre exemple, mon cher patron, nous ne manquerons pour cela ni d’intelligence, ni de volonté, ni de coeur.
Par ces derniers mots, je ne puis mieux indiquer à nos camarades la voie dans laquelle nous devons nous engager et la manière dont il faut dé­velopper en nous l’esprit corporatif.
Car, plus que des droits, des devoirs nous attendent et ceux-ci vous le sentez bien, exigent de nous non seulement le développement de nos compétences techniques et professionnelles, mais également la culture de toute nos facultés morales sans lesquelles nous ne serions que des collaborateurs in­complets, je dirais même plus : des Français incomplets.
Et maintenant, qu’il me soit permis de saluer les deux directeur des départements des services charbons et des services maritimes, dont la pré­sence parmi nous souligne la continuité et la communauté de notre action.
Parmi les absences signalées tout à l’heure par le président Millot, il en est une que je déplore plus particulièrement, vous le compren­drez facilement: c’est celle de mon chef direct, monsieur J.R. Denis. Il a tenu d’ailleurs à exprimer lui-même ses regrets, dans une lettre adressée au président Millot, et que par un sentiment dont je lui suis reconnaissant, celui- ci m’a demandé de vous lire à sa place.

Paris, le 10 décembre 1942.
Monsieur Millot
Maison Worms et Cie
Paris

Mon cher président,
L’aimable appel que vous avez bien voulu me faire, m’a profondé­ment touché et je regrette vivement que mon état de santé - crise de croissan­ce qui persistes - ne me permette pas d’y répondre favorablement. Il m’est pres­crit de rester, ce soir comme les autres, non point au coin de feu car le com­bustible est rare, mais du moins au coin du lit, ce qui, dans les circonstan­ces actuelles n’est pas sans charme.
Je vous serais donc reconnaissant de m’excuser auprès de tous nos camarades. Qu’ils sachent combien j’eusse aimé me trouver ce soir avec eux, aux côtés d’un patron dont nous ne saurions trop apprécier les qualités de cœur et les autres.
De cœur : car chacun sait ce que tout le monde pense et chacun pense tout ce que le monde sait.
Et les autres : la notion de discipline et surtout, une humilité hélas trop justifiée, m’empêchent même de les énumérer.
Que votre présence autour de lui atténue ses soucis de tous ordre et amortisse les coups qu’essaient de lui porter la jalousie et la méchanceté humaine qui constituent en face de son caractère, la plus profonde des anti­thèses.
Je n’ai point l’intention de vous faire une dissertation sur l’organisation corporative bien que depuis plus de 20 ans, son principe m’ait vive­ment intéressé, mais, dans le cas présent, je lui reprocherai de nous obliger de disloquer le syndicat Maison, dont l’unité était à l’image de celle-ci.
Nous nous en consolerons vite car les nouveaux syndicats seront nés avec l’esprit de l’entreprise et leurs efforts tendront vers le même but : sa prospérité. Ils seront donc frères, plus frères jumeaux ; davantage encore : frères siamois, car ils auront bien des organes communs.
Je salue en vous le président qui, pendant plusieurs années, a accompli sa tâche avec un franc et complet succès.
Je souhaite bonne vie aux présidents des syndicats nouveaux : Simoni et Decaix : si le choix dont ils sont l’objet les honore, il honore aussi ceux qui les ont élus.
Veuillez agréer, mon cher président, l’expression de mes senti­ments bien cordiaux.

Signé : Denis.

Mes chers amis, mes chers directeurs, je lève mon verre pour porter votre santé et celle de vos familles. Je le lève également pour la prospé­rité de notre Maison. Je bois enfin, à votre santé, mon cher patron, et à celle de tous les vôtres.

Allocation de monsieur Decaix
Président du syndicat du personnel sédentaire subalterne des services maritimes.

Si ma modeste voix doit se faire entendre après d’autres telle­ment plus éloquentes, souffrez que ce soit pour marquer à mon tour le sentiment très vif des responsabilités que comporte la charge qui vient de m’être confié.
Mon soutien le plus sûr dans l’accomplissement de cette tâche me viendra de l’expérience acquise au cours des quelques années de collaboration au syndicat professionnel.
Il ne se présente en effet, à mon esprit, aucune solution de continuité dans cette action.
Ce qu’on nomme aujourd’hui : bien commun, communauté de destin et même corporation ne signifiait-il pas hier pour nous compréhension mutuelle, collaboration confiance, loyale et permanente de tous les membres d’une même famille ?
C’est à cet esprit de famille dont vous avez su nous pénétrer, c’est à cet esprit social dont vous avez donné tant de preuves que je tenais à rendre hommage en prenant possession de mes nouvelles fonctions, tout en vous assurant, monsieur, de mon ardente volonté de persévérer dans cette voie si belle et si féconde.

Discours monsieur Hypolite Worms

Mesdames, messieurs,
J’ai un peu l’impression d'être tombé dans un traquenard. J'étais venu diner avec vous très tranquillement et très simplement et voilà que je viens d’écouter la lecture d’une lettre qui me couvre de fleurs et qui vante mes louanges avec beaucoup trop de bonté. Mais, je vous avouerai tout de même que cette lettre me touche et qu’elle me touche d’autant plus qu’elle émane d’un de mes plus chers, de mes plus fidèles collaborateurs, je veux parler du commandant Denis.
Mesdames, messieurs, je suis très heureux d’avoir été appelé à présider aujourd’hui cette réunion qui clôture les travaux de vos assemblées de ces jours derniers. J’en suis d’autant plus heureux que je vous vois tous réunis ici autour de moi : les membres de l’ancien syndicat professionnel de la Maison Worms, les membres de ce qui deviendra vraisemblablement bientôt le nouveau syndicat professionnel du personnel du département charbons, les nou­veaux membres des syndicats H et I du personnel maritime de la Maison Worms dans le cadre de la Corporation qui vient d’être créée.
Cela fait beaucoup de syndicats et je dois avouer que je commen­ce à me noyer parmi tous ces syndicats. Mais malgré cela, il me semble toute­fois qu’il en manque un et, si vous le voulez bien, je vais vous suggérer de le créer. Il s’agirait, dans mon esprit, d’un nouveau syndicat, d'un super-syndi­cat, et naturellement d’un syndicat occulte car il n’est prévu par aucun tex­te légal, et c’est ce nouveau syndicat que nous appellerions le super-syndicat des syndicats de la Maison Worms. En fait, ce serait le syndicat familial de notre Maison.
Si tous les autres syndicats, que j’appellerai les syndicats lé­gaux, pouvaient s’arranger pour tenir leur assemblée générale à la même époque, nous pourrions en profiter pour réunir ce nouveau super-syndicat une fois par an, que ce soit à Paris ou ailleurs, là où vos assemblées se tiendraient, au cours d’un diner qui nous réunirait tous et qui serait la seule manifestation à laquelle ce super-syndicat pourrait livrer son activité. Si vous êtes d’accord il en sera ainsi décidé.
Mesdames, messieurs, toutes ces réunions, tous ces travaux de syndicats dans les circonstances actuelles représentent un peu une gageure, je dirais presque un défi au bon sens, car vous allez constituer un syndicat pro­fessionnel d’un importateur de charbon qui n’a plus de charbon et vous venez de créer des syndicats maritimes d’un armateur qui n’a plus de bateaux. Si donc je vous faisais part des réflexions que je fais de temps en temps lorsque je dors mal la nuit, je ferais preuve d’un pessimisme que je ne veux pas vous montrer. Bien au contraire, je vais vous donner des paroles d’espoir, car il y a quelque chose de plus précieux que du charbon pour un importateur de charbon, il y a quelque chose de plus précieux pour un armateur que des bateaux, ce sont les hommes... et je dirai naturellement également.... et les femmes.
Or, depuis 27 ans que je dirige les destinées de la Maison Worms, comme mes prédécesseurs l’avaient déjà fait avant moi, Je me suis toujours at­taché à réunir et à grouper autour de moi un personnel d’élite. J’ai toujours voulu avoir, depuis les grades les plus élevés jusqu’aux grades les plus modes­tes dans la hiérarchie, des collaborateurs de choix, des hommes de confiance, des hommes loyaux, des hommes travailleurs, des hommes dévoués. Eh bien, je crois avoir réussi.
Ces hommes dévoués, ces hommes loyaux, c’est vous et c’est en vous voyant tous ici réunis autour de moi que je reprends espoir, car c’est avec vous que nous allons recommencer, c’est avec vous que, la guerre finie, nous allons, après 94 ans d’existence, redevenir armateurs, c’est avec vous que, lorsque ce sera possible, nous recommencerons à importer du charbon. Du charbon, il en reviendra, des bateaux, on en retrouvera ou on en fera cons­truire, mais des hommes, c’est encore plus difficile à trouver. Il faut des années pour trouver des hommes d’élite, il faut des générations pour les for­mer.
Eh bien, messieurs, c’est à cet acte de foi que je vous convie. Je vous demande de rester tous unis, de travailler avec acharnement, d’avoir confiance dans vos chefs, de vous tenir par la main pour le bien commun, pour votre bien à tous, pour le nôtre, pour la prospérité de notre Maison, pour le bien de notre Pays.
Voilà ce que je voulais vous dire et je ne veux pas terminer sans boire à la santé de vos Présidents : d’abord monsieur Vincent qui a été le pre­mier de tous, le premier président du syndicat professionnel, à. la santé de monsieur Millot qui, depuis des années se dévoue toujours avec un calme sou­riant et avec beaucoup d’énergie et de loyauté aux destinées de votre syndicat.
Je voudrais en même temps féliciter d’avoir été nommé par vous et vous féliciter de l’avoir nommé, mon vieil ami Simoni, comme président du syndicat H de la corporation maritime. Simoni pour lequel j’ai des sentiments d’affection toute particulière, car c’est probablement le premier de mes collaborateurs que, au lendemain de l’armistice, j’ai pu serrer sur mon coeur… littéralement, lorsque je l’ai retrouvé dans une ville de province, en bel uniforme, alors que je portais encore les vêtements poussiéreux d’un long voyage.
Je voudrais féliciter Decaix, le président du syndicat I de la corporation maritime. Decaix, un modeste qui n’a pas une vie très agréable en ce moment, parce qu’il voyage beaucoup, mais qui remplit son rôle avec tant d’ardeur et d’efficacité.
C’est à eux, comme à vous tous, en me faisant confiance, comme je vous fais confiance, que je demande de penser à l’avenir et de le préparer.

Paris, le 14 janvier 1943.
Le président du syndicat professionnel du personnel de la Maison Worms et Cie :
Signé : Roger Millot

 

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